Q U A T R I È M E
S E C T I O N.
SUR LES VILLAGES,
LES VILLES, LES CITÉS ET AUTRES LIEUX OÙ SE TROUVENT
DES POPULATIONS
SÉDENTAIRES.
SUR LES
CIRCONSTANCES QUI S’Y PRÉSENTENT.
OBSERVATIONS
PRÉLIMINAIRES ET SUPPLÉMENTAIRES.
# La fondation des empires
précède celle des villes et des cités. — La royauté s’établit d’abord et la
cité ensuite.
# Le peuple qui acquiert un
empire est porté à s’établir dans des villes.
# Les grandes villes et les
édifices très élevés n’ont pu être construits que par des rois très puissants.
# Les édifices d’une grandeur
colossale ne peuvent pas devoir leur entière construction à un seul souverain.
# Sur les choses dont il faut
tenir compte lorsqu’on fonde une ville, et sur les suites que le défaut de
prévoyance en cette matière peut avoir.
# Quels sont les mosquées et les temples les plus illustres de
l’univers.
Description
et histoire de Beït el‑Macdis, (le temple de Jérusalem), du temple de la
Mecque et de celui de Médine (le Mesdjid el‑Haram). — Le Hidjr.
Changements faits à la mosquée de la Mecque par Abd Allah Ibn ez-Zobeïr. —
Signification du mot Becca. — La sakhra du temple de Jérusalem.
La Comama (l’église de la Résurrection). — La mosquée d’Adam en Ceylan.
# Pourquoi les cités et les
villes sont peu nombreuses en Ifrîkiya et dans le Maghreb.
# Les édifices et les grandes
constructions élevées par les musulmans sont loin d’être en rapport avec la
grandeur de ce peuple, et restent bien au‑dessous des bâtiments laissés par
les nations précédentes.
# La plupart des édifices
bâtis par les Arabes tombent promptement en ruine.
# Comment les villes tombent
en ruine.
# Si certaines villes et
métropoles surpassent les autres en activité commerciale et par le bien‑être
dont on y jouit, cela tient à ce qu’elles les surpassent aussi par leur
population.
# Sur le prix (des denrées et
des marchandises) dans les villes.
# Les gens de la campagne ne
sont pas assez riches pour habiter les villes qui possèdent une nombreuse
population.
# Les différences qui
existent entre un pays et un autre, sous le rapport de la pauvreté ou du bien‑être,
proviennent des mêmes causes qui établissent des différences semblables entre
les villes.
# Comment un grand nombre de
maisons et de fermes se trouvent dans la possession de quelques habitants des
villes. — Avantages qu’ils peuvent en retirer.
# Dans les grandes villes,
les hommes riches ont besoin de protecteurs ou doivent être dans une position
qui les fasse respecter.
# Les grandes villes doivent
aux dynasties qui y ont régné leur portion de cette civilisation qui se développe
dans la vie sédentaire. Plus ces dynasties ont eu de durée et de force, plus
cette civilisation est forte et persistante.
# La civilisation de la vie
sédentaire marque le plus haut degré du progrès auquel un peuple peut atteindre ;
c’est le point culminant de l’existence de ce peuple, et le signe qui en
annonce la décadence.
# Toute ville qui est le
siège d’un empire tombe en ruine lors de la chute de cet empire.
# Certaines villes se
distinguent par la culture de certains arts.
# L’esprit de corps peut
exister dans les villes ; quelques‑uns d’entre les habitants dominent
alors sur le reste.
# Sur les dialectes (arabes)
parlés dans les villes.
La fondation des empires précède
celle des villes et des cités. La royauté s’établit d’abord et la cité ensuite.
p.238 Fonder des villes et construire
des lieux d’habitation est une des impulsions que l’on reçoit dans la vie
sédentaire, état auquel on se laisse porter par l’amour du bien‑être et du
repos. Pour que cela ait lieu, la tribu doit avoir passé par la vie nomade et
ressenti tous les désirs qui naissent dans cet état. D’ailleurs les cités et
les villes doivent posséder des temples, de grands édifices, de vastes constructions,
parce qu’il en faut, non pas dans l’intérêt de quelques individus, mais de la
communauté. Donc (pour bâtir une ville) il faut réunir des ouvriers en grand
nombre et des travailleurs qui puissent *202 s’entr’aider. Ce n’est pas là une de ces
obligations forcées auxquelles tous les peuples sont soumis et qu’ils doivent
remplir, soit de bon gré, soit par la nécessité des choses ; c’est la
volonté du souverain qui les y porte, soit par l’emploi de la contrainte, soit
par l’appât d’une récompense. Mais ces encouragements doivent être si
considérables que les ressources d’un empire peuvent seules y suffire. Donc,
pour fonder une capitale ou construire une grande ville, il faut absolument
qu’il y ait un souverain et un empire pour s’en charger.
La ville, une fois construite et achevée selon les vues du fondateur
et les exigences du climat et du sol, aura la même durée que l’empire. Si
celui-ci ne se maintient que peu de temps, la ville cessera de prospérer du
moment que l’empire succombera ; elle verra décroître sa population et
tombera en ruine. Si l’empire dure longtemps et p.239
pendant une période considérable, on continuera à bâtir, dans la ville,
de grands édifices et des logements aussi vastes que nombreux ; l’enceinte
des murs s’élargira au point de rendre les quartiers si vastes et les distances
si grandes qu’à peine pourra‑t‑on les mesurer. C’est ce qui est arrivé pour
Baghdad et d’autres villes. Le Khatîb [1]
rapporte, dans son Histoire, qu’au temps d’El‑Mamoun le nombre des maisons de bains
y avait atteint le chiffre de soixante‑cinq mille ; que cette capitale se
composait de plus de quarante villes et bourgs qui se touchaient ou qui
étaient très rapprochés les uns des autres, et qu’elle n’était pas entourée
d’une enceinte continue, tant elle renfermait de monde. Il en fut de même de
Cairouan, de Cordoue et d’El‑Mehdiya, sous la domination musulmane, et tel est,
de nos jours, l’état de Misr (le Vieux‑Caire) et du Caire, si je suis bien
renseigné.
Lors de la chute de la dynastie qui a fondé la ville, il arrivera une
des deux choses que nous allons indiquer. S’il y a des peuples campagnards
dans les montagnes et les plaines environnantes, la ville en *203 tirera assez de monde pour entretenir sa
population au complet et pour prolonger son existence ; elle survivra
ainsi à l’empire qui l’avait fondée. Cela est arrivé, comme on le sait, pour
Fez et pour Bougie, dans le Maghreb. En Orient (le même fait s’est reproduit en
ce qui concerne les villes de) l’Irac persan, pays qui renferme une forte
population de montagnards. En effet, quand les gens de la campagne ont atteint
le plus haut degré d’aisance et de richesses dont ils sont capables, ils
aspirent après la tranquillité et le repos, ce qui, du reste, est dans la
nature de l’homme, et ils vont se fixer dans les villes et les cités, où ils
propagent leur race. Mais si la ville que l’empire a fondée n’a pas [2]
(dans son voisinage) des peuples campagnards qui puissent lui fournir les
éléments pour suppléer à la décroissance de sa population, ses murs d’enceinte
se dégraderont aussitôt que l’empire p.240 aura
succombé ; elle restera sans troupes pour la défendre, et sa prospérité
ira toujours en diminuant, jusqu’à ce que tous les habitants se soient
réfugiés [3]
ailleurs ; alors elle tombera en ruine. Cela est arrivé, en Orient, pour
Misr (le Vieux‑Caire), pour Baghdad et pour Koufa, et en Occident pour
Cairouan, El‑Mehdiya, la Calâ d’Ibn Hammad [4]
et autres villes. Je prie le lecteur de faire attention à ces observations.
Il se peut aussi qu’après la destruction du peuple qui fonda la ville
un autre peuple vienne y établir le siège de son gouvernement, afin d’éviter la
nécessité de se construire une capitale. En ce cas, la nouvelle dynastie se
charge de garder l’enceinte de la ville et, à mesure que sa puissance et sa
prospérité augmenteront, elle ajoutera aux constructions déjà existantes et en
élèvera de nouvelles. De cette manière, la ville recevra de cette dynastie une
nouvelle vie. Cela a eu lieu de nos jours pour Fez et pour le Caire. Le lecteur
qui aura bien compris ces faits y reconnaîtra une des règles d’après lesquelles
Dieu se conduit à l’égard de ses créatures.
*204 Le peuple ou tribu qui a conquis
un empire est obligé, par deux motifs, d’occuper les grandes villes. D’abord,
la possession du royaume porte à rechercher la tranquillité et le repos, à se
ménager des endroits où l’on puisse déposer ses bagages, et à perfectionner ce
qui était resté incomplet dans la civilisation qui résulte de la vie nomade. En
second lieu, on doit garantir l’empire contre les tentatives de ceux qui
essayeraient de l’attaquer ou de s’en emparer, et, comme telle grande ville du
voisinage pourrait servir d’asile à ceux qui voudraient résister au vainqueur
ou se mettre en révolte afin de lui arracher l’empire qu’il vient de conquérir,
on est obligé de leur enlever cette ville de vive force, entreprise toujours
fort difficile. En effet, une ville peut tenir lieu d’une nombreuse armée,
parce qu’elle offrira p.241 toujours une
vive résistance et que, grâce à ses murailles, elle peut soutenir un assaut
sans avoir besoin de beaucoup de combattants ni d’un corps de troupes
régulièrement organisé. Un tel corps [5]
est nécessaire sur un champ de bataille, parce qu’il s’y tient ferme et sert de
point de ralliement aux combattants qui reculent après avoir chargé, et se
prêtent ensuite un soutien mutuel. Mais, derrière des murailles, on reste à son
poste, et la ville n’a pas besoin d’un grand nombre de combattants ou d’un fort
corps d’armée. Donc une ville qui sert de refuge aux ennemis du nouvel empire
suffit pour tenir en échec le peuple qui vise à tout conquérir, et pour
interrompre le progrès de sa domination.
Aussi, quand les tribus dont ce peuple se compose voient dans leur
territoire une grande ville, elles s’empressent de l’ajouter à leurs autres
conquêtes, afin de prévenir le mal qu’elle pourrait leur causer. S’il n’y a pas
là une ville, elles se trouvent obligées, par la nécessité des choses, d’en
fonder une, afin d’assurer d’abord la prospérité de l’empire et d’avoir un lieu
où elles puissent déposer leurs bagages ; puis de mettre un obstacle aux
entreprises de leurs propres bandes et hordes, dans le cas où celles-ci
voudraient montrer de l’arrogance *205 ou de
l’insoumission. Il résulte de ces observations que la conquête d’un empire
oblige le vainqueur à s’établir dans des grandes villes et même à s’en
emparer ; mais c’est Dieu qui est
toujours vainqueur dans ce qu’il entreprend. (Coran, sour. XII, vers. 21.)
Les
grandes villes [6] et les édifices très élevés n’ont pu être construits que
par des rois très puissants [7].
Nous avons déjà [8]
dit [9]
cela en parlant des édifices et d’autres monuments laissés par les empires, et
nous avons avancé que leur p.242 grandeur
est toujours en proportion de la puissance des dynasties qui les ont fondés. En
effet, la construction des grandes villes ne peut s’exécuter que par la
réunion d’une foule de travailleurs qui se prêtent un secours mutuel. Si
l’empire est très vaste et se compose de plusieurs provinces étendues, on peut
rassembler des ouvriers de toutes ces contrées et réunir leurs bras pour
l’accomplissement de l’entreprise. Le plus souvent aussi, pour le transport
des grands fardeaux qu’exigent ces constructions et qui seraient au‑dessus de
la puissance de l’homme, on a recours à des machines [10]
qui doublent les forces et les moyens (d’opérer) : tels sont les
treuils [11]
et autres engins de ce genre.
Bien des personnes qui voient les monuments et les grands édifices
élevés par les anciens peuples, par exemple l’Eïouan Kisra [12],
les pyramides d’Égypte, les voûtes de la Malga [13]
et celles de Cherchel, dans le Maghreb, s’imaginent que ces constructions sont
dues aux seules forces naturelles de certains hommes qui y avaient travaillé,
soit isolément, soit réunis en bandes : en conséquence, elles supposent
que la taille de ces hommes répondait à la grandeur de ces ouvrages, et qu’ils
étaient bien supérieurs en hauteur, en largeur et en grosseur, à ceux
d’aujourd’hui ; et cela, pour qu’il y ait quelque proportion entre les
corps de ces hommes et les forces qui avaient produit de tels édifices. Mais,
dans ce (faux calcul), on ne tient aucun compte du secours de la mécanique, du
treuil et d’autres machines dont l’emploi, en pareil cas, est exigé par l’art
de l’ingénieur. Cependant p.243 la plupart de
ceux qui parcourent les divers pays voient (tous les *206 jours) mettre en usage pour la bâtisse et pour le transport
de gros blocs de pierre, dans les divers royaumes et parmi les nations étrangères
qui s’appliquent à ces arts, des moyens [14]
mécaniques qui prouvent la réalité de ce que nous avançons ici.
Le vulgaire donne le nom de monuments
adites à la plupart des anciens édifices qui
subsistent encore de nos jours, les attribuant au peuple d’Ad ; car on
s’imagine que leurs édifices et leurs constructions ont dû être d’une grandeur
extraordinaire à raison de la
taille gigantesque et des forces énormes qu’on suppose aux individus de cette
race. Cela est néanmoins sans aucun fondement : nous voyons beaucoup de
monuments élevés par des hommes qui ont appartenu à des nations dont la taille nous est parfaitement connue, et
ces monuments cependant égalent et surpassent même en grandeur ceux (qu’on
attribue aux Adites). Tels sont l’Eïouan Kisra et les monuments élevés par les
chîïtes de la dynastie obeïdite (fatémide) en Ifrîkiya [15].
Tels sont encore ceux des Sanhadja, dont nous avons un exemple subsistant dans
le minaret de la Calâ d’Ibn‑Hammâd [16],
les additions faites par les Aghlebides à la grande mosquée de Cairouan, les
constructions élevées par les Almohades à
Ribat el‑Fath [17] et celles que le sultan Abû ’l-Hacen érigea,
il y a environ quarante ans, dans la Mansoura [18],
vis‑à‑vis de Tlemcen. De ce nombre sont aussi les arches p.244 soutenant un conduit par lequel les
habitants de Carthage faisaient venir l’eau à leur ville, arches qui subsistent
encore de nos jours ; sans citer d’autres édifices et temples dus à des
peuples plus ou moins éloignés de nous, dont l’histoire nous est parvenue et
dont nous savons positivement que les corps n’étaient pas d’une grandeur
extraordinaire.
Le préjugé dont nous parlons est fondé uniquement sur les récits que
les conteurs se sont plu à débiter au sujet des peuples d’Ad, de Thémoud et des
Amalécites. (Ce qui en démontre la fausseté,) c’est qu’on voit encore de nos
jours les demeures que les Thémoud s’étaient taillées dans le roc ; une
(parole de Mohammed, rapportée dans une) tradition authentique, nous assure que
c’étaient là leurs maisons. La caravane du Hidjaz y passe presque tous les
ans, et les pèlerins voient ces habitations, qui n’offrent, soit en
profondeur, soit en *207 surface, soit
en hauteur, que les dimensions ordinaires. Cependant on a poussé le (préjugé
que nous combattons) à un tel excès que l’on raconte d’Og, fils d’Enak, de la
race des Amalécites, qu’il tirait de la mer le poisson frais et le tenait tout
près du soleil pour le faire rôtir. On suppose donc que la chaleur du soleil
est très forte dans la région qui l’avoisine. On ignore que la chaleur dont
nous sommes affectés est produite par la lumière et a pour cause la réflexion
qu’éprouvent les rayons solaires en frappant la surface de la terre et l’atmosphère.
Le soleil, par lui-même, n’est ni chaud ni froid ; c’est un astre
lumineux, qui n’a pas de tempérament particulier. Nous avons déjà touché une
partie de ces matières dans la seconde section [19],
où nous avons établi que les monuments laissés [20]
par une dynastie quelconque sont en proportion de la puissance dont elle avait
joui dans son origine.
Les
édifices d’une grandeur colossale ne peuvent pas devoir leur entière
construction à un seul souverain [21].
p.245
Pour bâtir, il faut que les hommes se prêtent un secours mutuel et
emploient des moyens pour doubler leurs forces naturelles, ainsi que nous
venons de le dire. Mais quelquefois les édifices (dont on commence la
construction) sont si grands que leur exécution est au-dessus des forces
humaines employées, soit simplement, soit doublées par le secours de la
mécanique. Il faut que des forces pareilles aux premières se succèdent pendant
une suite de temps assez longue pour que la construction de semblables ouvrages
soit complètement terminée. Un premier souverain commence l’entreprise, un
second lui succède et ensuite un troisième : chacun d’eux use de toutes
ses ressources pour rassembler des ouvriers, et réunir le plus grand nombre de
bras possible, jusqu’à ce qu’enfin le projet conçu primitivement se réalise et
que l’édifice se dresse devant les yeux de tous. Ceux qui, ensuite, dans des
temps éloignés, voient ce monument, *208 s’imaginent
que c’est l’ouvrage d’un seul règne.
Considérez, par exemple, ce que les historiens racontent relativement
à la construction de la digue de Mareb [22].
On nous dit que celui qui la bâtit fut Saba, fils de Yachdjob ; qu’il y
conduisit soixante et dix rivières, et que la mort l’empêcha de terminer ce
grand réservoir, qui fut achevé par les rois himyérites, ses successeurs. On
nous fait de pareils récits au sujet de la construction de Carthage, de son
aqueduc et des arches qui le soutiennent, et que l’on attribue à Ad ; et
il en est de même de la plupart des grands monuments (qui subsistent entre de nos
jours). Nous avons d’ailleurs la démonstration de cette vérité dans les grands
édifices qui s’élèvent sous nos yeux : un roi en trace le plan et en jette
les premiers fondements ; mais si, après lui, d’autres rois n’en
continuent pas l’exécution, ces constructions restent inachevées et le projet
formé ne s’accomplit pas.
p.246 Une autre preuve de cette vérité,
ce sont les anciens édifices que des souverains ont vainement essayé de
détruire, et cependant détruire est bien plus facile qu’édifier : détruire,
c’est ramener les choses à leur état primitif, qui est le néant, tandis
qu’édifier, c’est agir directement contre ce principe. Donc, si les forces de
l’homme sont insuffisantes pour renverser certains édifices, bien que détruire
ne soit pas une chose difficile, nous devons en conclure que les forces
employées pour les fonder étaient énormes et que, par conséquent, ces monuments
ne sont pas l’ouvrage d’un seul prince.
C’est ce qui est arrivé aux Arabes, relativement à l’Eïouan Kisra.
Haroun er‑Rechîd, ayant formé le projet de le détruire, envoya consulter à ce
sujet Yahya Ibn Khaled (le Barmekide), qu’il retenait alors en prison.
« Prince des croyants, lui fit dire Yahya, gardez‑vous d’une pareille
entreprise ; laissez subsister ce monument ; il sera un témoignage
de la puissance de vos aïeux, qui ont enlevé l’empire à une dynastie capable
de construire un pareil édifice ! » Er‑Rechîd soupçonna que Yahya ne
lui donnait pas cet avis sincèrement : « Il est jaloux de ménager la
gloire des Perses, s’écria‑t‑il ; par Allah ! je renverserai ce *209 monument ». Ayant donc rassemblé un
grand nombre d’ouvriers, il commença l’ouvrage de destruction : on
l’attaqua à coups de pioche, on y appliqua le feu et l’on versa dessus du
vinaigre. Voyant que tous ces moyens ne produisaient aucun résultat, et
craignant la honte que cette tentative malheureuse pourrait lui attirer, il
envoya de nouveau consulter Yahya et lui demander s’il fallait abandonner
l’entreprise. « Ne vous en avisez pas, répondit Yahya, autrement on dira
que le prince des croyants et le souverain des Arabes n’a pas pu renverser un
édifice construit par les Perses ». Er‑Rechîd reconnut sa méprise et
renonça à détruire ce monument.
