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QUELQUES PRINCIPES D'EVOLUTION

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Quelques principes d'évolution


Le principe de l'évolution veut que des mécanismes engendrant une diversité biologique aient existé dès l'origine. La première cellule, il y a 3, 8 milliards d'années, avait déjà un programme génétique capable de fixer les propriétés et de permettre leur transmission de génération en génération. Ce programme génétique avait déjà cette capacité de ne pas se répliquer sous la forme de copies conformes, engendrant ainsi une diversité génétique substratum de l'évolution. L'évolution s'est contentée non point de sélectionner ce qui convenait mais d'éliminer ce qui ne convenait pas. La base de cette élimination est la sélection pour l'avantage reproductif. En effet, les êtres les plus capables de se reproduire dans un écosystème donné ont eu un lignage abondant alors que les autres ont disparu.
Il existe trois sortes de stratégies pour se voir conférer un avantage reproductif. La première, celle des bactéries, est la prolificité. Ces êtres sont d'une grande fragilité, ils meurent en masse mais prolifèrent si efficacement que peu importent leurs défaillances individuelles. La seconde stratégie est la carapace contre les mauvais coups du sort. Le chêne orgueilleux résiste aux aquilons et, souvent, aux tempêtes. La tortue des îles Galápagos a les moyens de se prémunir des prédateurs. La troisième stratégie, celle privilégiée dans le règne animal, est l'aptitude à percevoir l'environnement et à y répondre par un comportement adapté. Ces êtres sentent le danger et la nourriture et modifient leurs comportements de manière à optimiser leur accès aux nutriments et à échapper aux périls. La première condition pour se reproduire étant de n'être point détruit, cette stratégie confère un avantage reproductif.

Félix le chat, animal quasi parfait

Ainsi, au fil des milliards d'années, nous aboutissons à un être presque parfait comme Félix, mon chat. Le dimanche, il est mollement allongé lorsqu'une souris sans méfiance passe à proximité. Il l'attrape d'un coup de patte, s'amuse un peu avec elle, la croque et se rendort. Le lundi, il fait subir le même sort à un petit oiseau. Le mardi, l'environnement lui est moins favorable et un chien furieux le pourchasse mais Félix le chat monte à l'arbre. Le chien se lasse et s'en va. Un coup de vent déstabilise Félix qui retombe sur ses pattes. Félix est un animal quasiment parfait. Il perçoit son environnement et s'y adapte avec un à-propos et une efficacité à peu d'autres pareils. Cependant, il n'est pas nécessaire pour qu'il agisse ainsi que Félix ait conscience que l'animal qui a croqué une souris le dimanche, a déjeuné d'un oiseau le lundi, a échappé au chien et est retombé sur ses pattes le mardi soit le même animal. La conscience de l'unicité de l'être n'est d'aucun avantage pour le chat. Rien, a priori, ne peut expliquer d'un point de vue moniste, agnostique et darwinien l'émergence de la conscience. Félix s'en passe très bien.

Un roman anthropologique

Tout ce que je viens de vous raconter est raisonnablement vrai. À partir de ce récit, je vais m'essayer à un roman anthropologique, c'est-à-dire vous proposer un scénario plausible - que je n'ai aucune possibilité de confirmer - des processus évolutionnistes présidant à l'émergence de la conscience et à l'action d'un être qui se revendique libre et peut se dire responsable.
Imaginons qu'un primate ayant des capacités adaptatives remarquables, vivant à l'époque deSahelanthropus Tchadensis ou plus près de nous, ait diversifié ses aptitudes mentales. Il est, de manière aléatoire, l'objet d'une innovation biologique. Un facteur de croissance, un programme de multiplication cellulaire fait que, à l'occasion d'une mutation ou de la dérégulation d'un ou de quelques gènes, par exemple liées à un remaniement chromosomique, une population cellulaire commence à se diviser plus précocement et prolifère plus longtemps qu'auparavant.
Cet animal et ses descendants passent de 5 à 20 milliards de neurones ; l'homme aujourd'hui en possède 100 à 150 milliards. Sachant que chacune de ces cellules nerveuses est capable d'échanger des informations avec 10 000 autres, une telle multiplication va accroître la diversité possible des circuits neuronaux dans des proportions incroyables.

