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LES VILLAGES, LES VILLES, LES CITÉS ET AUTRES LIEUX OÙ SE TROUVENT DES POPULA¬TIONS SÉDENTAIRES. SUR LES CIRCONSTANCES QUI S’Y PRÉSENTENT. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES ET SUPPLÉMENTAIRES. LES PROLÉGOMÈNES d'IBN Khaldoun

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Q U A T R I È M E
S E C T I O N.

SUR LES VILLAGES, LES VILLES, LES CITÉS ET AUTRES LIEUX OÙ SE TROUVENT
DES POPULA­TIONS SÉDENTAIRES.
SUR LES CIRCONSTANCES QUI S’Y PRÉSENTENT.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES ET SUPPLÉMENTAIRES.

# La fondation des empires précède celle des villes et des cités. — La royauté s’éta­blit d’abord et la cité ensuite.
# Le peuple qui acquiert un empire est porté à s’établir dans des villes.
# Les grandes villes et les édifices très élevés n’ont pu être construits que par des rois très puissants.
# Les édifices d’une grandeur colossale ne peuvent pas devoir leur entière construction à un seul souverain.
# Sur les choses dont il faut tenir compte lorsqu’on fonde une ville, et sur les suites que le défaut de prévoyance en cette matière peut avoir.
# Quels sont les mosquées et les temples les plus illustres de l’univers.
Description et histoire de Beït el‑Macdis, (le temple de Jérusalem), du temple de la Mecque et de celui de Médine (le Mesdjid el‑Haram). — Le Hidjr. Changements faits à la mosquée de la Mecque par Abd Allah Ibn ez-Zobeïr. — Signification du mot Becca. — La sakhra du temple de Jérusalem. La Comama (l’église de la Résurrection). — La mosquée d’Adam en Ceylan.
# Pourquoi les cités et les villes sont peu nombreuses en Ifrîkiya et dans le Maghreb.
# Les édifices et les grandes constructions élevées par les musulmans sont loin d’être en rapport avec la grandeur de ce peuple, et restent bien au‑dessous des bâti­ments laissés par les nations précédentes.
# La plupart des édifices bâtis par les Arabes tombent promptement en ruine.
# Comment les villes tombent en ruine.
# Si certaines villes et métropoles surpassent les autres en activité commerciale et par le bien‑être dont on y jouit, cela tient à ce qu’elles les surpassent aussi par leur population.
# Sur le prix (des denrées et des marchandises) dans les villes.
# Les gens de la campagne ne sont pas assez riches pour habiter les villes qui possè­dent une nombreuse population.
# Les différences qui existent entre un pays et un autre, sous le rapport de la pau­vreté ou du bien‑être, proviennent des mêmes causes qui établissent des diffé­rences semblables entre les villes.
# Comment un grand nombre de maisons et de fermes se trouvent dans la possession de quelques habitants des villes. — Avantages qu’ils peuvent en retirer.
# Dans les grandes villes, les hommes riches ont besoin de protecteurs ou doivent être ­dans une position qui les fasse respecter.
# Les grandes villes doivent aux dynasties qui y ont régné leur portion de cette civili­sation qui se développe dans la vie sédentaire. Plus ces dynasties ont eu de durée et de force, plus cette civilisation est forte et persistante.
# La civilisation de la vie sédentaire marque le plus haut degré du progrès auquel un peuple peut atteindre ; c’est le point culminant de l’existence de ce peuple, et le signe qui en annonce la décadence.
# Toute ville qui est le siège d’un empire tombe en ruine lors de la chute de cet empire.
# Certaines villes se distinguent par la culture de certains arts.
# L’esprit de corps peut exister dans les villes ; quelques‑uns d’entre les habitants do­minent alors sur le reste.
# Sur les dialectes (arabes) parlés dans les villes.

La fondation des empires précède celle des villes et des cités. La royauté s’établit d’abord et la cité ensuite.
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p.238 Fonder des villes et construire des lieux d’habitation est une des impulsions que l’on reçoit dans la vie sédentaire, état auquel on se laisse porter par l’amour du bien‑être et du repos. Pour que cela ait lieu, la tribu doit avoir passé par la vie nomade et ressenti tous les désirs qui naissent dans cet état. D’ailleurs les cités et les villes doivent posséder des temples, de grands édifices, de vastes cons­tructions, parce qu’il en faut, non pas dans l’intérêt de quelques in­dividus, mais de la communauté. Donc (pour bâtir une ville) il faut réunir des ouvriers en grand nombre et des travailleurs qui puissent *202  s’entr’aider. Ce n’est pas là une de ces obligations forcées auxquelles tous les peuples sont soumis et qu’ils doivent remplir, soit de bon gré, soit par la nécessité des choses ; c’est la volonté du souverain qui les y porte, soit par l’emploi de la contrainte, soit par l’appât d’une récompense. Mais ces encouragements doivent être si considérables que les ressources d’un empire peuvent seules y suffire. Donc, pour fonder une capitale ou construire une grande ville, il faut absolument qu’il y ait un souverain et un empire pour s’en charger.
La ville, une fois construite et achevée selon les vues du fondateur et les exigences du climat et du sol, aura la même durée que l’em­pire. Si celui-ci ne se maintient que peu de temps, la ville cessera de prospérer du moment que l’empire succombera ; elle verra décroître sa population et tombera en ruine. Si l’empire dure longtemps et p.239 pendant une période considérable, on continuera à bâtir, dans la ville, de grands édifices et des logements aussi vastes que nombreux ; l’en­ceinte des murs s’élargira au point de rendre les quartiers si vastes et les distances si grandes qu’à peine pourra‑t‑on les mesurer. C’est ce qui est arrivé pour Baghdad et d’autres villes. Le Khatîb [1] rapporte, dans son Histoire, qu’au temps d’El‑Mamoun le nombre des maisons de bains y avait atteint le chiffre de soixante‑cinq mille ; que cette capitale se composait de plus de quarante villes et bourgs qui se tou­chaient ou qui étaient très rapprochés les uns des autres, et qu’elle n’était pas entourée d’une enceinte continue, tant elle renfermait de monde. Il en fut de même de Cairouan, de Cordoue et d’El‑Mehdiya, sous la domination musulmane, et tel est, de nos jours, l’état de Misr (le Vieux‑Caire) et du Caire, si je suis bien renseigné.
Lors de la chute de la dynastie qui a fondé la ville, il arrivera une des deux choses que nous allons indiquer. S’il y a des peuples cam­pagnards dans les montagnes et les plaines environnantes, la ville en *203 tirera assez de monde pour entretenir sa population au complet et pour prolonger son existence ; elle survivra ainsi à l’empire qui l’avait fondée. Cela est arrivé, comme on le sait, pour Fez et pour Bougie, dans le Maghreb. En Orient (le même fait s’est reproduit en ce qui concerne les villes de) l’Irac persan, pays qui renferme une forte population de montagnards. En effet, quand les gens de la campagne ont atteint le plus haut degré d’aisance et de richesses dont ils sont capables, ils aspirent après la tranquillité et le repos, ce qui, du reste, est dans la nature de l’homme, et ils vont se fixer dans les villes et les cités, où ils propagent leur race. Mais si la ville que l’empire a fon­dée n’a pas [2] (dans son voisinage) des peuples campagnards qui puis­sent lui fournir les éléments pour suppléer à la décroissance de sa population, ses murs d’enceinte se dégraderont aussitôt que l’empire p.240 aura succombé ; elle restera sans troupes pour la défendre, et sa prospérité ira toujours en diminuant, jusqu’à ce que tous les habi­tants se soient réfugiés [3] ailleurs ; alors elle tombera en ruine. Cela est arrivé, en Orient, pour Misr (le Vieux‑Caire), pour Baghdad et pour Koufa, et en Occident pour Cairouan, El‑Mehdiya, la Calâ d’Ibn Hammad [4] et autres villes. Je prie le lecteur de faire attention à ces observations.
Il se peut aussi qu’après la destruction du peuple qui fonda la ville un autre peuple vienne y établir le siège de son gouvernement, afin d’éviter la nécessité de se construire une capitale. En ce cas, la nouvelle dynastie se charge de garder l’enceinte de la ville et, à me­sure que sa puissance et sa prospérité augmenteront, elle ajoutera aux constructions déjà existantes et en élèvera de nouvelles. De cette manière, la ville recevra de cette dynastie une nouvelle vie. Cela a eu lieu de nos jours pour Fez et pour le Caire. Le lecteur qui aura bien compris ces faits y reconnaîtra une des règles d’après lesquelles Dieu se conduit à l’égard de ses créatures.

Le peuple qui acquiert un empire est porté à s’établir dans des villes.
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*204 Le peuple ou tribu qui a conquis un empire est obligé, par deux motifs, d’occuper les grandes villes. D’abord, la possession du royaume porte à rechercher la tranquillité et le repos, à se ménager des en­droits où l’on puisse déposer ses bagages, et à perfectionner ce qui était resté incomplet dans la civilisation qui résulte de la vie nomade. En second lieu, on doit garantir l’empire contre les tentatives de ceux qui essayeraient de l’attaquer ou de s’en emparer, et, comme telle grande ville du voisinage pourrait servir d’asile à ceux qui voudraient résister au vainqueur ou se mettre en révolte afin de lui arracher l’empire qu’il vient de conquérir, on est obligé de leur enlever cette ville de vive force, entreprise toujours fort difficile. En effet, une ville peut tenir lieu d’une nombreuse armée, parce qu’elle offrira p.241 toujours une vive résistance et que, grâce à ses murailles, elle peut sou­tenir un assaut sans avoir besoin de beaucoup de combattants ni d’un corps de troupes régulièrement organisé. Un tel corps [5] est nécessaire sur un champ de bataille, parce qu’il s’y tient ferme et sert de point de ralliement aux combattants qui reculent après avoir chargé, et se prêtent ensuite un soutien mutuel. Mais, derrière des murailles, on reste à son poste, et la ville n’a pas besoin d’un grand nombre de combattants ou d’un fort corps d’armée. Donc une ville qui sert de refuge aux ennemis du nouvel empire suffit pour tenir en échec le peuple qui vise à tout conquérir, et pour interrompre le progrès de sa domination.
Aussi, quand les tribus dont ce peuple se compose voient dans leur territoire une grande ville, elles s’empressent de l’ajouter à leurs autres conquêtes, afin de prévenir le mal qu’elle pourrait leur causer. S’il n’y a pas là une ville, elles se trouvent obligées, par la nécessité des choses, d’en fonder une, afin d’assurer d’abord la prospérité de l’empire et d’avoir un lieu où elles puissent déposer leurs bagages ; puis de mettre un obstacle aux entreprises de leurs propres bandes et hordes, dans le cas où celles-ci voudraient montrer de l’arrogance *205 ou de l’insoumission. Il résulte de ces observations que la conquête d’un empire oblige le vainqueur à s’établir dans des grandes villes et même à s’en emparer ; mais c’est Dieu qui est toujours vainqueur dans ce qu’il entreprend. (Coran, sour. XII, vers. 21.)

Les grandes villes [6] et les édifices très élevés n’ont pu être construits que par des rois très puissants [7].
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Nous avons déjà [8] dit [9] cela en parlant des édifices et d’autres monuments laissés par les empires, et nous avons avancé que leur p.242 grandeur est toujours en proportion de la puissance des dynasties qui les ont fondés. En effet, la construction des grandes villes ne peut s’exé­cuter que par la réunion d’une foule de travailleurs qui se prêtent un secours mutuel. Si l’empire est très vaste et se compose de plu­sieurs provinces étendues, on peut rassembler des ouvriers de toutes ces contrées et réunir leurs bras pour l’accomplissement de l’entre­prise. Le plus souvent aussi, pour le transport des grands fardeaux qu’exigent ces constructions et qui seraient au‑dessus de la puissance de l’homme, on a recours à des machines [10] qui doublent les forces et les moyens (d’opérer) : tels sont les treuils [11] et autres engins de ce genre.
Bien des personnes qui voient les monuments et les grands édi­fices élevés par les anciens peuples, par exemple l’Eïouan Kisra [12], les pyramides d’Égypte, les voûtes de la Malga [13] et celles de Cherchel, dans le Maghreb, s’imaginent que ces constructions sont dues aux seu­les forces naturelles de certains hommes qui y avaient travaillé, soit isolément, soit réunis en bandes : en conséquence, elles supposent que la taille de ces hommes répondait à la grandeur de ces ouvrages, et qu’ils étaient bien supérieurs en hauteur, en largeur et en grosseur, à ceux d’aujourd’hui ; et cela, pour qu’il y ait quelque proportion entre les corps de ces hommes et les forces qui avaient produit de tels édifices. Mais, dans ce (faux calcul), on ne tient aucun compte du secours de la mécanique, du treuil et d’autres machines dont l’emploi, en pareil cas, est exigé par l’art de l’ingénieur. Cependant p.243 la plupart de ceux qui parcourent les divers pays voient (tous les *206 jours) mettre en usage pour la bâtisse et pour le transport de gros blocs de pierre, dans les divers royaumes et parmi les nations étran­gères qui s’appliquent à ces arts, des moyens [14] mécaniques qui prou­vent la réalité de ce que nous avançons ici.
Le vulgaire donne le nom de monuments adites à la plupart des anciens édifices qui subsistent encore de nos jours, les attribuant au peuple d’Ad ; car on s’imagine que leurs édifices et leurs construc­tions ont dû être d’une grandeur extraordinaire à raison de la taille gigantesque et des forces énormes qu’on suppose aux individus de cette race. Cela est néanmoins sans aucun fondement : nous voyons beaucoup de monuments élevés par des hommes qui ont appartenu à des nations dont la taille nous est parfaitement connue, et ces monuments cependant égalent et surpassent même en grandeur ceux (qu’on attribue aux Adites). Tels sont l’Eïouan Kisra et les monuments élevés par les chîïtes de la dynastie obeïdite (fatémide) en Ifrîkiya [15]. Tels sont encore ceux des Sanhadja, dont nous avons un exemple subsistant dans le minaret de la Calâ d’Ibn‑Hammâd [16], les additions faites par les Aghlebides à la grande mosquée de Cairouan, les cons­tructions élevées par les Almohades à Ribat el‑Fath [17]  et celles que le sultan Abû ’l-Hacen érigea, il y a environ quarante ans, dans la Mansoura [18], vis‑à‑vis de Tlemcen. De ce nombre sont aussi les arches p.244 soutenant un conduit par lequel les habitants de Carthage faisaient venir l’eau à leur ville, arches qui subsistent encore de nos jours ; sans citer d’autres édifices et temples dus à des peuples plus ou moins éloignés de nous, dont l’histoire nous est parvenue et dont nous savons posi­tivement que les corps n’étaient pas d’une grandeur extraordinaire.
Le préjugé dont nous parlons est fondé uniquement sur les ré­cits que les conteurs se sont plu à débiter au sujet des peuples d’Ad, de Thémoud et des Amalécites. (Ce qui en démontre la fausseté,) c’est qu’on voit encore de nos jours les demeures que les Thémoud s’étaient taillées dans le roc ; une (parole de Mohammed, rapportée dans une) tradition authentique, nous assure que c’étaient là leurs mai­sons. La caravane du Hidjaz y passe presque tous les ans, et les pèle­rins voient ces habitations, qui n’offrent, soit en profondeur, soit en *207 surface, soit en hauteur, que les dimensions ordinaires. Cependant on a poussé le (préjugé que nous combattons) à un tel excès que l’on raconte d’Og, fils d’Enak, de la race des Amalécites, qu’il tirait de la mer le poisson frais et le tenait tout près du soleil pour le faire rô­tir. On suppose donc que la chaleur du soleil est très forte dans la région qui l’avoisine. On ignore que la chaleur dont nous sommes affectés est produite par la lumière et a pour cause la réflexion qu’é­prouvent les rayons solaires en frappant la surface de la terre et l’at­mosphère. Le soleil, par lui-même, n’est ni chaud ni froid ; c’est un astre lumineux, qui n’a pas de tempérament particulier. Nous avons déjà touché une partie de ces matières dans la seconde section [19], où nous avons établi que les monuments laissés [20] par une dynastie quel­conque sont en proportion de la puissance dont elle avait joui dans son origine.

Les édifices d’une grandeur colossale ne peuvent pas devoir leur entière construction à un seul souverain [21].
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p.245 Pour bâtir, il faut que les hommes se prêtent un secours mutuel et emploient des moyens pour doubler leurs forces naturelles, ainsi que nous venons de le dire. Mais quelquefois les édifices (dont on commence la construction) sont si grands que leur exécution est au­-dessus des forces humaines employées, soit simplement, soit dou­blées par le secours de la mécanique. Il faut que des forces pareilles aux premières se succèdent pendant une suite de temps assez longue pour que la construction de semblables ouvrages soit complètement terminée. Un premier souverain commence l’entreprise, un second lui succède et ensuite un troisième : chacun d’eux use de toutes ses ressources pour rassembler des ouvriers, et réunir le plus grand nombre de bras possible, jusqu’à ce qu’enfin le projet conçu primi­tivement se réalise et que l’édifice se dresse devant les yeux de tous. Ceux qui, ensuite, dans des temps éloignés, voient ce monument, *208 s’imaginent que c’est l’ouvrage d’un seul règne.
Considérez, par exemple, ce que les historiens racontent relative­ment à la construction de la digue de Mareb [22]. On nous dit que celui qui la bâtit fut Saba, fils de Yachdjob ; qu’il y conduisit soixante et dix rivières, et que la mort l’empêcha de terminer ce grand réservoir, qui fut achevé par les rois himyérites, ses successeurs. On nous fait de pareils récits au sujet de la construction de Carthage, de son aque­duc et des arches qui le soutiennent, et que l’on attribue à Ad ; et il en est de même de la plupart des grands monuments (qui subsistent entre de nos jours). Nous avons d’ailleurs la démonstration de cette vérité dans les grands édifices qui s’élèvent sous nos yeux : un roi en trace le plan et en jette les premiers fondements ; mais si, après lui, d’autres rois n’en continuent pas l’exécution, ces constructions restent inachevées et le projet formé ne s’accomplit pas.
p.246 Une autre preuve de cette vérité, ce sont les anciens édifices que des souverains ont vainement essayé de détruire, et cependant dé­truire est bien plus facile qu’édifier : détruire, c’est ramener les choses à leur état primitif, qui est le néant, tandis qu’édifier, c’est agir directement contre ce principe. Donc, si les forces de l’homme sont insuffisantes pour renverser certains édifices, bien que détruire ne soit pas une chose difficile, nous devons en conclure que les forces employées pour les fonder étaient énormes et que, par conséquent, ces monuments ne sont pas l’ouvrage d’un seul prince.
C’est ce qui est arrivé aux Arabes, relativement à l’Eïouan Kisra. Haroun er‑Rechîd, ayant formé le projet de le détruire, envoya con­sulter à ce sujet Yahya Ibn Khaled (le Barmekide), qu’il retenait alors en prison. « Prince des croyants, lui fit dire Yahya, gardez‑vous d’une pareille entreprise ; laissez subsister ce monument ; il sera un témoi­gnage de la puissance de vos aïeux, qui ont enlevé l’empire à une dy­nastie capable de construire un pareil édifice ! » Er‑Rechîd soupçonna que Yahya ne lui donnait pas cet avis sincèrement : « Il est jaloux de ménager la gloire des Perses, s’écria‑t‑il ; par Allah ! je renverserai ce *209 monument ». Ayant donc rassemblé un grand nombre d’ouvriers, il commença l’ouvrage de destruction : on l’attaqua à coups de pioche, on y appliqua le feu et l’on versa dessus du vinaigre. Voyant que tous ces moyens ne produisaient aucun résultat, et craignant la honte que cette tentative malheureuse pourrait lui attirer, il envoya de nouveau consulter Yahya et lui demander s’il fallait abandonner l’entreprise. « Ne vous en avisez pas, répondit Yahya, autrement on dira que le prince des croyants et le souverain des Arabes n’a pas pu renverser un édifice construit par les Perses ». Er‑Rechîd reconnut sa méprise et renonça à détruire ce monument.
La même chose arriva à el-Mamoun, lorsqu’il entreprit de démo­lir les pyramides d’Égypte et qu’il rassembla des ouvriers pour cet objet : il ne put y réussir. On commença par faire une ouverture dans une des pyramides et l’on parvint jusqu’à un espace vide entre le mur extérieur et d’autres murs intérieurs. Voilà à quoi se borna la p.247 démolition. Le passage qu’on y pratiqua s’y voit encore, à ce qu’on dit. Quelques personnes prétendent qu’El‑Mamoun trouva un trésor entre ces murs. Dieu seul sait ce qui en est.
Une chose de même genre se voit aussi relativement aux voûtes de la Malga, à Carthage. Lorsque les habitants de Tunis ont besoin de bonnes pierres pour leurs constructions, les ouvriers, trouvant celles dont ces voûtes sont formées préférables à toutes autres, emploient beaucoup de jours à démolir une partie de ce monument ; mais à peine, après avoir sué sang et eau, en font‑ils tomber un petit fragment ; et cependant on rassemble beaucoup de monde pour ce travail, comme je l’ai vu plus d’une fois dans ma jeunesse. A Dieu appartient la toute ­puissance. *210