La même chose arriva à el-Mamoun, lorsqu’il entreprit de démolir les
pyramides d’Égypte et qu’il rassembla des ouvriers pour cet objet : il ne
put y réussir. On commença par faire une ouverture dans une des pyramides et
l’on parvint jusqu’à un espace vide entre le mur extérieur et d’autres murs
intérieurs. Voilà à quoi se borna la p.247 démolition.
Le passage qu’on y pratiqua s’y voit encore, à ce qu’on dit. Quelques personnes
prétendent qu’El‑Mamoun trouva un trésor entre ces murs. Dieu seul sait ce qui
en est.
Une chose de même genre se voit aussi relativement aux voûtes de la
Malga, à Carthage. Lorsque les habitants de Tunis ont besoin de bonnes pierres
pour leurs constructions, les ouvriers, trouvant celles dont ces voûtes sont
formées préférables à toutes autres, emploient beaucoup de jours à démolir une
partie de ce monument ; mais à peine, après avoir sué sang et eau, en font‑ils
tomber un petit fragment ; et cependant on rassemble beaucoup de monde
pour ce travail, comme je l’ai vu plus d’une fois dans ma jeunesse. A Dieu appartient la toute puissance. *210
Sur
les choses dont il faut tenir compte lorsqu’on fonde une ville, et sur les
suites que le défaut de prévoyance en cette matière peut avoir.
Les grandes villes sont des emplacements dans lesquels les peuples
s’installent pour vivre à demeure fixe ; ce qui a lieu lorsqu’ils ont
atteint le but qu’ils avaient en vue, celui de jouir du bien‑être et de
satisfaire aux exigences du luxe. Ce désir de la tranquillité et du repos les
porte à construire des habitations avec l’intention d’y rester. Or, puisque les
villes doivent servir de lieux de résidence et de refuge, on doit faire
attention (en les fondant) à ce que leur position puisse garantir la
communauté contre les attaques de l’ennemi et faciliter l’arrivée des objets et
commodités dont le peuple a besoin. Pour qu’une ville se trouve à l’abri de
surprises, elle doit avoir une ceinture de murailles qui entoure tout le massif
d’habitations et occuper l’emplacement le plus facile à défendre qu’on puisse
trouver. On doit la construire, soit sur la cime d’une montagne abrupte, ou sur
une péninsule entourée de la mer ou d’un fleuve qu’on ne saurait franchir qu’au
moyen d’un pont de bateaux ou de pierre. De cette façon, elle sera très forte
et présentera de grandes difficultés aux tentatives d’un ennemi.
Pour qu’une ville soit garantie contre les influences délétères de p.248 l’atmosphère, il faut la construire dans un
endroit où l’air est pur et qui ne soit pas sujet à des maladies. Si l’air y
est dormant et de mauvaise qualité, ou si la ville est située dans le
voisinage d’eaux corrompues, d’exhalaisons fétides ou de marais insalubres,
l’infection des environs s’y introduira promptement et donnera des maladies à
tous les êtres vivants que cette ville renferme. Cela est un fait que l’on peut
remarquer tous les jours. Les villes que l’on a construites sans avoir eu égard
à la qualité de l’air sont exposées à des maladies très fréquentes. La ville de
Cabès, située dans le Djerîd de l’Ifrikiya, province maghrébine, est très
remarquable sous ce rapport. Les habitants et les étrangers qui s’y rendent
n’échappent guère à des fièvres *211 pestilentielles,
malgré toutes leurs précautions. On dit que l’insalubrité de cette ville a
commencé dans les temps modernes et qu’auparavant elle n’était pas malsaine.
El-Bekri rapporte que ce changement eut lieu parce qu’en creusant la terre on
avait trouvé un vase de cuivre scellé avec du plomb ; on brisa le sceau,
et le vase laissa échapper une fumée qui monta dans les airs et se
dissipa : dès lors commencèrent les fièvres qui ont depuis affligé la
ville. Cet auteur veut donner à entendre que le vase renfermait un talisman
fabriqué pour écarter les épidémies, que l’influence de ce talisman disparut
avec lui et que l’infection et l’épidémie reprirent leur cours. C’est là une
histoire dans le genre de celles qui ont cours parmi les gens du peuple et qui
sont conformes à leurs opinions mal fondées. El‑Bekri n’avait pas une
instruction assez solide, une intelligence assez éclairée pour rejeter ce conte
ou pour en remarquer l’absurdité ; aussi l’a‑t‑il donné tel qu’il l’avait
entendu [23].
p.249 Pour mettre le lecteur [24]
à même de reconnaître la véritable cause de (ces maladies), nous lui ferons
observer que c’est ordinairement la stagnation des vapeurs méphitiques qui les rend
nuisibles aux corps animés et aptes à causer des fièvres. Si, au contraire, des
courants d’air viennent traverser. ces vapeurs et les disperser à droite et à
gauche, cela affaiblira leur qualité infecte ainsi que leur influence délétère
sur les êtres animés. Dans une ville qui renferme un grand nombre d’habitants
et dont la population est toujours en mouvement, l’atmosphère subit
nécessairement des ondulations qui produisent des courants d’air assez forts
pour traverser les amas de vapeurs dormantes, les remuer et les tenir dans un
état d’agitation. Mais, si la ville ne possède que peu d’habitants, ces
vapeurs, n’ayant rien qui les agite, restent immobiles, se corrompent au
dernier point et deviennent extrêmement dangereuses.
A l’époque où toute la province d’Ifrîkiya était en pleine culture, la
foule d’habitants dont elle regorgeait tenait l’atmosphère dans un *212 mouvement continuel, ce qui contribuait à
faire onduler ces vapeurs, à les agiter et à rendre très léger le mal qu’elles
pouvaient causer. Dans ce temps‑là, l’air se corrompait rarement en Ifrîkiya et
les épidémies n’étaient pas fréquentes ; mais lorsqu’elle eut perdu une
grande partie de sa population, l’air resta stationnaire et s’altéra par le contact
des eaux stagnantes. Dès lors la corruption de l’air fit de grands progrès, et
les maladies devinrent très fréquentes. Voilà la cause (qui rend les pays
malsains [25]).
Nous avons vu le fait contraire se produire dans certaines villes
qu’on avait fondées sans qu’on se fût préoccupé de la qualité de l’air. Les
habitants y étaient d’abord peu nombreux et les maladies très communes ;
mais, avec l’accroissement de la population, tout cela a changé. Il en est
ainsi de la Ville Neuve, quartier de Fez, qui est maintenant siège de
l’empire [26].
On trouve plusieurs autres villes p.250 qui sont
dans le même cas. Que le lecteur prenne nos observations en considération, et
il en reconnaîtra la justesse. [L’air de Cabès a perdu ses mauvaises
qualités [27]
depuis que le sultan de Tunis mit le siège devant cette ville et fit abattre la
forêt de dattiers qui l’entourait. Cela dégagea un côté de la ville, et permit
aux vents de traverser l’air des environs et de le mettre en mouvement. Dès
lors l’infection a disparu [28].
Dieu tourne les choses à son gré.]
Afin de faciliter aux citadins la jouissance des commodités de la vie,
il faut faire attention à plusieurs choses, et, en premier lieu, à l’eau.
Donc [29]
la ville doit être placée auprès d’une rivière ou se trouver dans le voisinage
de plusieurs sources pures et abondantes. L’eau est une chose de première
nécessité, et sa proximité épargne beaucoup de peine aux habitants quand ils en
ont besoin. C’est un grand avantage pour le public que d’avoir de l’eau à sa
portée. Les environs de la ville doivent offrir de bons pâturages : chaque
maître de maison élèvera certainement chez lui des animaux domestiques, pour la
propagation, ou pour avoir du lait, ou pour s’en servir comme montures. Ces
animaux ne sauraient se passer de pâturages, et, s’il s’en trouve de bons dans le
voisinage de la ville, cela est très commode pour les habitants et leur
épargne la peine de conduire leurs *213 troupeaux
à de grandes distances. On doit aussi faire attention à ce p.251 qu’il y ait des terres susceptibles de
culture (auprès de la ville) : les céréales forment la nourriture
fondamentale (des hommes et des animaux), et, s’il y a des champs. labourables
aux environs de la ville, cela facilite beaucoup les travaux agricoles et le
transport des grains. La ville doit se trouver à la portée d’une forêt où l’on
puisse se procurer du bois à brûler et des poutres pour les bâtiments. Le bois
est une denrée dont tout le monde a besoin ; il en faut pour le chauffage,
et l’on ne saurait se passer de planches pour former les toits des
maisons ; d’ailleurs beaucoup d’ustensiles de première nécessité se font
avec du bois. La proximité de la mer est encore à rechercher si l’on veut tirer
des pays lointains les denrées de luxe dont on a besoin ; mais ceci n’est
pas une condition aussi importante que la première. Au reste, toutes ces
conditions se modifient selon la nécessité des choses et les besoins des
habitants.
Les fondateurs des villes ont négligé quelquefois les emplacements que
la nature des lieux leur désignait ; ne pensant qu’à certains avantages
de position, qui paraissaient à eux ou à leur peuple de la première importance,
ils ne se préoccupèrent nullement des besoins de la postérité. C’est ainsi que
firent les Arabes dans les premiers temps de l’islamisme, lorsqu’ils fondèrent
des villes dans l’Irac, dans le Hidjaz [30]
et en Ifrîkiya. Dans le choix des emplacements, ils ne cherchaient que ce qui
leur paraissait le plus essentiel, c’est‑à‑dire des pâturages où leurs chameaux
trouveraient les arbustes et les eaux saumâtres qui leur convenaient ; ils
ne songeaient pas à la nécessité d’avoir auprès de leur ville de l’eau douce,
des champs labourables, des bois et des pâturages qui conviendraient aux
animaux ongulés et autres. Ce fut ainsi qu’on fonda Cairouan, Koufa, Basra,
Sidjilmessa et d’autres villes du même caractère ; et, comme on n’y avait
tenu aucun compte des avantages naturels (que l’emplacement d’une ville doit
offrir), elles dépérirent très rapidement.
Dans les contrées maritimes, toute ville que l’on construit près p.252 du bord de la mer doit être située sur une
haute colline ou avoir dans le voisinage plusieurs peuplades qui puissent lui
porter secours dans le cas où elle serait attaquée à l’improviste. Une ville
maritime *214 qui n’a pas dans les environs une
nombreuse population composée de tribus animées toutes d’un fort esprit de
corps et qui n’est pas située sur une colline d’accès difficile, est très
exposée à être surprise dans une attaque de nuit. L’ennemi peut y aborder
facilement au moyen de sa flotte, et y faire de grands dégâts, sachant bien que
la ville ne sera pas secourue, et que les habitants, accoutumés à vivre dans
l’aisance, sont devenus incapables de se protéger eux‑mêmes et ne peuvent plus
être comptés pour des hommes de guerre. Telles sont les villes d’Alexandrie en
Orient, et de Tripoli, de Bône et de Salé en Occident. Mais si la ville a dans
les environs des tribus ou peuplades qu’elle puisse rassembler promptement et
faire venir à son secours, ou si les chemins par lesquels on y arrive offrent
des obstacles à la marche d’un ennemi, ce qui a lieu quand elle est bâtie sur
le flanc ou la cime d’une montagne, elle est à l’abri d’attaques : l’ennemi
renoncerait même à l’espoir de la surprendre, sachant les difficultés que le
terrain opposerait à sa marche, et assuré que la ville recevrait de prompts
secours. Tel est le cas de Ceuta, de Bougie et de la ville de Collo, toute
petite qu’elle est.
Le lecteur, ayant bien considéré nos observations, comprendra
pourquoi, depuis le temps des Abbacides, on a spécialement désigné la ville
d’Alexandrie par le titre de la
Frontière, bien que l’autorité de ces princes s’étendît sur des contrées
situées plus loin, du côté de Barca et de l’Ifrîkiya. On l’a fait parce qu’on
savait que cette ville, étant bâtie dans un pays plat, serait très exposée [31]
à des attaques du côté de la mer. Ce fut probablement à cause de la situation
d’Alexandrie et de Tripoli que ces villes ont été surprises plusieurs fois par
l’ennemi dans les temps islamiques.
p.253 *215 Dieu, que son nom soit
exalté ! fit choix de certains endroits de la terre afin de les ennoblir
d’une manière spéciale et d’en faire des lieux de dévotion, où ses adorateurs
recevraient une double récompense, une large rétribution. Il nous l’a appris
lui-même par la bouche de ses envoyés et de ses prophètes ; (il a favorisé
ces lieux) afin de donner à ses serviteurs une marque de sa bonté et de
leur [32]
faciliter la voie du salut. Les trois mosquées de la Mecque, de Médine et de
Beït el‑Macdis (la demeure de la sainteté, Jérusalem), sont les lieux les plus
nobles de la terre, ainsi que cela est constaté par les deux Sahîhs. (Le temple de) la Mecque fut la
maison d’Abraham : Dieu lui ordonna de la bâtir et de sommer les hommes de
s’y rendre en pèlerinage. Abraham construisit la maison (sainte) avec l’aide
de son fils Ismaël, ainsi que cela est raconté dans le Coran [33].
Il exécuta à cet égard l’ordre de Dieu. Ismaël et Agar demeurèrent à la Mecque
jusqu’à leur mort, et plusieurs Djorhémides s’y établirent avec eux. On les
enterra tous les deux dans le Hidjr [34], endroit qui faisait partie de cette
maison. Jérusalem fut la demeure de David et de Salomon, auxquels Dieu donna
l’ordre d’y construire une mosquée (ou lieu de prière) et d’y ériger les
bâtiments du temple. Aux alentours sont enterrés un grand nombre de prophètes,
descendants d’Isaac. Médine est la ville qui servit de retraite à notre
prophète. Dieu lui ordonna de s’y retirer, d’y établir la religion musulmane et
de la répandre de là au loin. Il y bâtit la Mesdjid
el‑Haram (la mosquée inviolable), et ce fut dans le sol de cet édifice
qu’on creusa son noble tombeau. Ces trois mosquées sont les objets qui
réjouissent le plus les yeux des musulmans, qui attirent leurs cœurs et qui
servent d’asile à la religion. Les traditions au sujet de leur prééminence et
des récompenses plusieurs fois redoublées qui seront accordées à ceux qui p.254 s’établiront dans leur voisinage et qui y
feront la prière sont très nombreuses [35]
et bien connues. Nous allons donner quelques indications *216 touchant la fondation de ces trois mosquées
et la série d’événements qui amena la manifestation complète de leur
excellence aux yeux du monde.
Quant à l’origine (du temple) de la Mecque, on dit qu’Adam le
construisit vis‑à‑vis d’El‑Beît el‑Mâmour [36], et que le déluge le renversa. Il ne
nous est cependant parvenu aucune tradition authentique et digne de foi qui
puisse justifier cette opinion. On l’a empruntée à un verset du Coran qui
semble la favoriser et qui est ainsi conçu : « Et quand Abraham éleva les fondements de la maison
(sainte) avec (l’aide d’)Ismaël [37] ».
Ensuite Dieu envoya Abraham, dont on connaît l’histoire, ainsi que celle de sa
femme Sara, qui portait une si vive jalousie à Agar. Dieu révéla alors à
Abraham l’ordre de se séparer d’Agar et de l’éloigner, elle et son fils Ismaël, jusqu’à Faran, c’est‑à-dire aux montagnes de la Mecque,
dans le pays situé derrière la Syrie et la ville d’Aila. Arrivée à l’endroit on
la maison (sainte) devait s’élever (plus tard), Agar éprouva une grande soif,
et Dieu, dans sa bonté fit en sorte que l’eau jaillit du (puits de)
Zemzem [38],
et qu’une caravane, composée de Djorhémides, passa auprès d’elle et de son
fils, et leur fournit des montures. Ces voyageurs s’établirent à côté d’eux,
aux environs du Zemzem, ainsi que cela est exposé en son lieu p.255 et place [39].
Ismaël construisit une maison sur l’emplacement de la Caaba, qui devait lui
servir de résidence, et l’entoura d’une clôture de doum [40], dans l’intérieur de laquelle il
parquait ses troupeaux. Abraham vint plusieurs fois de la Syrie pour voir son fils, et, lors de sa dernière visite, il reçut de Dieu l’ordre de
bâtir la Caaba dans ce clos. Il construisit cet édifice avec l’aide de son fils
Ismaël, et somma alors tous les hommes de venir y faire le pèlerinage [41].
Ismaël continua à demeurer dans cette maison, et, lorsque sa mère Agar fut
morte, il l’y enterra. Dès lors il resta au service de la (Caaba) jusqu’à ce
que Dieu lui enlevât la vie. Il fut enterré à côté de sa mère. Ses fils, secondés
par leurs oncles maternels, les Djorhémides, continuèrent à avoir soin de la
maison (sainte). Les Amalécites remplacèrent ensuite les Djorhémides dans ce
service [42],
et les choses continuèrent longtemps *217 dans cet
état. On y venait des diverses parties du monde : tous les peuples de
l’univers [43]
s’y rendaient, non seulement les descendants d’Ismaël, mais aussi les hommes
des autres races [44],
tant ceux qui demeuraient dans les contrées lointaines que ceux qui habitaient
les pays voisins. On rapporte que les Tobba (rois du Yémen) allaient en
pèlerinage à la maison (sainte) et lui témoignaient une grande
vénération ; on dit aussi qu’un de ces princes [nommé Kiar Asaad Abou
Koub [45]]
revêtit la Caaba d’un voile et d’étoffes rayées p.256
(comme cela s’est toujours pratiqué depuis). Il donna aussi l’ordre de
la purifier et y apposa une serrure [46].
On rapporte que les Perses s’y rendaient en pèlerinage et y laissaient des
offrandes, parmi lesquelles, dit‑on, furent les deux gazelles d’or qu’Abd
el-Mottaleb [47]
retrouva lorsqu’il fit déblayer le puits de Zemzem [48].
Les Djorhémides succédèrent aux enfants d’Ismaël dans la garde de la
Caaba [49],
ayant hérité cette charge de leurs oncles maternels, et la conservèrent
jusqu’à ce qu’elle leur fût enlevée par les Khozâa, tribu qui l’exerça ensuite
pendant un temps considérable. La postérité d’Ismaël, étant devenue très
nombreuse, se propagea au loin et se divisa en plusieurs branches, dont une
formait la tribu de Kinana. Celle‑ci produisit les Coreïchides et autres
familles. Comme les Khozâa remplissaient très mal les fonctions dont ils
s’étaient chargés, les Coreïchides, qui eurent alors pour chef Cosaï Ibn Kilab,
leur enlevèrent le droit de garder la maison (sainte) et les en dépossédèrent.
Cosaï rebâtit la maison, et y mit un toit fait avec du bois de doum et (recouvert) de feuilles de
dattier. (Le poète) El‑Acha [50]
a dit (à ce sujet) :
J’en jure par les deux robes
d’un moine et par la (maison) que Cosaï bâtit lui seul et le fils de Djorhem [51].
p.257 Pendant que la maison sainte
était sous la garde des Coreïchides, elle fut détruite par un torrent ou, dit‑on,
par un incendie. Ils reconstruisirent l’édifice, et, pour subvenir aux frais
de cette entreprise, ils contribuèrent chacun pour une portion de leur
fortune [52].