Vision de l'avenir

Faisons l'hypothèse que cette innovation confère une aptitude nouvelle par rapport aux possibilités des ancêtres. Cette capacité va au-delà de celles qui permettent de s'adapter correctement à l'instant présent ; elle donne le pouvoir d'utiliser l'expérience instantanée pour modifier le comportement futur. Appréhendant l'évolution de son environnement, ce primate élabore des scénarios sur les conditions qu'il rencontrera demain et se prépare à y répondre. Imaginer ce que peut être l'avenir en fonction de situations perçues et dresser des plans pour se tirer des pièges que l'avenir recèle, confère sans aucun doute un avantage sélectif. Dans une optique darwinienne, cette nouvelle propriété mentale a toutes les raisons d'être préservée. Elle conduira par conséquent à la sélection de cet être qui dispose de cette capacité inouïe de se projeter dans l'avenir. Les conséquences collatérales de cet événement seront considérables.

Conscience

Autant la conscience de l'unicité de l'être n'avait guère d'intérêt pour optimiser l'action de Félix, autant elle est indispensable à l'efficience de la nouvelle stratégie de notre primate prévoyant. En effet, pour préjuger d'un scénario d'avenir, se préparer à y répondre et mettre le plan à exécution, il est nécessaire d'avoir conscience de l'unicité de l'individu ayant pensé, projeté l'action, puis l'accomplissant. Une forme élémentaire de la conscience de l'unicité de l'être est la conséquence inéluctable de cette innovation biologique conférant un avantage au sens sélectif du terme.
On sait que, dans le monde animal, des signes tangibles, incontestables de conscience de soi sont difficiles à démontrer expérimentalement. Ils n'ont été identifiés que chez certains chimpanzés. Le test consiste à tracer au stylo une tache sur le front de l'animal, puis de le placer devant un miroir. Parfois, le chimpanzé porte la main à la tache sur son front, ce qui suggère que l'animal comprend que c'est son image qu'il voit dans le miroir et qu'il a accès à une certaine conscience de lui-même. Il se pourrait que les corbeaux et corneilles, qui ont des capacités cognitives phénoménales, disposent également de telles capacités. Par ailleurs, il existe une grande incertitude quant au niveau de la complexité mentale des opérations dont sont capables les grands mammifères marins de la famille des cétacés, par exemple les dauphins.

Religiosité

Lorsqu'un être conscient regarde dans l'avenir, un péril redoutable lui apparaît. La première chose qu'il y voit est sa finitude, sa mort certaine. Cela est intolérable. Il s'agit là d'une épreuve structurante pour le processus d'humanisation. Il est probable que seuls les primates du genre Homo ont eu cette conscience de la mort même si d'autres mammifères ont peut-être une perception assez vague de leur fin prochaine. On parle des éléphants qui, sentant qu'ils vont bientôt mourir, se rendent en des endroits spécifiques.
Avoir toute sa vie la conscience de sa mort inéluctable est, me semble-t-il, le mécanisme le plus crédible pour expliquer la généralité du sentiment religieux. On ne peut vivre avec le sentiment de sa fin qu'en trouvant le moyen de l'exorciser, en imaginant un monde mythique auquel la mort donne accès, cessant d'être une fin pour être transformée en rite symbolique de passage. Il n'existe aucune exception à la religiosité chez les peuples premiers. Les premières évidences de rites funéraires datent de 100 000 ans. On les trouve aussi bien chez les ancêtres de Cro-Magnon que chez les Néandertaliens. Le sentiment religieux m'apparaît être un phénomène important, peut-être essentiel, dans le processus d'humanisation d'un primate du genre Homo.

Choix et liberté

Un être qui fait des projets et se prépare à les mettre en application doit dépasser le déterminisme qui pousse l'écureuil à amasser des glands pour l'hiver. Si les hivers disparaissaient d'un seul coup, et donc le besoin d'amasser des glands, l'écureuil persisterait dans son comportement jusqu'à ce que la sélection fasse apparaître des animaux mieux adaptés au nouveau climat.
Faire un projet pour l'avenir et se disposer à y répondre introduit un élément fondamental : le choix. En l'absence de choix, la possibilité de construire un scénario et de se préparer à le réaliser disparaît. Par conséquent, le primate dont nous parlons sait maintenant qu'il lui revient de choisir. Le choix implique l'émergence de l'idée de liberté. Je suis libre parce que j'ai la capacité de choisir entre au moins deux possibilités également ouvertes. Lorsque je ne fais que suivre ma nature, il m'est difficile de me penser libre.
Vision de l'avenir, conscience, religiosité, évidence du choix et naissance du sentiment ou de l'illusion de l'action libre apparaissent des conséquences inéluctables de cet avantage que confère la projection dans l'avenir.