Sur les choses dont il faut tenir compte lorsqu’on fonde une ville, et sur les suites que le défaut de prévoyance en cette matière peut avoir.
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Les grandes villes sont des emplacements dans lesquels les peuples s’installent pour vivre à demeure fixe ; ce qui a lieu lorsqu’ils ont atteint le but qu’ils avaient en vue, celui de jouir du bien‑être et de satisfaire aux exigences du luxe. Ce désir de la tranquillité et du repos les porte à construire des habitations avec l’intention d’y rester. Or, puisque les villes doivent servir de lieux de résidence et de refuge, on doit faire attention (en les fondant) à ce que leur po­sition puisse garantir la communauté contre les attaques de l’ennemi et faciliter l’arrivée des objets et commodités dont le peuple a besoin. Pour qu’une ville se trouve à l’abri de surprises, elle doit avoir une ceinture de murailles qui entoure tout le massif d’habitations et occuper l’emplacement le plus facile à défendre qu’on puisse trouver. On doit la construire, soit sur la cime d’une montagne abrupte, ou sur une péninsule entourée de la mer ou d’un fleuve qu’on ne saurait franchir qu’au moyen d’un pont de bateaux ou de pierre. De cette façon, elle sera très forte et présentera de grandes difficultés aux tentatives d’un ennemi.
Pour qu’une ville soit garantie contre les influences délétères de p.248 l’atmosphère, il faut la construire dans un endroit où l’air est pur et qui ne soit pas sujet à des maladies. Si l’air y est dormant et de mau­vaise qualité, ou si la ville est située dans le voisinage d’eaux corrom­pues, d’exhalaisons fétides ou de marais insalubres, l’infection des environs s’y introduira promptement et donnera des maladies à tous les êtres vivants que cette ville renferme. Cela est un fait que l’on peut remarquer tous les jours. Les villes que l’on a construites sans avoir eu égard à la qualité de l’air sont exposées à des maladies très fréquentes. La ville de Cabès, située dans le Djerîd de l’Ifrikiya, pro­vince maghrébine, est très remarquable sous ce rapport. Les habi­tants et les étrangers qui s’y rendent n’échappent guère à des fièvres *211 pestilentielles, malgré toutes leurs précautions. On dit que l’insalu­brité de cette ville a commencé dans les temps modernes et qu’aupa­ravant elle n’était pas malsaine. El-Bekri rapporte que ce changement eut lieu parce qu’en creusant la terre on avait trouvé un vase de cuivre scellé avec du plomb ; on brisa le sceau, et le vase laissa échapper une fumée qui monta dans les airs et se dissipa : dès lors commencèrent les fièvres qui ont depuis affligé la ville. Cet auteur veut donner à entendre que le vase renfermait un talisman fabriqué pour écarter les épidémies, que l’influence de ce talisman disparut avec lui et que l’infection et l’épidémie reprirent leur cours. C’est là une histoire dans le genre de celles qui ont cours parmi les gens du peuple et qui sont conformes à leurs opinions mal fondées. El‑Bekri n’avait pas une instruction assez solide, une intelligence assez éclairée pour rejeter ce conte ou pour en remarquer l’absurdité ; aussi l’a‑t‑il donné tel qu’il l’avait entendu [23].
p.249 Pour mettre le lecteur [24] à même de reconnaître la véritable cause de (ces maladies), nous lui ferons observer que c’est ordinairement la stagnation des vapeurs méphitiques qui les rend nuisibles aux corps animés et aptes à causer des fièvres. Si, au contraire, des courants d’air viennent traverser. ces vapeurs et les disperser à droite et à gauche, cela affaiblira leur qualité infecte ainsi que leur influence délétère sur les êtres animés. Dans une ville qui renferme un grand nombre d’habitants et dont la population est toujours en mouvement, l’atmosphère subit nécessairement des ondulations qui produisent des courants d’air assez forts pour traverser les amas de vapeurs dor­mantes, les remuer et les tenir dans un état d’agitation. Mais, si la ville ne possède que peu d’habitants, ces vapeurs, n’ayant rien qui les agite, restent immobiles, se corrompent au dernier point et de­viennent extrêmement dangereuses.
A l’époque où toute la province d’Ifrîkiya était en pleine culture, la foule d’habitants dont elle regorgeait tenait l’atmosphère dans un *212 mouvement continuel, ce qui contribuait à faire onduler ces vapeurs, à les agiter et à rendre très léger le mal qu’elles pouvaient causer. Dans ce temps‑là, l’air se corrompait rarement en Ifrîkiya et les épi­démies n’étaient pas fréquentes ; mais lorsqu’elle eut perdu une grande partie de sa population, l’air resta stationnaire et s’altéra par le con­tact des eaux stagnantes. Dès lors la corruption de l’air fit de grands progrès, et les maladies devinrent très fréquentes. Voilà la cause (qui rend les pays malsains [25]).
Nous avons vu le fait contraire se produire dans certaines villes qu’on avait fondées sans qu’on se fût préoccupé de la qualité de l’air. Les habitants y étaient d’abord peu nombreux et les maladies très­ communes ; mais, avec l’accroissement de la population, tout cela a changé. Il en est ainsi de la Ville Neuve, quartier de Fez, qui est maintenant siège de l’empire [26]. On trouve plusieurs autres villes p.250 qui sont dans le même cas. Que le lecteur prenne nos observations en considération, et il en reconnaîtra la justesse. [L’air de Cabès a perdu ses mauvaises qualités [27] depuis que le sultan de Tunis mit le siège devant cette ville et fit abattre la forêt de dattiers qui l’entourait. Cela dégagea un côté de la ville, et permit aux vents de traverser l’air des environs et de le mettre en mouvement. Dès lors l’infection a disparu [28]. Dieu tourne les choses à son gré.]
Afin de faciliter aux citadins la jouissance des commodités de la vie, il faut faire attention à plusieurs choses, et, en premier lieu, à l’eau. Donc [29] la ville doit être placée auprès d’une rivière ou se trouver dans le voisinage de plusieurs sources pures et abondantes. L’eau est une chose de première nécessité, et sa proximité épargne beaucoup de peine aux habitants quand ils en ont besoin. C’est un grand avantage pour le public que d’avoir de l’eau à sa portée. Les environs de la ville doivent offrir de bons pâturages : chaque maître de maison élèvera certainement chez lui des animaux domestiques, pour la propagation, ou pour avoir du lait, ou pour s’en servir comme montures. Ces animaux ne sauraient se passer de pâturages, et, s’il s’en trouve de bons dans le voisinage de la ville, cela est très com­mode pour les habitants et leur épargne la peine de conduire leurs *213 troupeaux à de grandes distances. On doit aussi faire attention à ce p.251 qu’il y ait des terres susceptibles de culture (auprès de la ville) : les céréales forment la nourriture fondamentale (des hommes et des ani­maux), et, s’il y a des champs. labourables aux environs de la ville, cela facilite beaucoup les travaux agricoles et le transport des grains. La ville doit se trouver à la portée d’une forêt où l’on puisse se procurer du bois à brûler et des poutres pour les bâtiments. Le bois est une denrée dont tout le monde a besoin ; il en faut pour le chauf­fage, et l’on ne saurait se passer de planches pour former les toits des maisons ; d’ailleurs beaucoup d’ustensiles de première nécessité se font avec du bois. La proximité de la mer est encore à rechercher si l’on veut tirer des pays lointains les denrées de luxe dont on a besoin ; mais ceci n’est pas une condition aussi importante que la première. Au reste, toutes ces conditions se modifient selon la nécessité des choses et les besoins des habitants.
Les fondateurs des villes ont négligé quelquefois les emplacements que la nature des lieux leur désignait ; ne pensant qu’à certains avan­tages de position, qui paraissaient à eux ou à leur peuple de la première importance, ils ne se préoccupèrent nullement des besoins de la postérité. C’est ainsi que firent les Arabes dans les premiers temps de l’islamisme, lorsqu’ils fondèrent des villes dans l’Irac, dans le Hidjaz [30] et en Ifrîkiya. Dans le choix des emplacements, ils ne cher­chaient que ce qui leur paraissait le plus essentiel, c’est‑à‑dire des pâturages où leurs chameaux trouveraient les arbustes et les eaux saumâtres qui leur convenaient ; ils ne songeaient pas à la nécessité d’avoir auprès de leur ville de l’eau douce, des champs labourables, des bois et des pâturages qui conviendraient aux animaux ongulés et autres. Ce fut ainsi qu’on fonda Cairouan, Koufa, Basra, Sidjilmessa et d’autres villes du même caractère ; et, comme on n’y avait tenu aucun compte des avantages naturels (que l’emplacement d’une ville doit offrir), elles dépérirent très rapidement.
Dans les contrées maritimes, toute ville que l’on construit près p.252 du bord de la mer doit être située sur une haute colline ou avoir dans le voisinage plusieurs peuplades qui puissent lui porter secours dans le cas où elle serait attaquée à l’improviste. Une ville maritime *214 qui n’a pas dans les environs une nombreuse population composée de tribus animées toutes d’un fort esprit de corps et qui n’est pas située sur une colline d’accès difficile, est très exposée à être sur­prise dans une attaque de nuit. L’ennemi peut y aborder facilement au moyen de sa flotte, et y faire de grands dégâts, sachant bien que la ville ne sera pas secourue, et que les habitants, accoutumés à vivre dans l’aisance, sont devenus incapables de se protéger eux‑mêmes et ne peuvent plus être comptés pour des hommes de guerre. Telles sont les villes d’Alexandrie en Orient, et de Tripoli, de Bône et de Salé en Occident. Mais si la ville a dans les environs des tribus ou peuplades qu’elle puisse rassembler promptement et faire venir à son secours, ou si les chemins par lesquels on y arrive offrent des obsta­cles à la marche d’un ennemi, ce qui a lieu quand elle est bâtie sur le flanc ou la cime d’une montagne, elle est à l’abri d’attaques : l’en­nemi renoncerait même à l’espoir de la surprendre, sachant les dif­ficultés que le terrain opposerait à sa marche, et assuré que la ville recevrait de prompts secours. Tel est le cas de Ceuta, de Bougie et de la ville de Collo, toute petite qu’elle est.
Le lecteur, ayant bien considéré nos observations, comprendra pourquoi, depuis le temps des Abbacides, on a spécialement désigné la ville d’Alexandrie par le titre de la Frontière, bien que l’autorité de ces princes s’étendît sur des contrées situées plus loin, du côté de Barca et de l’Ifrîkiya. On l’a fait parce qu’on savait que cette ville, étant bâtie dans un pays plat, serait très exposée [31] à des attaques du côté de la mer. Ce fut probablement à cause de la situation d’Alexan­drie et de Tripoli que ces villes ont été surprises plusieurs fois par l’ennemi dans les temps islamiques.

Quels sont les mosquées et les temples les plus illustres de l’univers.
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p.253 *215 Dieu, que son nom soit exalté ! fit choix de certains endroits de la terre afin de les ennoblir d’une manière spéciale et d’en faire des lieux de dévotion, où ses adorateurs recevraient une double récom­pense, une large rétribution. Il nous l’a appris lui-même par la bouche de ses envoyés et de ses prophètes ; (il a favorisé ces lieux) afin de donner à ses serviteurs une marque de sa bonté et de leur [32] faciliter la voie du salut. Les trois mosquées de la Mecque, de Médine et de Beït el‑Macdis (la demeure de la sainteté, Jérusalem), sont les lieux les plus nobles de la terre, ainsi que cela est constaté par les deux Sahîhs. (Le temple de) la Mecque fut la maison d’Abraham : Dieu lui ordonna de la bâtir et de sommer les hommes de s’y rendre en pè­lerinage. Abraham construisit la maison (sainte) avec l’aide de son fils Ismaël, ainsi que cela est raconté dans le Coran [33]. Il exécuta à cet égard l’ordre de Dieu. Ismaël et Agar demeurèrent à la Mecque jusqu’à leur mort, et plusieurs Djorhémides s’y établirent avec eux. On les enterra tous les deux dans le Hidjr [34], endroit qui faisait partie de cette maison. Jérusalem fut la demeure de David et de Salomon, auxquels Dieu donna l’ordre d’y construire une mosquée (ou lieu de prière) et d’y ériger les bâtiments du temple. Aux alentours sont enterrés un grand nombre de prophètes, descendants d’Isaac. Médine est la ville qui servit de retraite à notre prophète. Dieu lui ordonna de s’y retirer, d’y établir la religion musulmane et de la répandre de là au loin. Il y bâtit la Mesdjid el‑Haram (la mosquée inviolable), et ce fut dans le sol de cet édifice qu’on creusa son noble tombeau. Ces trois mosquées sont les objets qui réjouissent le plus les yeux des musulmans, qui attirent leurs cœurs et qui servent d’asile à la religion. Les traditions au sujet de leur prééminence et des récom­penses plusieurs fois redoublées qui seront accordées à ceux qui p.254 s’établiront dans leur voisinage et qui y feront la prière sont très­ nombreuses [35] et bien connues. Nous allons donner quelques indica­tions *216 touchant la fondation de ces trois mosquées et la série d’évé­nements qui amena la manifestation complète de leur excellence aux yeux du monde.
Quant à l’origine (du temple) de la Mecque, on dit qu’Adam le construisit vis‑à‑vis d’El‑Beît el‑Mâmour [36], et que le déluge le ren­versa. Il ne nous est cependant parvenu aucune tradition authentique et digne de foi qui puisse justifier cette opinion. On l’a empruntée à un verset du Coran qui semble la favoriser et qui est ainsi conçu : « Et quand Abraham éleva les fondements de la maison (sainte) avec (l’aide d’)Ismaël [37] ». Ensuite Dieu envoya Abraham, dont on connaît l’histoire, ainsi que celle de sa femme Sara, qui portait une si vive jalousie à Agar. Dieu révéla alors à Abraham l’ordre de se séparer d’Agar et de l’éloigner, elle et son fils Ismaël, jusqu’à Faran, c’est‑à-dire aux montagnes de la Mecque, dans le pays situé derrière la Syrie et la ville d’Aila. Arrivée à l’endroit on la maison (sainte) devait s’éle­ver (plus tard), Agar éprouva une grande soif, et Dieu, dans sa bonté fit en sorte que l’eau jaillit du (puits de) Zemzem [38], et qu’une cara­vane, composée de Djorhémides, passa auprès d’elle et de son fils, et leur fournit des montures. Ces voyageurs s’établirent à côté d’eux, aux environs du Zemzem, ainsi que cela est exposé en son lieu p.255 et place [39]. Ismaël construisit une maison sur l’emplacement de la Caaba, qui devait lui servir de résidence, et l’entoura d’une clôture de doum [40], dans l’intérieur de laquelle il parquait ses troupeaux. Abraham vint plusieurs fois de la Syrie pour voir son fils, et, lors de sa der­nière visite, il reçut de Dieu l’ordre de bâtir la Caaba dans ce clos. Il construisit cet édifice avec l’aide de son fils Ismaël, et somma alors tous les hommes de venir y faire le pèlerinage [41]. Ismaël continua à demeurer dans cette maison, et, lorsque sa mère Agar fut morte, il l’y enterra. Dès lors il resta au service de la (Caaba) jusqu’à ce que Dieu lui enlevât la vie. Il fut enterré à côté de sa mère. Ses fils, se­condés par leurs oncles maternels, les Djorhémides, continuèrent à avoir soin de la maison (sainte). Les Amalécites remplacèrent ensuite les Djorhémides dans ce service [42], et les choses continuèrent long­temps *217 dans cet état. On y venait des diverses parties du monde : tous les peuples de l’univers [43] s’y rendaient, non seulement les des­cendants d’Ismaël, mais aussi les hommes des autres races [44], tant ceux qui demeuraient dans les contrées lointaines que ceux qui ha­bitaient les pays voisins. On rapporte que les Tobba (rois du Yémen) allaient en pèlerinage à la maison (sainte) et lui témoignaient une grande vénération ; on dit aussi qu’un de ces princes [nommé Kiar Asaad Abou Koub [45]] revêtit la Caaba d’un voile et d’étoffes rayées p.256 (comme cela s’est toujours pratiqué depuis). Il donna aussi l’ordre de la purifier et y apposa une serrure [46]. On rapporte que les Perses s’y rendaient en pèlerinage et y laissaient des offrandes, parmi les­quelles, dit‑on, furent les deux gazelles d’or qu’Abd el-Mottaleb [47] retrouva lorsqu’il fit déblayer le puits de Zemzem [48]. Les Djorhémides succédèrent aux enfants d’Ismaël dans la garde de la Caaba [49], ayant hé­rité cette charge de leurs oncles maternels, et la conservèrent jusqu’à ce qu’elle leur fût enlevée par les Khozâa, tribu qui l’exerça ensuite pendant un temps considérable. La postérité d’Ismaël, étant devenue très nombreuse, se propagea au loin et se divisa en plusieurs bran­ches, dont une formait la tribu de Kinana. Celle‑ci produisit les Coreïchides et autres familles. Comme les Khozâa remplissaient très ­mal les fonctions dont ils s’étaient chargés, les Coreïchides, qui eurent alors pour chef Cosaï Ibn Kilab, leur enlevèrent le droit de garder la maison (sainte) et les en dépossédèrent. Cosaï rebâtit la maison, et y mit un toit fait avec du bois de doum et (recouvert) de feuilles de dattier. (Le poète) El‑Acha [50] a dit (à ce sujet) :
J’en jure par les deux robes d’un moine et par la (maison) que Cosaï bâtit lui seul et le fils de Djorhem [51].