Un navire ayant fait naufrage sur la côte de Djidda, ils en achetèrent le bois
pour en faire le toit de la maison. La hauteur des murailles, qui (dans le
principe) dépassait à peine la taille d’un homme, fut portée par eux à dix‑huit
coudées. La porte avait été au niveau du sol ; ils la placèrent plus haut
que la taille d’un homme, afin d’empêcher les torrents d’y pénétrer. L’argent
étant venu à leur manquer avant l’achèvement du travail, ils laissèrent en
dehors de leur construction une partie des (anciennes) fondations, sur une
longueur de *218 six coudées et un empan.
On entoura cette partie d’un mur très bas, en dehors duquel les pèlerins
devaient passer en faisant les tournées (saintes autour de l’édifice) :
c’est là le Hidjr. La maison
(sainte) resta dans cet état jusqu’à l’époque où (Abd Allah) Ibn ez‑Zobeïr,
s’étant fait proclamer khalife, se retrancha dans la Mecque, l’an 64 (683‑684
de J. C.), afin de résister à l’armée que Yezîd, fils de Moaouîa, avait envoyée
contre lui sous les ordres d’El-Hoceïn Ibn Nomeïr es‑Sekoum. La maison sainte
souffrit alors d’un incendie, allumé, dit‑on, par le feu grégeois (naft)
qu’on lança contre Ibn ez‑Zobeïr. Comme les murailles s’étaient fendues à la
suite de cet accident, Ibn ez‑Zobeïr les fit abattre, et reconstruisit
l’édifice avec le plus grand soin. Les anciens Compagnons (de Mohammed)
blâmèrent le plan adopté par Ibn ez‑Zobeïr, mais il se justifia eu leur
citant la parole suivante, que le Prophète avait adressée à Aïcha :
« Si ton peuple (les Mecquois) n’était pas sorti de l’infidélité depuis
si peu de temps, je reconstruirais la maison (sainte) sur les fondations posées
par Abraham. J’y mettrais deux portes, l’une tournée vers l’orient, et l’autre
vers l’occident ». Ibn ez‑Zobeïr fit alors abattre l’édifice et mettre à
découvert les fondations posées par Abraham. Il rassembla p.258 ensuite les grands et les notables, afin de
leur faire voir ces anciennes constructions. Ibn Abbas lui recommanda fortement
de poser (provisoirement) devant les yeux du peuple un objet qui leur
servirait de kibla [53],
et, par suite de ce conseil, il érigea autour des fondations un échafaudage de
bois, qu’il fit recouvrir de toiles. De cette manière, il évita de laisser
disparaître la kibla. Il fit venir de
Sanâa (du Yémen) un approvisionnement de plâtre et de chaux, et, s’étant
informé du lieu où se trouvaient les anciennes carrières, il en tira toutes les
pierres dont il avait besoin. Ayant alors commencé à bâtir sur les fondations
posées par Abraham, il éleva les murailles à la hauteur de vingt‑sept coudées.
Il mit à la maison deux portes, qu’il plaça au niveau du sol, se conformant.
ainsi aux indications fournies par la tradition déjà citée. Il dalla
l’intérieur de la maison avec du marbre et en revêtit aussi les murailles. On
fabriqua, par son ordre, des lames d’or pour recouvrir les portes, et des clefs
d’or (pour les serrures).
El-Haddjadj, étant venu l’y assiéger sous le règne d’Abd el‑Melek,
foudroya la mosquée avec ses mangonneaux, et fendit ainsi les murailles de la
maison (sainte). Après avoir vaincu Ibn ez‑Zobeïr, il demanda *219 l’avis d’Abd el‑Melek au sujet des
altérations et des additions que ce chef y avait faites. Le khalife répondit
par l’ordre de tout abattre, et de reconstruire la maison sur les fondations
mêmes que les Coreïchides avaient choisies. Encore aujourd’hui elle porte sur
ces fondations. On rapporte qu’Abd el‑Melek, ayant ensuite acquis la certitude
que la tradition attribuée à Aïcha était authentique, regretta vivement ce
qu’il avait permis. « Ah ! s’écria‑t‑il, j’aurais mieux fait de
laisser à Abou Khobeïb [54]
la responsabilité dont il s’était chargé en reconstruisant la maison
(sainte) ». El‑Haddjadj abattit sur une longueur de six coudées et un
empan la partie de la maison qui regardait le Hidjr, et la reconstruisit sur
les fondations posées par les Coreïchides. Il fit boucher la porte occidentale
ainsi que la partie p.259 du mur qui se
trouve maintenant au‑dessous du seuil de la porte orientale [55],
et laissa le reste de l’édifice sans y faire aucun changement. Donc la maison
sainte est (presque) en entier de la construction d’Ibn ez‑Zobeïr. On distingue
encore sur un des murs la ligne où la partie construite par El‑Haddjadj se
joint à celle qu’Ibn ez‑Zobeïr avait fait bâtir : l’espace entre les deux
est de la largeur d’un doigt et ressemble à une crevasse, mais elle est
complètement fermée.
Un problème très difficile à résoudre se présente ici ; car (ce
que nous venons d’exposer) ne saurait se concilier avec la doctrine des
légistes au sujet des tournées (que les pèlerins doivent faire autour de la
maison sainte). Ils disent qu’en faisant les tournées il faut éviter de se
pencher au‑dessus du soubassement (de la Caaba [56]),
car autrement les tournées se feraient en dedans (des fondations de) la maison
sainte. Cette opinion est fondée sur la supposition que la Caaba ne s’appuie
pas en entier sur les (anciennes) fondations, dont on aurait laissé en dehors
des murailles la partie qui s’appelle le soubassement. Les légistes enseignent
encore la même chose en parlant de la manière de baiser la pierre noire :
« Celui, disent‑ils, qui la baise en faisant les tournées doit marcher en
arrière avant de se redresser (et de continuer sa course) ; sans cela il
ferait une partie de la tournée en dedans (des anciennes fondations) de la
maison ». Or, si toutes les murailles de cet édifice ont été construites
par Ibn ez‑Zobeïr, elles reposent nécessairement sur les anciennes fondations
d’Abraham ; comment alors le pèlerin pouvait‑il commettre l’erreur contre
laquelle les légistes le mettent en garde ? Il n’y a pas moyen de résoudre
cette difficulté, à moins d’admettre l’une ou l’autre des p.260 *220 suppositions suivantes : 1° qu’El‑Haddjadj
abattit tout l’édifice et le reconstruisit (en le rétrécissant), opinion que
les récits de plusieurs traditionnistes pourraient justifier si l’on ne voyait
pas sur l’édifice lui-même des indications qui prouvent le contraire ; on
les reconnaît dans la ligne de jonction qui règne entre les deux constructions
et dans la différence de travail qui existe entre la construction supérieure
et la construction inférieure ; 2° qu’Ibn ez‑Zobeïr ne construisit pas la
totalité de la maison sur les fondations d’Abraham, et qu’il le fit seulement
pour le Hidjr, local qu’il voulait faire entrer dans l’édifice ; donc la
Caaba, bien qu’elle soit construite par Ibn ez‑Zobeïr, ne s’élèverait pas sur
les fondations posées par Abraham ; mais cela est tout à fait
improbable ; et cependant il faut adopter l’une ou l’autre de ces opinions
(si l’on admet la doctrine des légistes).
Le parvis de la maison sainte forme la mosquée. C’était autrefois une
place ouverte dans laquelle on faisait les tournées. Au temps du Prophète et de
son successeur, Abou Bekr, ce parvis n’était pas clos de murs ; mais, le
nombre des pèlerins s’étant ensuite augmenté beaucoup, Omar acheta plusieurs
des maisons (voisines), les fit abattre afin d’agrandir ce local, qui servait
de mosquée, et il entoura le tout d’un mur dont la hauteur n’atteignait pas à
la taille d’un homme. Othman fit comme Omar ; Ibn ez‑Zobeïr suivit leur
exemple ; puis el-Ouélid, fils d’Abd el‑Melek, reconstruisit le (mur de
clôture) en y ajoutant une colonnade de marbre. El‑Mansour agrandit encore la
mosquée, et son fils et successeur, El‑Mehdi, fit de même. Depuis lors on n’y
a plus fait d’addition, et elle est restée dans cet état jusqu’à nos jours.
On ne saurait concevoir jusqu’à quel point Dieu a ennobli et chéri la
maison sainte. Il nous suffira de dire qu’il en a fait un lieu où les
révélations célestes et les anges descendaient du ciel ; qu’il la destina
spécialement aux actes de dévotion ; qu’il prescrivit, à l’égard d’elle
seule, les cérémonies et les pratiques du pèlerinage, et qu’il assura à toutes les
parties du Haram (ou territoire sacré qui entoure la Mecque) des droits et des
privilèges qu’il n’avait jamais accordés à aucun autre p.261 lieu. Il en a défendu l’entrée à tout individu qui ne
professe pas la religion musulmane, et il a imposé, à quiconque y pénètre,
l’obligation de se dépouiller de toute espèce de vêtement cousu à l’aiguille,
et de se couvrir d’une simple pièce de toile (izar) ; il a pris
sous sa protection tous les êtres vivants qui s’y réfugient, tous les animaux
qui paissent dans les champs voisins, de sorte que personne ne doit *221 leur nuire. Les animaux craintifs n’ont
aucun danger à appréhender en ce lieu ; on n’y fait pas la chasse au
gibier, et l’on n’y coupe pas les arbustes pour se procurer du bois à brûler.
Le Haram, jouissant de ces privilèges honorables, a pour limites : Tenaîm,
à trois milles de la Mecque, sur la route de Médine ; le col de la
montagne d’El-Moncatâ, sur la route de l’Irac et à la distance de sept
milles ; le Châab (ou défilé), sur la route d’El‑Djiêrana, et à la
distance de neuf milles ; Batn‑Nemra, sur la route de Taïf, et à la
distance de sept milles ; Moncatâ ’l-Achaïr, sur la route de Djidda, et à
la distance de dix milles. Voilà pour la Mecque et pour son histoire.
On désigne la Mecque (Mekka) par les noms d’Omm el‑Cora (la mère des villes, la
métropole) ; on l’appelle aussi la
Caaba [57],
parce qu’elle s’élève en forme de dé à jouer (caab), et on la nomme
aussi Bekka. Selon El‑Asmaï [58],
ce dernier nom lui fut donné parce que les hommes se coudoyaient (bekk)
dans leur empressement à s’y rendre. El‑Modjahed [59]
dit que le b de Bekka se
changea en m, de même que le verbe lazeb
(être attaché) se convertit en lazem, et cela à cause de la proximité
mutuelle des organes qui servent à l’émission de ces deux lettres. « Ce
n’est pas cela, dit En‑Nakhaï [60] ;
Bekka désigne la maison sainte, et
Mekka la ville ». Selon Ez‑Zohri [61],
Bekka désigne la mosquée en
totalité, et Mekka le haram [62].
p.262 Même dans les temps du paganisme,
les peuples avaient une profonde vénération pour la maison sainte, et les
rois, comme Chosroès et autres, y envoyaient de riches offrandes. On connaît
l’histoire des épées et des deux gazelles d’or qu’Abd el‑Mottaleb retrouva en
déblayant le puits de Zemzem. Quand le Prophète s’empara de la Mecque, il
trouva dans la citerne située dans l’intérieur de la (maison sainte) soixante
et dix mille onces d’or que les rois y avaient envoyées comme dons. Ce trésor
valait deux millions de dinars et pesait deux cents
*222 quintaux [63].
Ali lui proposa alors d’appliquer ces richesses aux frais de la guerre ;
mais son avis ne fut pas accueilli. On donna le même conseil à Abou
Bekr ; mais il n’y fit aucune attention. Voilà ce que rapporte El‑Azraki [64].
« El‑Bokhari relate la tradition suivante, qu’il fait remonter à Abou
Ouaïl [65] :
« J’allai m’asseoir, dit-il [66],
à côté de Cheïba Ibn Othman [67],
qui me dit : Omar Ibn el‑Khattab s’étant assis à côté de moi, prononça ces
paroles : J’ai la pensée de ne pas laisser une seule pièce jaune ou
blanche dans ce dépôt, et de tout distribuer aux vrais croyants. Je lui
dis : Tu ne feras pas cela. — Pourquoi ? me dit‑il. Je
répondis : Parce que tes deux compagnons (et prédécesseurs) ne l’ont pas
fait. — Ah ! s’écria-t‑il, ce sont là des hommes dont la conduite doit
servir d’exemple ». Abou Dawoud [68]
et Ibn Madja [69]
ont inséré cette tradition dans leurs recueils. Ce trésor resta où il était
jusqu’à la révolte d’El‑Aftas (le camus), dont le vrai nom était El‑Hoceïn, et
qui était fils d’El‑Hoceïn, fils d’Ali, fils d’Ali Zeïn el‑Abedîn [70].
Cela eut p.263 lieu l’an 199 (814‑815 de J. C.).
El‑Aftas, s’étant emparé de la Mecque, se rendit à la Caaba et en enleva tout
cet or, en disant : « Que fait
la Caaba des richesses que l’on y a déposées ? Elles ne lui servent de
rien. Nous y avons plus de droit que la Caaba ; nous les emploierons pour
nous aider dans cette guerre ». Ayant fait emporter ce trésor, il le
dépensa en entier, et, depuis lors, il n’y a plus eu de richesses déposées
dans la Caaba.
Beït el‑Macdis (Jérusalem), nommé aussi El-Mesdjid el‑Acsa (la mosquée la plus éloignée), fut d’abord, au
temps des Sabéens, un temple consacré à (la planète) Vénus. On présentait à
cette divinité de l’huile et d’autres offrandes, et l’on répandait l’huile sur la
Sakhra [71], qui se trouvait là. Après la ruine de
ce temple, la ville tomba au pouvoir des enfants d’Israël, et devint pour eux
la kibla vers laquelle ils se tournaient
en faisant la prière. Voici comment cela eut lieu : lorsque Moïse eut fait
sortir les Israélites d’Égypte afin de les mettre en possession de Jérusalem,
selon la promesse que Dieu avait faite à leur père Israël, à Isaac, père de
celui-ci, et avant cela à Jacob [72],
et que ce peuple se fut arrêté dans le pays de l’Égarement, Dieu ordonna à *223 Moïse de fabriquer, avec du bois d’acacia,
un tabernacle, dont il lui avait montré, par une révélation, les dimensions et
la forme, ainsi que les figures colossales et les images qu’il devait
renfermer. Il lui ordonna aussi d’y mettre une arche, une table avec ses
plats, un chandelier avec ses lumières, et un autel pour les sacrifices. Tout
cela est décrit de la manière la plus détaillée dans le Pentateuque. Moïse
construisit le tabernacle et y plaça l’arche de l’alliance. Cette arche p.264 renfermait les tables de la loi que l’on
avait faites pour remplacer celles que Moïse avait brisées et qui étaient
descendues du ciel avec les dix commandements. Il plaça l’autel auprès du
(tabernacle), et Dieu lui ordonna de confier à Aaron le droit d’offrir des
sacrifices. Ce fut dans le désert, au milieu de leur camp, que les Israélites
dressèrent le tabernacle, vers lequel ils se tournaient pour faire la prière,
et devant lequel ils sacrifiaient des victimes, et ce fut dans son voisinage
qu’ils attendaient les révélations divines. Lorsqu’ils se furent emparés de la
Syrie, ils posèrent le tabernacle à Galgal, dans la Terre‑Sainte, entre le
territoire qui tomba en partage aux Beni-Yamîn (la tribu de Benjamin) et celui
des enfants d’Éfraïm. Il resta dans ce lieu quatorze ans ; sept pendant la
guerre et sept après la conquête, dans le temps où l’on faisait le partage du
pays. Après la mort de Josué, on le transporta à Silo, près de Galgal, et on
l’entoura d’une muraille [73].
Il y était depuis trois cents ans, quand les Philistins l’enlevèrent, ainsi que
nous l’avons dit (dans l’Histoire des peuples antéislamites), et vainquirent
les Israélites ; mais ils le rendirent dans la suite. Après la mort de
Aali (Héli) (grand) prêtre, on le transporta à Nouf (Nobé), puis à
Gabaon [74],
dans le territoire de la tribu de Benjamin ; ce qui eut lieu sous le règne
de Talout (Saül). David, ayant ensuite obtenu la souveraineté [75],
fit porter le tabernacle et l’arche à Beït el‑Macdès, et plaça l’arche à part,
sous un voile et au‑dessus de la Sakhra, où elle resta, avant vis‑à‑vis le
tabernacle. David eut l’intention de bâtir au‑dessus *224 de la Sakhra un temple [76] pour remplacer le tabernacle, mais il
ne put accomplir son dessein. Salomon, son fils, à qui il recommanda en mourant
d’exécuter son projet, se mit à bâtir le temple dans la quatrième année de son
règne, cinq cents ans après la mort de Moïse. Il employa le cuivre pour faire
les colonnes de cet édifice [77], dans p.265
lequel [78]
il plaça le pavillon de verre [79].
Il revêtit d’or les portés et les murs, il fit fondre en or les grandes images,
les figures (d’animaux), les vases, les chandeliers et les clefs. Il
construisit le fond [80]
de l’édifice en forme d’arcade [81],
afin d’y déposer l’arche de l’alliance, qu’il fit venir de Sîhoun (Sion), la
ville de son père David. [Il l’y avait fait porter pendant la construction du
temple, et on la rapporta alors [82].] Les (chefs des) tribus et les
prêtres [83]
la portèrent jusqu’à l’arcade, où ils la déposèrent. Le tabernacle, les vases
et l’autel furent placés, chaque objet à l’endroit de la mosquée qui lui fut
destiné. Les choses restèrent en cet état très longtemps. Huit cents ans
s’écoulèrent depuis la fondation du temple jusqu’à sa destruction par
Nabuchodonosor. Ce roi livra aux flammes le Pentateuque et le bâton (de
Moïse) ; il fit fondre les images et disperser les pierres (de l’édifice).
Plus tard les rois de Perse renvoyèrent les Juifs dans leur patrie, et Ozeïr[84],
qui était alors le prophète [85]
des enfants d’Israël, rebâtit le temple. avec le concours de Behmen, roi de
Perse [86].
Ce prince était né d’une Juive qui faisait partie des captifs emmenés par
Nabuchodonosor [87]. Behmen p.266
assigna à l’emplacement du temple des limites plus resserrées que celles
de l’ancien temple de Salomon, et on ne les dépassa pas. [Les portiques au‑dessous
de la mosquée étaient à deux étages, et les colonnes de l’étage supérieur
s’appuyaient sur les voûtes de la colonnade inférieure. Beaucoup de personnes
s’imaginent que ce furent là les écuries de Salomon, mais elles se
trompent : ce roi ne construisit ces colonnades qu’avec le dessein de
garantir le Beït el‑Macdis contre *225 les
impuretés auxquelles on se figurait qu’il serait exposé. D’après la loi des
Juifs, si des impuretés souterraines sont couvertes de terre jusqu’à la surface
du sol, de sorte qu’une ligne droite tirée de cette surface les atteigne (sans
rencontrer un espace vide), la surface est impure. Telle était l’opinion de
leurs docteurs, et, chez eux, ces opinions passaient pour des vérités. Aussi
bâtirent‑ils les portiques de la manière que nous avons décrite : comme
les colonnes de l’étage inférieur allaient aboutir à leurs arches [88],
la ligne droite était interrompue et les émanations impures ne pouvaient pas
monter directement jusqu’en haut. De cette façon ils crurent garantir le
temple contre ces émanations supposées, et assurer parfaitement la pureté et la
sainteté de ce lieu [89].]
Les rois des Grecs, des Perses et des Romains subjuguèrent alternativement
les Juifs, et ce fut pendant cette période (de malheurs) que les Beni-Hachmonaï
(les Asmonéens ou Machabées), famille de prêtres juifs, portèrent l’empire des
Israélites à un haut degré de puissance. L’autorité passa ensuite à leur beau‑frère
Hérode, qui la transmit à ses enfants. Ce prince rebâtit Beït el‑Macdis (le
temple), et lui donna la même étendue que celle du temple élevé par Salomon.