Sens moral

Les conditions nécessaires à l'émergence du sens moral se mettent en place chez ce primate capable de choix et, par conséquent, apte à juger de son action. Pour qu'il y ait un bon choix opposé à un choix mauvais, il faut le sentiment de liberté. Il n'y a pas de possibilité de sens moral sans choix et sans liberté, ou du moins sans son illusion. L'être en évolution peut maintenant s'ouvrir au sens moral.
Il peut lui être imposé comme la conséquence de l'univers symbolique qu'il a créé afin d'exorciser le fantasme de la mort. Il s'agit d'une morale hétéronome à laquelle il faut obéir. L'homme crée l'idée de Dieu, et la divinité lui impose ses règles morales, réfléchies en réalité de la tradition du groupe.

Morale altruiste

Une autre origine du sens moral est possible. L'évoquer nous amène en même temps à discuter d'un paradoxe évident. Toutes les innovations biologiques donnant accès à ces comportements nouveaux, à cette explosion des capacités cognitives, exigent de se déployer au sein d'une communauté humaine et humanisée. Ce n'est que dans l'économie d'un dialogue argumenté entre des individus acculturés que nos déterminants biologiques nous donnant accès à ces capacités cognitives peuvent agir. Tous les exemples des enfants sauvages en témoignent.
La notion d'homme seul n'existe pas. Pour qu'un Homo génétiquement humanisable soit humanisé, il lui faut interagir avec au moins un autre. Si je ne peux accéder à la plénitude de mes capacités cognitives que dans ce dialogue avec cet autre qui m'est proche, ne suis-je pas amené à lui conférer une valeur singulière ? Cette évidence de la valeur conférée à celui grâce auquel je suis humanisé est sans doute la base ethnocentriste de la morale altruiste. Dès lors, le choix qui me donne accès à une connotation moralement positive ou négative de mes actions prend un nouveau tour. Tout ce qui contribue à manifester le souci et la considération que j'ai pour un être singulier sans lequel je ne serais pas moi-même me semblera moralement positif. Ce qui lui nuit et compromettra mon interaction avec lui m'apparaîtra moralement négatif. Le sens moral germe sur le terreau du sentiment de liberté auquel donne accès l'évidence d'un choix.
Il nous reste à résoudre une difficulté. Dans mon scénario anthropologique, des innovations biologiques aléatoires confèrent un avantage sélectif dont les conséquences cognitives ne peuvent émerger que dans le dialogue argumenté au sein d'une société humanisée. Cependant, avant que les sociétés ne soient humanisées, elles ne sont pas en principe humanisantes. Comment tout cela commence-t-il ?
Les données paléontologiques sont compatibles avec un scénario de "masse critique" et de "réaction en chaîne de civilisation". Il y a très longtemps, l'homme commence à créer de la culture technique, lithique. Elle est très lentement évolutive mais va progressivement s'accélérer. Il faut 5 à 6 millions d'années pour passer des outils élémentaires des grands singes aux premiers objets en pierre taillée d'Homo ergaster, il y a environ 2 millions d'années. Il va falloir 2 millions d'années supplémentaires pour voir apparaître les arcs et les flèches. Il faudra ensuite 10 000 ans pour inventer le fusil et quelques centaines d'années seulement pour envoyer une fusée sur Mars avec un robot capable d'échantillonner les roches de cette planète.
L'aptitude à la création d'une culture de l'outil est sans doute un avantage sélectif : le primate outillé se trouve avantagé dans la lutte pour la vie. En même temps, l'univers technique créé par les premiers hommes est acculturant. En effet, la capacité d'innovation proprement humaine se double d'une extraordinaire sensibilité à l'acculturation au contact des symboles et des artéfacts produits.
Il est vraisemblable que, durant une longue période, les modifications biologiques nécessaires à la créativité humaine aient évolué en parallèle avec celles permettant l'enrichissement des interactions sociales, condition sine qua non du développement cognitif au contact de la culture créée. Vient le moment où l'accroissement culturel aboutit à "une masse critique" qui va déclencher une réaction en chaîne. Alors que l'Homo sapiens est apparu il y a 200 000 ans, les traces d'une extraordinaire créativité se multiplient il y a 70 000 à 30 000 ans. La culture créée devient alors suffisante pour augmenter rapidement la capacité créatrice de l'esprit acculturé au contact de ce corpus culturel. Ce phénomène de réaction en chaîne augmente la capacité cognitive et la production intellectuelle et technique. Le processus devient ainsi typiquement civilisationnel.