p.257 Pendant que la maison sainte était sous la garde des Coreïchides, elle fut détruite par un torrent ou, dit‑on, par un incendie. Ils re­construisirent l’édifice, et, pour subvenir aux frais de cette entre­prise, ils contribuèrent chacun pour une portion de leur fortune [52]. Un navire ayant fait naufrage sur la côte de Djidda, ils en achetèrent le bois pour en faire le toit de la maison. La hauteur des murailles, qui (dans le principe) dépassait à peine la taille d’un homme, fut portée par eux à dix‑huit coudées. La porte avait été au niveau du sol ; ils la placèrent plus haut que la taille d’un homme, afin d’em­pêcher les torrents d’y pénétrer. L’argent étant venu à leur manquer avant l’achèvement du travail, ils laissèrent en dehors de leur cons­truction une partie des (anciennes) fondations, sur une longueur de *218 six coudées et un empan. On entoura cette partie d’un mur très bas, en dehors duquel les pèlerins devaient passer en faisant les tournées (saintes autour de l’édifice) : c’est là le Hidjr. La maison (sainte) resta dans cet état jusqu’à l’époque où (Abd Allah) Ibn ez‑Zobeïr, s’étant fait proclamer khalife, se retrancha dans la Mecque, l’an 64 (683‑684 de J. C.), afin de résister à l’armée que Yezîd, fils de Moaouîa, avait envoyée contre lui sous les ordres d’El-Hoceïn Ibn Nomeïr es‑Sekoum. La maison sainte souffrit alors d’un incendie, allumé, dit‑on, par le feu grégeois (naft) qu’on lança contre Ibn ez‑Zobeïr. Comme les mu­railles s’étaient fendues à la suite de cet accident, Ibn ez‑Zobeïr les fit abattre, et reconstruisit l’édifice avec le plus grand soin. Les anciens Compagnons (de Mohammed) blâmèrent le plan adopté par Ibn ez‑Zobeïr, mais il se justifia eu leur citant la parole suivante, que le Prophète avait adressée à Aïcha : « Si ton peuple (les Mec­quois) n’était pas sorti de l’infidélité depuis si peu de temps, je reconstruirais la maison (sainte) sur les fondations posées par Abra­ham. J’y mettrais deux portes, l’une tournée vers l’orient, et l’autre vers l’occident ». Ibn ez‑Zobeïr fit alors abattre l’édifice et mettre à découvert les fondations posées par Abraham. Il rassembla p.258 ensuite les grands et les notables, afin de leur faire voir ces anciennes constructions. Ibn Abbas lui recommanda fortement de poser (pro­visoirement) devant les yeux du peuple un objet qui leur servirait de kibla [53], et, par suite de ce conseil, il érigea autour des fon­dations un échafaudage de bois, qu’il fit recouvrir de toiles. De cette manière, il évita de laisser disparaître la kibla. Il fit venir de Sanâa (du Yémen) un approvisionnement de plâtre et de chaux, et, s’é­tant informé du lieu où se trouvaient les anciennes carrières, il en tira toutes les pierres dont il avait besoin. Ayant alors commencé à bâtir sur les fondations posées par Abraham, il éleva les murailles à la hauteur de vingt‑sept coudées. Il mit à la maison deux portes, qu’il plaça au niveau du sol, se conformant. ainsi aux indications fournies par la tradition déjà citée. Il dalla l’intérieur de la maison avec du marbre et en revêtit aussi les murailles. On fabriqua, par son ordre, des lames d’or pour recouvrir les portes, et des clefs d’or (pour les serrures).
El-Haddjadj, étant venu l’y assiéger sous le règne d’Abd el‑Melek, foudroya la mosquée avec ses mangonneaux, et fendit ainsi les mu­railles de la maison (sainte). Après avoir vaincu Ibn ez‑Zobeïr, il de­manda *219 l’avis d’Abd el‑Melek au sujet des altérations et des additions que ce chef y avait faites. Le khalife répondit par l’ordre de tout abattre, et de reconstruire la maison sur les fondations mêmes que les Coreïchides avaient choisies. Encore aujourd’hui elle porte sur ces fondations. On rapporte qu’Abd el‑Melek, ayant ensuite acquis la certitude que la tradition attribuée à Aïcha était authentique, re­gretta vivement ce qu’il avait permis. « Ah ! s’écria‑t‑il, j’aurais mieux fait de laisser à Abou Khobeïb [54] la responsabilité dont il s’était chargé en reconstruisant la maison (sainte) ». El‑Haddjadj abattit sur une longueur de six coudées et un empan la partie de la maison qui re­gardait le Hidjr, et la reconstruisit sur les fondations posées par les Coreïchides. Il fit boucher la porte occidentale ainsi que la partie p.259 du mur qui se trouve maintenant au‑dessous du seuil de la porte orientale [55], et laissa le reste de l’édifice sans y faire aucun change­ment. Donc la maison sainte est (presque) en entier de la construction d’Ibn ez‑Zobeïr. On distingue encore sur un des murs la ligne où la partie construite par El‑Haddjadj se joint à celle qu’Ibn ez‑Zobeïr avait fait bâtir : l’espace entre les deux est de la largeur d’un doigt et ressemble à une crevasse, mais elle est complètement fermée.
Un problème très difficile à résoudre se présente ici ; car (ce que nous venons d’exposer) ne saurait se concilier avec la doctrine des légistes au sujet des tournées (que les pèlerins doivent faire autour de la maison sainte). Ils disent qu’en faisant les tournées il faut éviter de se pencher au‑dessus du soubassement (de la Caaba [56]), car autrement les tournées se feraient en dedans (des fondations de) la maison sainte. Cette opinion est fondée sur la supposition que la Caaba ne s’appuie pas en entier sur les (anciennes) fondations, dont on aurait laissé en dehors des murailles la partie qui s’appelle le soubassement. Les légistes enseignent encore la même chose en parlant de la manière de baiser la pierre noire : « Celui, disent‑ils, qui la baise en faisant les tournées doit marcher en arrière avant de se re­dresser (et de continuer sa course) ; sans cela il ferait une partie de la tournée en dedans (des anciennes fondations) de la maison ». Or, si toutes les murailles de cet édifice ont été construites par Ibn ez‑Zobeïr, elles reposent nécessairement sur les anciennes fondations d’Abraham ; comment alors le pèlerin pouvait‑il commettre l’erreur contre laquelle les légistes le mettent en garde ? Il n’y a pas moyen de résoudre cette difficulté, à moins d’admettre l’une ou l’autre des p.260 *220 suppositions suivantes : 1° qu’El‑Haddjadj abattit tout l’édifice et le re­construisit (en le rétrécissant), opinion que les récits de plusieurs traditionnistes pourraient justifier si l’on ne voyait pas sur l’édifice lui-même des indications qui prouvent le contraire ; on les reconnaît dans la ligne de jonction qui règne entre les deux constructions et dans la différence de travail qui existe entre la construction supé­rieure et la construction inférieure ; 2° qu’Ibn ez‑Zobeïr ne construisit pas la totalité de la maison sur les fondations d’Abraham, et qu’il le fit seulement pour le Hidjr, local qu’il voulait faire entrer dans l’édi­fice ; donc la Caaba, bien qu’elle soit construite par Ibn ez‑Zobeïr, ne s’élèverait pas sur les fondations posées par Abraham ; mais cela est tout à fait improbable ; et cependant il faut adopter l’une ou l’autre de ces opinions (si l’on admet la doctrine des légistes).
Le parvis de la maison sainte forme la mosquée. C’était autrefois une place ouverte dans laquelle on faisait les tournées. Au temps du Prophète et de son successeur, Abou Bekr, ce parvis n’était pas clos de murs ; mais, le nombre des pèlerins s’étant ensuite augmenté beaucoup, Omar acheta plusieurs des maisons (voisines), les fit abattre afin d’agrandir ce local, qui servait de mosquée, et il entoura le tout d’un mur dont la hauteur n’atteignait pas à la taille d’un homme. Othman fit comme Omar ; Ibn ez‑Zobeïr suivit leur exemple ; puis el-Ouélid, fils d’Abd el‑Melek, reconstruisit le (mur de clôture) en y ajoutant une colonnade de marbre. El‑Mansour agrandit encore la mosquée, et son fils et successeur, El‑Mehdi, fit de même. De­puis lors on n’y a plus fait d’addition, et elle est restée dans cet état jusqu’à nos jours.
On ne saurait concevoir jusqu’à quel point Dieu a ennobli et chéri la maison sainte. Il nous suffira de dire qu’il en a fait un lieu où les révélations célestes et les anges descendaient du ciel ; qu’il la destina spécialement aux actes de dévotion ; qu’il prescrivit, à l’égard d’elle seule, les cérémonies et les pratiques du pèlerinage, et qu’il assura à toutes les parties du Haram (ou territoire sacré qui entoure la Mecque) des droits et des privilèges qu’il n’avait jamais accordés à aucun autre p.261 lieu. Il en a défendu l’entrée à tout individu qui ne professe pas la religion musulmane, et il a imposé, à quiconque y pénètre, l’obliga­tion de se dépouiller de toute espèce de vêtement cousu à l’aiguille, et de se couvrir d’une simple pièce de toile (izar) ; il a pris sous sa protection tous les êtres vivants qui s’y réfugient, tous les animaux qui paissent dans les champs voisins, de sorte que personne ne doit *221 leur nuire. Les animaux craintifs n’ont aucun danger à appréhender en ce lieu ; on n’y fait pas la chasse au gibier, et l’on n’y coupe pas les arbustes pour se procurer du bois à brûler. Le Haram, jouissant de ces privilèges honorables, a pour limites : Tenaîm, à trois milles de la Mecque, sur la route de Médine ; le col de la montagne d’El-­Moncatâ, sur la route de l’Irac et à la distance de sept milles ; le Châab (ou défilé), sur la route d’El‑Djiêrana, et à la distance de neuf milles ; Batn‑Nemra, sur la route de Taïf, et à la distance de sept milles ; Moncatâ ’l-Achaïr, sur la route de Djidda, et à la dis­tance de dix milles. Voilà pour la Mecque et pour son histoire.
On désigne la Mecque (Mekka) par les noms d’Omm el‑Cora (la mère des villes, la métropole) ; on l’appelle aussi la Caaba [57], parce qu’elle s’élève en forme de dé à jouer (caab), et on la nomme aussi Bekka. Selon El‑Asmaï [58], ce dernier nom lui fut donné parce que les hommes se coudoyaient (bekk) dans leur empressement à s’y rendre. El‑Mo­djahed [59] dit que le b de Bekka se changea en m, de même que le verbe lazeb (être attaché) se convertit en lazem, et cela à cause de la proxi­mité mutuelle des organes qui servent à l’émission de ces deux lettres. « Ce n’est pas cela, dit En‑Nakhaï [60] ; Bekka désigne la maison sainte, et Mekka la ville ». Selon Ez‑Zohri [61], Bekka désigne la mosquée en totalité, et Mekka le haram [62].
p.262 Même dans les temps du paganisme, les peuples avaient une pro­fonde vénération pour la maison sainte, et les rois, comme Chosroès et autres, y envoyaient de riches offrandes. On connaît l’histoire des épées et des deux gazelles d’or qu’Abd el‑Mottaleb retrouva en dé­blayant le puits de Zemzem. Quand le Prophète s’empara de la Mecque, il trouva dans la citerne située dans l’intérieur de la (maison sainte) soixante et dix mille onces d’or que les rois y avaient envoyées comme dons. Ce trésor valait deux millions de dinars et pesait deux cents *222 quintaux [63]. Ali lui proposa alors d’appliquer ces richesses aux frais de la guerre ; mais son avis ne fut pas accueilli. On donna le même con­seil à Abou Bekr ; mais il n’y fit aucune attention. Voilà ce que rap­porte El‑Azraki [64]. « El‑Bokhari relate la tradition suivante, qu’il fait re­monter à Abou Ouaïl [65] : « J’allai m’asseoir, dit-il [66], à côté de Cheïba Ibn Othman [67], qui me dit : Omar Ibn el‑Khattab s’étant assis à côté de moi, prononça ces paroles : J’ai la pensée de ne pas laisser une seule pièce jaune ou blanche dans ce dépôt, et de tout distribuer aux vrais croyants. Je lui dis : Tu ne feras pas cela. — Pourquoi ? me dit‑il. Je répondis : Parce que tes deux compagnons (et prédécesseurs) ne l’ont pas fait. — Ah ! s’écria-t‑il, ce sont là des hommes dont la conduite doit servir d’exemple ». Abou Dawoud [68] et Ibn Madja [69] ont inséré cette tradition dans leurs recueils. Ce trésor resta où il était jusqu’à la ré­volte d’El‑Aftas (le camus), dont le vrai nom était El‑Hoceïn, et qui était fils d’El‑Hoceïn, fils d’Ali, fils d’Ali Zeïn el‑Abedîn [70]. Cela eut p.263 lieu l’an 199 (814‑815 de J. C.). El‑Aftas, s’étant emparé de la Mecque, se rendit à la Caaba et en enleva tout cet or, en disant :  « Que fait la Caaba des richesses que l’on y a déposées ? Elles ne lui servent de rien. Nous y avons plus de droit que la Caaba ; nous les emploierons pour nous aider dans cette guerre ». Ayant fait emporter ce trésor, il le dépensa en entier, et, depuis lors, il n’y a plus eu de richesses dépo­sées dans la Caaba.
Beït el‑Macdis (Jérusalem), nommé aussi El-Mesdjid el‑Acsa (la mos­quée la plus éloignée), fut d’abord, au temps des Sabéens, un temple consacré à (la planète) Vénus. On présentait à cette divinité de l’huile et d’autres offrandes, et l’on répandait l’huile sur la Sakhra [71], qui se trou­vait là. Après la ruine de ce temple, la ville tomba au pouvoir des enfants d’Israël, et devint pour eux la kibla vers laquelle ils se tour­naient en faisant la prière. Voici comment cela eut lieu : lorsque Moïse eut fait sortir les Israélites d’Égypte afin de les mettre en possession de Jérusalem, selon la promesse que Dieu avait faite à leur père Israël, à Isaac, père de celui-ci, et avant cela à Jacob [72], et que ce peuple se fut arrêté dans le pays de l’Égarement, Dieu ordonna à *223 Moïse de fabriquer, avec du bois d’acacia, un tabernacle, dont il lui avait montré, par une révélation, les dimensions et la forme, ainsi que les figures colossales et les images qu’il devait renfermer. Il lui or­donna aussi d’y mettre une arche, une table avec ses plats, un chan­delier avec ses lumières, et un autel pour les sacrifices. Tout cela est décrit de la manière la plus détaillée dans le Pentateuque. Moïse construisit le tabernacle et y plaça l’arche de l’alliance. Cette arche p.264 renfermait les tables de la loi que l’on avait faites pour remplacer celles que Moïse avait brisées et qui étaient descendues du ciel avec les dix commandements. Il plaça l’autel auprès du (tabernacle), et Dieu lui ordonna de confier à Aaron le droit d’offrir des sacrifices. Ce fut dans le désert, au milieu de leur camp, que les Israélites dressèrent le ta­bernacle, vers lequel ils se tournaient pour faire la prière, et devant lequel ils sacrifiaient des victimes, et ce fut dans son voisinage qu’ils attendaient les révélations divines. Lorsqu’ils se furent emparés de la Syrie, ils posèrent le tabernacle à Galgal, dans la Terre‑Sainte, entre le territoire qui tomba en partage aux Beni-Yamîn (la tribu de Benja­min) et celui des enfants d’Éfraïm. Il resta dans ce lieu quatorze ans ; sept pendant la guerre et sept après la conquête, dans le temps où l’on faisait le partage du pays. Après la mort de Josué, on le transporta à Silo, près de Galgal, et on l’entoura d’une muraille [73]. Il y était de­puis trois cents ans, quand les Philistins l’enlevèrent, ainsi que nous l’avons dit (dans l’Histoire des peuples antéislamites), et vainquirent les Israélites ; mais ils le rendirent dans la suite. Après la mort de Aali (Héli) (grand) prêtre, on le transporta à Nouf (Nobé), puis à Gabaon [74], dans le territoire de la tribu de Benjamin ; ce qui eut lieu sous le règne de Talout (Saül). David, ayant ensuite obtenu la souve­raineté [75], fit porter le tabernacle et l’arche à Beït el‑Macdès, et plaça l’arche à part, sous un voile et au‑dessus de la Sakhra, où elle resta, avant vis‑à‑vis le tabernacle. David eut l’intention de bâtir au‑dessus *224 de la Sakhra un temple [76] pour remplacer le tabernacle, mais il ne put accomplir son dessein. Salomon, son fils, à qui il recommanda en mourant d’exécuter son projet, se mit à bâtir le temple dans la quatrième année de son règne, cinq cents ans après la mort de Moïse. Il employa le cuivre pour faire les colonnes de cet édifice [77], dans p.265 lequel [78] il plaça le pavillon de verre [79]. Il revêtit d’or les portés et les murs, il fit fondre en or les grandes images, les figures (d’animaux), les vases, les chandeliers et les clefs. Il construisit le fond [80] de l’édifice en forme d’arcade [81], afin d’y déposer l’arche de l’alliance, qu’il fit venir de Sîhoun (Sion), la ville de son père David. [Il l’y avait fait porter pendant la construction du temple, et on la rapporta alors [82].] Les (chefs des) tribus et les prêtres [83] la portèrent jusqu’à l’arcade, où ils la déposèrent. Le tabernacle, les vases et l’autel furent placés, chaque objet à l’endroit de la mosquée qui lui fut destiné. Les choses res­tèrent en cet état très longtemps. Huit cents ans s’écoulèrent depuis la fondation du temple jusqu’à sa destruction par Nabuchodonosor. Ce roi livra aux flammes le Pentateuque et le bâton (de Moïse) ; il fit fondre les images et disperser les pierres (de l’édifice). Plus tard les rois de Perse renvoyèrent les Juifs dans leur patrie, et Ozeïr[84], qui était alors le prophète [85] des enfants d’Israël, rebâtit le temple. avec le concours de Behmen, roi de Perse [86]. Ce prince était né d’une Juive qui faisait partie des captifs emmenés par Nabuchodonosor [87]. Behmen p.266 assigna à l’emplacement du temple des limites plus resserrées que celles de l’ancien temple de Salomon, et on ne les dépassa pas. [Les portiques au‑dessous de la mosquée étaient à deux étages, et les co­lonnes de l’étage supérieur s’appuyaient sur les voûtes de la colon­nade inférieure. Beaucoup de personnes s’imaginent que ce furent là les écuries de Salomon, mais elles se trompent : ce roi ne construisit ces colonnades qu’avec le dessein de garantir le Beït el‑Macdis contre *225 les impuretés auxquelles on se figurait qu’il serait exposé. D’après la loi des Juifs, si des impuretés souterraines sont couvertes de terre jusqu’à la surface du sol, de sorte qu’une ligne droite tirée de cette surface les atteigne (sans rencontrer un espace vide), la surface est impure. Telle était l’opinion de leurs docteurs, et, chez eux, ces opinions passaient pour des vérités. Aussi bâtirent‑ils les portiques de la manière que nous avons décrite : comme les colonnes de l’étage inférieur allaient aboutir à leurs arches [88], la ligne droite était inter­rompue et les émanations impures ne pouvaient pas monter direc­tement jusqu’en haut. De cette façon ils crurent garantir le temple contre ces émanations supposées, et assurer parfaitement la pureté et la sainteté de ce lieu [89].]
Les rois des Grecs, des Perses et des Romains subjuguèrent alter­nativement les Juifs, et ce fut pendant cette période (de malheurs) que les Beni-Hachmonaï (les Asmonéens ou Machabées), famille de prêtres juifs, portèrent l’empire des Israélites à un haut degré de puissance. L’autorité passa ensuite à leur beau‑frère Hérode, qui la transmit à ses enfants. Ce prince rebâtit Beït el‑Macdis (le temple), et lui donna la même étendue que celle du temple élevé par Salo­mon. Il s’occupa de ce travail avec tant d’ardeur qu’il l’acheva en six ans. Titus, roi des Romains, étant venu pour combattre les Juifs, p.267 les vainquit, s’empara de leur empire et dévasta Beït el‑Macdis. Il or­donna de semer (du blé) sur l’emplacement du temple qu’il venait de mettre en ruines. Plus tard, les Roum (les Grecs et les Romains) embrassèrent la religion du Messie, auquel ils témoignèrent dès lors un profond respect. Leurs rois adoptèrent tantôt le christianisme et tantôt le répudièrent ; mais, lors de l’avènement de Constantin, sa mère Hélène [90], qui avait embrassé le christianisme, se rendit à El­-Cods (Jérusalem), afin de chercher le bois sur lequel les chrétiens prétendent que Jésus fut crucifié. Ayant appris des patrices que ce bois avait été jeté par terre et couvert d’immondices, elle l’en fit retirer, *226 et, sur le lieu regardé par les chrétiens comme le tombeau du Messie, elle bâtit l’église appelée Comama [91]. Elle fit détruire tout ce qui existait encore des constructions du temple et jeter des ordures et du fumier sur la Sakhra. Cette pierre en fut tellement couverte que son emplacement même n’était plus reconnaissable. Elle croyait venger de cette manière la profanation de ce qu’elle regardait comme le tombeau du Messie [92]. Quelque temps après, on rebâtit, en face [93] de la Comama, la maison dans laquelle naquit Jésus, et qui s’ap­pelle Beït‑Lahm (Bethléem). Les choses restèrent en cet état jusqu’à la promulgation de l’islamisme et à la prise de la ville. (Le khalife) Omar, étant venu pour assister à la reddition de Beït el-Macdis, de­manda où se trouvait la Sakhra, et on lui fit voir le lieu où elle res­tait enterrée sous un amas de fumier et de terre. L’ayant fait mettre à découvert, il bâtit au‑dessus d’elle une mosquée dans le genre des mosquées qu’un peuple nomade est capable de construire.
Le temple (de Jérusalem) doit son importance au respect que les hommes lui ont toujours témoigné, avec la permission de Dieu, et p.268 aux passages du Coran qui avaient annoncé d’avance l’excellence de ce lieu. (Le khalife omeïade) El‑Ouélîd, fils d’Abd el‑Mélek, entre­prit de rebâtir la mosquée (de Jérusalem) sur le plan des autres mosquées de l’islamisme, et s’en occupa avec beaucoup d’ardeur, ainsi qu’il l’avait fait pour le Mesdjid el‑Haram (le temple de la Mecque), la mosquée du Prophète à Médine et la mosquée de Da­mas, appelée par les Arabes le Belat (ou nef) d’El‑Ouélîd. Pour cons­truire ces mosquées et les orner de mosaïques, il obligea le roi des Grecs à lui envoyer de l’argent et des ouvriers. Toutes ces entreprises furent terminées à sa satisfaction.
Dans la dernière partie du Ve siècle de l’hégire, la puissance du khalifat s’était très affaiblie, et (ces mosquées) se trouvaient au pouvoir des Obeïdides (Fatemides), khalifes chîïtes qui régnaient au Caire. L’autorité des Obeïdides ayant commencé à décliner, les Francs marchèrent sur Beït el‑Macdis, et s’en rendirent maîtres, ainsi que de toutes les places frontières de la Syrie. Ils érigèrent au­-dessus de la sainte Sakhra une église dont ils étaient très fiers et *227 pour laquelle ils montraient une profonde vénération. Quelque temps après, Salah ed‑Dîn (Saladin), fils d’Aïyoub le Kurde, s’empara de l’Égypte et de la Syrie, renversa l’empire des Obeïdides, extirpa leur doctrine hérétique et passa en Syrie. Il y combattit les Francs jusqu’à ce qu’il leur enlevât Beït el‑Macdis et toutes les forteresses syriennes qui étaient tombées entre leurs mains. Cela eut lieu vers l’an 580 de l’hégire [94]. Il abattit l’église qu’ils y avaient érigée, fit découvrir la Sakhra et reconstruire la mosquée dans sa forme ac­tuelle.
Le lecteur ne doit pas se laisser embarrasser par la difficulté bien connue qui se présente dans les traditions authentiques et que je reproduis ici : « On demanda au Prophète quelle était la première maison (sainte) qui fut instituée (pour les hommes), et il répondit : « La Mecque ».  On lui demanda alors quelle était la seconde, et il p.269 répondit : « Beït el‑Macdis ». On lui demanda ensuite combien il s’était passé de temps entre l’institution de ces deux maisons, et il répondit : « Quarante ans ». La difficulté porte sur le temps écoulé depuis la fondation de la Mecque jusqu’à celle de Beït el‑Macdis : ce temps doit se mesurer par le nombre d’années qui séparent Abraham (fondateur du premier édifice) de Salomon, fondateur du second ; or cet intervalle dépasse de beaucoup mille ans [95]. (Pour résoudre cette difficulté) il faut seulement se souvenir que, dans cette tradition, le mot instituée n’est pas l’équivalent de bâtie ; il signifie désignée pour servir de lieu de dévotion. Il est donc très probable que Beït el‑Mac­dis fut institué pour cet objet à une époque dont l’antériorité à celle de Salomon peut se mesurer par l’espace de temps que nous venons d’indiquer. On rapporte que les Sabéens avaient construit au‑dessus de la Sakhra un temple qu’ils dédièrent à Vénus ; cela est admis­sible, puisque la Sakhra fut toujours un objet de dévotion. Ce fut ainsi que des Arabes du temps du paganisme placèrent des idoles et des images autour et dans l’intérieur de la Kaaba. D’ailleurs les Sa­béens qui avaient érigé ce temple à Vénus étaient contemporains d’Abraham. On peut donc admettre qu’entre l’institution de la Mecque et de Beït el‑Macdis, comme lieux d’adoration, il n’y avait qu’un *228 intervalle de quarante ans, bien qu’on sache positivement qu’aucune construction n’existait alors dans ce dernier lieu, et que Salomon fut le premier qui y bâtit le temple. Quand on a bien compris ces obser­vations, on possède le moyen de résoudre la difficulté.
Quant à El‑Medînat el‑Monauwera (la ville illuminée, Médine), elle doit sa fondation à Yathrib Ibn Mehlaïl [96] l’Amalécite, et pour cette raison on l’appelait de son nom. Les Israélites, pendant qu’ils fai­saient leurs conquêtes dans le Hidjaz, enlevèrent cette ville aux Amalécites. Les enfants de Caïla (les Aous et les Khazredj), qui apparte­naient à la tribu de Ghassan, vinrent ensuite s’établir dans le voisinage, et leur enlevèrent Médine et les châteaux qui l’entouraient. A une p.270 époque plus récente, le Prophète ordonna à ses partisans de se réfu­gier dans Yathrib, faveur que Dieu avait prédestinée à cette ville. Quand il s’y retira lui-même avec Abou Bekr, le reste de ses par­tisans le suivit et s’y fixa. Le Prophète bâtit sa mosquée et ses maisons dans ce lieu, qui fut prédestiné à cet honneur de toute éternité. Les enfants de Caïla l’accueillirent avec empressement et lui prêtèrent aide et secours ; aussi reçurent‑ils le nom d’Ansars (aides, auxiliaires). Ce fut de Médine que la doctrine [97] de l’islamisme se propagea jusqu’à ce qu’elle atteignît son entier développement et prévalût sur toutes les autres doctrines.
Quand le Prophète eut vaincu ses concitoyens et pris possession de la Mecque, les Ansars croyaient qu’il les quitterait tout à fait, afin de se fixer dans sa ville natale. Ému des craintes qu’ils exprimaient, il leur adressa un discours dans lequel il déclara qu’il ne les aban­donnerait jamais. En effet, quand il mourut, il trouva dans Médine un noble tombeau. Plusieurs traditions authentiques attestent de la manière la plus positive et la plus évidente l’excellence de cette ville. A une certaine époque, les docteurs de la loi furent en désaccord sur la question de savoir si Médine avait la prééminence sur la Mecque. (L’imam) Malek soutenait cette opinion, en s’appuyant sur une déclaration positive (faite par le Prophète), déclaration qu’il re­gardait comme authentique, et qui avait été transmise par Rafê Ibn Khodeïdj [98]. Selon cette tradition, le Prophète avait dit : « Médine est meilleure que la Mecque ». Abd el‑Ouehhab [99] a rapporté cette (opi­nion de Malek) dans son Meaouna. Il y a encore d’autres traditions *229 qui, prises à la lettre, pourraient justifier cette opinion, à laquelle, cependant, (les imams) Abou Hanîfa et Chafeï se sont opposés. Quoi qu’il en soit, la mosquée de Médine vient en seconde ligne après celle de la Mecque ; dans toutes les parties du monde, les cœurs de p.271 tous les peuples se tournent vers elle avec une vive affection. Quand on voit comment la Providence a fixé les degrés du mérite qui dis­tingue chacune de ces trois mosquées, on reconnaît encore une de ces voies secrètes par lesquelles Dieu agit sur les êtres, et l’on reste convaincu qu’il a établi une gradation régulière et invariable dans toutes les choses temporelles et spirituelles.
Outre ces trois mosquées, je n’en connais d’autre dans aucune par­tie du monde (qui puisse leur être comparée). On a parlé, il est vrai, de la mosquée d’Adam en Sérendîb (Ceylan), l’une des îles qui avoisinent l’Inde ; mais on ne possède, à ce sujet, aucun renseigne­ment qui soit digne de foi. Dans les temps anciens, plusieurs peuples avaient des mosquées (ou temples), pour lesquelles ils montraient une grande vénération, par un esprit de dévotion mal entendue. Telles furent les pyrées des Perses, les temples des Grecs, et les maisons (saintes) que les Arabes avaient dans le Hidjaz, et que le prophète fit abattre pendant ses expéditions militaires. Masoudi a parlé de plusieurs autres ; mais nous ne voulons pas en faire men­tion, parce qu’on ne les avait pas fondées pour se conformer à une prescription de la loi divine ou pour leur donner une destination vraiment religieuse. Aussi nous ne nous intéressons ni à ces édifices ni à leur histoire. Le lecteur (qui veut en savoir quelque chose) trou­vera dans les ouvrages historiques assez de renseignements [100] pour sa­tisfaire sa curiosité. Dieu dirige celui qu’il veut.

Pourquoi les cités et les villes sont peu nombreuses
en Ifrîkiya et dans le Maghreb.
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La cause en est que ces contrées ont appartenu aux Berbers de­puis plusieurs milliers d’années avant l’islamisme, et que [101] toutes ces populations, étant nomades, n’ont jamais pratiqué les usages de la vie sédentaire assez longtemps pour s’y former complètement. Les dynasties des Francs et des Arabes qui régnèrent sur les pays des *230 Berbers s’y maintinrent trop peu de temps pour façonner ce peuple p.272 aux usages de la vie sédentaire. Les Berbers, trouvant la vie nomade plus appropriée à leurs besoins, en ont toujours conservé la pratique et les habitudes ; voilà pourquoi les édifices ne sont pas nombreux chez eux.
D’ailleurs les usages de la vie nomade ont toujours été si profon­dément enracinés chez les Berbers, qu’ils n’eurent jamais de dis­positions pour la pratique des arts. La connaissance des arts, produit de la vie à demeure fixe, est nécessaire pour l’achèvement des grands édifices, et son acquisition exige un certain degré d’intelligence. Les Berbers, ne les ayant jamais exercés, n’ont eu, en aucun temps, le désir d’élever de grandes constructions et encore moins de se bâtir des villes. C’est un peuple dont chaque tribu a son esprit de corps et de famille. Or cet esprit porte naturellement vers la vie nomade ; c’est l’amour du repos et de la tranquillité qui décide les peuples à se fixer dans les villes, et cela les oblige à laisser le soin de leur défense aux troupes de l’empire et à devenir ainsi une charge pour le gouvernement ; aussi [102] trouvons‑nous chez les Bédouins une grande aversion pour la vie des villes ; ils ne veulent pas y demeurer, ni même y séjourner, à moins d’y être poussés par l’amour du luxe et le désir de jouir de leurs richesses ; mais de ceux‑là le nombre est très petit.
La population de l’Ifrîkiya et du Maghreb se compose presque en entier de nomades, gens qui vivent sous la tente et qui voyagent à dos de chameau, ou bien qui s’installent sur le haut des mon­tagnes. Dans les autres pays étrangers, toute la population, ou au moins la plus grande partie, habite des villes, des villages et des hameaux. Cela se voit en Espagne, en Syrie, en Égypte, dans l’Irac persan et autres contrées. La raison en est que, chez la grande ma­jorité des peuples non arabes, on attache peu d’importance à sa gé­néalogie, on ne vise pas à conserver la pureté de son sang et l’on ne fait pas grand cas des liens de famille. Dans le désert, au contraire, la p.273 plupart des populations tiennent à leurs généalogies, parce que de tous les liens qui servent à unir un peuple, ceux du sang sont les plus intimes et ont le plus de force. La même cause maintient chez eux un fort esprit de corps, et les peuples qui ressentent l’influence *231 de ce sentiment préfèrent toujours la vie du désert à celle des villes, où ils perdraient leur bravoure et seraient réduits au niveau de ces gens qui ont besoin de la protection d’autrui. Le lecteur qui aura compris ces principes pourra facilement en tirer les conclusions.

Les édifices et les grandes constructions élevés par les musulmans sont loin d’être en rapport avec la grandeur de ce peuple, et restent bien au‑dessous des bâtiments laissés par les nations précédentes.
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La raison de ce fait est identiquement celle que nous avons don­née (dans le chapitre précédent) en parlant des Berbers. Chez les Arabes, comme chez eux, les habitudes de la vie nomade sont pro­fondément enracinées ; comme eux, ils ont un grand éloignement pour les arts. D’ailleurs, dans les temps antérieurs à l’islamisme, ils entretenaient peu de relations avec les empires dont ils se rendirent maîtres plus tard. Après la conquête de ces pays, la civilisation ne prit pas parmi eux un grand développement jusqu’à ce qu’ils se fussent approprié tous les usages de la vie sédentaire, et, de plus, ils se con­tentèrent des édifices que les autres peuples avaient bâtis. A cela nous devons ajouter que, dans les premiers temps de l’islamisme, les Arabes évitèrent, par scrupule religieux, de donner à leurs maisons une grande élévation et de transgresser les bornes de la modération en y dépensant trop d’argent.
Cela eut pour cause la recommandation que (le khalife) Omar leur fit quand ils lui demandèrent l’autorisation de rebâtir en pierre la ville de Koufa, dont les maisons, construites par eux en roseaux, venaient d’être détruites par un incendie. Il leur répondit : « Faites ; mais aucune maison ne doit avoir plus de trois chambres ni une trop grande élévation. Gardez fidèlement les pratiques suivies par le Prophète, et vous garderez toujours l’empire du monde ». Ayant reçu p.274 de cette députation l’engagement de suivre son conseil, il se tourna vers le peuple et dit : « Que personne n’élève sa maison au delà de la juste mesure ». On lui demanda ce qu’il entendait par les mots juste mesure, et il répondit : « C’est la limite qui vous empêche de tomber dans la prodigalité et de sortir du juste milieu ».
Quand fut passée la période pendant laquelle on montrait tant de respect pour la religion et que l’on se tenait strictement à l’obser­vance de ses devoirs, la possession de l’empire et le luxe commen­cèrent à exercer leur influence naturelle sur les Arabes. Ce peuple, *232 ayant subjugué les Perses, apprit d’eux les arts et l’architecture ; cédant alors aux impulsions du luxe et du bien‑être, les Arabes finirent par construire des édifices et de grands bâtiments. Cela eut lieu peu de temps avant la chute de l’empire (des khalifes). Ils ne por­tèrent cependant pas la passion de bâtir à l’extrême, ayant construit peu d’édifices et fondé peu de villes.
Le cas fut bien différent chez les autres nations. Celle des Perses avait subsisté plusieurs milliers d’années, ainsi que celles des Coptes, des Nabatéens, des Roum [103] et des Arabes de la première race, tels que les Adites, les Thémoudites, les Amalécites et les Tobba. Comme tous ces empires s’étaient maintenus très longtemps, les arts y prirent un tel développement que ces peuples élevèrent un très grand nombre d’édifices et de temples, et laissèrent des monuments qui résistent encore à l’action du temps. Le lecteur qui aura bien pesé ces obser­vations en reconnaîtra la justesse. Dieu est l’héritier de la terre et de tout ce qu’elle porte.