Il s’occupa de ce travail avec tant d’ardeur qu’il l’acheva en six ans. Titus,
roi des Romains, étant venu pour combattre les Juifs, p.267 les vainquit, s’empara de leur empire et dévasta Beït el‑Macdis.
Il ordonna de semer (du blé) sur l’emplacement du temple qu’il venait de
mettre en ruines. Plus tard, les Roum (les Grecs et les Romains) embrassèrent
la religion du Messie, auquel ils témoignèrent dès lors un profond respect.
Leurs rois adoptèrent tantôt le christianisme et tantôt le répudièrent ;
mais, lors de l’avènement de Constantin, sa mère Hélène [90],
qui avait embrassé le christianisme, se rendit à El-Cods (Jérusalem), afin de
chercher le bois sur lequel les chrétiens prétendent que Jésus fut crucifié.
Ayant appris des patrices que ce bois avait été jeté par terre et couvert
d’immondices, elle l’en fit retirer, *226 et, sur
le lieu regardé par les chrétiens comme le tombeau du Messie, elle bâtit
l’église appelée Comama [91].
Elle fit détruire tout ce qui existait encore des constructions du temple et
jeter des ordures et du fumier sur la Sakhra. Cette pierre en fut tellement
couverte que son emplacement même n’était plus reconnaissable. Elle croyait
venger de cette manière la profanation de ce qu’elle regardait comme le tombeau
du Messie [92].
Quelque temps après, on rebâtit, en face [93]
de la Comama, la maison dans laquelle naquit Jésus, et qui s’appelle Beït‑Lahm (Bethléem). Les choses
restèrent en cet état jusqu’à la promulgation de l’islamisme et à la prise de
la ville. (Le khalife) Omar, étant venu pour assister à la reddition de Beït
el-Macdis, demanda où se trouvait la Sakhra, et on lui fit voir le lieu où
elle restait enterrée sous un amas de fumier et de terre. L’ayant fait mettre
à découvert, il bâtit au‑dessus d’elle une mosquée dans le genre des mosquées
qu’un peuple nomade est capable de construire.
Le temple (de Jérusalem) doit son importance au respect que les hommes
lui ont toujours témoigné, avec la permission de Dieu, et p.268 aux passages du Coran qui avaient annoncé
d’avance l’excellence de ce lieu. (Le khalife omeïade) El‑Ouélîd, fils d’Abd el‑Mélek,
entreprit de rebâtir la mosquée (de Jérusalem) sur le plan des autres mosquées
de l’islamisme, et s’en occupa avec beaucoup d’ardeur, ainsi qu’il l’avait fait
pour le Mesdjid el‑Haram (le temple de la Mecque), la mosquée du Prophète à
Médine et la mosquée de Damas, appelée par les Arabes le Belat (ou nef) d’El‑Ouélîd. Pour construire ces mosquées et les orner
de mosaïques, il obligea le roi des Grecs à lui envoyer de l’argent et des
ouvriers. Toutes ces entreprises furent terminées à sa satisfaction.
Dans la dernière partie du Ve siècle de l’hégire, la puissance du khalifat
s’était très affaiblie, et (ces mosquées) se trouvaient au pouvoir des
Obeïdides (Fatemides), khalifes chîïtes qui régnaient au Caire. L’autorité des
Obeïdides ayant commencé à décliner, les Francs marchèrent sur Beït el‑Macdis,
et s’en rendirent maîtres, ainsi que de toutes les places frontières de la
Syrie. Ils érigèrent au-dessus de la sainte Sakhra une église dont ils étaient
très fiers et *227 pour laquelle ils
montraient une profonde vénération. Quelque temps après, Salah ed‑Dîn
(Saladin), fils d’Aïyoub le Kurde, s’empara de l’Égypte et de la Syrie,
renversa l’empire des Obeïdides, extirpa leur doctrine hérétique et passa en
Syrie. Il y combattit les Francs jusqu’à ce qu’il leur enlevât Beït el‑Macdis
et toutes les forteresses syriennes qui étaient tombées entre leurs mains. Cela
eut lieu vers l’an 580 de l’hégire [94].
Il abattit l’église qu’ils y avaient érigée, fit découvrir la Sakhra et
reconstruire la mosquée dans sa forme actuelle.
Le lecteur ne doit pas se laisser embarrasser par la difficulté bien
connue qui se présente dans les traditions authentiques et que je reproduis
ici : « On demanda au Prophète quelle était la première maison
(sainte) qui fut instituée (pour les hommes), et il répondit : « La
Mecque ». On lui demanda alors
quelle était la seconde, et il p.269 répondit :
« Beït el‑Macdis ». On lui demanda ensuite combien il s’était passé
de temps entre l’institution de ces deux maisons, et il répondit :
« Quarante ans ». La difficulté porte sur le temps écoulé depuis la
fondation de la Mecque jusqu’à celle de Beït el‑Macdis : ce temps doit se
mesurer par le nombre d’années qui séparent Abraham (fondateur du premier
édifice) de Salomon, fondateur du second ; or cet intervalle dépasse de
beaucoup mille ans [95].
(Pour résoudre cette difficulté) il faut seulement se souvenir que, dans cette
tradition, le mot instituée n’est pas
l’équivalent de bâtie ; il
signifie désignée pour servir de lieu
de dévotion. Il est donc très probable que Beït el‑Macdis fut institué
pour cet objet à une époque dont l’antériorité à celle de Salomon peut se
mesurer par l’espace de temps que nous venons d’indiquer. On rapporte que les
Sabéens avaient construit au‑dessus de la Sakhra un temple qu’ils dédièrent à
Vénus ; cela est admissible, puisque la Sakhra fut toujours un objet de
dévotion. Ce fut ainsi que des Arabes du temps du paganisme placèrent des
idoles et des images autour et dans l’intérieur de la Kaaba. D’ailleurs les Sabéens
qui avaient érigé ce temple à Vénus étaient contemporains d’Abraham. On peut
donc admettre qu’entre l’institution de la Mecque et de Beït el‑Macdis, comme
lieux d’adoration, il n’y avait qu’un *228 intervalle
de quarante ans, bien qu’on sache positivement qu’aucune construction
n’existait alors dans ce dernier lieu, et que Salomon fut le premier qui y
bâtit le temple. Quand on a bien compris ces observations, on possède le moyen
de résoudre la difficulté.
Quant à El‑Medînat el‑Monauwera (la ville illuminée, Médine), elle
doit sa fondation à Yathrib Ibn Mehlaïl [96]
l’Amalécite, et pour cette raison on l’appelait de son nom. Les Israélites,
pendant qu’ils faisaient leurs conquêtes dans le Hidjaz, enlevèrent cette
ville aux Amalécites. Les enfants de Caïla (les Aous et les Khazredj), qui
appartenaient à la tribu de Ghassan, vinrent ensuite s’établir dans le
voisinage, et leur enlevèrent Médine et les châteaux qui l’entouraient. A une p.270 époque plus récente, le Prophète ordonna à
ses partisans de se réfugier dans Yathrib, faveur que Dieu avait prédestinée à
cette ville. Quand il s’y retira lui-même avec Abou Bekr, le reste de ses partisans
le suivit et s’y fixa. Le Prophète bâtit sa mosquée et ses maisons dans ce
lieu, qui fut prédestiné à cet honneur de toute éternité. Les enfants de Caïla
l’accueillirent avec empressement et lui prêtèrent aide et secours ; aussi
reçurent‑ils le nom d’Ansars (aides, auxiliaires). Ce fut de Médine que
la doctrine [97]
de l’islamisme se propagea jusqu’à ce qu’elle atteignît son entier
développement et prévalût sur toutes les autres doctrines.
Quand le Prophète eut vaincu ses concitoyens et pris possession de la
Mecque, les Ansars croyaient qu’il les quitterait tout à fait, afin de se fixer
dans sa ville natale. Ému des craintes qu’ils exprimaient, il leur adressa un
discours dans lequel il déclara qu’il ne les abandonnerait jamais. En effet,
quand il mourut, il trouva dans Médine un noble tombeau. Plusieurs traditions
authentiques attestent de la manière la plus positive et la plus évidente
l’excellence de cette ville. A une certaine époque, les docteurs de la loi
furent en désaccord sur la question de savoir si Médine avait la prééminence
sur la Mecque. (L’imam) Malek soutenait cette opinion, en s’appuyant sur une
déclaration positive (faite par le Prophète), déclaration qu’il regardait
comme authentique, et qui avait été transmise par Rafê Ibn Khodeïdj [98].
Selon cette tradition, le Prophète avait dit : « Médine est meilleure
que la Mecque ». Abd el‑Ouehhab [99]
a rapporté cette (opinion de Malek) dans son Meaouna. Il y a encore d’autres traditions *229 qui, prises à la lettre, pourraient justifier cette
opinion, à laquelle, cependant, (les imams) Abou Hanîfa et Chafeï se sont
opposés. Quoi qu’il en soit, la mosquée de Médine vient en seconde ligne après
celle de la Mecque ; dans toutes les parties du monde, les cœurs de p.271 tous les peuples se tournent vers elle avec
une vive affection. Quand on voit comment la Providence a fixé les degrés du
mérite qui distingue chacune de ces trois mosquées, on reconnaît encore une de
ces voies secrètes par lesquelles Dieu agit sur les êtres, et l’on reste
convaincu qu’il a établi une gradation régulière et invariable dans toutes les
choses temporelles et spirituelles.
Outre ces trois mosquées, je n’en connais d’autre dans aucune partie
du monde (qui puisse leur être comparée). On a parlé, il est vrai, de la
mosquée d’Adam en Sérendîb (Ceylan), l’une des îles qui avoisinent
l’Inde ; mais on ne possède, à ce sujet, aucun renseignement qui soit
digne de foi. Dans les temps anciens, plusieurs peuples avaient des mosquées
(ou temples), pour lesquelles ils montraient une grande vénération, par un
esprit de dévotion mal entendue. Telles furent les pyrées des Perses, les
temples des Grecs, et les maisons (saintes) que les Arabes avaient dans le
Hidjaz, et que le prophète fit abattre pendant ses expéditions militaires.
Masoudi a parlé de plusieurs autres ; mais nous ne voulons pas en faire
mention, parce qu’on ne les avait pas fondées pour se conformer à une
prescription de la loi divine ou pour leur donner une destination vraiment
religieuse. Aussi nous ne nous intéressons ni à ces édifices ni à leur
histoire. Le lecteur (qui veut en savoir quelque chose) trouvera dans les
ouvrages historiques assez de renseignements [100]
pour satisfaire sa curiosité. Dieu
dirige celui qu’il veut.
en Ifrîkiya et dans le Maghreb.
La cause en est que ces contrées ont appartenu aux Berbers depuis
plusieurs milliers d’années avant l’islamisme, et que [101]
toutes ces populations, étant nomades, n’ont jamais pratiqué les usages de la
vie sédentaire assez longtemps pour s’y former complètement. Les dynasties des
Francs et des Arabes qui régnèrent sur les pays des
*230 Berbers s’y maintinrent trop peu de temps pour façonner ce peuple p.272 aux usages de la vie sédentaire. Les
Berbers, trouvant la vie nomade plus appropriée à leurs besoins, en ont
toujours conservé la pratique et les habitudes ; voilà pourquoi les
édifices ne sont pas nombreux chez eux.
D’ailleurs les usages de la vie nomade ont toujours été si profondément
enracinés chez les Berbers, qu’ils n’eurent jamais de dispositions pour la
pratique des arts. La connaissance des arts, produit de la vie à demeure fixe,
est nécessaire pour l’achèvement des grands édifices, et son acquisition exige
un certain degré d’intelligence. Les Berbers, ne les ayant jamais exercés,
n’ont eu, en aucun temps, le désir d’élever de grandes constructions et encore
moins de se bâtir des villes. C’est un peuple dont chaque tribu a son esprit de
corps et de famille. Or cet esprit porte naturellement vers la vie
nomade ; c’est l’amour du repos et de la tranquillité qui décide les
peuples à se fixer dans les villes, et cela les oblige à laisser le soin de
leur défense aux troupes de l’empire et à devenir ainsi une charge pour le
gouvernement ; aussi [102]
trouvons‑nous chez les Bédouins une grande aversion pour la vie des
villes ; ils ne veulent pas y demeurer, ni même y séjourner, à moins d’y
être poussés par l’amour du luxe et le désir de jouir de leurs richesses ;
mais de ceux‑là le nombre est très petit.
La population de l’Ifrîkiya et du Maghreb se compose presque en entier
de nomades, gens qui vivent sous la tente et qui voyagent à dos de chameau, ou
bien qui s’installent sur le haut des montagnes. Dans les autres pays
étrangers, toute la population, ou au moins la plus grande partie, habite des
villes, des villages et des hameaux. Cela se voit en Espagne, en Syrie, en
Égypte, dans l’Irac persan et autres contrées. La raison en est que, chez la
grande majorité des peuples non arabes, on attache peu d’importance à sa généalogie,
on ne vise pas à conserver la pureté de son sang et l’on ne fait pas grand cas
des liens de famille. Dans le désert, au contraire, la p.273 plupart des populations tiennent à leurs généalogies,
parce que de tous les liens qui servent à unir un peuple, ceux du sang sont les
plus intimes et ont le plus de force. La même cause maintient chez eux un fort
esprit de corps, et les peuples qui ressentent l’influence *231 de ce sentiment préfèrent toujours la vie
du désert à celle des villes, où ils perdraient leur bravoure et seraient
réduits au niveau de ces gens qui ont besoin de la protection d’autrui. Le
lecteur qui aura compris ces principes pourra facilement en tirer les
conclusions.
Les édifices et les grandes
constructions élevés par les musulmans sont loin d’être en rapport avec la
grandeur de ce peuple, et restent bien au‑dessous des bâtiments laissés par les
nations précédentes.
La raison de ce fait est identiquement celle que nous avons donnée
(dans le chapitre précédent) en parlant des Berbers. Chez les Arabes, comme
chez eux, les habitudes de la vie nomade sont profondément enracinées ;
comme eux, ils ont un grand éloignement pour les arts. D’ailleurs, dans les
temps antérieurs à l’islamisme, ils entretenaient peu de relations avec les
empires dont ils se rendirent maîtres plus tard. Après la conquête de ces pays,
la civilisation ne prit pas parmi eux un grand développement jusqu’à ce qu’ils
se fussent approprié tous les usages de la vie sédentaire, et, de plus, ils se
contentèrent des édifices que les autres peuples avaient bâtis. A cela nous
devons ajouter que, dans les premiers temps de l’islamisme, les Arabes
évitèrent, par scrupule religieux, de donner à leurs maisons une grande
élévation et de transgresser les bornes de la modération en y dépensant trop
d’argent.
Cela eut pour cause la recommandation que (le khalife) Omar leur fit
quand ils lui demandèrent l’autorisation de rebâtir en pierre la ville de
Koufa, dont les maisons, construites par eux en roseaux, venaient d’être
détruites par un incendie. Il leur répondit : « Faites ; mais
aucune maison ne doit avoir plus de trois chambres ni une trop grande
élévation. Gardez fidèlement les pratiques suivies par le Prophète, et vous
garderez toujours l’empire du monde ». Ayant reçu p.274 de cette députation l’engagement de suivre son conseil, il
se tourna vers le peuple et dit : « Que personne n’élève sa
maison au delà de la juste mesure ». On lui demanda ce qu’il entendait par
les mots juste mesure, et il
répondit : « C’est la limite qui vous empêche de tomber dans la
prodigalité et de sortir du juste milieu ».
Quand fut passée la période pendant laquelle on montrait tant de
respect pour la religion et que l’on se tenait strictement à l’observance de
ses devoirs, la possession de l’empire et le luxe commencèrent à exercer leur
influence naturelle sur les Arabes. Ce peuple,
*232 ayant subjugué les Perses, apprit d’eux les arts et
l’architecture ; cédant alors aux impulsions du luxe et du bien‑être, les
Arabes finirent par construire des édifices et de grands bâtiments. Cela eut
lieu peu de temps avant la chute de l’empire (des khalifes). Ils ne portèrent
cependant pas la passion de bâtir à l’extrême, ayant construit peu d’édifices
et fondé peu de villes.
Le cas fut bien différent chez les autres nations. Celle des Perses
avait subsisté plusieurs milliers d’années, ainsi que celles des Coptes, des
Nabatéens, des Roum [103]
et des Arabes de la première race, tels que les Adites, les Thémoudites, les
Amalécites et les Tobba. Comme tous ces empires s’étaient maintenus très
longtemps, les arts y prirent un tel développement que ces peuples élevèrent un
très grand nombre d’édifices et de temples, et laissèrent des monuments qui
résistent encore à l’action du temps. Le lecteur qui aura bien pesé ces observations
en reconnaîtra la justesse. Dieu est
l’héritier de la terre et de tout ce qu’elle porte.
tombent promptement en ruine.
Les constructions élevées par les Arabes sont loin d’être solides, ce
qui tient à la civilisation nomade de ce peuple et à son éloignement pour les
arts. On peut même y assigner une autre cause qui, si je ne me trompe pas, est
plus directe, savoir, leur peu d’attention p.275
à choisir de bons emplacements pour les villes qu’ils se proposent de
fonder. Ainsi que nous avons dit, ils ne tiennent compte ni des lieux, ni le la
qualité de l’air, ni des eaux, ni des terres cultivables, ni des
pâturages [104].
Quand on examine les villes sous le point de vue de la prospérité
qu’elles doivent à des causes naturelles, on y reconnaît des différences qui
méritent à telle ville le caractère de bonne et à telle autre. celui de
mauvaise ; or ces différences dépendent directement de celles qui
résultent des conditions dans lesquelles ces villes sont placées.
Les Arabes sont incapables de tant de prévoyance ; ils ne recherchent
que des lieux propres à la nourriture de leurs chameaux, sans *233 se soucier de la bonne ou de la mauvaise
qualité de l’eau, sans examiner si elle est rare ou abondante. Ils ne pensent
ni à la bonté des terres labourables, ni à la richesse de la végétation, ni à
la salubrité de l’air ; et cela parce qu’ils ont eu l’habitude de se
transporter de lieu en lieu et de tirer des pays éloignés les grains dont ils
ont besoin.
Quant à l’air (ils n’y pensent même pas), le désert est sillonné
alternativement par tous les vents, et leurs voyages continuels dans cette
région leur ont donné la certitude que l’air y était parfaitement sain. Ce qui
nuit à la pureté de l’air, c’est le défaut d’agitation, le repos continuel et
la surabondance d’exhalaisons. Voyez comment les Arabes ont fait en fondant les
villes de Koufa, de Basra et de Cairouan ; ils n’ont recherché que des
terrains où leurs chameaux pouvaient trouver de la nourriture, et situés dans
le voisinage du désert, auprès des routes qui y conduisent. Aussi les
emplacements de ces villes ne sont pas ceux que la nature leur aurait indiqués,
et n’offrent que peu de ressources à la génération qui devait remplacer celle
des fondateurs.
Nous avons déjà fait observer que [105],
pour maintenir au complet la population d’une ville, de telles ressources sont
indispensables. p.276 En somme, les
emplacements que les Arabes choisissaient pour leurs villes n’étaient pas de
ceux que la nature avait désignés pour être des lieux de demeure fixe ;
ils n’étaient pas même situés au milieu de populations nombreuses qui
pourraient y envoyer de nouveaux habitants. Aussi, au premier échec que leur autorité
éprouva, à l’instant où leur esprit de corps commençait à faiblir, leurs
villes, privées de la protection qu’elles devaient à cet esprit, tombèrent en
décadence et finirent par disparaître comme si elles n’avaient jamais existé. Personne ne peut reviser les arrêts de
Dieu. (Coran, sour. XIII, vers. 41.)