Le propre de l'homme

Le phénomène d'autoamplification des capacités cognitives et culturelles est sans doute le seul point qui permette de marquer le propre de l'homme. Ce n'est pas le cas de l'outil. Les corneilles, les chimpanzés, les orangs-outans savent se servir d'outils rudimentaires, voire les façonner grossièrement.
Nous sommes les seuls à disposer d'un langage symbolique, combinatoire, récurrent et de capacités de calcul nous permettant d'engendrer une masse infinie de signifiants à l'aide d'une quantité finie de symboles. Chez les singes, le langage est fort rudimentaire. D'autres bêtes ont peut-être des performances supérieures. Des expériences passionnantes menées chez les cétacés sont, à ce titre, prometteuses, même si leur interprétation n'est pas encore admise par tous. Pour qu'un échange véhicule un langage riche, il faut qu'il ne soit ni monotone ni aléatoire. L'étude des fréquences des ultrasons qu'échangent deux dauphins prouve que ce langage pourrait véhiculer des informations diversifiées. L'aptitude humaine au langage va de pair avec l'hypertrophie de l'aire de Broca. Une telle hypertrophie est déjà perceptible chez les chimpanzés et les gorilles. La possession du langage est, de même, associée à une prolongation en arrière de l'aire postérieure de Wernicke. On la décèle également sur les empreintes cérébrales des fossiles pré-humains et chez les chimpanzés. Par conséquent, les propriétés anatomiques du cerveau nécessaires à l'émergence du langage précèdent celle-ci. Par ailleurs, nous avons vu avec les dauphins que la diversité des messages transmis par le langage n'est peut-être pas une propriété exclusivement humaine.
Aujourd'hui, alors que le génome du chimpanzé a été séquencé presque complètement, l'illusion, non dénuée d'une connotation idéologique, selon laquelle les chercheurs allaient trouver "le gène de l'humanitude" est dissipée. Les différences observées entre Homo sapiens et les chimpanzés sont triviales. Elles se situent, par exemple, au niveau des gènes qui codent les enzymes alimentaires ou les caractéristiques des muscles de la mâchoire. Ce dernier point a peut-être une incidence sur le port de la tête ou sur le langage sans qu'on puisse l'affirmer. Au niveau du cerveau, les variations sont davantage quantitatives que qualitatives.
En réalité, le propre de l'homme est d'avoir pu parvenir à cette masse critique de culture à partir de laquelle se produit une réaction en chaîne de progrès créatifs et cognitifs. Dès lors, l'évolution comportementale des hommes, de leurs us et coutumes va cesser d'être biologique pour devenir avant tout culturelle et civilisationnelle.