La plupart des édifices bâtis par les Arabes
tombent promptement en ruine.
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Les constructions élevées par les Arabes sont loin d’être solides, ce qui tient à la civilisation nomade de ce peuple et à son éloigne­ment pour les arts. On peut même y assigner une autre cause qui, si je ne me trompe pas, est plus directe, savoir, leur peu d’attention p.275 à choisir de bons emplacements pour les villes qu’ils se proposent de fonder. Ainsi que nous avons dit, ils ne tiennent compte ni des lieux, ni le la qualité de l’air, ni des eaux, ni des terres cultivables, ni des pâturages [104].
Quand on examine les villes sous le point de vue de la prospérité qu’elles doivent à des causes naturelles, on y reconnaît des diffé­rences qui méritent à telle ville le caractère de bonne et à telle autre. celui de mauvaise ; or ces différences dépendent directement de celles qui résultent des conditions dans lesquelles ces villes sont placées.
Les Arabes sont incapables de tant de prévoyance ; ils ne recher­chent que des lieux propres à la nourriture de leurs chameaux, sans *233 se soucier de la bonne ou de la mauvaise qualité de l’eau, sans examiner si elle est rare ou abondante. Ils ne pensent ni à la bonté des terres labourables, ni à la richesse de la végétation, ni à la salubrité de l’air ; et cela parce qu’ils ont eu l’habitude de se transporter de lieu en lieu et de tirer des pays éloignés les grains dont ils ont besoin.
Quant à l’air (ils n’y pensent même pas), le désert est sillonné alternativement par tous les vents, et leurs voyages continuels dans cette région leur ont donné la certitude que l’air y était parfaitement sain. Ce qui nuit à la pureté de l’air, c’est le défaut d’agitation, le re­pos continuel et la surabondance d’exhalaisons. Voyez comment les Arabes ont fait en fondant les villes de Koufa, de Basra et de Cai­rouan ; ils n’ont recherché que des terrains où leurs chameaux pou­vaient trouver de la nourriture, et situés dans le voisinage du désert, auprès des routes qui y conduisent. Aussi les emplacements de ces villes ne sont pas ceux que la nature leur aurait indiqués, et n’offrent que peu de ressources à la génération qui devait remplacer celle des fondateurs.
Nous avons déjà fait observer que [105], pour maintenir au complet la population d’une ville, de telles ressources sont indispensables. p.276 En somme, les emplacements que les Arabes choisissaient pour leurs villes n’étaient pas de ceux que la nature avait désignés pour être des lieux de demeure fixe ; ils n’étaient pas même situés au milieu de populations nombreuses qui pourraient y envoyer de nouveaux habi­tants. Aussi, au premier échec que leur autorité éprouva, à l’instant où leur esprit de corps commençait à faiblir, leurs villes, privées de la protection qu’elles devaient à cet esprit, tombèrent en décadence et finirent par disparaître comme si elles n’avaient jamais existé. Per­sonne ne peut reviser les arrêts de Dieu. (Coran, sour. XIII, vers. 41.)

Comment les villes tombent en ruine.
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Les villes qui viennent d’être fondées ne renferment qu’une faible population ; les matériaux de construction, tels que pierres et chaux, ne s’y trouvent qu’en petite quantité, et il en est de même pour les carreaux de terre cuite, les plaques de marbre, les mosaïques, les écailles et les coquillages dont on se sert pour orner les murs des édifices.
Dans la première époque, les bâtiments sont d’une construction grossière, telle qu’on doit l’attendre d’un peuple nomade [106], et les ma­tériaux dont ils se composent sont de mauvaise qualité. Quand la *234 ville devient prospère et populeuse, la quantité de matériaux à bâtir augmente par suite des grands travaux auxquels on se livre, et du parfait développement d’un grand nombre d’arts ; (développement) dont nous avons déjà indiqué les causes. Quand la prospérité de la ville commence à décliner et sa population à diminuer, un grand ra­lentissement se manifeste dans l’exercice des arts ; l’habitude de cons­truire avec élégance et solidité se perd, ainsi que l’usage d’orner les murs des édifices. Les travaux diminuent en même temps que la po­pulation ; les pierres, les marbres et les autres matériaux de cons­truction n’arrivent plus à la ville qu’en petite quantité, et au bout de quelque temps ils manquent tout à fait.
p.277 Alors, quand on veut bâtir une maison ou autre édifice, on prend les matériaux dans les constructions déjà existantes, les enlevant d’un bâtiment pour en former un autre. (Cela est facile) parce que la plupart des maisons et des palais ne sont plus habités et restent vides, et que la population de la ville est bien inférieure à ce qu’elle était d’abord. On continue à transporter ainsi ces matériaux de pa­lais en palais, de maison en maison, jusqu’à ce qu’ils commencent à manquer.
Alors on reprend l’usage de construire à la manière bédouine ; on emploie des briques cuites au soleil au lieu de pierres, et l’on aban­donne tout à fait l’usage de l’ornementation. Les édifices redeviennent comme ceux des villages et des hameaux, et montrent partout les marques [107] de la civilisation grossière qui est propre aux nomades. La décadence continue jusqu’à ce qu’elle arrive à son dernier terme, qui est la ruine complète, si toutefois Dieu a réservé ce sort à la ville.

Si certaines villes et métropoles surpassent les autres en activité commerciale et par le bien‑être dont on y jouit, cela [108] tient à ce qu’elles les surpassent aussi par leur popu­lation.
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C’est un fait reconnu et démontré qu’un seul individu de l’espèce humaine est incapable de pourvoir à sa subsistance, et que les hommes doivent se réunir en société et s’entr’aider s’ils veulent se procurer les moyens de vivre. Or les choses de première nécessité, procu­rées par les efforts combinés de plusieurs hommes, suffisent, par leur quantité, à plusieurs fois ce nombre d’individus. Prenons, par exemple, le blé, qui leur sert de nourriture : jamais un seul homme ne parviendrait par son travail à s’en procurer une portion suffisante pour son entretien. Mais que six ou dix hommes se concertent ensemble dans ce but, que les uns soient forgerons et fabricants p.278 d’instruments aratoires ; que les autres se chargent de soigner les bœufs, de labourer la terre, de faire la récolte, et d’exécuter les autres tra­vaux agricoles ; que ces hommes se partagent la besogne ou qu’ils la fassent ensemble, ils se procureront une quantité de blé qui dépassera de plusieurs fois celle qui leur était absolument nécessaire. Dans ce cas, le produit du travail dépasse de beaucoup les besoins des travail­leurs. Il en est de même dans les villes : quand les habitants se par­tagent la besogne afin de se procurer les choses qui leur sont indis­pensables, ils en obtiennent une quantité dont une très faible portion leur suffit. Le reste est du superflu et s’emploie pour satisfaire aux habitudes de luxe que ces travailleurs auront contractées, ou pour servir à l’approvisionnement d’autres villes dont les habitants font l’acquisition de ces choses par la voie de l’échange ou par celle de l’achat. De cette manière les travailleurs se procurent une certaine portion de richesses.
Dans le chapitre de la cinquième section, qui traite d’acquisitions et de bénéfices, on verra [109] que les bénéfices (du travail) sont la valeur du produit du travail [110]. Plus les produits sont abondants, plus leur va­leur (totale) est grande : donc ceux qui obtiennent beaucoup de pro­duits recueillent nécessairement de gros bénéfices. Dès lors le bien-­être et la possession des richesses portent ces hommes à rechercher le luxe et à satisfaire aux besoins qu’il impose ; ils s’appliquent à em­bellir leurs habitations, à s’habiller avec élégance, à rechercher de la riche vaisselle et les meilleurs ustensiles domestiques, à se procurer des esclaves et à acheter de belles montures. Mais toutes ces choses *236 sont les produits de divers arts, produits qui n’auraient pas existé sans la valeur qu’on y attache [111]. Aussi recherche‑t‑on avec empresse­ment les artisans habiles. Il en résulte que les arts sont très p.279 encouragés et leurs produits très recherchés ; les revenus et les dépenses (des habitants) de la ville augmentent de beaucoup, et les artisans s’enrichissent par leur travail. Si la population reçoit un nouvel ac­croissement, les produits du travail augmentent aussi, et le progrès du luxe continue avec celui de la fortune publique.
Comme les habitudes du luxe ne cessent d’augmenter, et que ses exigences deviennent de plus en plus nombreuses, on invente, pour y satisfaire, de nouveaux arts, dont les produits ont une grande valeur. Cela augmente de plusieurs fois les bénéfices obtenus par les habitants de la ville, et fait que les produits des arts qu’ils cultivent sont encore plus recherchés qu’auparavant. La même chose se repro­duit à chaque nouvel accroissement de la population, par la raison que les arts nouvellement introduits servent uniquement à satisfaire aux exigences du luxe et de la richesse, à la différence des arts primitifs, qui s’exerçaient dans le but d’obtenir les denrées qui font vivre.
La ville qui en surpasse une autre d’un seul degré, en ce qui regarde le nombre de sa population, la surpasse encore en plusieurs points : on y gagne davantage, l’aisance et les habitudes de luxe y sont plus répandues. Plus la population de la ville est grande, plus est grand le luxe des habitants, et plus les gens de chaque profession sur­passent en ce point ceux des villes qui possèdent une population moins nombreuse. Il en est ainsi sur toute la ligne : la différence est marquée, même de cadi à cadi, de négociant à négociant, d’artisan à artisan, d’homme de marché à homme de marché, d’émir à émir et de soldat de police à soldat de police. Comparez, par exemple, l’état des habitants de Fez avec celui des habitants d’autres villes, telles que Bougie, Tlemcen et Ceuta : vous reconnaîtrez que cette différence, existe pour toutes les classes en général et pour chaque classe en particulier. Ainsi le cadi de Fez jouit d’une plus grande aisance que celui de Tlemcen, et il en est encore ainsi des autres classes. On reconnaît toujours le même fait quand on compare Tlemcen avec *237 Oran et Alger, et celles‑ci avec d’autres villes qui leur sont inférieures p.280 en population ; et, si l’on continue ce rapprochement en descendant jusqu’aux simples hameaux, où les habitants travaillent uniquement à se procurer les moyens de vivre, sans pouvoir toujours y réussir, ces différences se font encore remarquer. Elles ont pour cause celles qui existent entre les quantités des produits industriels fournies par ces villes. Chaque ville peut être regardée comme un marché où ces produits s’écoulent. Or, dans chaque marché, les dépenses faites sont en proportion de son importance ; ainsi les recettes du cadi de Fez suffisent à ses dépenses, et il en est de même pour le cadi de Tlemcen. Plus les recettes et les dépenses sont fortes dans une ville, plus les richesses y sont abondantes. Il en est ainsi à Fez, parce que les produits s’écoulent rapidement pour satisfaire aux demandes du luxe ; aussi cette ville est‑elle dans un état très prospère. A Oran, à Constantine, à Alger et à Biskera, l’on peut remarquer (la même pro­portion entre les dépenses et l’importance de la ville) ; et cela se revoit partout, jusqu’à ce qu’on descende aux bourgades, dont les produits ne suffisent pas aux besoins de la population, parce qu’elles appartiennent à la catégorie des villages et hameaux. Voilà pourquoi nous trouvons [112] les habitants des petites villes dans un état peu aisé et presque aussi pauvres les uns que les autres. En effet, les pro­duits du travail ne suffisent pas, dans ces localités, aux besoins des habitants ; aussi ne possèdent‑ils pas une surabondance de produits qu’ils puissent amasser en vue du gain, et dont ils puissent tirer des bénéfices. Cela fait qu’à quelques exceptions près ils sont mal à leur aise et dans la misère. Le principe que nous avons exposé se re­connaît encore quand on regarde l’état des pauvres et des mendiants. Dans la ville de Fez, ces gens sont dans une position bien meilleure que celle des mendiants de Tlemcen et d’Oran. J’ai vu, dans cette première ville, des pauvres qui, au jour de la fête du sacrifice [113], demandaient la huitième partie de chaque victime ; ils exigeaient même des choses de luxe, de la viande, du beurre, le prêt des p.281 *238 cuisines, de vêtements et d’ustensiles domestiques, tels que cribles et vases. Si l’un de ces gens faisait une pareille demande à Tlemcen ou à Oran, il serait repoussé avec une verte réprimande. J’ai appris que, de nos jours, les habitants de Misr (le vieux Caire) et d’El‑Cahera (le nouveau Caire) possèdent de grandes richesses, et qu’ils ont des habitudes de luxe telles que l’observateur en est rempli d’étonnement ; aussi beaucoup de pauvres gens quitteraient volontiers le Maghreb s’ils pouvaient se rendre au Caire. Ils ont entendu dire que, dans cette capitale, l’aisance est plus grande que partout ailleurs, et les gens du commun s’imaginent que cela a pour cause la surabondance de richesses dans cette localité, que tout le monde a un trésor chez lui, et qu’on s’y montre plus généreux et plus charitable que dans aucun autre endroit. Mais il n’en est pas ainsi : l’aisance qui règne dans les deux Caires tient à un fait que le lecteur connaît maintenant, savoir, que la population de ces villes est bien plus grande que celle des villes qui nous sont voisines, et que cela procure aux habitants le bien‑être dont ils jouissent. Au reste, dans toutes les villes, les dé­penses des habitants se règlent d’après leurs revenus ; si les revenus sont grands, les dépenses le seront aussi, et vice versa. Si les revenus et les dépenses sont très considérables, les habitants vivent dans une grande aisance et la ville tend à s’agrandir. Quand vous entendez parler de (villes où tout le monde est à son aise), vous ne devez pas regarder cela comme un mensonge ; vous vous rappellerez que la grandeur de la population est une source de vastes profits, et que ceux‑ci fournissent les moyens de satisfaire, avec prodigalité même, aux demandes de chaque solliciteur. Un autre exemple des effets du bien‑être d’une population nous est offert par le nombre d’animaux non domestiques qui fréquentent les maisons d’une ville ; on peut re­marquer qu’ils sont farouches dans le voisinage d’une maison et fa­miliers dans le voisinage d’une autre. Voici l’explication de ce fait : chez les gens riches, qui tiennent une bonne table, beaucoup de grains et de miettes se répandent par terre dans la cour et dans les basses‑cours ; les fourmis et autres animaux rampants y arrivent en p.282 foule pour les ramasser ; [les grillons abondent dans toutes les cre­vasses ; *239 les chats viennent s’installer dans ces maisons] [114] et des bandes d’oiseaux voltigent alentour et ne se retirent qu’après s’être rempli les jabots, avoir assouvi leur faim et étanché leur soif. Chez les pauvres et les indigents, dont les moyens sont très limités, on ne voit pas d’in­sectes ramper dans les cours, ni d’oiseaux y arriver à tire‑d’aile, ni de souris installées dans les trous, ni même de chats. Un poète a dit :
Les oiseaux descendent là où il y a des grains à ramasser, et ils fréquentent les maisons des hommes généreux.
On reconnaît là encore une de ces voies secrètes par lesquelles agit le Seigneur : la présence d’une foule d’animaux indique l’exis­tence d’une foule d’hommes, et les miettes qui tombent des tables montrent que ces hommes ont du superflu, qu’ils vivent dans le luxe, qu’ils font de grandes dépenses et prodiguent même leur ar­gent ; en effet, ils peuvent le faire, parce qu’ils ont toujours de quoi le remplacer. On voit par ce qui précède que l’aisance d’une popu­lation et le bien‑être dont elle jouit résultent de son nombre. Dieu seul peut se passer de toutes les créatures. (Coran, sour. III, vers. 92.)

Sur les prix (des denrées et des marchandises) dans les villes.
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Dans les marchés se trouvent les choses qui sont nécessaires aux hommes ; d’abord, celles qui leur sont indispensables et qui servent à l’alimentation, comme le blé, l’orge [115] et les productions analogues telles que légumes, pois chiches, pois verts et autres grains alimen­taires, ainsi que les plantes employées comme assaisonnement, telles que l’oignon, l’ail et autres herbes du même genre. Ensuite on trouve les choses d’une nécessité secondaire et celles qui sont de luxe, telles que les condiments, les fruits, les vêtements, les ustensiles de ménage, les harnais, les produits de divers arts et les matériaux de p.283 construction [116]. Si la ville est grande et renferme une nombreuse po­pulation, les denrées alimentaires de première nécessité, et tout ce qui rentre dans cette catégorie, y sont à bon marché ; mais celles qui sont de luxe, telles que les condiments et les autres, choses du même genre, celles‑là sont chères. Il en est autrement des villes qui possèdent peu d’habitants et qui ne jouissent pas d’une grande pros­périté. *240 En voici la raison : les grains sont indispensables pour la nourriture de l’homme ; aussi chaque individu a bien des motifs [117] pour chercher à s’en procurer ; personne ne voudrait laisser sa maison sans un approvisionnement qui suffise à sa subsistance pendant un mois ou un an. Donc la majeure partie des habitants, sinon tous, s’occupent de la provision des grains, et ceux qui demeurent dans les environs de la ville font de même. Cela ne manque pas d’avoir lieu. Or chacun fait provision d’une quantité de grains bien au‑dessus de ses besoins et de ceux de sa famille, quantité qui suffirait à un grand nombre d’habitants de cette localité. Il est donc certain qu’on se procurera beaucoup plus de grains que la nourriture de la popu­lation ne l’exige. Les céréales y seront donc à bon marché, excepté dans les années où des influences atmosphériques nuiront à leur production, et si les habitants, dans la crainte d’un tel malheur, n’en achetaient pas d’avance, les grains se donneraient pour rien et sans aucun échange [118], puisque la quantité de blé est d’autant plus grande que la population est plus nombreuse. Quant aux denrées telles que condiments, fruits et autres choses de cette nature, le besoin n’en est pas si général et leur production n’exige pas le tra­vail de toute la population, ni même de la majeure partie. Si la ville est grande et renferme beaucoup d’habitants, de sorte que les exi­gences de luxe soient très nombreuses, ces commodités seront beau­coup demandées, et chacun tâchera de s’en procurer autant que ses moyens le lui permettront. La quantité qui en existe dans la ville p.284 deviendra tout à fait insuffisante ; les acheteurs seront nombreux et la denrée sera très rare. Alors on se fera concurrence [119], on luttera à l’envi pour s’en procurer, et les personnes qui vivent dans l’aisance et dans le luxe, ayant plus besoin de ces choses que le reste des habitants, les achèteront plusieurs fois leur valeur. Voilà la cause de l’enchérissement.
Passons aux arts : leurs produits sont chers dans les villes très *241 peuplées, et cela pour trois raisons, 1° les nombreuses demandes, conséquence du luxe qui règne dans la ville et qui est toujours en rapport avec la grandeur de la population ; 2° les hautes prétentions des ouvriers, qui n’aiment pas à travailler ni à se fatiguer tant que l’abondance des denrées alimentaires qui existent dans la ville leur permet de se nourrir à peu de frais ; 3° le grand nombre d’individus qui vivent dans l’aisance et qui, ayant besoin que d’autres travaillent pour eux, louent les services des gens de divers métiers. Pour ces raisons, les artisans reçoivent d’eux bien au delà de la valeur réelle de leurs ouvrages ; on lutte à l’envi avec ses concurrents, afin de s’approprier les produits du travail, et de là résulte que les ouvriers et les artisans deviennent très exigeants et mettent un haut prix à leurs services. Cela absorbe une grande partie des ressources que pos­sèdent les habitants de la ville.
Dans les petites villes, dont la population est peu nombreuse, les denrées alimentaires sont rares, parce qu’il n’y a pas assez de tra­vailleurs et parce que la crainte de la disette porte les habitants à accaparer tous les grains qu’ils peuvent se procurer. Cela amène la rareté des grains (au marché) et les rend très chers pour ceux qui désirent en acheter. Quant aux denrées d’une nécessité secondaire, la demande est beaucoup moins forte, parce que les habitants sont peu nombreux et ne se trouvent pas assez à leur aise ; aussi ces den­rées sont‑elles peu recherchées chez eux et se vendent à bon marché.
D’ailleurs les vendeurs, en établissant les prix des grains, tiennent p.285 compte des droits et des impôts qu’on prélève sur eux dans les mar­chés et aux portes de la ville, au nom du sultan ; ils n’oublient pas non plus la taxe imposée par les percepteurs sur tout ce qui se vend, et appliquée par eux à leur propre usage. Voilà pourquoi les prix sont plus élevés [120] dans les villes que dans les campagnes, où les im­pôts et autres droits n’existent pas ou sont peu considérables. Il n’en est pas ainsi dans les villes : (les impôts sont lourds,) surtout à l’é­poque où la dynastie régnante penche vers sa chute.
En établissant les prix des denrées alimentaires, on est obligé de *242 tenir compte des soins particuliers que peut exiger la culture : cela a lieu en ce moment surtout en Espagne. Les habitants de ce pays, s’étant laissé enlever leurs bonnes terres et leurs provinces fertiles par les chrétiens, se virent refoulés vers le littoral et repoussés dans des contrées très accidentées, qui sont impropres à l’agriculture et peu favorables à la végétation. Ils se sont alors trouvés obligés de don­ner beaucoup de soins à la culture de leurs terres, afin d’en obtenir des récoltes passables. Des travaux de cette nature entraînent beau­coup de frais et exigent l’emploi de divers accessoires dont quelques-­uns, comme le fumier, par exemple, sont assez coûteux. Les frais de culture sont donc très élevés chez les musulmans de l’Espagne et comptent nécessairement dans le prix de vente. Voilà pourquoi la cherté règne dans cette partie du territoire espagnol, depuis que les chrétiens ont forcé les habitants à reculer vers le littoral.
Quand les hommes parlent de l’élévation des prix en Espagne, ils l’attribuent à la rareté des vivres et des grains ; mais en cela ils se trompent, car, de tous les peuples du monde, les Espagnols sont les plus industrieux et les plus habiles. Tout le monde chez eux, depuis le sultan jusqu’à l’homme du peuple, possède une ferme ou un champ qu’il fait valoir. Les seules exceptions sont les artisans, les hommes de peine et les gens nouvellement venus dans le pays avec l’intention d’y faire la guerre sainte [121]. Le sultan assigne même à p.286 ces volontaires, à titre de solde et de subsistance (aoula), des terres qui peuvent les alimenter, eux et leurs chevaux. Mais la vraie cause de la cherté des grains chez les musulmans espagnols est celle que nous venons d’indiquer. Il en est bien autrement dans le pays des Berbers : la végétation y est vigoureuse, le sol est fertile et n’exige aucun apprêt dispendieux ; les terres cultivées sont très nombreuses et tout le monde en possède. De là il résulte que les vivres y sont à bas prix. Dieu règle les vicissitudes des nuits et des jours. *243

Les gens de la campagne ne sont pas assez riches pour habiter les villes [122] qui possèdent une nombreuse population.
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Dans les villes qui renferment une nombreuse population, le luxe est très grand, ainsi que nous l’avons déjà exposé, et, pour cette rai­son, les habitants se sont créé beaucoup de besoins (factices), dont le nombre s’accroît toujours à cause des fréquentes tentations qui s’y offrent. Ces besoins deviennent (pour eux) des nécessités (auxquelles il faut absolument satisfaire). Ajoutez à cela que tous les produits de l’industrie y sont chers et même les simples commodités de la vie. Cela a pour cause, d’abord, l’empressement que l’on met à les re­chercher, empressement qui résulte de l’influence du luxe, et, en­suite, le poids des impôts que le souverain fait prélever dans les mar­chés et dont il frappe tous les objets mis en vente. L’effet s’en fait sentir [123] dans les prix des marchandises, des vivres et des produits du travail, et ajoute beaucoup à leur cherté. Il en résulte que les habi­tants [124] de la ville sont obligés de faire des dépenses plus ou moins fortes, selon la grandeur de la population. Ils ont besoin de beau­coup d’argent pour suffire à leurs déboursés, qui sont très considé­rables, puisqu’ils doivent pourvoir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille, se procurer les choses nécessaires à l’existence et faire face à bien d’autres charges. Or l’habitant de la campagne n’a pas un grand revenu, parce que, dans le lieu où il demeure, les marchés p.287 n’offrent pas un grand écoulement aux produits de son travail, seules matières avec lesquelles il peut gagner quelque chose. Pour lui, point de profits à faire, point d’argent à thésauriser ; aussi peut‑il diffici­lement séjourner dans une grande ville, où les besoins sont si nom­breux et où les choses, même de première nécessité, sont chères. Tant qu’il reste à la campagne, il peut suffire à ses besoins au moyen d’une faible portion des produits qu’il doit à son travail, car il n’a pas de charges à supporter, pas d’habitudes de luxe à satisfaire. Il n’a donc pas besoin d’argent ; mais, s’il désire vivre dans une ville et y fixer son séjour, il laissera bientôt apercevoir combien les moyens lui font défaut. *244 Celui-là seul qui a amassé quelque argent, qui en a au delà de ses besoins, peut imiter les habitants de la ville et aller jusqu’au but qui lui est désigné naturellement par l’amour du bien‑être et du luxe. En ce cas seulement il peut aller s’y établir et s’assimiler aux habitants en adoptant leurs usages et en déployant le même luxe qu’eux. C’est ainsi que les grandes villes commencent à se peu­pler. Dieu, par sa compréhension, embrasse tout. (Coran, sour. XLI, vers. 54.)