Les villes qui viennent d’être fondées ne renferment qu’une faible
population ; les matériaux de construction, tels que pierres et chaux, ne
s’y trouvent qu’en petite quantité, et il en est de même pour les carreaux de
terre cuite, les plaques de marbre, les mosaïques, les écailles et les
coquillages dont on se sert pour orner les murs des édifices.
Dans la première époque, les bâtiments sont d’une construction
grossière, telle qu’on doit l’attendre d’un peuple nomade [106],
et les matériaux dont ils se composent sont de mauvaise qualité. Quand la *234 ville devient prospère et populeuse, la
quantité de matériaux à bâtir augmente par suite des grands travaux auxquels on
se livre, et du parfait développement d’un grand nombre d’arts ;
(développement) dont nous avons déjà indiqué les causes. Quand la prospérité de
la ville commence à décliner et sa population à diminuer, un grand ralentissement
se manifeste dans l’exercice des arts ; l’habitude de construire avec
élégance et solidité se perd, ainsi que l’usage d’orner les murs des édifices.
Les travaux diminuent en même temps que la population ; les pierres, les
marbres et les autres matériaux de construction n’arrivent plus à la ville
qu’en petite quantité, et au bout de quelque temps ils manquent tout à fait.
p.277 Alors, quand on veut bâtir une
maison ou autre édifice, on prend les matériaux dans les constructions déjà
existantes, les enlevant d’un bâtiment pour en former un autre. (Cela est
facile) parce que la plupart des maisons et des palais ne sont plus habités et
restent vides, et que la population de la ville est bien inférieure à ce
qu’elle était d’abord. On continue à transporter ainsi ces matériaux de palais
en palais, de maison en maison, jusqu’à ce qu’ils commencent à manquer.
Alors on reprend l’usage de construire à la manière bédouine ; on
emploie des briques cuites au soleil au lieu de pierres, et l’on abandonne
tout à fait l’usage de l’ornementation. Les édifices redeviennent comme ceux
des villages et des hameaux, et montrent partout les marques [107]
de la civilisation grossière qui est propre aux nomades. La décadence continue
jusqu’à ce qu’elle arrive à son dernier terme, qui est la ruine complète, si
toutefois Dieu a réservé ce sort à la ville.
Si certaines villes et métropoles
surpassent les autres en activité commerciale et par le bien‑être dont on y
jouit, cela [108] tient à ce qu’elles les surpassent aussi par leur population.
C’est un fait reconnu et démontré qu’un seul individu de l’espèce
humaine est incapable de pourvoir à sa subsistance, et que les hommes doivent
se réunir en société et s’entr’aider s’ils veulent se procurer les moyens de
vivre. Or les choses de première nécessité, procurées par les efforts combinés
de plusieurs hommes, suffisent, par leur quantité, à plusieurs fois ce nombre
d’individus. Prenons, par exemple, le blé, qui leur sert de nourriture :
jamais un seul homme ne parviendrait par son travail à s’en procurer une
portion suffisante pour son entretien. Mais que six ou dix hommes se concertent
ensemble dans ce but, que les uns soient forgerons et fabricants p.278 d’instruments aratoires ; que les
autres se chargent de soigner les bœufs, de labourer la terre, de faire la
récolte, et d’exécuter les autres travaux agricoles ; que ces hommes se
partagent la besogne ou qu’ils la fassent ensemble, ils se procureront une
quantité de blé qui dépassera de plusieurs fois celle qui leur était absolument
nécessaire. Dans ce cas, le produit du travail dépasse de beaucoup les besoins
des travailleurs. Il en est de même dans les villes : quand les habitants
se partagent la besogne afin de se procurer les choses qui leur sont indispensables,
ils en obtiennent une quantité dont une très faible portion leur suffit. Le
reste est du superflu et s’emploie pour satisfaire aux habitudes de luxe que
ces travailleurs auront contractées, ou pour servir à l’approvisionnement
d’autres villes dont les habitants font l’acquisition de ces choses par la voie
de l’échange ou par celle de l’achat. De cette manière les travailleurs se
procurent une certaine portion de richesses.
Dans le chapitre de la cinquième section, qui traite d’acquisitions et
de bénéfices, on verra [109]
que les bénéfices (du travail) sont la valeur du produit du travail [110].
Plus les produits sont abondants, plus leur valeur (totale) est grande :
donc ceux qui obtiennent beaucoup de produits recueillent nécessairement de
gros bénéfices. Dès lors le bien-être et la possession des richesses portent
ces hommes à rechercher le luxe et à satisfaire aux besoins qu’il impose ;
ils s’appliquent à embellir leurs habitations, à s’habiller avec élégance, à
rechercher de la riche vaisselle et les meilleurs ustensiles domestiques, à se
procurer des esclaves et à acheter de belles montures. Mais toutes ces choses *236 sont les produits de divers arts, produits
qui n’auraient pas existé sans la valeur qu’on y attache [111].
Aussi recherche‑t‑on avec empressement les artisans habiles. Il en résulte que
les arts sont très p.279 encouragés et
leurs produits très recherchés ; les revenus et les dépenses (des
habitants) de la ville augmentent de beaucoup, et les artisans s’enrichissent
par leur travail. Si la population reçoit un nouvel accroissement, les
produits du travail augmentent aussi, et le progrès du luxe continue avec celui
de la fortune publique.
Comme les habitudes du luxe ne cessent d’augmenter, et que ses
exigences deviennent de plus en plus nombreuses, on invente, pour y satisfaire,
de nouveaux arts, dont les produits ont une grande valeur. Cela augmente de
plusieurs fois les bénéfices obtenus par les habitants de la ville, et fait que
les produits des arts qu’ils cultivent sont encore plus recherchés
qu’auparavant. La même chose se reproduit à chaque nouvel accroissement de la
population, par la raison que les arts nouvellement introduits servent
uniquement à satisfaire aux exigences du luxe et de la richesse, à la
différence des arts primitifs, qui s’exerçaient dans le but d’obtenir les
denrées qui font vivre.
La ville qui en surpasse une autre d’un seul degré, en ce qui regarde
le nombre de sa population, la surpasse encore en plusieurs points : on y
gagne davantage, l’aisance et les habitudes de luxe y sont plus répandues. Plus
la population de la ville est grande, plus est grand le luxe des habitants, et
plus les gens de chaque profession surpassent en ce point ceux des villes qui
possèdent une population moins nombreuse. Il en est ainsi sur toute la
ligne : la différence est marquée, même de cadi à cadi, de négociant à
négociant, d’artisan à artisan, d’homme de marché à homme de marché, d’émir à
émir et de soldat de police à soldat de police. Comparez, par exemple, l’état
des habitants de Fez avec celui des habitants d’autres villes, telles que
Bougie, Tlemcen et Ceuta : vous reconnaîtrez que cette différence, existe
pour toutes les classes en général et pour chaque classe en particulier. Ainsi
le cadi de Fez jouit d’une plus grande aisance que celui de Tlemcen, et il en
est encore ainsi des autres classes. On reconnaît toujours le même fait quand
on compare Tlemcen avec *237 Oran et Alger,
et celles‑ci avec d’autres villes qui leur sont inférieures p.280 en population ; et, si l’on continue
ce rapprochement en descendant jusqu’aux simples hameaux, où les habitants
travaillent uniquement à se procurer les moyens de vivre, sans pouvoir toujours
y réussir, ces différences se font encore remarquer. Elles ont pour cause
celles qui existent entre les quantités des produits industriels fournies par
ces villes. Chaque ville peut être regardée comme un marché où ces produits
s’écoulent. Or, dans chaque marché, les dépenses faites sont en proportion de
son importance ; ainsi les recettes du cadi de Fez suffisent à ses
dépenses, et il en est de même pour le cadi de Tlemcen. Plus les recettes et
les dépenses sont fortes dans une ville, plus les richesses y sont abondantes.
Il en est ainsi à Fez, parce que les produits s’écoulent rapidement pour satisfaire
aux demandes du luxe ; aussi cette ville est‑elle dans un état très
prospère. A Oran, à Constantine, à Alger et à Biskera, l’on peut remarquer (la
même proportion entre les dépenses et l’importance de la ville) ; et cela
se revoit partout, jusqu’à ce qu’on descende aux bourgades, dont les produits
ne suffisent pas aux besoins de la population, parce qu’elles appartiennent à
la catégorie des villages et hameaux. Voilà pourquoi nous trouvons [112]
les habitants des petites villes dans un état peu aisé et presque aussi pauvres
les uns que les autres. En effet, les produits du travail ne suffisent pas,
dans ces localités, aux besoins des habitants ; aussi ne possèdent‑ils pas
une surabondance de produits qu’ils puissent amasser en vue du gain, et dont
ils puissent tirer des bénéfices. Cela fait qu’à quelques exceptions près ils
sont mal à leur aise et dans la misère. Le principe que nous avons exposé se reconnaît
encore quand on regarde l’état des pauvres et des mendiants. Dans la ville de
Fez, ces gens sont dans une position bien meilleure que celle des mendiants de
Tlemcen et d’Oran. J’ai vu, dans cette première ville, des pauvres qui, au jour
de la fête du sacrifice [113],
demandaient la huitième partie de chaque victime ; ils exigeaient même des
choses de luxe, de la viande, du beurre, le prêt des p.281 *238 cuisines, de vêtements et d’ustensiles domestiques,
tels que cribles et vases. Si l’un de ces gens faisait une pareille demande à
Tlemcen ou à Oran, il serait repoussé avec une verte réprimande. J’ai appris
que, de nos jours, les habitants de Misr (le vieux Caire) et d’El‑Cahera (le
nouveau Caire) possèdent de grandes richesses, et qu’ils ont des habitudes de
luxe telles que l’observateur en est rempli d’étonnement ; aussi beaucoup
de pauvres gens quitteraient volontiers le Maghreb s’ils pouvaient se rendre au
Caire. Ils ont entendu dire que, dans cette capitale, l’aisance est plus grande
que partout ailleurs, et les gens du commun s’imaginent que cela a pour cause
la surabondance de richesses dans cette localité, que tout le monde a un trésor
chez lui, et qu’on s’y montre plus généreux et plus charitable que dans aucun
autre endroit. Mais il n’en est pas ainsi : l’aisance qui règne dans les
deux Caires tient à un fait que le lecteur connaît maintenant, savoir, que la
population de ces villes est bien plus grande que celle des villes qui nous
sont voisines, et que cela procure aux habitants le bien‑être dont ils
jouissent. Au reste, dans toutes les villes, les dépenses des habitants se
règlent d’après leurs revenus ; si les revenus sont grands, les dépenses
le seront aussi, et vice versa. Si les revenus et les dépenses sont très
considérables, les habitants vivent dans une grande aisance et la ville tend à
s’agrandir. Quand vous entendez parler de (villes où tout le monde est à son
aise), vous ne devez pas regarder cela comme un mensonge ; vous vous
rappellerez que la grandeur de la population est une source de vastes profits,
et que ceux‑ci fournissent les moyens de satisfaire, avec prodigalité même, aux
demandes de chaque solliciteur. Un autre exemple des effets du bien‑être d’une
population nous est offert par le nombre d’animaux non domestiques qui
fréquentent les maisons d’une ville ; on peut remarquer qu’ils sont
farouches dans le voisinage d’une maison et familiers dans le voisinage d’une
autre. Voici l’explication de ce fait : chez les gens riches, qui tiennent
une bonne table, beaucoup de grains et de miettes se répandent par terre dans
la cour et dans les basses‑cours ; les fourmis et autres animaux rampants
y arrivent en p.282 foule pour les
ramasser ; [les grillons abondent dans toutes les crevasses ; *239 les chats viennent s’installer dans ces
maisons] [114]
et des bandes d’oiseaux voltigent alentour et ne se retirent qu’après s’être
rempli les jabots, avoir assouvi leur faim et étanché leur soif. Chez les
pauvres et les indigents, dont les moyens sont très limités, on ne voit pas
d’insectes ramper dans les cours, ni d’oiseaux y arriver à tire‑d’aile, ni de
souris installées dans les trous, ni même de chats. Un poète a dit :
Les oiseaux descendent là où il y a des
grains à ramasser, et ils fréquentent les maisons des hommes généreux.
On reconnaît là encore une de ces voies secrètes par lesquelles agit
le Seigneur : la présence d’une foule d’animaux indique l’existence d’une
foule d’hommes, et les miettes qui tombent des tables montrent que ces hommes
ont du superflu, qu’ils vivent dans le luxe, qu’ils font de grandes dépenses et
prodiguent même leur argent ; en effet, ils peuvent le faire, parce qu’ils
ont toujours de quoi le remplacer. On voit par ce qui précède que l’aisance
d’une population et le bien‑être dont elle jouit résultent de son nombre. Dieu seul peut se passer de toutes les
créatures. (Coran, sour. III,
vers. 92.)
Dans les marchés se trouvent les choses qui sont nécessaires aux
hommes ; d’abord, celles qui leur sont indispensables et qui servent à
l’alimentation, comme le blé, l’orge [115]
et les productions analogues telles que légumes, pois chiches, pois verts et
autres grains alimentaires, ainsi que les plantes employées comme
assaisonnement, telles que l’oignon, l’ail et autres herbes du même genre.
Ensuite on trouve les choses d’une nécessité secondaire et celles qui sont de
luxe, telles que les condiments, les fruits, les vêtements, les ustensiles de
ménage, les harnais, les produits de divers arts et les matériaux de p.283 construction [116].
Si la ville est grande et renferme une nombreuse population, les denrées
alimentaires de première nécessité, et tout ce qui rentre dans cette catégorie,
y sont à bon marché ; mais celles qui sont de luxe, telles que les
condiments et les autres, choses du même genre, celles‑là sont chères. Il en
est autrement des villes qui possèdent peu d’habitants et qui ne jouissent pas
d’une grande prospérité. *240 En voici la
raison : les grains sont indispensables pour la nourriture de
l’homme ; aussi chaque individu a bien des motifs [117]
pour chercher à s’en procurer ; personne ne voudrait laisser sa maison
sans un approvisionnement qui suffise à sa subsistance pendant un mois ou un
an. Donc la majeure partie des habitants, sinon tous, s’occupent de la
provision des grains, et ceux qui demeurent dans les environs de la ville font
de même. Cela ne manque pas d’avoir lieu. Or chacun fait provision d’une
quantité de grains bien au‑dessus de ses besoins et de ceux de sa famille,
quantité qui suffirait à un grand nombre d’habitants de cette localité. Il est
donc certain qu’on se procurera beaucoup plus de grains que la nourriture de la
population ne l’exige. Les céréales y seront donc à bon marché, excepté dans
les années où des influences atmosphériques nuiront à leur production, et si
les habitants, dans la crainte d’un tel malheur, n’en achetaient pas d’avance,
les grains se donneraient pour rien et sans aucun échange [118],
puisque la quantité de blé est d’autant plus grande que la population est plus
nombreuse. Quant aux denrées telles que condiments, fruits et autres choses de
cette nature, le besoin n’en est pas si général et leur production n’exige pas
le travail de toute la population, ni même de la majeure partie. Si la ville
est grande et renferme beaucoup d’habitants, de sorte que les exigences de
luxe soient très nombreuses, ces commodités seront beaucoup demandées, et
chacun tâchera de s’en procurer autant que ses moyens le lui permettront. La
quantité qui en existe dans la ville p.284 deviendra
tout à fait insuffisante ; les acheteurs seront nombreux et la denrée sera
très rare. Alors on se fera concurrence [119],
on luttera à l’envi pour s’en procurer, et les personnes qui vivent dans
l’aisance et dans le luxe, ayant plus besoin de ces choses que le reste des
habitants, les achèteront plusieurs fois leur valeur. Voilà la cause de
l’enchérissement.
Passons aux arts : leurs produits sont chers dans les villes très *241 peuplées, et cela pour trois raisons, 1°
les nombreuses demandes, conséquence du luxe qui règne dans la ville et qui est
toujours en rapport avec la grandeur de la population ; 2° les hautes
prétentions des ouvriers, qui n’aiment pas à travailler ni à se fatiguer tant
que l’abondance des denrées alimentaires qui existent dans la ville leur permet
de se nourrir à peu de frais ; 3° le grand nombre d’individus qui vivent
dans l’aisance et qui, ayant besoin que d’autres travaillent pour eux, louent
les services des gens de divers métiers. Pour ces raisons, les artisans
reçoivent d’eux bien au delà de la valeur réelle de leurs ouvrages ; on
lutte à l’envi avec ses concurrents, afin de s’approprier les produits du
travail, et de là résulte que les ouvriers et les artisans deviennent très
exigeants et mettent un haut prix à leurs services. Cela absorbe une grande
partie des ressources que possèdent les habitants de la ville.
Dans les petites villes, dont la population est peu nombreuse, les
denrées alimentaires sont rares, parce qu’il n’y a pas assez de travailleurs
et parce que la crainte de la disette porte les habitants à accaparer tous les
grains qu’ils peuvent se procurer. Cela amène la rareté des grains (au marché)
et les rend très chers pour ceux qui désirent en acheter. Quant aux denrées
d’une nécessité secondaire, la demande est beaucoup moins forte, parce que les
habitants sont peu nombreux et ne se trouvent pas assez à leur aise ;
aussi ces denrées sont‑elles peu recherchées chez eux et se vendent à bon
marché.
D’ailleurs les vendeurs, en établissant les prix des grains, tiennent p.285 compte des droits et des impôts qu’on
prélève sur eux dans les marchés et aux portes de la ville, au nom du
sultan ; ils n’oublient pas non plus la taxe imposée par les percepteurs
sur tout ce qui se vend, et appliquée par eux à leur propre usage. Voilà
pourquoi les prix sont plus élevés [120]
dans les villes que dans les campagnes, où les impôts et autres droits
n’existent pas ou sont peu considérables. Il n’en est pas ainsi dans les
villes : (les impôts sont lourds,) surtout à l’époque où la dynastie
régnante penche vers sa chute.
En établissant les prix des denrées alimentaires, on est obligé de *242 tenir compte des soins particuliers que
peut exiger la culture : cela a lieu en ce moment surtout en Espagne. Les
habitants de ce pays, s’étant laissé enlever leurs bonnes terres et leurs
provinces fertiles par les chrétiens, se virent refoulés vers le littoral et
repoussés dans des contrées très accidentées, qui sont impropres à
l’agriculture et peu favorables à la végétation. Ils se sont alors trouvés
obligés de donner beaucoup de soins à la culture de leurs terres, afin d’en
obtenir des récoltes passables. Des travaux de cette nature entraînent beaucoup
de frais et exigent l’emploi de divers accessoires dont quelques-uns, comme le
fumier, par exemple, sont assez coûteux. Les frais de culture sont donc très
élevés chez les musulmans de l’Espagne et comptent nécessairement dans le prix
de vente. Voilà pourquoi la cherté règne dans cette partie du territoire
espagnol, depuis que les chrétiens ont forcé les habitants à reculer vers le
littoral.
Quand les hommes parlent de l’élévation des prix en Espagne, ils
l’attribuent à la rareté des vivres et des grains ; mais en cela ils se
trompent, car, de tous les peuples du monde, les Espagnols sont les plus
industrieux et les plus habiles. Tout le monde chez eux, depuis le sultan jusqu’à
l’homme du peuple, possède une ferme ou un champ qu’il fait valoir. Les seules
exceptions sont les artisans, les hommes de peine et les gens nouvellement
venus dans le pays avec l’intention d’y faire la guerre sainte [121].
Le sultan assigne même à p.286 ces
volontaires, à titre de solde et de subsistance (aoula), des terres qui
peuvent les alimenter, eux et leurs chevaux. Mais la vraie cause de la cherté
des grains chez les musulmans espagnols est celle que nous venons d’indiquer.