Puissance et responsabilité

Nous sommes maintenant de plain-pied dans ce monde de l'homme, dont Pascal disait qu'il est singulier "en ce que toute la suite des hommes pendant le cours de tant de siècles est comme un seul homme qui subsiste toujours et apprend continuellement".
Au tout début du XVIIe siècle, Francis Bacon, philosophe, probablement créateur de la science expérimentale et chancelier d'Angleterre, nous apprend que le "savoir est pouvoir". Descartes enrichit cette réflexion quelques années après en précisant que, pour l'homme, le pouvoir consiste à "se rendre comme maître et possesseur de la nature". Ainsi, le processus civilisationnel crée un être de plus en plus savant, de plus en plus puissant qui ne peut manquer de se penser, au moins dans certaines circonstances, libre de ses choix. Il s'ensuit que l'homme a la possibilité de revendiquer l'usage qu'il désire réserver à ce qu'il apprend et maîtrise. Cela jette un doute théorique sur l'optimisme du progrès tel que le concevait Condorcet, comme "la marche de l'humanité d'un pas ferme et sûr sur la route de la vérité, du bonheur et de la vertu". Cette conception suppose que l'homme soit capable d'accumuler des savoirs garants d'une augmentation continue et infinie de son bien-être et de sa vertu. Certains pensaient qu'il en était ainsi car tel était le dessein du Grand Horloger de Voltaire, de l'Être suprême, du Grand Architecte…D'autres, comme Condorcet, se situaient avant la lettre dans une conception "lamarckienne". Le cerveau humain, pensaient-ils se devait d'être modifié dans son essence par le corpus de connaissances qu'il contribuait à enrichir. Cette conception apparaît aujourd'hui singulière. En effet, nous savons que si un petit enfant était renvoyé il y a 30 000 ans, par une machine à remonter le temps telle celle qu'imagina Wells, ses conceptions du monde et sa morale seraient aurignaciennes.
Le mécanisme par lequel un homme de plus en plus puissant serait obligatoirement de plus en plus sage se heurte à une évidence. Quand je rédige un article scientifique, mes références sont pour l'essentiel des études récentes. Ce que disaient les savants des siècles précédents n'est, en général, pas pertinent pour faire progresser les connaissances actuelles. En revanche, si je veux écrire un livre sur les bases de la sagesse, du bonheur ou de l'amour, la référence à Socrate, à Platon, à Plotin, à Spinoza, à Kant ou à Nietzsche sera légitime, voire indispensable. Le corpus des connaissances et des techniques croît de manière exponentielle alors que celui des références philosophiques et morales connaît, au mieux, une croissance linéaire.
À partir du moment où l'homme se revendique libre et établit l'unicité de son être, il prend conscience de ce que celui qui pense et celui qui agit est le même être, et qu'il est en conséquence responsable de ce qu'il accomplit librement. L'homme se sent responsable puisqu'il fait ce qu'il avait projeté de faire alors qu'il avait la possibilité, du moins le croit-il, de faire autrement. Cette notion de "responsabilité" est essentielle car elle constitue le moyen, le seul selon moi, de refonder un humanisme non essentialiste dans une perspective agnostique. La notion de "singularité humaine" est aisée à concevoir pour ceux qui considèrent que l'âme représente une étincelle de codivinité. En revanche, pour ceux qui appréhendent l'homme en tant qu'avatar de l'évolution, la question devient plus complexe. Au point que des courants philosophiques nombreux et puissants posent aujourd'hui la question de la légitimité des Droits de l'homme.
Selon certaines de ces écoles, on ne peut pas fonder les Droits de l'homme uniquement sur la raison, car cela amènerait à considérer que les êtres déraisonnables en sont exclus. Cela pourrait conduire à justifier l'euthanasie des malades mentaux telle qu'elle a été mise en œuvre entre 1939 et 1941 dans le Reich nazi. Le seul droit véritable des êtres est le respect de leurs intérêts. L'intérêt partagé par tous les êtres sensibles est de ne pas souffrir. Par conséquent, les Droits de l'homme ne peuvent s'appuyer que sur la prise en compte de l'intérêt, sur l'évitement de la souffrance. À ce titre, l'intérêt du monde animal sensible est du même ordre que celui du monde humain. Cette manière de penser se répand dans le monde entier comme l'illustre bien le mouvement de la libération animale de Peter Singer.
Il s'agit là d'un discours fort cohérent en apparence qu'il est difficile de contre-prouver si on ne fait pas appel à la responsabilité et à l'asymétrie du monde vivant auquel elle conduit. S'il fallait établir une barrière à partir des seuls critères biologiques pourquoi la faire passer entre l'homme et le chimpanzé alors que le chimpanzé est beaucoup plus proche de l'homme que de la souris, par exemple ?
Cela dit, il existe une asymétrie fondamentale dans le monde vivant entre ceux qui ont la capacité de se décréter un devoir et d'être responsables de l'appliquer, et les autres. Ce devoir implique de prendre en compte la souffrance animale, de respecter la diversité biologique et, plus généralement, de préserver la planète pour nos descendants. Quelles qu'en soient les raisons, processus évolutif ou volonté divine, l'homme est le seul en mesure de se fixer ce devoir et, le cas échéant, de s'y conformer. Le reste du vivant, même celui qui nous est biologiquement le plus proche, n'est responsable ni de lui ni de nous.

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