Les différences qui existent entre un pays et un autre, sous le rapport de la pauvreté ou du bien‑être, proviennent des mêmes causes qui établissent des différences sem­blables entre les villes.
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Dans les contrées où la prospérité est générale [125] et dont les provin­ces renferment de nombreuses populations, les habitants vivent dans l’aisance et possèdent de grandes richesses. Les villes y sont nom­breuses ; les empires et les royaumes sont très puissants. Tout cela a pour cause l’abondance des produits de l’industrie qui, ainsi que le lecteur le verra plus loin, sont le matériel de la richesse. Une partie de ces produits s’emploie pour satisfaire aux besoins de première nécessité, et le reste, qui est toujours en proportion avec le nombre de la population, devient pour les hommes un véritable gain qu’ils p.288 s’empressent de conserver. C’est là un point que nous établirons dans le chapitre qui traite des moyens de vivre et qui explique la signifi­cation des termes bénéfice et acquisition. Le bien‑être du peuple s’ac­croît [126] avec le gain, l’aisance devient de plus en plus grande ; les ri­chesses arrivent ensuite et le luxe avec elles ; l’activité du commerce ajoute aux produits de l’impôt et enrichit ainsi le gouvernement ; le souverain vise à la grandeur et s’occupe à construire des forteresses, à élever des châteaux, à bâtir des villes et à fonder des cités. Voyez, par exemple, les contrées de l’Orient telles que l’Égypte, la Syrie, l’Irac persan, l’Inde, la Chine, tous les pays du nord et ceux qui sont *245 situés au delà de la mer romaine [127]. Comme ces contrées sont bien peuplées, l’argent y abonde, les empires sont puissants et les villes nombreuses ; le commerce est très grand ainsi que l’aisance des habi­tants. Voyez les négociants chrétiens qui, de nos jours, viennent chez les musulmans du Maghreb : leurs richesses et le grand train de vie qu’ils mènent sont au delà de toute description.
Il en est de même des négociants appartenant aux nations de l’Orient ; [ce que nous avons entendu dire à ce sujet ne saurait être imaginé [128]]. Les richesses des habitants de l’extrême Orient, c’est‑à-dire de l’Irac persan, de l’Inde et de la Chine, sont encore plus considérables ; nous avons entendu raconter, au sujet de leur opu­lence et de leur train de vie, des anecdotes tellement extraordinaires qu’elles fournissent matière de conversation à tous les voyageurs.
On est presque toujours porté à regarder ces histoires comme des mensonges ; mais les gens du peuple les acceptent comme vraies et supposent que le luxe de ces négociants provient de ce que leurs richesses augmentent d’elles‑mêmes, ou bien, disent‑ils, les mines d’or et d’argent sont très nombreuses dans ces pays, ou bien ils se sont approprié exclusivement tout l’or qui avait appartenu aux anciens peuples. Mais il n’en est pas ainsi : les seules mines d’or que l’on p.289 connaisse se trouvent dans ces contrées‑ci, dans le Soudan, pays plus rapproché du Maghreb (que de l’Orient). D’ailleurs, ces négociants apportent à l’étranger toutes les marchandises qui se fabriquent chez eux, et certes, s’ils avaient déjà hérité de grandes richesses, ils ne se donneraient pas la peine de porter des marchandises chez les autres peuples, dans le but de gagner de l’argent ; car ils pourraient se passer [129] tout à fait de l’argent d’autrui. Les astrologues, ayant observé beaucoup de choses de cette nature et remarqué avec admiration l’aisance des habitants de l’Orient, l’étendue de leurs ressources et de leurs richesses, ont imaginé une théorie pour expliquer ce fait. Selon eux, les dons accordés par les planètes et les sorts qui s’at­tachent *246 aux naissances sont beaucoup plus avantageux pour les habitants de l’Orient que pour ceux de l’Occident. Cela est vrai, mais c’est uniquement une coïncidence entre les jugements tirés des astres et les événements de ce bas monde. Ils y ont vu seulement l’influence des astres et n’ont pas songé à la cause purement terrestre, à celle que nous venons d’indiquer, savoir, que les contrées de l’Orient se distinguent par la grandeur de leur population, et que le travail d’une population nombreuse fournit une abondance de pro­duits au moyen desquels on fait un grand gain. Voilà pourquoi l’Orient seul, entre toutes les contrées, se fait remarquer par le bien­être de ses habitants ; avantage qui ne provient pas uniquement de l’influence des astres. Le lecteur comprendra, par ce que nous avons dit précédemment [130], qu’elle (l’influence des astres) est incapable de produire un tel effet, et que [131] la coïncidence qui se présente entre certains jugements astrologiques et (un état de choses qui tient à) la population et à la constitution physique d’un pays était inévitable. Voyez en quel état se trouve la civilisation en Ifrîkiya et à Barca (la Cyrénaïque), depuis que la population de ces pays a tant diminué et que leur prospérité a subi de si graves atteintes : les habitants ont p.290 perdu leurs richesses et se voient réduits à la pauvreté et à l’indi­gence ; les contributions qu’ils payaient au gouvernement ont éprouvé une grande diminution, et le revenu de l’État en a souffert. Ce chan­gement est survenu après que les Chîïtes (Fatemides) et les Sanhadja (Zîrides) eurent cessé de régner sur ces pays. On sait combien était grand le bien‑être dont on jouissait dans ces deux empires, combien les contributions étaient abondantes, et combien ces dynasties dé­pensaient en frais d’administration et en dons. C’en était à un tel point que le gouvernement de Cairouan envoyait très souvent [132] au souverain de l’Égypte de fortes sommes d’argent pour subvenir aux besoins et à l’exécution des projets de ce souverain. Les richesses de ce gouverne­ment étaient si grandes que Djouher, le kateb [133], étant sur le point de partir pour faire la conquête de l’Égypte, emporta avec lui mille charges d’or qu’il destinait à la solde des troupes, aux gratifications et aux frais de la guerre. Le Maghreb [134], bien qu’inférieur en richesses *247 à l’Ifrîkiya, dans ces temps reculés, n’était pas cependant un pays pauvre. Sous l’administration des Almohades, il jouissait d’une grande prospérité et fournissait au gouvernement des contributions en abon­dance. De nos jours il est incapable de le faire, parce qu’il est beau­coup déchu de sa prospérité : une grande partie de la population ber­bère en a disparu, ce qui est évident quand on compare l’état actuel de ce pays avec celui dans lequel on l’avait vu autrefois. Peu s’en faut qu’il ne se trouve dans une position presque aussi déplorable que celle de l’Ifrîkiya, et cependant il y avait un temps où toute cette contrée était habitée depuis la mer Romaine jusqu’au pays des Noirs, et depuis le Sous ultérieur [135] jusqu’à Barca. Maintenant ce pays offre presque partout des plaines inhabitées, des régions solitaires et des déserts ; c’est seulement dans les provinces du littoral et sur les hauts p.291 plateaux qui l’avoisinent que l’on trouve des populations. Dieu est l’hé­ritier de la terre et il est le meilleur des héritiers.

Comment un grand nombre de maisons et de fermes se trouvent dans la possession de quelques habitants des villes [136]. — Avantages qu’ils peuvent en retirer [137].
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Quelques habitants des villes se trouvent en possession (d’un grand nombre) de maisons et de fermes, mais cela ne leur est pas arrivé tout d’un coup ni (même) dans l’espace d’une seule génération. Au­cun d’eux, bien qu’il fût parvenu au comble de l’aisance, n’aurait eu assez d’argent pour acquérir une quantité de propriétés dont le prix aurait dépassé toutes les bornes. Ils ne parviennent que graduel­lement à réunir en leur possession un grand nombre d’immeubles. Tantôt ce sont des biens‑fonds qu’ils héritent de leurs pères ou de leurs parents, et qui, après avoir appartenu à plusieurs propriétaires, viennent se réunir entre les mains d’un très petit nombre d’individus ou même d’un seul. Tantôt ils les achètent par spéculation, ce qui a lieu quand la dynastie régnante est sur le point de succomber, et *248 qu’une nouvelle dynastie paraît pour la remplacer. A cette époque, l’ancienne dynastie n’a pas de troupes pour protéger le pays ; l’inté­grité de l’empire vient d’être entamée, et la capitale penche vers sa ruine. On ne recherche pas alors la possession des immeubles, parce qu’ils sont presque toujours improductifs et parce que la prospérité de l’État est anéantie. Il en résulte que les propriétaires s’en débarrassent à vil prix et qu’on achète leurs propriétés presque pour rien. Quand ces immeubles ont ensuite passé par héritage à d’autres propriétaires, la ville a retrouvé sa jeunesse par suite du triomphe de la nouvelle dy­nastie, et le rétablissement de sa [138] prospérité porte les hommes à rechercher la possession des immeubles à cause des grands profits qu’ils peuvent alors en retirer. De là résulte une forte augmenta­tion dans la valeur des propriétés ; elles acquièrent une importance qu’elles n’avaient pas auparavant, et voilà pourquoi on les avait p.292 achetées par spéculation. Celui qui s’en était rendu propriétaire devient maintenant l’homme le plus riche de la ville, et cela sans avoir tra­vaillé pour gagner ce qu’il possède ; au reste, il aurait été incapable d’acquérir une pareille fortune par son travail.
Les avantages qu’un propriétaire retire d’une maison ou d’une ferme ne sont pas assez grands pour subvenir à tous les besoins de la vie, car ils ne suffiront jamais à ses dépenses s’il a cédé aux entraîne­ments du luxe et s’il en a adopté les habitudes. Le revenu des im­meubles sert tout au plus à le garantir contre la pauvreté et à lui pro­curer le simple nécessaire. D’après ce que nous avons entendu dire aux vieillards dans plusieurs villes, on achète des maisons et des fermes afin de ne pas laisser ses jeunes enfants sans ressource si l’on vient à mourir, et afin que les revenus de ces propriétés soient employés à payer leur nourriture [139] et leur éducation, et à les faire vivre tant qu’ils seront incapables de travailler pour eux‑mêmes [140]. Quelque­fois aussi, quand on a un fils incapable de gagner sa vie à cause de la faiblesse de son corps ou de son intelligence [141], on lui achète un immeuble pour son entretien. Tels sont les seuls motifs qui portent *249 les hommes riches à acheter des immeubles ; ce n’est pas pour gagner de l’argent et se procurer les moyens de soutenir un grand train de vie qu’ils font de pareilles acquisitions. Il est vrai qu’il y a des excep­tions, mais elles sont très rares ; ainsi l’on parvient quelquefois à ga­gner beaucoup (en spéculant sur la dépréciation des biens‑fonds). Les propriétés situées dans les villes tiennent le premier rang [142] par leur na­ture et par leur valeur ; mais, si elles deviennent très productives, elles attirent les regards des émirs et des oualis [143], qui, presque toujours, s’en emparent de force ou obligent le propriétaire à leur céder ces p.293 propriétés moyennant un prix infime. Cela porte une grave atteinte à la fortune des propriétaires et peut entraîner leur ruine. Dieu est tout puissant dans ses œuvres. (Coran, sour. XII, vers. 21.)

Dans les grandes villes, les hommes riches ont besoin de protecteurs ou doivent être dans une position qui les fasse respecter.
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Le citadin qui possède assez d’argent et de biens‑fonds pour être regardé comme l’homme le plus riche de la ville s’attire les regards des envieux, et, plus il déploie de luxe, plus il s’expose à être tracassé par les émirs et princes dont le faste pâlit devant le sien. Or, comme la haine est une passion naturelle à l’espèce humaine, les hommes puissants le voient d’un œil jaloux et se tiennent prêts à saisir la première occasion pour lui enlever tout ce qu’il possède. Quand ils sont parvenus [144], par quelque chicane, à le mettre en contraven­tion [145] avec quelque article du code institué par l’autorité temporelle qui les régit, ils trouvent, de cette manière, un motif ostensible pour le perdre et pour lui enlever ses richesses. En effet, la plupart des ar­ticles dont se composent les codes des gouvernements temporels sont contraires à la justice. Pour trouver la justice pure, il faut la cher­cher dans la loi du khalifat, loi qui malheureusement a duré bien peu de temps. Le saint Prophète a dit : « Le khalifat durera trente ans après moi et deviendra alors une royauté temporelle, un gouver­nement injuste ». Donc tout homme qui possède de grands biens et *250 qui se distingue par ses richesses du reste de la population doit avoir un protecteur auprès de qui il puisse se réfugier, ou bien il doit occuper une position qui lui permette d’imposer à ses adver­saires. Il lui faut l’appui d’un membre de la famille royale ou d’un des favoris du souverain, ou du chef d’un parti assez fort pour le faire res­pecter par le sultan. De cette manière il a un abri sous lequel il peut se reposer tranquillement et vivre [146] en sécurité, sans craindre les attaques imprévues. Si l’un ou l’autre de ces avantages lui manque, p.294 il deviendra la proie de ses ennemis, qui intrigueront contre lui de toutes les façons, et il succombera victime des trames que les ma­gistrats [147] (institués par le gouvernement temporel) auront ourdies contre lui. Dieu est le seul juge dont personne ne puisse contrôler les arrêts. (Coran, sour. XIII, vers. 41.)

Les grandes villes doivent aux dynasties qui y ont régné leur portion de cette civilisation qui se développe dans la vie sédentaire.
Plus ces dynasties ont eu de durée et de force, plus cette civilisation est forte et persistante.
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La civilisation de la vie sédentaire se compose d’habitudes d’un genre plus relevé que celles dont la nécessité est absolue et dont aucun peuple ne saurait se passer. Cette supériorité se règle d’après le nombre et le bien‑être de la population. Il y a là des diffé­rences auxquelles on ne saurait assigner aucune limite, et qui se pré­sentent chez tous les peuples quand les effets de la civilisation se mul­tiplient et forment, par leur diversité, divers genres et diverses classes. Ces classes représentent les arts, et chaque art a besoin d’hommes habiles et exercés pour se maintenir. Au fur et à mesure que les arts acquièrent leurs caractères distinctifs, le nombre d’ouvriers qui for­ment chaque classe augmente [148], et la génération qui vit à cette époque prend une forte teinture (de connaissances pratiques). Cette teinture se renouvelle plusieurs fois dans la suite des temps, de sorte que les ouvriers acquièrent beaucoup d’habileté et une grande connaissance de leurs arts. La durée des siècles et leur suite rendent cette teinture encore plus solide et lui assurent la persistance. C’est surtout dans les grandes villes que cela a lieu, parce qu’elles renferment une nom­breuse population et que tous les habitants jouissent de l’aisance.
*251 Tout ce que nous venons d’indiquer est dû à l’influence d’un gou­vernement dynastique. En effet, le souverain recueille l’argent des contribuables et le distribue à ses intimes et aux grands officiers de l’empire qui, du reste, doivent leur haute considération bien moins p.295 à leurs richesses qu’au prestige de leurs dignités. L’argent des contribuables passe entre les mains des fonctionnaires du gouver­nement, et ceux‑ci le donnent à des habitants de la ville qui ont des relations avec eux, et qui forment, en réalité, la majeure partie de la population. Il en résulte que les habitants acquièrent de grandes richesses et parviennent à l’opulence, ce qui accroît [149] les usages du luxe, multiplie les formes sous lesquelles il se produit, et établit chez eux, sur une base solide, la pratique des arts dans toutes leurs branches.
Voilà la civilisation de la vie sédentaire. On comprend maintenant pourquoi, dans les provinces éloignées (de la capitale), les usages de la vie nomade prédominent [150] dans les villes, bien qu’elles renfer­ment chacune une nombreuse population, et que les habitants s’éloi­gnent, dans toutes leurs pratiques, des formes de la civilisation sé­dentaire. Il en est autrement dans les villes situées aux centre des grands empires, dont elles sont les sièges et les métropoles. Cela tient à une cause unique : la présence du sultan. L’argent qu’il répand à flots est comme un fleuve qui fait verdir tout ce qui est dans son voisinage, féconde la partie du sol qui y touche et étend son influence bienfaisante jusqu’aux arbustes desséchés qui se trou­vent dans l’éloignement. Le sultan et l’empire, avons‑nous dit [151], ser­vent de marché pour la nation entière ; or, dans un marché et dans son voisinage, il y a toute espèce de denrées. Quand on demeure loin d’un lieu de marché, on ne trouve point de denrées. Si l’exis­tence de l’empire se prolonge, et si une suite de rois a régné dans la capitale, les habitudes de la vie sédentaire s’y fortifient beaucoup et y établissent d’une manière solide. Voyez l’empire des Juifs en Syrie [152]. Il dura près de mille quatre cents ans ; aussi ce peuple s’était‑il fa­çonné à la civilisation de la vie sédentaire ; il avait acquis une grande p.296 *252 habileté dans tous les arts qui font vivre, et montrait une entente parfaite dans leur emploi. Ce fut surtout dans ce qui regarde la nour­riture, l’habillement et les autres choses qui tiennent à l’économie domestique que les Juifs employaient une foule de procédés dont on leur a emprunté un grand nombre et dont on se sert encore jusqu’à ce jour. La civilisation et les usages de la vie sédentaire jetèrent de profondes racines en Syrie, sous la domination des Juifs, et ensuite sous celle des Roum (les Grecs et les Romains), qui régnèrent sur ce pays pendant six cents ans ; aussi cette civilisation s’y trouva portée à son plus haut degré. Il en fut de même chez les Coptes (les anciens Égyptiens) : leur empire dura dans le monde pendant trois mille ans, et donna aux usages de la vie sédentaire un établissement solide dans leur pays, l’Égypte. Leur autorité fut remplacée par celle des Grecs et des Romains, et ensuite par celle de l’islamisme, lequel était venu pour anéantir toutes les anciennes lois ; mais cette civilisation y per­sista sans interruption. Dans le Yémen, les usages de la vie séden­taire s’étaient profondément enracinés parce que les dynasties arabes y avaient régné pendant des milliers d’années, à partir des temps des Amalécites et des Tobba [153], lesquels eurent pour successeurs les Arabes de la tribu de Moder. Il en fut de même de la civilisation en Irac : elle y était bien établie, puisque les Nabatéens et les Perses y avaient régné, sans interruption, pendant des milliers d’années, à commencer par les Chaldéens, auxquels succédèrent les Caianiens, puis les Chosroès, et ensuite les Arabes ; aussi, ne trouvera‑t‑on pas, de nos jours, sur la surface de la terre, un peuple plus habitué à la civilisa­tion sédentaire que les habitants de la Syrie, de l’Irac et de l’Égypte. En Espagne, cette civilisation était encore bien établie parce que ce pays avait subi, pendant quelques milliers d’années [154], la domination des Goths et puis celle des Omeïades. Comme ces deux dynasties étaient très puissantes [155], les habitudes de la civilisation et de la vie p.297 sédentaire s’y sont maintenues sans interruption et y ont jeté de profondes racines. Passons au Maghreb et à l’Ifrîkiya.
Avant l’islamisme, aucun empire puissant n’existait en Ifrîkiya ; car les Romains et les Francs n’avaient fait que traverser la mer pour occuper, en ce pays, les provinces du littoral, et ne pouvaient compter sur l’obéissance des Berbers, peuple qui ne leur témoignait qu’un *253 semblant de soumission et qui était toujours à changer de place et à voyager. Les habitants du Maghreb n’eurent jamais dans leur voisinage un grand empire ; ils se bornèrent à envoyer aux Goths d’Espagne des déclarations d’obéissance. Lorsque Dieu eut donné l’islamisme au monde et que les Arabes eurent effectué la conquête de l’Ifrîkiya et du Maghreb, le royaume qu’ils y fondèrent n’eut pas une grande durée, puisqu’il ne s’y maintint que pendant les premiers temps de l’islamisme. A cette époque, ils étaient encore eux‑mêmes dans une des phases de la civilisation nomade, et ceux qui se fixèrent dans ces pays n’y trouvèrent rien d’une ancienne civilisation sédentaire qu’ils auraient pu emprunter. Les habitants étaient des Berbers tout à fait habitués à [156] la civilisation grossière de la vie nomade. Peu de temps après, sous le khalifat de Hicham, fils d’Abd el‑Melek, les Berbers du Maghreb el‑Acsa se soulevèrent à l’instigation de Meïcera el‑Mat­ghari [157], pour ne plus rentrer sous la domination arabe. Dès lors ils se gouvernèrent eux‑mêmes, et, bien qu’ils aient prêté le serment de fidélité à Idrîs, on ne peut pas regarder le royaume qu’ils fondèrent en ce temps‑là comme un empire arabe.
En effet ils administraient eux‑mêmes l’État, les Arabes n’y étant qu’en très petit nombre. Les Aghlebides et les Arabes qui étaient à leur service restèrent maîtres de l’Ifrîkiya, et possédèrent quelque teinture de la civilisation sédentaire, ce qu’ils devaient à l’influence du luxe et du bien‑être qui dérivent de l’exercice du pouvoir, et à la grandeur de la population qui remplissait la ville de Cairouan. Cette civilisation devint l’héritage des Ketama (partisans des Fatemides), p.298 et passa ensuite aux Sanhadja (Zîrides) ; mais elle fut tellement im­parfaite qu’elle subsista à peine quatre cents ans. Lors de la chute de l’empire sanhadjien, cette teinture de civilisation s’effaça, parce qu’elle était peu solide et que les Arabes hilaliens [158], peuple nomade, s’étaient emparés du pays et y avaient répandu la dévastation. On peut toutefois y reconnaître encore quelques traces, à peine percep­tibles, de la civilisation sédentaire ; elles existent dans les familles dont les aïeux avaient habité El‑Calâ [159], Cairouan [160] et El-Mehdiya [161].
Cela se voit dans leurs usages domestiques et dans leurs habitudes ; mais il y a un mélange de civilisation nomade qui n’échappe pas aux regards d’un habitant des villes. Il en est encore ainsi dans la plupart des villes de l’Ifrîkiya ; mais, dans celles du Maghreb, la civilisa­tion de la vie sédentaire existe à peine. En Ifrîkiya [162], le gouvernement monarchique s’était maintenu pendant un temps considérable dans les mains des Aghlebides, des Chîïtes (Fatemides) et des Sanhadja (Zîrides). L’Espagne, sous la dynastie des Almohades, communiqua au Maghreb une portion considérable de sa civilisation, ce qui permit aux usages de la vie sédentaire de prendre racine dans ce dernier pays. Cela eut lieu, parce que la dynastie qui gouvernait le Maghreb avait conquis les provinces de l’Espagne, et que beaucoup de monde avait quitté ce pays pour passer dans le Maghreb, soit de gré, soit p.299 de force. On sait quelle étendue l’empire des Almohades avait ac­quise à cette époque. La civilisation de la vie sédentaire prit alors, dans le Maghreb, une certaine consistance et s’y établit même d’une manière solide ; mais ce pays la devait en grande partie aux Espa­gnols. Lors de la grande émigration, quand une foule de musulmans quittèrent l’Espagne, à la suite des conquêtes faites par les chrétiens [163], ceux qui en avaient habité les provinces orientales passèrent en Ifrîkiya, où ils ont laissé des traces de leur civilisation. Cela se remar­que dans les grandes villes, et surtout à Tunis, où les usages espa­gnols se combinèrent avec la civilisation qui était venue de l’Égypte, et avec les coutumes introduites par les voyageurs. De cette manière l’Ifrîkiya et le Maghreb arrivèrent à un degré de civilisation très­ considérable, mais qui disparut plus tard, lors de la dépopulation [164] du pays. Tout progrès y fut désormais arrêté, pendant que, dans le Maghreb, les Berbers reprirent leurs anciens usages, et retombèrent dans la grossièreté de la vie nomade. Dans tous les cas, il reste plus de civilisation en Ifrîkiya que dans le Maghreb et dans les villes de cette contrée, et cela, parce que beaucoup plus de dynasties ont régné dans le premier pays que dans le second, et que les usages, en Ifrî­kiya, se rapprochent de ceux de l’Égypte, ce qui tient au grand nombre de voyageurs qui vont et viennent entre ces deux pays. Voilà le secret (de ces différences dans la civilisation), secret qui a échappé à tout le monde. Le lecteur saura maintenant que (dans la question que nous traitons) il y a plusieurs choses qui ont entre elles des rapports intimes, telles que l’état de l’empire en ce qui regarde sa force et sa faiblesse, le nombre de la population ou de la race domi­nante, la *255 grandeur de la capitale, l’aisance et les richesses du peuple. Ces rapports existent, parce que la dynastie et l’empire servent de forme à la nation et à la civilisation, et que tout ce qui se rattache à l’État, comme les sujets, les villes, etc. leur sert de matière. L’ar­gent qui provient des contributions retourne au peuple ; la richesse p.300 de la population dérive ordinairement des marchés et du commerce ; les dons et les richesses que le sultan verse sur quelques habitants de la ville se répandent parmi les autres et reviennent ensuite au prince pour être distribués de nouveau. Les impôts et la contribu­tion foncière (kharadj) leur enlèvent de l’argent ; mais le sultan, en le dépensant, le leur rend. La richesse du gouvernement fait celle des sujets, et plus les sujets sont riches et nombreux, plus le gouverne­ment a de l’argent. Or tout cela dépend du nombre plus ou moins grand de la population. Examinez et réfléchissez ; vous trouverez que cela est vrai. Dieu, que sa gloire soit exaltée ! est le seul juge dont au­cune autorité ne puisse contrôler les arrêts.