Il en est bien autrement dans le pays des Berbers : la végétation y est
vigoureuse, le sol est fertile et n’exige aucun apprêt dispendieux ; les
terres cultivées sont très nombreuses et tout le monde en possède. De là il
résulte que les vivres y sont à bas prix. Dieu
règle les vicissitudes des nuits et des jours. *243
Les gens de la campagne ne sont pas assez riches pour
habiter les villes [122] qui possèdent une nombreuse population.
Dans les villes qui renferment une nombreuse population, le luxe est
très grand, ainsi que nous l’avons déjà exposé, et, pour cette raison, les
habitants se sont créé beaucoup de besoins (factices), dont le nombre s’accroît
toujours à cause des fréquentes tentations qui s’y offrent. Ces besoins
deviennent (pour eux) des nécessités (auxquelles il faut absolument
satisfaire). Ajoutez à cela que tous les produits de l’industrie y sont chers
et même les simples commodités de la vie. Cela a pour cause, d’abord,
l’empressement que l’on met à les rechercher, empressement qui résulte de
l’influence du luxe, et, ensuite, le poids des impôts que le souverain fait
prélever dans les marchés et dont il frappe tous les objets mis en vente.
L’effet s’en fait sentir [123]
dans les prix des marchandises, des vivres et des produits du travail, et
ajoute beaucoup à leur cherté. Il en résulte que les habitants [124]
de la ville sont obligés de faire des dépenses plus ou moins fortes, selon la
grandeur de la population. Ils ont besoin de beaucoup d’argent pour suffire à
leurs déboursés, qui sont très considérables, puisqu’ils doivent pourvoir à
leurs propres besoins et à ceux de leur famille, se procurer les choses
nécessaires à l’existence et faire face à bien d’autres charges. Or l’habitant
de la campagne n’a pas un grand revenu, parce que, dans le lieu où il demeure,
les marchés p.287 n’offrent pas un grand
écoulement aux produits de son travail, seules matières avec lesquelles il peut
gagner quelque chose. Pour lui, point de profits à faire, point d’argent à
thésauriser ; aussi peut‑il difficilement séjourner dans une grande
ville, où les besoins sont si nombreux et où les choses, même de première
nécessité, sont chères. Tant qu’il reste à la campagne, il peut suffire à ses
besoins au moyen d’une faible portion des produits qu’il doit à son travail,
car il n’a pas de charges à supporter, pas d’habitudes de luxe à satisfaire. Il
n’a donc pas besoin d’argent ; mais, s’il désire vivre dans une ville et y
fixer son séjour, il laissera bientôt apercevoir combien les moyens lui font
défaut. *244 Celui-là seul qui a amassé
quelque argent, qui en a au delà de ses besoins, peut imiter les habitants de
la ville et aller jusqu’au but qui lui est désigné naturellement par l’amour du
bien‑être et du luxe. En ce cas seulement il peut aller s’y établir et s’assimiler
aux habitants en adoptant leurs usages et en déployant le même luxe qu’eux.
C’est ainsi que les grandes villes commencent à se peupler. Dieu, par
sa compréhension, embrasse tout. (Coran, sour. XLI, vers.
54.)
Les différences qui existent entre un
pays et un autre, sous le rapport de la pauvreté ou du bien‑être, proviennent
des mêmes causes qui établissent des différences semblables entre les villes.
Dans les contrées où la prospérité est générale [125]
et dont les provinces renferment de nombreuses populations, les habitants
vivent dans l’aisance et possèdent de grandes richesses. Les villes y sont nombreuses ;
les empires et les royaumes sont très puissants. Tout cela a pour cause
l’abondance des produits de l’industrie qui, ainsi que le lecteur le verra plus
loin, sont le matériel de la richesse. Une partie de ces produits s’emploie
pour satisfaire aux besoins de première nécessité, et le reste, qui est
toujours en proportion avec le nombre de la population, devient pour les hommes
un véritable gain qu’ils p.288 s’empressent de
conserver. C’est là un point que nous établirons dans le chapitre qui traite
des moyens de vivre et qui explique la signification des termes bénéfice et acquisition. Le bien‑être
du peuple s’accroît [126]
avec le gain, l’aisance devient de plus en plus grande ; les richesses
arrivent ensuite et le luxe avec elles ; l’activité du commerce ajoute aux
produits de l’impôt et enrichit ainsi le gouvernement ; le souverain vise
à la grandeur et s’occupe à construire des forteresses, à élever des châteaux,
à bâtir des villes et à fonder des cités. Voyez, par exemple, les contrées de
l’Orient telles que l’Égypte, la Syrie, l’Irac persan, l’Inde, la Chine, tous
les pays du nord et ceux qui sont *245 situés
au delà de la mer romaine [127].
Comme ces contrées sont bien peuplées, l’argent y abonde, les empires sont
puissants et les villes nombreuses ; le commerce est très grand ainsi que
l’aisance des habitants. Voyez les négociants chrétiens qui, de nos jours,
viennent chez les musulmans du Maghreb : leurs richesses et le grand train
de vie qu’ils mènent sont au delà de toute description.
Il en est de même des négociants appartenant aux nations de
l’Orient ; [ce que nous avons entendu dire à ce sujet ne saurait être imaginé [128]].
Les richesses des habitants de l’extrême Orient, c’est‑à-dire de l’Irac persan,
de l’Inde et de la Chine, sont encore plus considérables ; nous avons
entendu raconter, au sujet de leur opulence et de leur train de vie, des
anecdotes tellement extraordinaires qu’elles fournissent matière de
conversation à tous les voyageurs.
On est presque toujours porté à regarder ces histoires comme des
mensonges ; mais les gens du peuple les acceptent comme vraies et
supposent que le luxe de ces négociants provient de ce que leurs richesses
augmentent d’elles‑mêmes, ou bien, disent‑ils, les mines d’or et d’argent sont
très nombreuses dans ces pays, ou bien ils se sont approprié exclusivement tout
l’or qui avait appartenu aux anciens peuples. Mais il n’en est pas ainsi :
les seules mines d’or que l’on p.289 connaisse
se trouvent dans ces contrées‑ci, dans le Soudan, pays plus rapproché du
Maghreb (que de l’Orient). D’ailleurs, ces négociants apportent à l’étranger
toutes les marchandises qui se fabriquent chez eux, et certes, s’ils avaient
déjà hérité de grandes richesses, ils ne se donneraient pas la peine de porter
des marchandises chez les autres peuples, dans le but de gagner de
l’argent ; car ils pourraient se passer [129]
tout à fait de l’argent d’autrui. Les astrologues, ayant observé beaucoup de
choses de cette nature et remarqué avec admiration l’aisance des habitants de
l’Orient, l’étendue de leurs ressources et de leurs richesses, ont imaginé une
théorie pour expliquer ce fait. Selon eux, les dons accordés par les planètes
et les sorts qui s’attachent *246 aux
naissances sont beaucoup plus avantageux pour les habitants de l’Orient que
pour ceux de l’Occident. Cela est vrai, mais c’est uniquement une coïncidence
entre les jugements tirés des astres et les événements de ce bas monde. Ils y
ont vu seulement l’influence des astres et n’ont pas songé à la cause purement
terrestre, à celle que nous venons d’indiquer, savoir, que les contrées de
l’Orient se distinguent par la grandeur de leur population, et que le travail
d’une population nombreuse fournit une abondance de produits au moyen desquels
on fait un grand gain. Voilà pourquoi l’Orient seul, entre toutes les contrées,
se fait remarquer par le bienêtre de ses habitants ; avantage qui ne
provient pas uniquement de l’influence des astres. Le lecteur comprendra, par
ce que nous avons dit précédemment [130],
qu’elle (l’influence des astres) est incapable de produire un tel effet, et
que [131]
la coïncidence qui se présente entre certains jugements astrologiques et (un
état de choses qui tient à) la population et à la constitution physique d’un
pays était inévitable. Voyez en quel état se trouve la civilisation en Ifrîkiya
et à Barca (la Cyrénaïque), depuis que la population de ces pays a tant diminué
et que leur prospérité a subi de si graves atteintes : les habitants ont p.290 perdu leurs richesses et se voient réduits
à la pauvreté et à l’indigence ; les contributions qu’ils payaient au
gouvernement ont éprouvé une grande diminution, et le revenu de l’État en a
souffert. Ce changement est survenu après que les Chîïtes (Fatemides) et les
Sanhadja (Zîrides) eurent cessé de régner sur ces pays. On sait combien était
grand le bien‑être dont on jouissait dans ces deux empires, combien les
contributions étaient abondantes, et combien ces dynasties dépensaient en
frais d’administration et en dons. C’en était à un tel point que le
gouvernement de Cairouan envoyait très souvent [132]
au souverain de l’Égypte de fortes sommes d’argent pour subvenir aux besoins et
à l’exécution des projets de ce souverain. Les richesses de ce gouvernement
étaient si grandes que Djouher, le kateb [133],
étant sur le point de partir pour faire la conquête de l’Égypte, emporta avec
lui mille charges d’or qu’il destinait à la solde des troupes, aux gratifications
et aux frais de la guerre. Le Maghreb [134],
bien qu’inférieur en richesses *247 à
l’Ifrîkiya, dans ces temps reculés, n’était pas cependant un pays pauvre. Sous
l’administration des Almohades, il jouissait d’une grande prospérité et
fournissait au gouvernement des contributions en abondance. De nos jours il
est incapable de le faire, parce qu’il est beaucoup déchu de sa
prospérité : une grande partie de la population berbère en a disparu, ce
qui est évident quand on compare l’état actuel de ce pays avec celui dans
lequel on l’avait vu autrefois. Peu s’en faut qu’il ne se trouve dans une
position presque aussi déplorable que celle de l’Ifrîkiya, et cependant il y
avait un temps où toute cette contrée était habitée
depuis la mer Romaine jusqu’au pays des Noirs, et depuis le Sous
ultérieur [135]
jusqu’à Barca. Maintenant ce pays offre presque partout des plaines inhabitées,
des régions solitaires et des déserts ; c’est seulement dans les provinces
du littoral et sur les hauts p.291 plateaux
qui l’avoisinent que l’on trouve des populations. Dieu est l’héritier
de la terre et il est le meilleur des
héritiers.
Comment
un grand nombre de maisons et de fermes se trouvent dans la possession de
quelques habitants des villes [136]. — Avantages qu’ils peuvent en retirer [137].
Quelques habitants des villes se trouvent en possession (d’un grand
nombre) de maisons et de fermes, mais cela ne leur est pas arrivé tout d’un
coup ni (même) dans l’espace d’une seule génération. Aucun d’eux, bien qu’il
fût parvenu au comble de l’aisance, n’aurait eu assez d’argent pour acquérir
une quantité de propriétés dont le prix aurait dépassé toutes les bornes. Ils
ne parviennent que graduellement à réunir en leur possession un grand nombre
d’immeubles. Tantôt ce sont des biens‑fonds qu’ils héritent de leurs pères ou
de leurs parents, et qui, après avoir appartenu à plusieurs propriétaires,
viennent se réunir entre les mains d’un très petit nombre d’individus ou même
d’un seul. Tantôt ils les achètent par spéculation, ce qui a lieu quand la
dynastie régnante est sur le point de succomber, et
*248 qu’une nouvelle dynastie paraît pour la remplacer. A cette époque,
l’ancienne dynastie n’a pas de troupes pour protéger le pays ; l’intégrité
de l’empire vient d’être entamée, et la capitale penche vers sa ruine. On ne
recherche pas alors la possession des immeubles,
parce qu’ils sont presque toujours improductifs et parce que la prospérité de
l’État est anéantie. Il en résulte que les propriétaires s’en débarrassent à
vil prix et qu’on achète leurs propriétés presque pour rien. Quand ces
immeubles ont ensuite passé par héritage à d’autres propriétaires, la ville a
retrouvé sa jeunesse par suite du triomphe de la nouvelle dynastie, et le
rétablissement de sa [138]
prospérité porte les hommes à rechercher la possession des immeubles à cause
des grands profits qu’ils peuvent alors en retirer. De là résulte une forte
augmentation dans la valeur des propriétés ; elles acquièrent une
importance qu’elles n’avaient pas auparavant, et voilà pourquoi on les avait p.292 achetées par spéculation. Celui qui s’en
était rendu propriétaire devient maintenant l’homme le plus riche de la ville,
et cela sans avoir travaillé pour gagner ce qu’il possède ; au reste, il
aurait été incapable d’acquérir une pareille fortune par son travail.
Les avantages qu’un propriétaire retire d’une maison ou d’une ferme ne
sont pas assez grands pour subvenir à tous les besoins de la vie, car ils ne
suffiront jamais à ses dépenses s’il a cédé aux entraînements du luxe et s’il
en a adopté les habitudes. Le revenu des immeubles sert tout au plus à le
garantir contre la pauvreté et à lui procurer le simple nécessaire. D’après ce
que nous avons entendu dire aux vieillards dans plusieurs villes, on achète des
maisons et des fermes afin de ne pas laisser ses jeunes enfants sans ressource
si l’on vient à mourir, et afin que les revenus de ces propriétés soient
employés à payer leur nourriture [139]
et leur éducation, et à les faire vivre tant qu’ils seront incapables de travailler
pour eux‑mêmes [140].
Quelquefois aussi, quand on a un fils incapable de gagner sa vie à cause de la
faiblesse de son corps ou de son intelligence [141],
on lui achète un immeuble pour son entretien. Tels sont les seuls motifs qui
portent *249 les hommes riches à acheter des
immeubles ; ce n’est pas pour gagner de l’argent et se procurer les moyens
de soutenir un grand train de vie qu’ils font de pareilles acquisitions. Il est
vrai qu’il y a des exceptions, mais elles sont très rares ; ainsi l’on
parvient quelquefois à gagner beaucoup (en spéculant sur la dépréciation des
biens‑fonds). Les propriétés situées dans les villes tiennent le premier
rang [142]
par leur nature et par leur valeur ; mais, si elles deviennent très
productives, elles attirent les regards des émirs et des oualis [143],
qui, presque toujours, s’en emparent de force ou obligent le propriétaire à
leur céder ces p.293 propriétés
moyennant un prix infime. Cela porte une grave atteinte à la fortune des
propriétaires et peut entraîner leur ruine. Dieu
est tout puissant dans ses œuvres.
(Coran, sour. XII, vers. 21.)
Dans les
grandes villes, les hommes riches ont besoin de protecteurs ou doivent être
dans une position qui les fasse respecter.
Le citadin qui possède assez d’argent et de biens‑fonds pour être
regardé comme l’homme le plus riche de la ville s’attire les regards des
envieux, et, plus il déploie de luxe, plus il s’expose à être tracassé par les
émirs et princes dont le faste pâlit devant le sien. Or, comme la haine est une
passion naturelle à l’espèce humaine, les hommes puissants le voient d’un œil
jaloux et se tiennent prêts à saisir la première occasion pour lui enlever tout
ce qu’il possède. Quand ils sont parvenus [144],
par quelque chicane, à le mettre en contravention [145]
avec quelque article du code institué par l’autorité temporelle qui les régit,
ils trouvent, de cette manière, un motif ostensible pour le perdre et pour lui
enlever ses richesses. En effet, la plupart des articles dont se composent les
codes des gouvernements temporels sont contraires à la justice. Pour trouver la
justice pure, il faut la chercher dans la loi du khalifat, loi qui
malheureusement a duré bien peu de temps. Le saint Prophète a dit :
« Le khalifat durera trente ans après moi et deviendra alors une royauté
temporelle, un gouvernement injuste ». Donc tout homme qui possède de
grands biens et *250 qui se
distingue par ses richesses du reste de la population doit avoir un protecteur
auprès de qui il puisse se réfugier, ou bien il doit occuper une position qui
lui permette d’imposer à ses adversaires. Il lui faut l’appui d’un membre de
la famille royale ou d’un des favoris du souverain, ou du chef d’un parti assez
fort pour le faire respecter par le sultan. De cette manière il a un abri sous
lequel il peut se reposer tranquillement et vivre [146]
en sécurité, sans craindre les attaques imprévues. Si l’un ou l’autre de ces
avantages lui manque, p.294 il deviendra la
proie de ses ennemis, qui intrigueront contre lui de toutes les façons, et il
succombera victime des trames que les magistrats [147]
(institués par le gouvernement temporel) auront ourdies contre lui. Dieu est le seul juge dont personne ne
puisse contrôler les arrêts. (Coran,
sour. XIII, vers. 41.)
Les grandes villes doivent aux dynasties qui y ont régné
leur portion de cette civilisation qui se développe dans la vie sédentaire.
Plus ces dynasties ont eu de durée et de force, plus cette
civilisation est forte et persistante.
La civilisation de la vie sédentaire se compose d’habitudes d’un genre
plus relevé que celles dont la nécessité est absolue et dont aucun peuple ne
saurait se passer. Cette supériorité se règle d’après le nombre et le bien‑être
de la population. Il y a là des différences auxquelles on ne saurait assigner
aucune limite, et qui se présentent chez tous les peuples quand les effets de
la civilisation se multiplient et forment, par leur diversité, divers genres
et diverses classes. Ces classes représentent les arts, et chaque art a besoin
d’hommes habiles et exercés pour se maintenir. Au fur et à mesure que les arts
acquièrent leurs caractères distinctifs, le nombre d’ouvriers qui forment
chaque classe augmente [148],
et la génération qui vit à cette époque prend une forte teinture (de connaissances
pratiques). Cette teinture se renouvelle plusieurs fois dans la suite des
temps, de sorte que les ouvriers acquièrent beaucoup d’habileté et une grande
connaissance de leurs arts. La durée des siècles et leur suite rendent cette
teinture encore plus solide et lui assurent la persistance. C’est surtout dans
les grandes villes que cela a lieu, parce qu’elles renferment une nombreuse
population et que tous les habitants jouissent de l’aisance.
*251 Tout ce que nous venons d’indiquer
est dû à l’influence d’un gouvernement dynastique. En effet, le souverain
recueille l’argent des contribuables et le distribue à ses intimes et aux
grands officiers de l’empire qui, du reste, doivent leur haute considération
bien moins p.295 à leurs richesses qu’au
prestige de leurs dignités. L’argent des contribuables passe entre les mains
des fonctionnaires du gouvernement, et ceux‑ci le donnent à des habitants de
la ville qui ont des relations avec eux, et qui forment, en réalité, la majeure
partie de la population. Il en résulte que les habitants acquièrent de grandes
richesses et parviennent à l’opulence, ce qui accroît [149]
les usages du luxe, multiplie les formes sous lesquelles il se produit, et
établit chez eux, sur une base solide, la pratique des arts dans toutes leurs
branches.
Voilà la civilisation de la vie sédentaire. On comprend maintenant
pourquoi, dans les provinces éloignées (de la capitale), les usages de la vie
nomade prédominent [150]
dans les villes, bien qu’elles renferment chacune une nombreuse population, et
que les habitants s’éloignent, dans toutes leurs pratiques, des formes de la
civilisation sédentaire. Il en est autrement dans les villes situées aux
centre des grands empires, dont elles sont les sièges et les métropoles. Cela
tient à une cause unique : la présence du sultan. L’argent qu’il répand à
flots est comme un fleuve qui fait verdir tout ce qui est dans son voisinage,
féconde la partie du sol qui y touche et étend son influence bienfaisante
jusqu’aux arbustes desséchés qui se trouvent dans l’éloignement. Le sultan et
l’empire, avons‑nous dit [151],
servent de marché pour la nation entière ; or, dans un marché et dans son
voisinage, il y a toute espèce de denrées. Quand on demeure loin d’un lieu de
marché, on ne trouve point de denrées. Si l’existence de l’empire se prolonge,
et si une suite de rois a régné dans la capitale, les habitudes de la vie
sédentaire s’y fortifient beaucoup et y établissent d’une manière solide. Voyez
l’empire des Juifs en Syrie [152].
Il dura près de mille quatre cents ans ; aussi ce peuple s’était‑il façonné
à la civilisation de la vie sédentaire ; il avait acquis une grande p.296 *252 habileté dans tous les arts qui font
vivre, et montrait une entente parfaite dans leur emploi. Ce fut surtout dans
ce qui regarde la nourriture, l’habillement et les autres choses qui tiennent
à l’économie domestique que les Juifs employaient une foule de procédés dont on
leur a emprunté un grand nombre et dont on se sert encore jusqu’à ce jour. La
civilisation et les usages de la vie sédentaire jetèrent de profondes racines
en Syrie, sous la domination des Juifs, et ensuite sous celle des Roum (les
Grecs et les Romains), qui régnèrent sur ce pays pendant six cents ans ;
aussi cette civilisation s’y trouva portée à son plus haut degré. Il en fut de
même chez les Coptes (les anciens Égyptiens) : leur empire dura dans le
monde pendant trois mille ans, et donna aux usages de la vie sédentaire un
établissement solide dans leur pays, l’Égypte. Leur autorité fut remplacée par
celle des Grecs et des Romains, et ensuite par celle de l’islamisme, lequel
était venu pour anéantir toutes les anciennes lois ; mais cette
civilisation y persista sans interruption. Dans le Yémen, les usages de la vie
sédentaire s’étaient profondément enracinés parce que les dynasties arabes y
avaient régné pendant des milliers d’années, à partir des temps des Amalécites
et des Tobba [153],
lesquels eurent pour successeurs les Arabes de la tribu de Moder. Il en fut de
même de la civilisation en Irac : elle y était bien établie, puisque les
Nabatéens et les Perses y avaient régné, sans interruption, pendant des
milliers d’années, à commencer par les Chaldéens, auxquels succédèrent les
Caianiens, puis les Chosroès, et ensuite les Arabes ; aussi, ne trouvera‑t‑on
pas, de nos jours, sur la surface de la terre, un peuple plus habitué à la
civilisation sédentaire que les habitants de la Syrie, de l’Irac et de
l’Égypte. En Espagne, cette civilisation était encore bien établie parce que ce
pays avait subi, pendant quelques milliers d’années [154],
la domination des Goths et puis celle des Omeïades. Comme ces deux dynasties
étaient très puissantes [155],
les habitudes de la civilisation et de la vie p.297
sédentaire s’y sont maintenues sans interruption et y ont jeté de
profondes racines. Passons au Maghreb et à l’Ifrîkiya.
Avant l’islamisme, aucun empire puissant n’existait en Ifrîkiya ;
car les Romains et les Francs n’avaient fait que traverser la mer pour occuper,
en ce pays, les provinces du littoral, et ne pouvaient compter sur l’obéissance
des Berbers, peuple qui ne leur témoignait qu’un
*253 semblant de soumission et qui était toujours à changer de place et
à voyager. Les habitants du Maghreb n’eurent jamais dans leur voisinage un
grand empire ; ils se bornèrent à envoyer aux Goths d’Espagne des
déclarations d’obéissance. Lorsque Dieu eut donné l’islamisme au monde et que
les Arabes eurent effectué la conquête de l’Ifrîkiya et du Maghreb, le royaume
qu’ils y fondèrent n’eut pas une grande durée, puisqu’il ne s’y maintint que
pendant les premiers temps de l’islamisme. A cette époque, ils étaient encore
eux‑mêmes dans une des phases de la civilisation nomade, et ceux qui se
fixèrent dans ces pays n’y trouvèrent rien d’une ancienne civilisation
sédentaire qu’ils auraient pu emprunter. Les habitants étaient des Berbers tout
à fait habitués à [156]
la civilisation grossière de la vie nomade. Peu de temps après, sous le
khalifat de Hicham, fils d’Abd el‑Melek, les Berbers du Maghreb el‑Acsa se
soulevèrent à l’instigation de Meïcera el‑Matghari [157],
pour ne plus rentrer sous la domination arabe. Dès lors ils se gouvernèrent eux‑mêmes,
et, bien qu’ils aient prêté le serment de fidélité à Idrîs, on ne peut pas
regarder le royaume qu’ils fondèrent en ce temps‑là comme un empire arabe.
En effet ils administraient eux‑mêmes l’État, les Arabes n’y étant
qu’en très petit nombre. Les Aghlebides et les Arabes qui étaient à leur
service restèrent maîtres de l’Ifrîkiya, et possédèrent quelque teinture de la
civilisation sédentaire, ce qu’ils devaient à l’influence du luxe et du bien‑être
qui dérivent de l’exercice du pouvoir, et à la grandeur de la population qui
remplissait la ville de Cairouan. Cette civilisation devint l’héritage des
Ketama (partisans des Fatemides), p.298 et passa
ensuite aux Sanhadja (Zîrides) ; mais elle fut tellement imparfaite
qu’elle subsista à peine quatre cents ans. Lors de la chute de l’empire
sanhadjien, cette teinture de civilisation s’effaça, parce qu’elle était peu
solide et que les Arabes hilaliens [158],
peuple nomade, s’étaient emparés du pays et y avaient répandu la dévastation.
On peut toutefois y reconnaître encore quelques traces, à peine perceptibles,
de la civilisation sédentaire ; elles existent dans les familles dont les
aïeux avaient habité El‑Calâ [159],
Cairouan [160]
et El-Mehdiya [161].
Cela se voit dans leurs usages domestiques et dans leurs
habitudes ; mais il y a un mélange de civilisation nomade qui n’échappe
pas aux regards d’un habitant des villes. Il en est encore ainsi dans la
plupart des villes de l’Ifrîkiya ; mais, dans celles du Maghreb, la
civilisation de la vie sédentaire existe à peine. En Ifrîkiya [162],
le gouvernement monarchique s’était maintenu pendant un temps considérable dans
les mains des Aghlebides, des Chîïtes (Fatemides) et des Sanhadja (Zîrides).
L’Espagne, sous la dynastie des Almohades, communiqua au Maghreb une portion
considérable de sa civilisation, ce qui permit aux usages de la vie sédentaire
de prendre racine dans ce dernier pays. Cela eut lieu, parce que la dynastie
qui gouvernait le Maghreb avait conquis les provinces de l’Espagne, et que
beaucoup de monde avait quitté ce pays pour passer dans le Maghreb, soit de
gré, soit p.299 de force. On sait quelle étendue
l’empire des Almohades avait acquise à cette époque. La civilisation de la vie
sédentaire prit alors, dans le Maghreb, une certaine consistance et s’y établit
même d’une manière solide ; mais ce pays la devait en grande partie aux
Espagnols. Lors de la grande émigration, quand une foule de musulmans
quittèrent l’Espagne, à la suite des conquêtes faites par les chrétiens [163],
ceux qui en avaient habité les provinces orientales passèrent en Ifrîkiya, où
ils ont laissé des traces de leur civilisation. Cela se remarque dans les
grandes villes, et surtout à Tunis, où les usages espagnols se combinèrent
avec la civilisation qui était venue de l’Égypte, et avec les coutumes
introduites par les voyageurs. De cette manière l’Ifrîkiya et le Maghreb
arrivèrent à un degré de civilisation très considérable, mais qui disparut
plus tard, lors de la dépopulation [164]
du pays. Tout progrès y fut désormais arrêté, pendant que, dans le Maghreb, les
Berbers reprirent leurs anciens usages, et retombèrent dans la grossièreté de
la vie nomade. Dans tous les cas, il reste plus de civilisation en Ifrîkiya que
dans le Maghreb et dans les villes de cette contrée, et cela, parce que
beaucoup plus de dynasties ont régné dans le premier pays que dans le second,
et que les usages, en Ifrîkiya, se rapprochent de ceux de l’Égypte, ce qui
tient au grand nombre de voyageurs qui vont et viennent entre ces deux pays.
Voilà le secret (de ces différences dans la civilisation), secret qui a échappé
à tout le monde. Le lecteur saura maintenant que (dans la question que nous
traitons) il y a plusieurs choses qui ont entre elles des rapports intimes,
telles que l’état de l’empire en ce qui regarde sa force et sa faiblesse, le
nombre de la population ou de la race dominante, la *255 grandeur de la capitale, l’aisance et les richesses du
peuple. Ces rapports existent, parce que la dynastie et l’empire servent de
forme à la nation et à la civilisation, et que tout ce qui se rattache à
l’État, comme les sujets, les villes, etc. leur sert de matière. L’argent
qui provient des contributions retourne au peuple ; la richesse p.300 de la population dérive ordinairement des
marchés et du commerce ; les dons et les richesses que le sultan verse sur
quelques habitants de la ville se répandent parmi les autres et reviennent
ensuite au prince pour être distribués de nouveau. Les impôts et la contribution
foncière (kharadj)
leur enlèvent de l’argent ; mais le sultan, en le dépensant, le leur
rend. La richesse du gouvernement fait celle des sujets, et plus les sujets
sont riches et nombreux, plus le gouvernement a de l’argent. Or tout cela
dépend du nombre plus ou moins grand de la population. Examinez et
réfléchissez ; vous trouverez que cela est vrai. Dieu, que sa gloire soit exaltée ! est le seul juge dont aucune autorité ne puisse contrôler les arrêts.
La
civilisation de la vie sédentaire marque le plus haut degré du progrès auquel
un peuple peut atteindre ; c’est le point culminant de l’existence de ce
peuple, et le signe qui en annonce la décadence.
Nous avons déjà exposé que la royauté et l’établissement des gouvernements
dynastiques est le terme [165]
auquel s’arrête l’action de l’esprit de corps, que la civilisation née de la
vie sédentaire est celui auquel aboutit la civilisation de la vie nomade, et
que la vie nomade, la vie des villes, la royauté, le peuple [166],
et tout ce qui marque dans la société humaine, ont un temps limité pour
exister, à l’instar de chaque individu d’entre les êtres créés. Or la raison et
l’histoire nous apprennent que, dans l’espace de quarante ans, les forces et la
croissance de l’homme atteignent leur dernière limite, que la nature suspend
alors son action pendant quelque temps, et
*256 qu’ensuite la décadence commence. Il en est de même de la civilisation
dans la vie sédentaire ; elle est le terme au delà duquel il n’y plus de
progrès. Un peuple qui se trouve dans l’aisance se porte naturellement vers
tous les usages de la vie sédentaire et s’y forme promptement. Or, dans ce mode
d’existence, la civilisation consiste, comme on le sait, dans l’introduction de
tous les genres de luxe, dans p.301 la
recherche de ce qu’il y a de meilleur et dans l’empressement à cultiver les
divers arts : ceux, par exemple, qu’on a inventés pour l’amélioration de
la cuisine, des objets d’habillement, des édifices, des tapis, de la vaisselle
et de toutes les autres choses qui figurent dans l’économie d’une maison. Pour
arriver à un résultat satisfaisant dans chacune de ces parties, il faut le
concours de plusieurs arts dont on n’a aucun besoin dans la vie nomade, et qui
n’y sont nullement recherchés. Quand on a porté jusqu’à la dernière limite de
l’élégance tout ce qui se rattache à l’économie domestique, on cède à
l’entraînement de ses passions, et les habitudes du luxe communiquent à l’âme
une variété d’impressions [167]
qui l’empêchent de se maintenir dans la voie de la religion et nuisent à son
bonheur dans ce monde.
Ces habitudes, envisagées sous le point de vue religieux, déteignent
sur l’âme et y laissent des taches qui s’enlèvent très difficilement ;
envisagées sous le point de vue mondain, elles créent tant de besoins et
imposent tant de charges que tout ce qu’on peut gagner (par le travail) ne
suffit pas pour y satisfaire. Afin de rendre cela plus clair, nous ferons
observer que, dans les grandes villes, la variété des arts qui naissent de la
civilisation de la vie sédentaire entraîne les habitants dans de grandes
dépenses [168].
Or le degré de cette civilisation varie avec le nombre de la population :
plus la population est grande, plus la civilisation est complète. D’ailleurs
nous avons déjà dit que toute ville renfermant une nombreuse population se
distingue par la cherté des denrées exposées dans ses marchés, et par le haut
prix des objets qui servent aux besoins de la vie. Les droits imposés par le
gouvernement sur ces marchandises contribuent à leur cherté. (Ces droits sont
très considérables) car la civilisation n’atteint son entier développement
qu’à l’époque où le gouvernement est parvenu à son plus haut degré de force,
époque pendant laquelle l’administration
*257 établit toujours de (nouveaux) impôts, parce qu’elle fait alors de p.302 grandes dépenses, ainsi que nous l’avons
démontré. Ces impôts ont pour effet d’augmenter le prix de tout ce qui se
vend ; car les négociants et les boutiquiers, en fixant le prix de leurs
denrées et marchandises, y tiennent compte de tous leurs déboursés, et y font
entrer, de plus, les droits de marché et les frais de leur propre entretien.
Cela augmente beaucoup le prix de tout ce qui est mis en vente, et oblige les
habitants de la ville à dépenser beaucoup et à sortir des bornes de la
modération pour se jeter dans la prodigalité. Ils ne sauraient faire autrement,
parce qu’ils sont devenus les esclaves de leurs habitudes de luxe ; aussi
dépensent‑ils tout ce qu’ils gagnent et se laissent‑ils entraîner, les uns à la
suite des autres, dans la pauvreté et dans la misère. Quand la plupart d’entre
eux sont réduits à l’indigence, le nombre des acheteurs diminue, le commerce
languit et la prospérité de la ville en souffre. Tout cela a pour cause la civilisation
portée à l’extrême et un luxe qui dépasse toutes les bornes.
Voilà les causes qui nuisent, d’une manière générale, à une ville,
parce qu’elles l’atteignent dans son commerce et dans sa population. Celles qui
lui nuisent en agissant sur les individus sont, d’abord, la fatigue et l’ennui
qu’ils éprouvent en tâchant de subvenir à des habitudes de luxe devenues pour
eux des besoins, puis les diverses impressions démoralisantes que l’âme
éprouve en cherchant à satisfaire aux exigences de ses habitudes vicieuses. Le
mal que cela fait à la pureté de l’âme va toujours en croissant, parce que
chaque atteinte [169]
qu’elle reçoit est suivie d’une autre. Cela augmente dans ces individus la
dépravation, la méchanceté, l’improbité et l’inclination à se servir de toute
espèce de moyens, bons ou mauvais, afin de gagner leur vie. L’âme se détourne
(de la vertu) pour réfléchir sur ces matières, pour se laisser absorber dans
leur étude et pour combiner des ruses au moyen desquelles elle pourra accomplir
ses desseins ; aussi voit‑on ces hommes se livrer effrontément au
mensonge, à la tromperie, à la *258 fourberie,
au vol, au parjure et à la fraude dans la vente de leurs p.303 marchandises. On remarquera aussi que leur
grande habitude de satisfaire à leurs passions et de goûter des plaisirs que le
luxe a introduits les a rendus familiers avec tous les genres de vice et avec
l’immoralité dans toutes ses formes. Ils affichent ouvertement l’impudeur, et,
jetant de côté toute honte, ils tiennent des discours immodestes, sans être
retenus par la présence de leurs parents et de leurs femmes [170].
Il en est tout autrement dans la vie nomade, où le respect qu’on porte aux
femmes empêche [171]
de prononcer devant elles des paroles obscènes. On reconnaîtra aussi que ce
sont là les gens les plus habiles dans l’emploi des ruses et des tours
d’adresse, afin de se soustraire au bras de la justice [172],
quand elle est sur le point de les atteindre, et afin d’éviter le châtiment
qu’ils savent être dû à leurs méfaits. Cela est même devenu une habitude et
une seconde nature pour eux tous, à l’exception de quelques‑uns que Dieu a
préservés du péché. La ville regorge d’une population infime, d’une foule
d’hommes aux inclinations viles, qui ont pour rivaux en turpitude des jeunes
gens appartenant à de grandes maisons, des fils de famille abandonnés à eux‑mêmes,
exclus par le gouvernement du nombre de ses serviteurs, et qui, malgré la
noblesse de leur origine et la respectabilité de leurs familles [173],
se sont laissé entraîner dans le vice par la fréquentation de la mauvaise compagnie.
Cela se comprend quand on pense que le vice abaisse les hommes à un même
niveau, et que, pour se distinguer et se maintenir dans l’estime publique, on
doit se faire remarquer par son honorable caractère, travailler à croître en
mérite et éviter tout ce qui est vil. Celui qui a contracté, n’importe de
quelle manière, une forte teinture de dépravation et qui a perdu le sentiment
de la vertu, a beau être membre d’une famille honorable et venir d’une noble
race, cela ne lui sert de rien. Voilà pourquoi p.304
tant de personnes appartenant à des familles nobles, illustres et haut
placées, se voient rejetées de la société, reléguées dans la foule et obligées,
par suite de leurs mœurs corrompues et de leurs vices [174],
à exercer les métiers les plus vils afin de se procurer les moyens de *259 vivre. Quand il y a beaucoup de ces gens‑là
dans une ville ou dans une nation, c’est un signe par lequel Dieu annonce la
chute et la ruine de ce peuple.
On comprendra maintenant la portée de ces paroles de Dieu :
« Et lorsque nous voulûmes détruire une cité, nous adressâmes nos ordres à
ceux qui y vivaient dans le luxe, et ils s’empressèrent d’y commettre des
abominations ; ainsi se trouva justifiée notre sentence, et nous détruisîmes
la ville de fond en comble ». (Coran, sour. XVII, vers. 17.) Voici
comment la démoralisation arrive : quand on ne gagne pas de quoi subvenir
à ses besoins, satisfaire aux nombreuses habitudes que l’on s’est faites et
entretenir l’ardeur avec laquelle l’âme recherche les jouissances, les fortunes
se dérangent, et, quand cela arrive successivement à beaucoup d’individus dans
la ville, tout s’y désorganise et tombe en ruine. C’est là l’idée qu’un homme
d’un esprit supérieur a voulu exprimer par ces paroles : « La ville
dans laquelle on plante beaucoup de citronniers reçoit ainsi l’avertissement
de sa ruine prochaine. » Aussi beaucoup de personnes appartenant aux
classes inférieures évitent de planter des citronniers dans les cours de leurs
maisons. [Elles croient que cela porte malheur.] [175]
Mais ce n’est pas la pensée qu’on voulait exprimer, car il n’y a aucun mauvais
augure à tirer d’un citronnier ; on a seulement voulu dire que la création
de jardins, et leur embellissement au moyen d’eaux courantes, sont une suite de
la civilisation née dans la vie sédentaire. Or le citronnier, le limonier, le
cyprès, etc. sont des arbres dont les fruits ne renferment aucun principe
nutritif et ne sont bons à rien. C’est à cause de l’aspect de ces arbres qu’on
les plante dans les jardins, et cela ne se pratique que p.305 sous l’influence d’une civilisation poussée à
l’extrême ; on ne le fait pas avant que tous les genres de luxe se soient
développés, et c’est là précisément l’époque à laquelle on a raison de craindre
la destruction de la ville et sa ruine. Le laurier‑rose, dont on dit la même
chose, rentre encore dans cette catégorie ; on ne le plante dans les
jardins qu’à cause de ses belles. fleurs rouges ou blanches, et cela est aussi
une pratique introduite par le luxe.
Une autre cause de la corruption des mœurs dans la civilisation *260 sédentaire, c’est l’empressement avec
lequel, quand le luxe est très grand, on
lâche la bride à ses passions, afin de se plonger dans la débauche. Alors on
invente, pour la satisfaction de l’estomac, les mets les plus savoureux [, les
boissons les plus agréables [176]].