La civilisation de la vie sédentaire marque le plus haut degré du progrès auquel un peuple peut atteindre ; c’est le point culminant de l’existence de ce peuple, et le signe qui en annonce la décadence.
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Nous avons déjà exposé que la royauté et l’établissement des gou­vernements dynastiques est le terme [165] auquel s’arrête l’action de l’esprit de corps, que la civilisation née de la vie sédentaire est celui auquel aboutit la civilisation de la vie nomade, et que la vie nomade, la vie des villes, la royauté, le peuple [166], et tout ce qui marque dans la société humaine, ont un temps limité pour exister, à l’instar de chaque individu d’entre les êtres créés. Or la raison et l’histoire nous apprennent que, dans l’espace de quarante ans, les forces et la croissance de l’homme atteignent leur dernière limite, que la nature suspend alors son action pendant quelque temps, et *256 qu’ensuite la décadence commence. Il en est de même de la civili­sation dans la vie sédentaire ; elle est le terme au delà duquel il n’y plus de progrès. Un peuple qui se trouve dans l’aisance se porte na­turellement vers tous les usages de la vie sédentaire et s’y forme promptement. Or, dans ce mode d’existence, la civilisation consiste, comme on le sait, dans l’introduction de tous les genres de luxe, dans p.301 la recherche de ce qu’il y a de meilleur et dans l’empressement à cultiver les divers arts : ceux, par exemple, qu’on a inventés pour l’amélioration de la cuisine, des objets d’habillement, des édifices, des tapis, de la vaisselle et de toutes les autres choses qui figurent dans l’économie d’une maison. Pour arriver à un résultat satisfaisant dans chacune de ces parties, il faut le concours de plusieurs arts dont on n’a aucun besoin dans la vie nomade, et qui n’y sont nulle­ment recherchés. Quand on a porté jusqu’à la dernière limite de l’élé­gance tout ce qui se rattache à l’économie domestique, on cède à l’entraînement de ses passions, et les habitudes du luxe commu­niquent à l’âme une variété d’impressions [167] qui l’empêchent de se maintenir dans la voie de la religion et nuisent à son bonheur dans ce monde.
Ces habitudes, envisagées sous le point de vue religieux, détei­gnent sur l’âme et y laissent des taches qui s’enlèvent très difficile­ment ; envisagées sous le point de vue mondain, elles créent tant de besoins et imposent tant de charges que tout ce qu’on peut gagner (par le travail) ne suffit pas pour y satisfaire. Afin de rendre cela plus clair, nous ferons observer que, dans les grandes villes, la variété des arts qui naissent de la civilisation de la vie sédentaire entraîne les habitants dans de grandes dépenses [168]. Or le degré de cette civilisa­tion varie avec le nombre de la population : plus la population est grande, plus la civilisation est complète. D’ailleurs nous avons déjà dit que toute ville renfermant une nombreuse population se distingue par la cherté des denrées exposées dans ses marchés, et par le haut prix des objets qui servent aux besoins de la vie. Les droits imposés par le gouvernement sur ces marchandises contribuent à leur cherté. (Ces droits sont très considérables) car la civilisation n’atteint son en­tier développement qu’à l’époque où le gouvernement est parvenu à son plus haut degré de force, époque pendant laquelle l’administra­tion *257 établit toujours de (nouveaux) impôts, parce qu’elle fait alors de p.302 grandes dépenses, ainsi que nous l’avons démontré. Ces impôts ont pour effet d’augmenter le prix de tout ce qui se vend ; car les né­gociants et les boutiquiers, en fixant le prix de leurs denrées et marchandises, y tiennent compte de tous leurs déboursés, et y font entrer, de plus, les droits de marché et les frais de leur propre en­tretien. Cela augmente beaucoup le prix de tout ce qui est mis en vente, et oblige les habitants de la ville à dépenser beaucoup et à sortir des bornes de la modération pour se jeter dans la prodigalité. Ils ne sauraient faire autrement, parce qu’ils sont devenus les esclaves de leurs habitudes de luxe ; aussi dépensent‑ils tout ce qu’ils gagnent et se laissent‑ils entraîner, les uns à la suite des autres, dans la pau­vreté et dans la misère. Quand la plupart d’entre eux sont réduits à l’indigence, le nombre des acheteurs diminue, le commerce languit et la prospérité de la ville en souffre. Tout cela a pour cause la civi­lisation portée à l’extrême et un luxe qui dépasse toutes les bornes.
Voilà les causes qui nuisent, d’une manière générale, à une ville, parce qu’elles l’atteignent dans son commerce et dans sa population. Celles qui lui nuisent en agissant sur les individus sont, d’abord, la fatigue et l’ennui qu’ils éprouvent en tâchant de subvenir à des habi­tudes de luxe devenues pour eux des besoins, puis les diverses im­pressions démoralisantes que l’âme éprouve en cherchant à satisfaire aux exigences de ses habitudes vicieuses. Le mal que cela fait à la pureté de l’âme va toujours en croissant, parce que chaque atteinte [169] qu’elle reçoit est suivie d’une autre. Cela augmente dans ces individus la dépravation, la méchanceté, l’improbité et l’inclination à se servir de toute espèce de moyens, bons ou mauvais, afin de gagner leur vie. L’âme se détourne (de la vertu) pour réfléchir sur ces matières, pour se laisser absorber dans leur étude et pour combiner des ruses au moyen desquelles elle pourra accomplir ses desseins ; aussi voit‑on ces hommes se livrer effrontément au mensonge, à la tromperie, à la *258 fourberie, au vol, au parjure et à la fraude dans la vente de leurs p.303 marchandises. On remarquera aussi que leur grande habitude de sa­tisfaire à leurs passions et de goûter des plaisirs que le luxe a intro­duits les a rendus familiers avec tous les genres de vice et avec l’im­moralité dans toutes ses formes. Ils affichent ouvertement l’impudeur, et, jetant de côté toute honte, ils tiennent des discours immodestes, sans être retenus par la présence de leurs parents et de leurs femmes [170]. Il en est tout autrement dans la vie nomade, où le respect qu’on porte aux femmes empêche [171] de prononcer devant elles des paroles obscènes. On reconnaîtra aussi que ce sont là les gens les plus habiles dans l’emploi des ruses et des tours d’adresse, afin de se sous­traire au bras de la justice [172], quand elle est sur le point de les at­teindre, et afin d’éviter le châtiment qu’ils savent être dû à leurs mé­faits. Cela est même devenu une habitude et une seconde nature pour eux tous, à l’exception de quelques‑uns que Dieu a préservés du pé­ché. La ville regorge d’une population infime, d’une foule d’hommes aux inclinations viles, qui ont pour rivaux en turpitude des jeunes gens appartenant à de grandes maisons, des fils de famille abandonnés à eux‑mêmes, exclus par le gouvernement du nombre de ses serviteurs, et qui, malgré la noblesse de leur origine et la respectabilité de leurs familles [173], se sont laissé entraîner dans le vice par la fréquentation de la mauvaise compagnie. Cela se comprend quand on pense que le vice abaisse les hommes à un même niveau, et que, pour se dis­tinguer et se maintenir dans l’estime publique, on doit se faire re­marquer par son honorable caractère, travailler à croître en mé­rite et éviter tout ce qui est vil. Celui qui a contracté, n’importe de quelle manière, une forte teinture de dépravation et qui a perdu le sentiment de la vertu, a beau être membre d’une famille honorable et venir d’une noble race, cela ne lui sert de rien. Voilà pourquoi p.304 tant de personnes appartenant à des familles nobles, illustres et haut placées, se voient rejetées de la société, reléguées dans la foule et obligées, par suite de leurs mœurs corrompues et de leurs vices [174], à exercer les métiers les plus vils afin de se procurer les moyens de *259 vivre. Quand il y a beaucoup de ces gens‑là dans une ville ou dans une nation, c’est un signe par lequel Dieu annonce la chute et la ruine de ce peuple.
On comprendra maintenant la portée de ces paroles de Dieu : « Et lorsque nous voulûmes détruire une cité, nous adressâmes nos ordres à ceux qui y vivaient dans le luxe, et ils s’empressèrent d’y commettre des abominations ; ainsi se trouva justifiée notre sentence, et nous dé­truisîmes la ville de fond en comble ». (Coran, sour. XVII, vers. 17.) Voici comment la démoralisation arrive : quand on ne gagne pas de quoi subvenir à ses besoins, satisfaire aux nombreuses habitudes que l’on s’est faites et entretenir l’ardeur avec laquelle l’âme recherche les jouissances, les fortunes se dérangent, et, quand cela arrive suc­cessivement à beaucoup d’individus dans la ville, tout s’y désorganise et tombe en ruine. C’est là l’idée qu’un homme d’un esprit supérieur a voulu exprimer par ces paroles : « La ville dans laquelle on plante beau­coup de citronniers reçoit ainsi l’avertissement de sa ruine prochaine. » Aussi beaucoup de personnes appartenant aux classes inférieures évitent de planter des citronniers dans les cours de leurs maisons. [Elles croient que cela porte malheur.] [175] Mais ce n’est pas la pensée qu’on voulait exprimer, car il n’y a aucun mauvais augure à tirer d’un citronnier ; on a seulement voulu dire que la création de jardins, et leur embellissement au moyen d’eaux courantes, sont une suite de la civilisation née dans la vie sédentaire. Or le citronnier, le limonier, le cyprès, etc. sont des arbres dont les fruits ne renferment aucun principe nutritif et ne sont bons à rien. C’est à cause de l’aspect de ces arbres qu’on les plante dans les jardins, et cela ne se pratique que p.305 sous l’influence d’une civilisation poussée à l’extrême ; on ne le fait pas avant que tous les genres de luxe se soient développés, et c’est là précisément l’époque à laquelle on a raison de craindre la des­truction de la ville et sa ruine. Le laurier‑rose, dont on dit la même chose, rentre encore dans cette catégorie ; on ne le plante dans les jardins qu’à cause de ses belles. fleurs rouges ou blanches, et cela est aussi une pratique introduite par le luxe.
Une autre cause de la corruption des mœurs dans la civilisation *260 sédentaire, c’est l’empressement avec lequel, quand le luxe est très  grand, on lâche la bride à ses passions, afin de se plonger dans la débauche. Alors on invente, pour la satisfaction de l’estomac, les mets les plus savoureux [, les boissons les plus agréables [176]]. On varie ensuite les manières de flatter les appétits charnels : la fornication s’intro­duit ainsi que la pédérastie, vices dont l’un mène indirectement et l’autre directement à l’extinction de l’espèce. La fornication a une in­fluence indirecte par l’incertitude qui en résulte au sujet de la filia­tion des enfants [177] ; car personne ne voudra reconnaître pour son fils un enfant qui ne sera probablement pas le sien [178], vu que la semence de plusieurs a pu se réunir dans la même matrice. En ce cas, les pères, ne ressentant plus l’affection naturelle qui les fait aimer leurs enfants, refusent de les élever ; les enfants meurent faute de soin, d’où résulte un obstacle à la propagation de l’espèce. La pédérastie, cause qui y contribue directement, a pour résultat l’interruption com­plète de la propagation. Elle est encore plus nuisible que la fornica­tion, parce qu’elle mène à la non‑existence de l’espèce, tandis que la fornication ne mène qu’à la non‑existence des moyens qui entretien­nent l’espèce. Ce fut d’après ces considérations que l’imam Malek énonça, au sujet de la pédérastie, une opinion beaucoup plus expli­cite que celle des (trois) autres imams [179], et montra ainsi qu’il p.306 comprenait beaucoup mieux que ceux‑ci le but de chaque prescription de la loi divine, et que ces prescriptions ont toujours pour objet le bien général.
Le lecteur qui aura compris et apprécié ce que nous venons d’ex­poser reconnaîtra que la civilisation c’est la vie sédentaire et le luxe, qu’elle indique le dernier terme du progrès de la société, et que, dès lors, la nation commence à rétrograder, à se corrompre et à tomber dans la décrépitude, ainsi que cela a lieu pour la vie naturelle des animaux. Nous dirons même que le caractère des hommes, formé sous l’influence de la vie sédentaire et du luxe, est, en lui­même, le mal personnifié. L’homme n’est pas homme, à moins de pouvoir se procurer, par ses propres moyens, ce qui lui sera utile, et de pouvoir écarter ce qui pourrait lui être nuisible ; c’est pour tra­vailler dans ce but qu’il a reçu une organisation si parfaite. Or le citadin est incapable de pourvoir lui-même à ses propres besoins ; la paresse, dont il a contracté l’habitude en vivant dans l’aisance, l’en empêche, ou bien c’est la fierté qui résulte d’une éducation faite *261 au sein du bien‑être et du luxe. Or cette paresse et cette fierté sont également blâmables. Les habitants des villes, dont la jeunesse s’est passée sous le contrôle de précepteurs chargés de les enseigner et de les châtier, et qui vivent ensuite dans le luxe, perdent tout leur cou­rage, n’ont plus assez d’énergie pour se défendre contre ceux qui leur font du mal, et deviennent une charge pour le gouvernement, qui est obligé de les protéger. Cette disposition leur est encore nuisible sous le point de vue religieux, à cause de la teinture du mal que les mau­vaises habitudes dont ils sont les esclaves ont communiquée à leurs âmes. C’est là un principe que nous avons déjà établi et qui admet bien peu d’exceptions. Or, lorsqu’un homme a perdu la force d’agir ainsi que ses bonnes qualités et sa piété, il a perdu son caractère p.307 d’homme et tombe au niveau des bêtes [180]. Quand on envisage la ci­vilisation sous ce point de vue, on comprend pourquoi cette portion des troupes du sultan qui ont été élevées dans les habitudes dures et âpres de la vie nomade est plus effective et plus utile que celle dont les hommes ont passé leur vie au milieu des usages de la civi­lisation sédentaire. Cela se remarque dans tous les empires. Il est donc évident que cette civilisation marque le point d’arrêt dans la vie ascendante d’un peuple [181] ou d’un empire. Dieu est l’unique, le puissant.

Toute ville qui est le siège d’un empire [182] tombe en ruine
lors de la chute de cet empire.
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Dans nos recherches sur la civilisation, nous sommes arrivé à la conclusion [183] que le déclin et la chute d’un empire détruisent la pros­périté de la ville qui lui servait de capitale, et que, si la ruine de la ville n’en résulte pas immédiatement, elle ne tardera pas à arriver. Plusieurs choses contribuent à produire cet effet. 1° Quand [184] une dynastie vient de se fonder, les mœurs frugales de la vie nomade, qu’elle a nécessairement conservées, l’empêchent de mettre la main sur les richesses de ses sujets et la tiennent éloignée du faste et *262 de l’ostentation. L’influence de ces mœurs la porte à diminuer les charges et les impôts qui pèsent sur le peuple et qui servent à payer les frais [185] du gouvernement. Pour cette raison, la nouvelle admi­nistration fait peu de dépenses et s’abstient du luxe. L’absence du luxe chez la nouvelle dynastie fait diminuer celui qui existait chez les habitants de la ville que cette famille vient de choisir pour être le siège de son empire : on sait que les sujets suivent toujours l’exemple donné par le souverain, qu’ils se conforment au caractère de leurs gouvernements, soit de gré, soit de force. Dans le premier cas, ils se laissent porter à la modération par ce sentiment naturel p.308 qui dispose les hommes à imiter les mœurs de celui qui les tient sous ses ordres. Dans le second, ils se laissent enlever, jusqu’à un cer­tain degré, les habitudes de la vie sédentaire ; car il est dans le carac­tère du nouveau gouvernement d’éviter toute espèce de luxe ; cela réduit à peu de chose les profits (que l’on peut retirer des dépenses faites par le souverain), profits qui sont l’aliment du luxe. Il en ré­sulte que la prospérité de la ville ne se maintient plus et que les habi­tudes du luxe subissent une notable diminution. C’est encore là l’idée que nous avons déjà énoncée en traitant des causes qui amènent la ruine des grandes villes. 2° Une dynastie parvient à la souveraineté et à la domination par la voie de la conquête ; mais, avant cela, elle a dû déployer de l’inimitié (contre une autre dynastie) et (lui) faire la guerre. Or l’inimitié qui règne entre deux dynasties porte les sujets de l’une à détester ceux de l’autre ; les habitudes (du luxe) sont plus fortes, et le bien‑être, dans toutes ses formes, est plus grand chez l’un [186] de ces peuples que chez l’autre ; mais la victoire de celui-ci fait disparaître (la puissance de) son adversaire, et, dès lors, les usages de l’ancien empire paraissent détestables, odieux et exécrables à la nouvelle dynastie. Les choses du luxe, surtout, le révoltent, et le peuple vainqueur n’en adopte pas l’usage, parce que son gouverne­ment l’improuve. Cela dure jusqu’à ce que la dynastie du vainqueur acquière graduellement quelques habitudes du luxe, habitudes d’un autre genre, et pose ainsi la base d’une nouvelle civilisation séden­taire. Pendant cet intervalle, la civilisation de l’ancien peuple décroît et tend à disparaître. Voilà encore comment la prospérité d’une ville *263 décline. 3° Chaque peuple a nécessairement un pays dont il est ori­ginaire et où il a commencé l’établissement de son empire. Le pays dont il s’empare ensuite devient une dépendance de celui qui était le berceau de sa puissance, et les villes conquises se trouvent placées à la suite de celles que les vainqueurs possédaient déjà. Le royaume a pris alors une telle extension que le gouvernement se voit obligé p.309 d’établir le siège de son autorité au milieu de ses provinces, car une capitale doit être un centre dont les provinces forment la circonférence. La nouvelle capitale, bien qu’elle soit éloignée de l’ancienne, devient un point d’attraction pour tous les cœurs, parce qu’elle est le siège de l’empire et la demeure du sultan ; aussi reçoit‑elle une nombreuse population, au détriment surtout de l’ancienne capitale du royaume. Or, dans une grande ville, la civilisation de la vie sédentaire est en rapport direct avec le nombre de la population. C’est là un principe que nous avons déjà démontré. Donc l’ancienne capitale voit dimi­nuer sa prospérité et se trouve privée de plusieurs conditions essen­tielles à l’existence de la civilisation. Voilà encore une cause de ruine pour la capitale d’un empire. C’est là ce qui est arrivé pour Baghdad, quand le gouvernement seldjoukide transporta le siège de son empire de cette ville à Ispahan. La ville d’El‑Medaïn éprouva le même sort quand les Arabes l’abandonnèrent pour s’installer dans les villes de Koufa et de Basra. Damas perdit sa prospérité quand les Abbacides la quittèrent pour aller s’établir à Baghdad. La ville de Maroc tomba en décadence quand les Mérinides du Maghreb s’en éloignèrent pour se fixer à Fez. En somme, l’adoption d’une nouvelle capitale par un gouvernement amène la ruine de l’ancienne. 4° Chaque nou­velle dynastie, se trouvant obligée de traiter durement les serviteurs et les partisans de la dynastie déchue, les transporte ailleurs, afin de se garantir contre leurs tentatives perfides. Or la majeure partie de la population, dans la capitale (de l’empire conquis), se compose d’amis de l’ancienne dynastie, de membres de la classe guerrière qui était venue s’y établir lors de la fondation de cet empire, et de la classe des notables. L’ancien gouvernement avait toujours entretenu avec ceux‑ci des relations [187] plus ou moins directes, selon leur rang et la classe qu’ils occupaient dans la société. On peut même dire que la plupart d’entre eux avaient grandi à l’ombre de l’ancienne dynastie. Pour cette raison, ils lui sont très dévoués p.310 *264 et, s’ils ne peuvent pas l’aider par la force des armes, ils la favori­sent, l’aiment et lui restent attachés. Or le nouveau gouvernement, étant naturellement porté à effacer toute trace de celui qui l’a pré­cédé, transporte cette population insoumise dans le pays d’où elle était sortie, pourvu qu’il ait réduit ce pays sous son autorité. Il y en­voie les uns comme prisonniers ou comme exilés, et persuade aux autres d’y chercher une retraite honorable, employant ainsi les moyens de douceur pour ne pas les indisposer tout à fait. A la fin, il ne reste plus, dans la capitale, que de petits négociants et des gens peu con­sidérés : des cultivateurs, des vagabonds et du bas peuple. Pour rem­plir le vide que ces exilés ont laissé, le gouvernement installe à leur place une partie de [188] ses troupes et de ses partisans. Or, quand une ville se trouve abandonnée par les notables des diverses classes, elle subit une grave atteinte dans le nombre de sa population, ou, en d’autres termes, elle perd beaucoup de sa prospérité. Le nouveau gouvernement se voit donc obligé de la repeupler [189] en y établissant ses protégés. La vie sédentaire développe alors chez ceux‑ci une nou­velle civilisation qui fait plus ou moins de progrès, selon que l’em­pire est plus ou moins fort. On peut assimiler ce procédé à celui de l’homme qui, étant devenu propriétaire d’une maison délabrée, dont la distribution et les dépendances ne répondent pas à ses be­soins, change cette distribution et restaure la maison de la manière qu’il l’entend et qui lui convient le mieux ; un tel édifice tombe promptement en ruine et doit être reconstruit : Voilà ce qui a eu lieu, au vu et au su de tout le monde, pour plusieurs villes qui ont servi de capitale à des empires. Dieu est le régulateur des nuits et des jours.
En somme, la cause première et naturelle de ce phénomène est celle‑ci : la dynastie et l’empire sont pour la population (et pour la p.311 prospérité de la capitale) ce que la forme est pour la matière, c’est‑à­-dire la figure qui, par sa spécialité, en maintient l’existence. Or, dans les sciences philosophiques, c’est un principe reçu que la forme et la matière ne sauraient être isolées l’une de l’autre ; donc, on ne peut concevoir un empire sans population, ni trouver facilement une *265 population qui ne soit pas en connexion avec une dynastie ou un empire. La cause de cette liaison existe dans la nature même des hommes : leur hostilité mutuelle [190] amène nécessairement l’institution d’un modérateur, et, pour que celui-ci puisse agir, on doit adopter un système d’administration fondé, soit sur la loi divine, soit sur la loi humaine [191] : c’est en cela que consiste (le gouvernement ou) l’em­pire. Or, puisque le gouvernement et le peuple sont unis inséparable­ment, tout ce qui porte atteinte à l’un réagit sur l’autre, et si l’un cessait d’exister, l’autre disparaîtrait aussi. Les atteintes qui ont les suites les plus graves sont celles qui frappent une dynastie, comme cela a eu lieu pour les Perses, les Romains et les Arabes en général, tant sous des Omeïades que sous des Abbacides. Les atteintes subies par un empire, dans la période d’un seul règne, tel que celui d’Anou-­chrewan, d’Héraclius, d’Abd el‑Mélek Ibn Merouan et d’Er‑Rechîd, (étaient moins dangereuses pour les dynasties de ces princes) : les individus, se succédant régulièrement dans le gouvernement du peu­ple, travaillaient à maintenir l’existence et la durée de la population et ressemblaient beaucoup les uns aux autres (dans leur conduite po­litique). Les malheurs (d’un seul règne) ne nuisent que peu à la prospérité de l’État, car le véritable empire, celui qui agit sur la ma­tière de la population, vit par son esprit de corps et par les forces dent elle peut disposer ; or cet esprit et ces forces persistent sous le règne de chaque souverain individuel de la dynastie. Si l’esprit de corps vient à s’éteindre ou se laisse chasser par un autre qui, en exer­çant son influence sur la population, fasse disparaître les forces de la p.312 dynastie précédente, l’atteinte portée à la prospérité de la nation sera très grave, ainsi que nous l’avons déjà énoncé. Dieu fait ce qu’il veut ; s’il voulait, il vous ferait disparaître et produirait une nouvelle créa­tion pour vous remplacer ; cela ne serait pas difficile à Dieu. (Coran, sour. XIV, vers. 22.)

Certaines villes se distinguent par la culture de certains arts.
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Il est évident que les occupations manuelles auxquelles on se livre dans les villes provoquent [192] la naissance d’autres métiers ; cela dé­coule du principe que les hommes établis en société sont naturelle­ment portés à s’aider les uns les autres. Une partie seulement des *266 habitants s’adonnent aux occupations qui naissent de cette manière s’étant chargés de les exécuter, ils acquièrent de l’habileté par la pra­tique de l’art dont ils se sont fait une spécialité. Le besoin de [193] ces arts et leur nécessité s’étant fait généralement sentir, ceux qui les cul­tivent y trouvent un moyen de vivre et en retirent même un profit. Tout art dont l’exercice n’est pas réclamé dans une ville reste complètement négligé ; la personne qui voudrait le pratiquer n’en retirerait pas assez pour être tentée de s’en faire un métier. Les arts enfantés par les besoins de la vie existent dans toutes les villes : on y trouve des tailleurs, des forgerons, des menuisiers, etc. mais ceux qui doi­vent leur naissance aux exigences du luxe et aux usages qu’il a in­troduits ne se pratiquent que dans les villes renfermant une popula­tion nombreuse, qui s’est déjà formée aux habitudes du luxe et de la civilisation sédentaire. Là seulement se trouvent des verriers, des bijoutiers, des parfumeurs, des cuisiniers, des chaudronniers, des fabricants de moût, de herîça [194], de brocart, et d’autres objets, dont la diversité est très grande, Tant que les habitudes de la vie sédentaire augmentent dans une ville et que les exigences du luxe deviennent plus impérieuses, de nouveaux arts, inconnus ailleurs, s’élèvent pour p.313 y satisfaire. Dans cette catégorie nous pourrons ranger les bains de vapeur ; ils se trouvent seulement dans les villes qui sont grandes et bien peuplées, parce que la sensualité qui dérive du luxe et des ri­chesses en a réclamé l’établissement. Voilà aussi pourquoi on ne les trouve pas dans les villes de moyenne grandeur, et, si quelque prince ou émir se charge d’y faire construire et monter une salle de bains, cet établissement ne tarde pas à être abandonné et à tomber en ruine. Cela arrive parce que la majorité des habitants n’en sent pas le besoin et que les personnes chargées de tenir ces établissements abandonnent leur poste, parce qu’ils n’en retirent pas assez de profit pour pouvoir subvenir à leur existence. Dieu borne ou étend ses faveurs à son gré. (Coran, sour. II, vers. 246.) *267

L’esprit de corps peut exister dans les villes ; quelques‑uns d’entre les habitants dominent alors sur le reste.
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Il existe évidemment dans la nature de l’espèce humaine une dis­position qui porte les hommes à s’attacher les uns aux autres et à se réunir en corps, quand même ils n’appartiendraient pas à la même famille. Cet attachement est pourtant moins fort que la liaison de parenté, ainsi que nous l’avons déjà dit, et l’esprit de corps qui en résulte produit seulement une partie des effets auxquels donne lieu l’esprit de corps fondé sur les liens du sang. Dans une ville, la plupart des habitants se trouvent liés ensemble par des mariages, ce qui amène l’incorporation des familles les unes dans les autres et l’éta­blissement des liens de parenté entre elles ; aussi trouve‑t‑on chez les citadins les mêmes sentiments d’amitié et de haine qui existent dans les peuplades et dans les tribus, sentiments qui les portent à se séparer en bandes et à former des partis. Quand l’empire (auquel ces villes appartiennent) est tombé en décadence et qu’il cesse d’agir avec autorité dans les provinces éloignées de la capitale, les habitants des villes situées dans ces contrées sentent le besoin d’un gouver­nement capable de les diriger et de les protéger. Ils ont alors recours à l’établissement d’un conseil administratif, ce qui pose aussitôt une p.314 ligne de démarcation entre les hommes de haut rang et ceux des classes inférieures. Or toutes les âmes sont naturellement portées à dominer et à commander ; aussi, quand les membres du conseil voient leur ville tout à fait en dehors [195] de l’autorité du sultan et de la puis­sance de l’empire, il n’y a pas un d’entre eux qui ne cherche à s’em­parer du pouvoir. Dans la lutte qui s’ensuit, chacun d’eux s’appuie sur un corps de partisans composé de ses clients, de ses amis et de ses affidés ; il prodigue même son argent aux hommes du peuple, afin de les rallier à sa cause. Celui d’entre ces chefs qui parvient à vaincre ses rivaux les poursuit et les harcèle jusqu’à ce qu’il les ait tués ou expulsés de la ville [196]. Après leur avoir brisé les forces et rogné *268 les ongles, il s’attribue l’autorité suprême et croit avoir fondé un royaume qu’il pourra transmettre à ses enfants. Dès lors les mêmes accidents se déclarent dans ce petit État comme dans les grands empires : une période de prospérité en amène une autre de décadence Quelquefois l’usurpateur adopte les allures d’un grand souverain, d’un roi qui aurait sous ses ordres une foule de tribus et de peuples, qui s’appuierait sur des partis très puissants, qui ferait des campa­gnes, soutiendrait des guerres et régnerait sur des provinces et des royaumes. Il s’assied sur un trône, assume les insignes de la souve­raineté et parcourt, avec un grand cortège, les environs de sa ville ; il se sert d’un sceau et exige qu’on lui donne le titre de monseigneur [197], se conduisant ainsi de manière à faire rire tous ceux qui savent combien il a peu de droit aux marques d’honneur dont il s’entoure. Jamais on ne se laisse porter à ces extravagances qu’au moment où l’autorité de l’empire est devenue très restreinte et que plusieurs familles (de la ville), se trouvant unies par les liens de la parenté, forment un parti imposant. Quelques‑uns de ces chefs s’abstiennent toutefois de ces démonstrations et vivent dans une honnête simplicité afin de ne pas s’exposer à la dérision et au ridicule. De pareilles usurpations ont eu p.315 lieu de nos jours, sous la dynastie des Hafsides. Dans le Djerîd, les habitants de Tripoli, de Cabes, de Touzer, de Nefta et de Cafsa, ceux de Biskera, du Zab et des lieux voisins, aspirèrent à l’indépendance quand l’autorité de l’empire eut cessé, depuis plusieurs dizaines d’an­nées, de se faire sentir chez eux. Leurs chefs s’emparèrent alors du commandement des villes, et se chargèrent de l’autorité administrative et de la perception des impôts, au détriment du gouvernement cen­tral. Ces usurpateurs montraient toutefois à la dynastie un semblant d’obéissance, une apparence de soumission ; ils lui prodiguaient de belles promesses, des témoignages de respect et des assurances de dé­vouement, mais ils étaient bien loin d’être sincères. Leurs descen­dants ont hérité du pouvoir et le conservent jusqu’à présent ; ceux qui commandent maintenant dans ces pays laissent même percer la fierté et l’esprit de domination qui se font remarquer dans les princes *269 descendus de puissants souverains, et, malgré le peu de temps qu’ils sont sortis des rangs du peuple, ils se posent en sultans[198]. La même chose arriva quand l’empire sanhadjien (celui des Zîrides) tira vers sa fin ; les chefs des villes du Djerîd méconnurent l’autorité du gou­vernement et gardèrent leur indépendance jusqu’à ce qu’Abd el-­Moumen Ibn Ali, cheïkh et roi des Almohades, les détrônât tous, les déportât en Maghreb et effaçât toutes les traces de leur domina­tion. Nous raconterons cela dans l’histoire de ce souverain [199]. Un mouvement semblable eut lieu à Ceuta quand la dynastie d’Abd el-Moumen fut sur le point de succomber. Ces usurpateurs appar­tiennent ordinairement aux grandes et puissantes familles qui four­nissent à la ville le chef et les autres membres du conseil munici­pal ; mais on voit quelquefois un individu de la classe la plus infinie s’emparer du pouvoir ; ce qui a lieu quand le destin lui fournit l’occa­sion de se former un parti dans la populace. Il renverse alors p.316 l’autorité des chefs et des grands, parce qu’ils n’ont plus personne pour les soutenir. Dieu dirige tout à son gré. (Coran, sour. XII, vers. 21.)

Sur les dialectes (arabes) parlés dans les villes.
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Dans chaque ville, le dialecte des habitants appartient à la langue du peuple ou de la race [200] qui a conquis cette ville ou qui l’a fondée [201]. Voilà pourquoi [202] les idiomes de toutes les villes musulmanes de l’Orient étaient arabes, ainsi que le sont ceux des villes de l’Occi­dent, même de nos jours. Il est vrai que la faculté de parler la langue usitée parmi les Arabes descendus de Moder (et qui fut l’arabe le plus pur) s’est perdue, et que les inflexions grammaticales de cette langue ont éprouvé de graves altérations. Cela (c’est‑à‑dire l’emploi de dia­lectes arabes dans les villes) eut pour cause l’ascendant acquis par l’empire musulman en subjuguant les autres peuples. Or la religion et la loi (musulmanes) peuvent être regardées comme une forme *270 qui a pour matière l’existence (de la nation) et de l’empire même [203]. Mais la forme est antérieure à la matière, et (celle dont nous parlons, c’est‑à‑dire) la religion provient de la loi divine. Cette loi est écrite dans le langage des Arabes, parce que notre Prophète était lui-même Arabe [204]. Cela eut pour conséquence inévitable l’aban­don des autres langues parlées par les habitants des royaumes con­quis par les musulmans. Voyez Omar ; il défendit de se servir de (ce qu’il appelait les) jargons étrangers. « C’est du khibb », disait‑il, c’est‑à‑dire de l’artifice et de la tromperie. Donc l’islamisme repoussa les idiomes étrangers, et, comme la langue arabe était celle du peuple qui avait établi l’empire musulman, on abandonna l’usage de tous ces idiomes dans les pays conquis, car chaque peuple imite l’exemple et suit la religion de son souverain. Cela eut pour résultat qu’une p.317 des marques de l’islamisme et de la domination des Arabes fut l’em­ploi de leur langue.
Dans les villes et les royaumes (conquis), les peuples renoncèrent à leurs dialectes et à leurs idiomes pour adopter la langue arabe, de sorte que, dans chaque ville et dans chaque cité, il s’établit un dialecte arabe et que les autres idiomes y étaient comme des intrus et des étrangers. La langue arabe se corrompit ensuite par un mélange de ces idiomes ; elle subit des altérations dans une partie de ses règles et dans ses inflexions grammaticales, mais elle se maintint toujours, et conserva toutes les indications de son origine. Dans les villes musulmanes on désigne cette langue par l’appellation de haderite [205]. Ajoutons que, de nos jours, la majeure partie des habitants de ces villes descendent d’Arabes qui, étant supérieurs en nombre aux peuples de race non arabe qui y habitaient, en avaient fait la conquête, avaient hérité des maisons et des terres des vaincus et s’y étaient laissé corrompre par le luxe. Or les langues se transmettent comme des héritages, et celle dont se servent les descendants des conquérants correspond toujours à l’idiome de leurs ancêtres, bien qu’elle se soit graduellement cor­rompue par suite de leur communication avec des étrangers. On a nommé ce dialecte haderite, parce qu’il est employé par les habitants des hadera (c’est‑à‑dire des demeures fixes) et des villes, et aussi pour le *271 distinguer de celui des Arabes bédouins, dialecte qui a beaucoup mieux conservé la pureté de la langue arabe [206]. Quand les peuples de race étrangère, tels que les Deïlem, et ensuite les Seldjoukides, se furent rendus maîtres de l’Orient, et que d’autres peuples non arabes, les Zenata et les Berbers, s’emparèrent du pouvoir en Occident, tous les royaumes de l’islamisme se trouvèrent sous la domination des étran­gers. Cela corrompit tellement la langue arabe qu’elle aurait disparu tout à fait si les musulmans n’avaient pas travaillé à sa conservation par le zèle qu’ils mirent à garder soigneusement, dans leur mé­moire, le texte du Coran et celui des traditions relatives au Prophète. Ils eurent ce soin parce que la religion a pour bases ces deux livres [207]. Cela contribua à maintenir le caractère arabe de la langue hadera, parlée dans les villes, et à lui donner la prépondérance. Mais, lorsque les Tartars et les Mongols, peuples qui ne professaient pas l’isla­misme, se furent emparés de l’Orient, la langue arabe s’y gâta tout à fait, parce que la cause de sa prépondérance n’existait plus. Elle disparut entièrement des provinces musulmanes de l’Irac, du Kho­raçan, du Fars, de l’Inde, du Sind, de la Transoxiane, des pays du Nord et de l’Asie Mineure. Les deux formes qu’elle assume, la poésie et la prose, ne s’y emploient plus, excepté dans quelques rares oc­casions ; l’enseignement de cette langue y est devenu un art basé sur des règles scolaires, et formant une des branches des sciences propres aux Arabes. Celui-là seul que Dieu aura favorisé en lui faci­litant les moyens de s’instruire possède la connaissance de cette langue. Le dialecte arabe haderite s’est conservé jusqu’à un certain degré en Égypte, en Syrie, en Espagne et dans le Maghreb, parce que le maintien de la religion l’exigeait ; mais, dans les provinces de l’Irac et dans les pays d’au-delà, il n’en reste pas la moindre trace. C’en est au point que les livres scientifiques ne s’y écrivent qu’en persan, et que c’est au moyen de cette langue qu’on enseigne l’arabe dans les cours publics. [Que Dieu répande ses bénédictions sur notre seigneur Mohammed [208], sur sa famille et sur ses compagnons ; qu’il *272 verse ses faveurs sur eux en abondance et pour toujours, jusqu’au jour de la rétribution ! Louange à Dieu, le maître de toutes les créa­tures ! Fin de la quatrième section du premier livre ; suit la cinquième section, traitant des moyens qu’on emploie pour se procurer la sub­sistance.]





[1] Abou Bekr Ahmed El‑Khatîb, natif de Baghdad, composa un dictionnaire biographique des hommes marquants de cette ville et mourut l’an 463 (1071 de J. C.). Sa vie se trouve dans le Biographical dictionary d’Ibn Khallikan, vol. I, p. 75.
[2] Lisez ﻥﻜﻴ ﻡﻠ ﻥﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[3] Pour ﺭﻋﺬﻨﻳ , lisez ّﺭﻋﺬﺒﻴ .
[4] Voyez la première partie, p. 320, note 5.
[5] Après ﺔﻜﻮﺷ , insérez ﺔﻜﻮﺸﻠﺍ ﻥﻻ .
[6] Pour ﻥﺪﻣﻟﺍ ﻰﻔ , lisez ﻥﺪﻣﻟﺍ ﻥﺍ ﻰﻔ  .
[7] Ce  chapitre et le suivant ont été pu­bliés par M. de Sacy, dans son Abdallatif, p. 562 et suiv. Il en a donné la traduction dans le même ouvrage, p. 518 et suiv. J’ai adopté cette traduction, en y faisant quelques modifications.
[8] Pour ﺎﻣﻨﺍ , lisez ﺪﻘﻮ .
[9] Voyez la première partie, p. 359.
[10] Nos dictionnaires assignent au mot ﻢﺍﺪﻨﻫ , la signification de symétrie, mais il est employé par notre auteur pour dési­gner une machine quelconque. Dans son Histoire des Berbers, texte arabe, page ۲۷۲, avant‑dernière ligne, il se sert du terme ﻁﻔﻨﻠﺍ ﻢﺍﺪﻨﻫ « machine à naphte » pour désigner une pièce de canon. On sait que les Arabes employèrent pendant quelque temps le mot ﻁﻔﻨ pour désigner la poudre à canon.
[11] Le texte imprimé porte ﻞﺍﺟﻨﻣ , mais la vraie leçon me paraît être ﻞﺍﺧﻴﻣ (mikhal), une altération du mot μηχανή.
[12] Pour la description du portique de Chosroès (Eïouan Kisra), dont les ruines se voient encore à Medaïn, on peut con­sulter le Voyage en Perse de Morier.
[13] La Moallaca « suspendue », ou, selon la prononciation actuelle, la Malga, est un village bâti sur les voûtes qui recouvrent les anciennes citernes de Carthage.
[14] Pour ﺪﻬﺸﻴ ﺎﻣﺒ , lisez ﺪﻬﺸﻴ ﺎﻣ .
[15] Telles étaient les fortifications d’El‑Mehdiya et les grands bassins dont le géo­graphe El‑Bekri fait mention, et qui se voient encore dans le voisinage de Cai­rouan.
[16] Ce minaret est encore debout. Il est situé à environ sept lieues au N. E. d’El­-Mecîla.
[17] Cette ville est située sur la rive gauche du Bou Regreb, vis‑à‑vis de Salé. Ses anciennes fortifications sont encore debout.
[18] L’enceinte de la Mansoura est située à environ deux kilomètres O. de Tlemcen. Elle servait à renfermer la ville que le sul­tan mérinide Youçof Ibn Yacoub y avait fait construire l’an 1299, et où il se tenait pendant que son armée bloquait la ville de Tlemcen. (Voyez l’Histoire des Berbers, t. III, p. 375, 378.) Le sultan mérinide Abou ’l-Hacen prit Tlemcen d’assaut l’an 1337. D’après l’indication fournie par notre auteur, nous devons croire que ce prince bâtit le grand minaret qui forme encore un des monuments les plus remar­quables de la Mansoura.
[19] Voy. 1e partie, page 359.
[20] L’édition de Boulac porte ﻞﻮﺪﻟﺍ ﺮﺎﺜﺍ ﻥﺍ, ce qui est effectivement la bonne leçon. (Voyez le texte arabe de la pre­mière partie, page ۳۱۷ , au titre du cha­pitre.)
[21] Littéral. « à un seul empire ».
[22] Pour l’histoire de la digue de Mareb, on peut consulter le premier volume de l’Essai, etc. de M. Caussin de Perceval.
[23] Voici le passage d’El‑Bekri : « Les ha­bitants racontent que leur territoire s’était distingué par la salubrité de son air, jus­qu’à ce qu’on y eût découvert un talisman sous lequel on croyait trouver un trésor. On fit des fouilles à cet endroit, et l’on re­tira de l’excavation une terre poudreuse. Ce fut alors, disent‑ils, que la peste éclata chez nous pour la première fois ». (Des­cription de 1’Afrique septentrionale, page 46 du tirage à part. [css : cf. Gallica, Description, page 43]) On voit qu’Ibn Khal­doun a cité ce passage de mémoire, en y ajoutant un trait tiré des Mille et une Nuits, et qu’il a censuré El‑Bekri injus­tement. En effet, celui-ci ne rapporte l’his­toire que comme un on dit.
[24] Après ﻒﺸﻛﻳ , insérez ﻙﻠ .
[25] Le mot ﻚﻠﺫ est de trop.
[26] La Ville‑Neuve (El‑Beled el‑Djedîd) est bâtie sur la rivière de Fez, à la distance d’environ quinze cents mètres de l’ancienne ville, du côté du sud‑ouest. Elle fut fondée, l’an 1276 de notre ère, par le sultan mé­rinide Abou Youçof Yacoub. (Voyez Histoire des Berbers, t. IV, p. 84.)
[27] Ce passage ne se trouve pas dans l’é­dition de Boulac ni dans les manuscrits C et D.
[28] Ce fut en l’an 781 (1379 de J. C.) que le sultan hafside, Abou ’l-Abbas II, fils de l’émir Abou Abd Allah, et petit‑fils du sultan Abou Yahya Abou Bekr, assiégea la ville de Cabès. « Il commença ses opé­rations, dit Ibn Khaldoun dans son Histoire des Berbers, t. III, p. 113, par dé­vaster les environs de la ville et occuper les positions qui devaient en faciliter l’at­taque. Les forêts de dattiers furent abat­tues par son ordre, de sorte qu’un vaste territoire, que recouvrait un bois épais, fut mis entièrement à nu. Il en résulta que l’air y circula librement, et qu’une loca­lité rendue malsaine par l’ombrage épais des arbres et par la décomposition des matières végétales fut parfaitement assai­nie. Ainsi un acte de sévérité devint une bénédiction de Dieu, de même que cer­taines maladies rétablissent la santé du corps ».
[29] L’édition de Boulac porte ﻥﺎﺑ .
[30] Les Arabes ne fondèrent aucune ville dans le Hidjaz après la promulgation de l’islamisme.
[31] Après ﺔﻌﻗﻮﺗﻣﻠﺍ , insérez ﺎﻬﻳﻔ .
[32] Pour ﻢﻬﺒ , lisez ﻢﻬﻟ .
[33] Coran, sour. II, vers. 121. Le mot ﻢﻳﻅﻌﻠﺍ ne se trouve ni dans les manuscrits C, D, ni dans l’édition de Boulac.
[34] Le lecteur trouvera ci-après, p. 257, la des­cription du Hîdjr.
[35] Pour ﺭﻴﺗﻛ , lisez ﺭﻴﺛﻜ .
[36] El‑Beit el‑Mamour « la maison fré­quentée », fut construite dans le ciel avant la création d’Adam ; les anges accomplis­saient la cérémonie des tournées sacrées au­tour de cet édifice, ainsi que le font main­tenant les hommes autour de la Caaba ou temple de la Mecque. Quand Adam se mit à construire la Caaba, Dieu fit descendre le Beït el‑Mâmour pour lui servir de modèle, et, l’ouvrage terminé, il le fit remonter au ciel. Telle est la tradition musulmane.
[37] Coran, sour. II, vers. 121. Il faut insérer le mot ﻞﻳﻋﺎﻣﺴﺍﻭ dans le texte arabe après le mot ﺕﻳﺑﻠﺍ . Les manuscrits des Prolégomènes et le texte du Coran exigent cette correction.
[38] Au lieu de cette phrase, les manus­crits C, D et l’édition de Boulac portent : « Dieu lui révéla l’ordre de laisser dans le désert son fils Ismaël et Agar, mère de celui-ci. Il les déposa, en conséquence, sur l’emplacement de la maison (sainte) et les quitta. Alors Dieu, dans sa bonté, fit en sorte, etc ». L’édition de Paris donne en note le texte de ce passage.
[39] Notre auteur a réuni dans son His­toire antéislamite toutes les notions que les musulmans possèdent au sujet d’Abra­ham, d’Ismaël et d’Agar.
[40] Doum est le nom arabe du palmier à éventail, ou palmier nain, le chamærops humilis des botanistes.
[41] Voyez, sur cette légende, l’Essai sur l’histoire des Arabes de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 172.
[42] Selon Cotb ed‑dîn en‑Nehrewali, dans son Histoire de la Mecque (p. 41 du texte arabe publié par M. Wüstenfeld), la maison sainte, reconstruite par les Djorhémides, fut détruite, et les Amalécites de la Mecque la rebâtirent de nouveau. Il cite, pour ses autorités, Masoudi, El‑Azraki et une tradition qui remonte à Ali Ibn Abi Taleb.
[43] Les mots ﻥﻣ ﺽﺮﻻﺍ , ne se trouvent ni dans les mss. C et D, ni dans l’édition de Boulac.
[44] Cette phrase offre encore un exemple de la construction assez singulière que j’ai déjà signalée dans la première partie, p. 286, note 2.
[45] Il faut lire ﻥﺍﺐﺗ , Tibban, à la place de ﺮﺎﻳﻗ , Kiar, et ﺐﺮﻜ , Kéreb, à la place de ﺐﻮﻜ , Koub. (Voyez l’Essai sur l’histoire des Arabes de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 90.) Au reste, ce passage ne se trouve ni dans les manuscrits C, D, ni dans l’édition de Boulac.
[46] Littéral. « et y plaça une clef ».
[47] Pour ﻥﻴﺫﻠﺍ , lisez ﻥﻴﺫﻠﻠﺍ  .
[48] Voyez l’Essai, etc. t. I, p. 260.
[49] Je crois que tout ce qui précède, à partir des mots « Ses fils, secondés par leurs oncles maternels » (Voyez  p. 255, 1. 10) est une interpolation.
[50] Voyez la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. II, p. 471 et suiv.
[51] L’auteur a cité ce vers d’une manière très inexacte, et a même fait dire au poète une absurdité. Si l’on scande le premier hémistiche, on s’apercevra qu’un mot de deux syllabes manque après le mot ﺐﻫﺍﺭ . L’édition de Boulac offre une leçon bien préférable, pourvu qu’on y remplace ﺖﻌﻠﺧ par ﺖﻔﻠﺨ , ainsi que cela se lit dans les manuscrits. Voici le vers, tel que cette édi­tion le donne :
La correction faite, ce vers signifie : J’en jure par les deux robes du moine d’Ed­-Dour et par la (maison) que bâtirent Cosaï et El‑Modad, fils de Djorhem.
Pour el-Modad, on peut consulter l’Es­sai, etc. t. I, p. 200.
[52] L’auteur aurait dû nous dire ici que Mohammed assista à la reconstruction de cet édifice et y posa lui-même la pierre noire.
[53] Le point vers lequel tous les musul­mans doivent se tourner en faisant la prière.
[54] Pour ﺏﻳﺑﺣ , lisez ﺏْﻳَﺑُﺧ  . Abou Kho­beïb était le surnom d’Ibn ez‑Zobeïr.
[55] C’est-à-dire, il boucha l’ancienne porte et en perça une nouvelle, directement au­-dessus.
[56] Ce soubassement est désigné par le mot persan chadrouàn. Il entourait la Caaba de trois côtés, celui du sud‑ouest, celui du sud-est et celui du nord‑est. Il avait seize doigts de hauteur et une coudée de largeur. (Voyez l’Histoire de la Mecque d’El­-Azraki, page ۲۱۸ , de l’édition du texte arabe publié par M. Wüstenfeld. Dans la seconde ligne de cette page, il faut remplacer le mot ﺔﻌﺒﺴ , par ﺔﻌﺴﺘ ; cette correction est pleinement justifiée par l’indication qui se trouve dans la douzième ligne de la même page.)
[57] Ce nom est proprement celui de la maison sainte.
[58] Voy. la 1e partie, p. 30, note 3.
[59] Voy. ci-devant, p. 183, note 1.
[60] Ibrahîm en‑Nakhaï, un des disciples des Compagnons de Mohammed, mourut l’an 95 (713‑714 de J. C.)
[61] Voy la 1e partie, p. 15, note 7.
[62] Les docteurs musulmans attachent beaucoup d’importance à cette question orthographique, parce que, dans le qua­tre‑vingt‑dixième verset de la troisième sourate du Coran, la ville de la Mecque est désignée par le mot Bekka.
[63] Soixante et dix mille onces font cin­quante huit quintaux et trente‑trois livres. Le même poids d’or estimé à six dinars (ou 60 francs) l’once ferait quatre cent vingt mille dinars. Donc les chiffres don­nés par notre auteur ne sont pas exacts.
[64] Voyez les Chroniques de la Mecque, texte arabe, t. I, p. ۱۷,۱۷۱, de l’édition de M. Wüstenfeld. El‑Azraki écrivit son his­toire dans la première moitié du IIIe siècle de l’hégire.
[65] Voy. ci-devant, p. 164, note 1.
[66] Avant ﺖﺴﻟﺠ , insérez ﻝﺎﻗ .
[67] Cheïba Ibn Othman, Coreïchite de la famille des Abd ed‑Dar, prêta le serment de fidélité à Mohammed peu de temps après la prise de la Mecque.
[68] Voy. ci-devant, p. 159, note I.
[69] Voy. ibid. note 4.
[70] Ali Zeïn el‑Abedîn était le quatrième des douze imams. Son descendant, El-­Aftas, prit part à la révolte d’Ibn Taba­taba, qui, en l’an 199 de l’hégire, souleva la ville de Koufa contre le khalife abbacide El‑Mamoun. Il fut envoyé à Médine, en qualité de gouverneur, par Abou Se­raya es-Serri Ibn Mansour, qui comman­dait les troupes d’Ibn Tabataba, et il pro­fita de la faiblesse du parti abbacide dans la Mecque pour s’emparer de cette ville. Il en fut expulsé bientôt après. (Chroniques de la Mecque, t. II, p. ۱۸۷ et suiv.)
[71] Ce mot signifie la pierre. C’est une énorme masse de calcaire brut qui se trouve encore au milieu de la mosquée. Selon une tradition, ce fut sur elle que Jacob appuya sa tête lorsqu’il eut la vision de l’échelle mystérieuse. Il est probable que ce fut sur cette pierre que David posa l’arche.
[72] L’auteur paraît avoir oublié que Ja­cob est la même personne qu’Israël.
[73] Ou, selon la leçon fournie par les ma­nuscrits C, D et l’édition de Boulac : « et l’on fit pour elle les clôtures » ﻃﻳﺍﻮﺣﻠﺍ ﺎﻬﻠ  ﺍﻭﺬﺨﺗﺍﻮ  .
[74][74] Il faut lire ﻥﻮﻌﺒﻜ .
[75] Les manuscrits C et D portent ﻰﻟﻮ à la place de ﻚﻟﻣ .
[76] L’auteur emploie ici le mot mesdjid « mosquée, lieu où l’on se prosterne ».
[77] Pour ﺓﺪﻤﻋ , lisez ﻩﺪﻤﻋ  .
[78] L’édition de Boulac et les manuscrits C, D portent ﻪﺑ , à la place de ﻪﻳﻔ . Cette leçon n’influe pas sur le sens de la phrase.
[79] La description du temple de Salomon, telle que nous la lisons dans le troisième livre des Rois et dans le second livre des Paralipomènes, ne renferme aucune men­tion d’un pavillon de verre.
[80] Littéral. « le dos ». Dans la traduction de la Bible dont notre auteur s’était servi, le traducteur aura probablement employé par euphémisme le mot ﺭﻬﻅ « dos », à la place du mot ﺭﺑﺪ « derrière », qui est cependant l’équivalent du terme hébreu debîr, qu’on a rendu, dans nos traductions, par le mot « oracle ». C’était le sanctuaire du tabernacle, le saint des saints.
[81] Pour ﻮﺒﻘﻤ , lisez ﺍﻮﺒﻘﻤ  .
[82] Ce passage manque dans les manus­crits C, D et dans l’édition de Boulac.
[83] Variantes : ﺔﻴﺘﻮﻨﻬﻜﻠﺍ  , C, D ; ﺔﻨﻬﻜﻠﺍ , Boulac.
[84] Le prophète appelé Ozeïr, ﺭﻳﺯﻋ , par les Arabes, est le même qu’Esdras, l’Eïzra, ﺍﺭْﺯﻋِ , des traductions arabes de la Bible.
[85] Pour ﻥﻣ , lisez ّﻰﺒﻨ , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[86] Les musulmans identifient le Cyrus de la Bible avec Behmen Ardeschîr Dirâz Dest, Artaxerce Longue‑Main, fils d’Is­fendiar. (Voyez l’Historia Anteislamica d’Abou ’l-Féda, publiée par M. Fleischer, p. 53, 77, et Hamzæ Ispahanensis Annales, texte arabe, p. ۳۸.)
[87] Littéral. « ce prince devait sa nais­sance aux enfants d’Israël, qui étaient du nombre des captifs de Nabuchodonosor ». Les musulmans croient que sa mère était Juive. (Voy. la Bibl. orient. de d’Herbelot, à l’article Bahaman.)
[88] L’auteur de ce paragraphe, quel qu’il soit, s’est très mal expliqué ; mais il avait évidemment l’intention de rappeler au lec­teur ce qu’il avait déjà énoncé, savoir : que les colonnes de la colonnade supérieure reposaient sur les arches de la colonnade inférieure. Il est en cela tout à fait d’accord avec la Mischnah. (Voy. Péah, ch. III, § 6.)
[89] Ce passage ne se trouve ni dans les manuscrits C, D, ni dans l’édition de Bou­lac. Je le regarde comme une interpolation de copiste.
[90] L’édition de Boulac offre la bonne leçon ﺔﻨﻼﻴﻫ ; les manuscrits C et D portent ﺔﻴﻼﻫ , Helaïa, comme l’édition de Paris.
[91] Comama signifie les balayures. Tel est le terme employé encore par les musulmans pour désigner cette église ; leur re­ligion les empêchait de donner à cet édifice le nom de Kenîçat el‑Kîama (église de la résurrection).
[92] Les manuscrits C et D portent ﻩﻭﻠﻌﻔ ﺎﻤﺍﺭﺑﻗ ﻰﻔ . Cette leçon me paraît préférable à celle de l’édition de Paris.
[93] C’est‑à‑dire, à la distance de deux heures de marche, au sud de Jérusalem.
[94] Saladin passa en Syrie plusieurs an­nées auparavant. Il s’empara de Jérusalem le 24 du mois de redjeb 583 (30 sep­tenbre 1187 de J. C.).
[95] Il est, en effet, à peu près de treize siècles.
[96] Pour ﻞﻴﻼﻬﻣﻠﺍ , lisez ﻞﻴﻼﻬﻣ  .
[97] Littéral. « la parole ».
[98] Le traditionniste Rafè Ibn Khodeïdj, natif de Médine et un des Ansars, mourut l’an 74 (693‑694 de J. C.).
[99] Le cadi Abd el‑Ouehhab Ibn Ali, généralement connu sous le nom d’Ibn Taouc, mourut l’an 422 de l’hégire (1031 de J. C.).
[100] Pour ﺭﺎﺑﺤﻻﺍ , lisez ﺭﺎﺑﺧﻻﺍ  .
[101] Pour ﻥﺎﻜ ﻥﺍﻮ , lisez ﻥﺎﻜﻮ .
[102] Pour ﻚﻠﺬﻜ , lisez ﻚﻠﺬﻠ  .
[103] L’empire romain et l’empire byzantin.
[104] Voy. ci-dessus p. 250.
[105] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻪﻨﺍ à la place de ﻪﻨﺎﺒ .
[106] Littéral. « d’une construction bédouine ».
[107] L’édition de Boulac, le manuscrit C et le manuscrit D portent ﺀﺎﻣﻳﺴ , leçon que je préfère.
[108] Pour ﺎﻣﻨﺍﻮ , lisez ﺎﻣﻨﺍ  , avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[109] Le texte porte nous avons montré. On voit par là que l’auteur a écrit ce passage après avoir composé le chapitre auquel il renvoie le lecteur, et qui se trouve ci-après, p. 319.
[110] Littéral. « sont les valeurs des travaux ». Dans ce chapitre et ailleurs, le mot ﻞﺎﻤﻋﺍ (travaux) sert à désigner les pro­duits d’un travail quelconque.
[111] Littéral. « qui sont appelés (à l’exis­tence) par leur valeur ».
[112] La particule ﺎﻣ est explétive.
[113] Le 10 du mois de dhou ’l-hiddja.
[114] Ce paragraphe n’existe pas dans l’é­dition de Boulac ni dans les manuscrits C et D.
[115] L’équivalent du mot orge manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac. A la place de ﺎﻣﻫﺎﻨﻌﻣ , on y lit ﺎﻫﺎﻨﻌﻣ , leçon qu’il faut accueillir si l’on supprime le mot ﺮﻳﻌﺷﻠﺍ .
[116] L’auteur dit, dans son style vague et incorrect : « autres arts et édifices ».
[117] Pour ﺭﻔﻮﺗﻔ , lisez ﺭﻔﻮﺗﻴﻔ  .
[118] Littéral. « ils seraient donnés sans prix et sans retour ».
[119] Pour ﻢﺤﺫﺯﺗﻓ  , lisez ﻢﺤﺩﺯﺗﻓ   .
[120] Pour ﻼﻏﺍ , lisez ﻰﻟﻏﺍ .
[121] Pour ﻥﻴﺪﻫﺎﺠﻤﻠﺍﻮ , lisez ﻥﻴﺪﻫﺎﺠﻤﻠﺍ .
[122] Pour ﺭﺎﺼﻣﻠﺍ , lisezﺭﺼﻣﻠﺍ   .
[123] Pour ﺭﺑﺗﻌﺘﻮ , lisez ﺭﺑﺗﻌﻴﻮ  .
[124] Pour ﻪﻴﻨﻜﺎﺴ , lisez ﻪﻨﻜﺎﺴ  .
[125] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺭﺎﻂﻗﻻﺍ ﻥﻣ , à la place de ﺭﺎﻂﻗﻻﺍ  ﻰﻔ . La première leçon est celle que j’ai préférée.
[126] Je lis ﺪﻴﺯﺗﻴﻔ , avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[127] C’est-à-dire, les contrées de l’Europe.
[128] Les mots ﻃﻳﺤﻴ ﻥﺍ ﻥﻣ ﺭﺛﻜﺍ manquent dans C, D et l’édition de Boulac. Il faut probablement lire :
ﻪﺑ  ﻃﺎﺤﻴ  ﻥﺍ ﻥﻣ ﺭﺛﻜﺍ  .
[129] Pour ﺍﻭﻨﻐﺗﺴﻴ ﻻﻮ , il faut lire ﺍﻭﻨﻐﺗﺴ ﻻﻮ  .
[130] Pour ﻝﻮﺍ , lisez ﻻﻮﺍ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[131] A la place de ﻥﺎﻔ , lisez ﻥﺍﻭ . Cette leçon est fournie par l’édition et les manuscrits déjà indiqués.
[132] Les mots ﺖﺎﻘﻭﻻﺍ ﺏﻠﺎﻏ ﻰﻔ doivent se placer avant ﻪﺗﺎﺠﺎﺣﻠ .
[133] Djouher, le commandant des troupes fatemides qui firent la conquête de l’Égypte, porta le titre de kateb « secrétaire ».
[134] Le terme Maghreb est employé ici par l’auteur pour désigner l’Algérie occi­dentale et le Maroc.
[135] Province située au sud de l’empire actuel du Maroc.
[136] Littéral. « Sur la réunion des immeu­bles et des fermes dans la ville ».
[137] Pour ﺎﻬﻨﻼﻐﺗﺴﻣ , lisez ﺎﻬﺘﻼﻐﺗﺴﻣ  .
[138] Pour ﻪﻌﻣ , lisez ﻪﻟ .
[139] Pour ﻡﻬﺎﺒﺮﻤ , je lis ﻪﺑ ﻢﻫﺎﺑﺮﻤ , avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac./
[140] L’auteur ajoute ici : « et quand ils se­ront capables de faire du gain, ils travaille­ront pour eux‑mêmes ».
[141] L’adjectif ﻰﺸﺎﻌﻤﻠﺍ « ce qui regarde la subsistance ». Ajouté au mot ﻞﻗﻌﻠﺍ « intelligence », il est intraduisible, à moins de donner une autre tournure à la phrase. C’est ce que j’ai fait ici.
[142] Je lis ﻰﻠﺎﻌﻠﺍ , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[143] C’est‑à‑dire, les grands fonctionnaires de l’État, tant civils que militaires.
[144] Je lis ﻪﻨﻮﻟﺼﺣﻴ avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[145] Littéral. « à lui imposer le joug de ».
[146] Littéral. « paître ».
[147] Pour ﻢﻜﺣﻠﺍ , lisez ﻢﺎﻜﺣﻠﺍ  .
[148] Pour ﺭﺪﻗﻳﻮ , lisez ﺭﺪﻗﺒﻮ  , et remplacez ﺪﻳﺯﺘﺑ par ﺪﻳﺯﺘﻴ  .
[149] Pour ﺪﻳﺯﺗﻮ , lisez ﺪﻳﺯﺗﺗﻮ  . Les correc­tions indiquées dans cette note et dans les deux notes précédentes sont justifiées par les mss. C et D et par l’édition de Boulac.
[150] Je lis ﺐﻠﻐﺘ avec l’édition de Boulac.
[151] Voyez la 1e partie, p. 45.
[152] Pour ﻢﺎﺸﻠﺍ ﻰﻔ , lisez ﻢﺎﺸﻠﺎﺑ .
[153] Pour ﻪﻌﺑﺎﺗﺗﻠﺍ , lisez ﻪﻌﺑﺎﺑﺗﻠﺍ  .
[154] Je ne m’arrête pas à relever l’exagéra­tion de ce chiffre.
[155] Je préfère, comme plus conforme à la grammaire, la leçon ﺔﻣﻳﻅﻋ ﻥﻳﺗﻠﻭﺪﻠﺍ ﺎﺗﻠﻜﻮ , qui nous est offerte par l’édition de Boulac.
[156] Littéral.  « plongés dans ».
[157] Pour ﻯﺭﻔﻅﻣﻠﺍ ? lisez ﻯﺭﻌﻂﻣﻠﺍ . (Voyez l’Hist. des Berbers, t. I de la traduction, p. 216, 237, 360.)
[158] Les Beni Hilal, Arabes nomades, envahirent la Mauritanie vers le milieu du Ve siècle de l’hégire. Ils se trouvèrent alors avec la tribu des Beni Soleïm, dans la haute Égypte, entre le Nil et la mer Rouge. Le khalife fatemide el-Azîz les y avait relégués pour les punir des ravages qu’ils avaient commis dans le Hidjaz, lors de la grande insurrection des Carmats. Quand El-Moïzz Ibn Badîs, vice‑roi de l’Ifrîkiya, secoua le joug des Fatemides, le gouvernement égyptien se vengea de lui en autorisant ces tribus à passer le Nil et à porter la dévastation dans toutes les provinces de l’Afrique septentrionale. C’est d’eux que descendent tous les Arabes de ce pays qui vivent sous la tente. Les Arabes des villes descendent presque tous d’émi­grés chassés des provinces méridionales de l’Espagne.
[159] El‑Calâ, la capitale des États gouver­nés par les Zirides Hammadites, était si­tuée à une journée N. E. d’El‑Mecîla. (Voy. l’Histoire des Berbers,  t. II, p. 43.)
[160] Siège du gouvernement des Aghle­bides.
[161] Capitale de l’empire des Fatemides.
[162] Pour ﺔﻳﻘﻴﺭﻓﺍ ﻰﻔ , lisez ﺔﻳﻘﻴﺭﻓﺎﺑ  .
[163] Séville fut prise par Ferdinand III, roi de Castille, l’an 1236 de J. C.
[164] Pour ﺎﻔﺧﻟﺩ , lisez ﻼﺨﻠﺍ .
[165] Pour ﺔّﻳﺎﻏ , lisez ﺔﻳﺎﻏ .
[166] Ou bien, la royauté et son emporium, si nous lisons ﻪﻘﻭﺴ , avec le manuscrit C et l’édition de Boulac.
[167] Littéral. « de teintures ».
[168] Pour ﻢﻇﻌﻴ , lisez ﻢﻆﻌﺗ .
[169] Littéral. « teinture ».
[170] Les mots ﻮ ﻢﺎﺣﺭﻻﺍ sont de trop ; ils ne se trouvent ni dans les mss. C et D, ni dans l’édition de Boulac. D’ailleurs ils sont inutiles, parce que le mot ﻢﺭﺎﺣﻤﻠﺍ , qui les accompagne, a la même signification.
[171] Pour ﻰﺿﺗﻗﻴ , lisez ﻰﺿﺗﻗﺗ  .
[172] Littéral. « de la force ».
[173] Le mots ﻪﺒﺎﺣﻣﺍ est de trop ; il ne se lit pas dans les manuscrits C et D, ni dans l’édition de Boulac.
[174] Littéral. « et de la teinture qu’ils ont prise du mal et d’improbité ».
[175] Les mots entre crochets ne se trouvent pas dans l’édition de Boulac ni dans les manuscrits C et D.
[176] Les mots ﺎﻬﺒﻳﻃﻮ  ﺐﺮﺎﺸﻣﻠﺍﻮ manquent dans les manuscrits C et D et dans l’édi­tion de Boulac.
[177] Le texte porte ﺏﺎﺴﻨﻻﺍ ﻂﻼﺗﺨﺍ « confusion de généalogies ». C’est un terme du droit musulman.
[178] Pour ﻩﺪﺷﺮ , lisez ﺓﺪﺷﺮ  .
[179] Malek déclara que ce péché devait nécessairement entraîner la peine établie (ﺪﺤ) par la loi, c’est‑à‑dire, la lapidation. Abou Hanîfa prescrivit un châtiment cor­porel, ﺮﻳﺯﻌﺗ , et la lapidation au cas de récidive. L’opinion de Chaféi, que notre auteur a oublié, s’accorde avec celle de Malek.
[180] Littéral. « et devient réellement un être métamorphosé ».
[181] Littéral. « est l’âge d’arrêt dans la vie d’un peuple ».
[182] Pour ﻙﻭﻠﻣﻠﻠ , lisez ﻙﻠﻣﻠﻠ .
[183] Pour ﺎﻨﺒ ﺭﻗﺗﺴﺍ , lisezﺎﻨﻴﺭﻗﺗﺴﺍ .
[184] Après ﻝﻮﻻﺍ , insérez ﻥﺍ .
[185] Littéral. « et qui sont la matière ».
[186] Pour ﺎﻣﻬﻴﺩﺣﺍ , lisez ﺎﻣﻬﺍﺩﺣﺍ .
[187] Pour ﺔﻠﻮﺪﻠﺍ ﻰﻔ , lisez ﺔﻠﻮﺪﻠﻠ .
[188] Pour ﻰﻓ , lisez ﻥﻣ .
[189] Les manuscrits C et D portent ﺩﺑ ﻻ ﻥﺍ ﻪﻠ ; nous lisons, dans l’édition de Bou­lac, ﻥﺍ ﻥﻣ ﺩﺑ ﻻ . La leçon la plus conforme aux règles de la grammaire serait ﻥﺍ ﻥﻣ ﻪﻠ ﺩﺑ ﻻ , mais notre auteur n’y re­gardait pas de si près.
[190] Je lis ﻥﺍﻮﺪﻌﻠﺍ , avec l’édition de Bou­lac, la leçon ﻥﻮﺎﻌﺗﻠﺍ  amenant un contre­sens. (Voy. la première partie, page 380, où l’auteur explique l’origine de la royauté.)
[191] Littéral. « royale », c’est‑à‑dire, insti­tué par le souverain.
[192] Pour ﻰﻋﺩﺘﺴﺘ , lisez ﻰﻋﺩﺘﺴﻴ  .
[193] Pour ﻰﻔ ﻪﻴﻔ , lisez ﻰﻔ ﻪﺒ .
[194] Heriça  est un terme générique qui signifie tout mets fait de blé et de viande hachée ou pilée. (Voy. l’Abdallatif, de M. de Sacy, p. 307.)
[195] Pour ﺀﻼﺠﻠ , lisez ﺀﻼﺧﻠ  .
[196] Pour ﺐﻴﺭﻐﺘﻠﺍ , lisez ﺐﻴﺭﻐﺘﻠﺍ ﻮﺍ .
[197] Pour ﻝﻴﻮﻤﺗﻠﺍﻮ , lisez ﻝﻴﻮﻤﺗﻠﺎﺑ . Ce mot est le nom d’action d’un verbe fictif ﻝّﻮﻤ , qui a pour racine le nom ﻰﻟﻮﻣ , dérivé de ﻰﻟﻮ .
[198] On voit que ceci fut écrit avant l’an 777 de l’hégire, époque à laquelle le sultan Abou ’l-Abbas, ayant entrepris de rendre à l’empire hafside ses anciennes limites, commença à faire rentrer ces villes dans l’o­béissance. (Voy. Histoire des Berbers, t. III, p. 92.)
[199] Voy. Histoire des Berbers, t. II, p. 32 et suiv. et p. 193.
[200] Pour ﻞﻳﺠﻠﺍﻮ , lisez ﻞﻳﺠﻠﺍ ﻮﺍ .
[201] Pour ﻥﻳﻃﺘﺧﻣﻠﺍﻭ , lisez ﻥﻳﻃﺘﺧﻣﻠﺍ ﻭﺍ .
[202] Pour ﻚﻟﺫﻛﻮ , lisez ﻚﻟﺫﻠﻮ .
[203] Les éditions imprimées et les manus­crits portent tous ﺎﻬﺎﻜ . L’auteur aurait dû écrire ﺎﻣﻫﺎﻜ .
[204] Je doute que cette opinion soit bien orthodoxe. Selon les docteurs musulmans, l’arabe est la langue du paradis céleste, et voilà pourquoi Dieu s’en servit dans son livre, le Coran.
[205] Quelques lignes plus loin l’auteur explique la signification de ce mot.
[206] Littéral. « qui est plus enraciné dans l’arabisme ».
[207] Je lis ﻥﻳﺬﻠﻠﺍ avec le manuscrit C et l’édition de Boulac.
[208] Ce passage ne se trouve pas dans les manuscrits C et D, ni dans l’édition de Boulac.

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