On varie ensuite les manières de flatter les appétits charnels : la
fornication s’introduit ainsi que la pédérastie, vices dont l’un mène
indirectement et l’autre directement à l’extinction de l’espèce. La fornication
a une influence indirecte par l’incertitude qui en résulte au sujet de la
filiation des enfants [177] ;
car personne ne voudra reconnaître pour son fils un enfant qui ne sera
probablement pas le sien [178],
vu que la semence de plusieurs a pu se réunir dans la même matrice. En ce cas,
les pères, ne ressentant plus l’affection naturelle qui les fait aimer leurs
enfants, refusent de les élever ; les enfants meurent faute de soin, d’où
résulte un obstacle à la propagation de l’espèce. La pédérastie, cause qui y
contribue directement, a pour résultat l’interruption complète de la
propagation. Elle est encore plus nuisible que la fornication, parce qu’elle
mène à la non‑existence de l’espèce, tandis que la fornication ne mène qu’à la
non‑existence des moyens qui entretiennent l’espèce. Ce fut d’après ces
considérations que l’imam Malek énonça, au sujet de la pédérastie, une opinion
beaucoup plus explicite que celle des (trois) autres imams [179],
et montra ainsi qu’il p.306 comprenait
beaucoup mieux que ceux‑ci le but de chaque prescription de la loi divine, et
que ces prescriptions ont toujours pour objet le bien général.
Le lecteur qui aura compris et apprécié ce que nous venons d’exposer
reconnaîtra que la civilisation c’est la vie sédentaire et le luxe, qu’elle
indique le dernier terme du progrès de la société, et que, dès lors, la nation
commence à rétrograder, à se corrompre et à tomber dans la décrépitude, ainsi
que cela a lieu pour la vie naturelle des animaux. Nous dirons même que le
caractère des hommes, formé sous l’influence de la vie sédentaire et du luxe,
est, en luimême, le mal personnifié. L’homme n’est pas homme, à moins de
pouvoir se procurer, par ses propres moyens, ce qui lui sera utile, et de
pouvoir écarter ce qui pourrait lui être nuisible ; c’est pour travailler
dans ce but qu’il a reçu une organisation si parfaite. Or le citadin est
incapable de pourvoir lui-même à ses propres besoins ; la paresse, dont il
a contracté l’habitude en vivant dans l’aisance, l’en empêche, ou bien c’est la
fierté qui résulte d’une éducation faite
*261 au sein du bien‑être et du luxe. Or cette paresse et cette fierté
sont également blâmables. Les habitants des villes, dont la jeunesse s’est
passée sous le contrôle de précepteurs chargés de les enseigner et de les
châtier, et qui vivent ensuite dans le luxe, perdent tout leur courage, n’ont
plus assez d’énergie pour se défendre contre ceux qui leur font du mal, et
deviennent une charge pour le gouvernement, qui est obligé de les protéger.
Cette disposition leur est encore nuisible sous le point de vue religieux, à
cause de la teinture du mal que les mauvaises habitudes dont ils sont les
esclaves ont communiquée à leurs âmes. C’est là un principe que nous avons déjà
établi et qui admet bien peu d’exceptions. Or, lorsqu’un homme a perdu la force
d’agir ainsi que ses bonnes qualités et sa piété, il a perdu son caractère p.307 d’homme et tombe au niveau des bêtes [180].
Quand on envisage la civilisation sous ce point de vue, on comprend pourquoi
cette portion des troupes du sultan qui ont été élevées dans les habitudes
dures et âpres de la vie nomade est plus effective et plus utile que celle dont
les hommes ont passé leur vie au milieu des usages de la civilisation
sédentaire. Cela se remarque dans tous les empires. Il est donc évident que
cette civilisation marque le point d’arrêt dans la vie ascendante d’un
peuple [181]
ou d’un empire. Dieu est l’unique, le
puissant.
lors de la
chute de cet empire.
Dans nos recherches sur la civilisation, nous sommes arrivé à la
conclusion [183]
que le déclin et la chute d’un empire détruisent la prospérité de la ville qui
lui servait de capitale, et que, si la ruine de la ville n’en résulte pas
immédiatement, elle ne tardera pas à arriver. Plusieurs choses contribuent à
produire cet effet. 1° Quand [184]
une dynastie vient de se fonder, les mœurs frugales de la vie nomade, qu’elle a
nécessairement conservées, l’empêchent de mettre la main sur les richesses de
ses sujets et la tiennent éloignée du faste et
*262 de l’ostentation. L’influence de ces mœurs la porte à diminuer les
charges et les impôts qui pèsent sur le peuple et qui servent à payer les
frais [185]
du gouvernement. Pour cette raison, la nouvelle administration fait peu
de dépenses et s’abstient du luxe. L’absence du luxe chez la nouvelle dynastie
fait diminuer celui qui existait chez les habitants de la ville que cette
famille vient de choisir pour être le siège de son empire : on sait que
les sujets suivent toujours l’exemple donné par le souverain, qu’ils se
conforment au caractère de leurs gouvernements, soit de gré, soit de force.
Dans le premier cas, ils se laissent porter à la modération par ce sentiment
naturel p.308 qui dispose les hommes à imiter
les mœurs de celui qui les tient sous ses ordres. Dans le second, ils se
laissent enlever, jusqu’à un certain degré, les habitudes de la vie
sédentaire ; car il est dans le caractère du nouveau gouvernement
d’éviter toute espèce de luxe ; cela réduit à peu de chose les profits
(que l’on peut retirer des dépenses faites par le souverain), profits qui sont
l’aliment du luxe. Il en résulte que la prospérité de la ville ne se maintient
plus et que les habitudes du luxe subissent une notable diminution. C’est
encore là l’idée que nous avons déjà énoncée en traitant des causes qui amènent
la ruine des grandes villes. 2° Une dynastie parvient à la souveraineté et à la
domination par la voie de la conquête ; mais, avant cela, elle a dû
déployer de l’inimitié (contre une autre dynastie) et (lui) faire la guerre. Or
l’inimitié qui règne entre deux dynasties porte les sujets de l’une à détester
ceux de l’autre ; les habitudes (du luxe) sont plus fortes, et le bien‑être,
dans toutes ses formes, est plus grand chez l’un [186]
de ces peuples que chez l’autre ; mais la victoire de celui-ci fait
disparaître (la puissance de) son adversaire, et, dès lors, les usages de
l’ancien empire paraissent détestables, odieux et exécrables à la nouvelle
dynastie. Les choses du luxe, surtout, le révoltent, et le peuple vainqueur
n’en adopte pas l’usage, parce que son gouvernement l’improuve. Cela dure
jusqu’à ce que la dynastie du vainqueur acquière graduellement quelques
habitudes du luxe, habitudes d’un autre genre, et pose ainsi la base d’une
nouvelle civilisation sédentaire. Pendant cet intervalle, la civilisation de
l’ancien peuple décroît et tend à disparaître. Voilà encore comment la
prospérité d’une ville *263 décline. 3°
Chaque peuple a nécessairement un pays dont il est originaire et où il a
commencé l’établissement de son empire. Le pays dont il s’empare ensuite
devient une dépendance de celui qui était le berceau de sa puissance, et les
villes conquises se trouvent placées à la suite de celles que les vainqueurs
possédaient déjà. Le royaume a pris alors une telle extension que le
gouvernement se voit obligé p.309 d’établir
le siège de son autorité au milieu de ses provinces, car une capitale doit être
un centre dont les provinces forment la circonférence. La nouvelle capitale,
bien qu’elle soit éloignée de l’ancienne, devient un point d’attraction pour
tous les cœurs, parce qu’elle est le siège de l’empire et la demeure du
sultan ; aussi reçoit‑elle une nombreuse population, au détriment surtout
de l’ancienne capitale du royaume. Or, dans une grande ville, la civilisation
de la vie sédentaire est en rapport direct avec le nombre de la population.
C’est là un principe que nous avons déjà démontré. Donc l’ancienne capitale
voit diminuer sa prospérité et se trouve privée de plusieurs conditions essentielles
à l’existence de la civilisation. Voilà encore une cause de ruine pour la
capitale d’un empire. C’est là ce qui est arrivé pour Baghdad, quand le
gouvernement seldjoukide transporta le siège de son empire de cette ville à Ispahan.
La ville d’El‑Medaïn éprouva le même sort quand les Arabes l’abandonnèrent pour
s’installer dans les villes de Koufa et de Basra. Damas perdit sa prospérité
quand les Abbacides la quittèrent pour aller s’établir à Baghdad. La ville de
Maroc tomba en décadence quand les Mérinides du Maghreb s’en éloignèrent pour
se fixer à Fez. En somme, l’adoption d’une nouvelle capitale par un
gouvernement amène la ruine de l’ancienne. 4° Chaque nouvelle dynastie, se
trouvant obligée de traiter durement les serviteurs et les partisans de la
dynastie déchue, les transporte ailleurs, afin de se garantir contre leurs
tentatives perfides. Or la majeure partie de la population, dans la capitale
(de l’empire conquis), se compose d’amis de l’ancienne dynastie, de membres de
la classe guerrière qui était venue s’y établir lors de la fondation de cet
empire, et de la classe des notables. L’ancien gouvernement avait toujours
entretenu avec ceux‑ci des relations [187]
plus ou moins directes, selon leur rang et la classe qu’ils occupaient dans la
société. On peut même dire que la plupart d’entre eux avaient grandi à l’ombre
de l’ancienne dynastie. Pour cette raison, ils lui sont très dévoués p.310 *264 et, s’ils ne peuvent pas l’aider par
la force des armes, ils la favorisent, l’aiment et lui restent attachés. Or le
nouveau gouvernement, étant naturellement porté à effacer toute trace de celui
qui l’a précédé, transporte cette population insoumise dans le pays d’où elle
était sortie, pourvu qu’il ait réduit ce pays sous son autorité. Il y envoie
les uns comme prisonniers ou comme exilés, et persuade aux autres d’y chercher
une retraite honorable, employant ainsi les moyens de douceur pour ne pas les
indisposer tout à fait. A la fin, il ne reste plus, dans la capitale, que de
petits négociants et des gens peu considérés : des cultivateurs, des
vagabonds et du bas peuple. Pour remplir le vide que ces exilés ont laissé, le
gouvernement installe à leur place une partie de [188]
ses troupes et de ses partisans. Or, quand une ville se trouve abandonnée par
les notables des diverses classes, elle subit une grave atteinte dans le nombre
de sa population, ou, en d’autres termes, elle perd beaucoup de sa prospérité.
Le nouveau gouvernement se voit donc obligé de la repeupler [189]
en y établissant ses protégés. La vie sédentaire développe alors chez ceux‑ci
une nouvelle civilisation qui fait plus ou moins de progrès, selon que l’empire
est plus ou moins fort. On peut assimiler ce procédé à celui de l’homme qui,
étant devenu propriétaire d’une maison délabrée, dont la distribution et les
dépendances ne répondent pas à ses besoins, change cette distribution et
restaure la maison de la manière qu’il l’entend et qui lui convient le
mieux ; un tel édifice tombe promptement en ruine et doit être reconstruit :
Voilà ce qui a eu lieu, au vu et au su de tout le monde, pour plusieurs villes
qui ont servi de capitale à des empires. Dieu est le régulateur des nuits et
des jours.
En somme, la cause première et naturelle de ce phénomène est celle‑ci :
la dynastie et l’empire sont pour la population (et pour la p.311 prospérité de la capitale) ce que la forme
est pour la matière, c’est‑à-dire la figure qui, par sa spécialité, en
maintient l’existence. Or, dans les sciences philosophiques, c’est un principe
reçu que la forme et la matière ne sauraient être isolées l’une de
l’autre ; donc, on ne peut concevoir un empire sans population, ni trouver
facilement une *265 population qui
ne soit pas en connexion avec une dynastie ou un empire. La cause de cette
liaison existe dans la nature même des hommes : leur hostilité
mutuelle [190]
amène nécessairement l’institution d’un modérateur, et, pour que celui-ci
puisse agir, on doit adopter un système d’administration fondé, soit sur la loi
divine, soit sur la loi humaine [191] :
c’est en cela que consiste (le gouvernement ou) l’empire. Or, puisque le
gouvernement et le peuple sont unis inséparablement, tout ce qui porte
atteinte à l’un réagit sur l’autre, et si l’un cessait d’exister, l’autre
disparaîtrait aussi. Les atteintes qui ont les suites les plus graves sont
celles qui frappent une dynastie, comme cela a eu lieu pour les Perses, les
Romains et les Arabes en général, tant sous des Omeïades que sous des
Abbacides. Les atteintes subies par un empire, dans la période d’un seul règne,
tel que celui d’Anou-chrewan, d’Héraclius, d’Abd el‑Mélek Ibn Merouan et d’Er‑Rechîd,
(étaient moins dangereuses pour les dynasties de ces princes) : les
individus, se succédant régulièrement dans le gouvernement du peuple,
travaillaient à maintenir l’existence et la durée de la population et
ressemblaient beaucoup les uns aux autres (dans leur conduite politique). Les
malheurs (d’un seul règne) ne nuisent que peu à la prospérité de l’État, car le
véritable empire, celui qui agit sur la matière de la population, vit par son
esprit de corps et par les forces dent elle peut disposer ; or cet esprit
et ces forces persistent sous le règne de chaque souverain individuel de la
dynastie. Si l’esprit de corps vient à s’éteindre ou se laisse chasser par un autre
qui, en exerçant son influence sur la population, fasse disparaître les forces
de la p.312 dynastie précédente, l’atteinte
portée à la prospérité de la nation sera très grave, ainsi que nous l’avons
déjà énoncé. Dieu fait ce qu’il
veut ; s’il voulait, il vous ferait disparaître et produirait une nouvelle
création pour vous
remplacer ; cela ne serait pas difficile à Dieu. (Coran, sour. XIV, vers. 22.)
Il est évident que les occupations manuelles auxquelles on se livre
dans les villes provoquent [192]
la naissance d’autres métiers ; cela découle du principe que les hommes
établis en société sont naturellement portés à s’aider les uns les autres. Une
partie seulement des *266 habitants
s’adonnent aux occupations qui naissent de cette manière s’étant chargés de les
exécuter, ils acquièrent de l’habileté par la pratique de l’art dont ils se
sont fait une spécialité. Le besoin de [193]
ces arts et leur nécessité s’étant fait généralement sentir, ceux qui les cultivent
y trouvent un moyen de vivre et en retirent même un profit. Tout art dont
l’exercice n’est pas réclamé dans une ville reste complètement négligé ;
la personne qui voudrait le pratiquer n’en retirerait pas assez pour être
tentée de s’en faire un métier. Les arts enfantés par les besoins de la vie
existent dans toutes les villes : on y trouve des tailleurs, des
forgerons, des menuisiers, etc. mais ceux qui doivent leur naissance aux
exigences du luxe et aux usages qu’il a introduits ne se pratiquent que dans
les villes renfermant une population nombreuse, qui s’est déjà formée aux
habitudes du luxe et de la civilisation sédentaire. Là seulement se trouvent
des verriers, des bijoutiers, des parfumeurs, des cuisiniers, des
chaudronniers, des fabricants de moût, de herîça [194],
de brocart, et d’autres objets, dont la diversité est très grande, Tant que les
habitudes de la vie sédentaire augmentent dans une ville et que les exigences
du luxe deviennent plus impérieuses, de nouveaux arts, inconnus ailleurs,
s’élèvent pour p.313 y satisfaire.
Dans cette catégorie nous pourrons ranger les bains de vapeur ; ils se
trouvent seulement dans les villes qui sont grandes et bien peuplées, parce que
la sensualité qui dérive du luxe et des richesses en a réclamé
l’établissement. Voilà aussi pourquoi on ne les trouve pas dans les villes de
moyenne grandeur, et, si quelque prince ou émir se charge d’y faire construire
et monter une salle de bains, cet établissement ne tarde pas à être abandonné
et à tomber en ruine. Cela arrive parce que la majorité des habitants n’en sent
pas le besoin et que les personnes chargées de tenir ces établissements
abandonnent leur poste, parce qu’ils n’en retirent pas assez de profit pour
pouvoir subvenir à leur existence. Dieu
borne ou étend ses faveurs à son gré. (Coran,
sour. II, vers. 246.) *267
L’esprit
de corps peut exister dans les villes ; quelques‑uns d’entre les habitants
dominent alors sur le reste.
Il existe évidemment dans la nature de l’espèce humaine une disposition
qui porte les hommes à s’attacher les uns aux autres et à se réunir en corps,
quand même ils n’appartiendraient pas à la même famille. Cet attachement est
pourtant moins fort que la liaison de parenté, ainsi que nous l’avons déjà dit,
et l’esprit de corps qui en résulte produit seulement une partie des effets
auxquels donne lieu l’esprit de corps fondé sur les liens du sang. Dans une
ville, la plupart des habitants se trouvent liés ensemble par des mariages, ce
qui amène l’incorporation des familles les unes dans les autres et l’établissement
des liens de parenté entre elles ; aussi trouve‑t‑on chez les citadins les
mêmes sentiments d’amitié et de haine qui existent dans les peuplades et dans
les tribus, sentiments qui les portent à se séparer en bandes et à former des
partis. Quand l’empire (auquel ces villes appartiennent) est tombé en décadence
et qu’il cesse d’agir avec autorité dans les provinces éloignées de la
capitale, les habitants des villes situées dans ces contrées sentent le besoin
d’un gouvernement capable de les diriger et de les protéger. Ils ont alors
recours à l’établissement d’un conseil administratif, ce qui pose aussitôt une p.314 ligne de démarcation entre les hommes de
haut rang et ceux des classes inférieures. Or toutes les âmes sont
naturellement portées à dominer et à commander ; aussi, quand les membres
du conseil voient leur ville tout à fait en dehors [195]
de l’autorité du sultan et de la puissance de l’empire, il n’y a pas un
d’entre eux qui ne cherche à s’emparer du pouvoir. Dans la lutte qui s’ensuit,
chacun d’eux s’appuie sur un corps de partisans composé de ses clients, de ses
amis et de ses affidés ; il prodigue même son argent aux hommes du peuple,
afin de les rallier à sa cause. Celui d’entre ces chefs qui parvient à vaincre
ses rivaux les poursuit et les harcèle jusqu’à ce qu’il les ait tués ou
expulsés de la ville [196].
Après leur avoir brisé les forces et rogné
*268 les ongles, il s’attribue l’autorité suprême et croit avoir fondé
un royaume qu’il pourra transmettre à ses enfants. Dès lors les mêmes accidents
se déclarent dans ce petit État comme dans les grands empires : une
période de prospérité en amène une autre de décadence Quelquefois l’usurpateur
adopte les allures d’un grand souverain, d’un roi qui aurait sous ses ordres
une foule de tribus et de peuples, qui s’appuierait sur des partis très
puissants, qui ferait des campagnes, soutiendrait des guerres et régnerait sur
des provinces et des royaumes. Il s’assied sur un trône, assume les insignes de
la souveraineté et parcourt, avec un grand cortège, les environs de sa
ville ; il se sert d’un sceau et exige qu’on lui donne le titre de monseigneur [197], se conduisant ainsi de manière à faire
rire tous ceux qui savent combien il a peu de droit aux marques d’honneur dont
il s’entoure. Jamais on ne se laisse porter à ces extravagances qu’au moment où
l’autorité de l’empire est devenue très restreinte et que plusieurs familles
(de la ville), se trouvant unies par les liens de la parenté, forment un parti
imposant. Quelques‑uns de ces chefs s’abstiennent toutefois de ces
démonstrations et vivent dans une honnête simplicité afin de ne pas s’exposer à
la dérision et au ridicule. De pareilles usurpations ont eu p.315 lieu de nos jours, sous la dynastie des
Hafsides. Dans le Djerîd, les habitants de Tripoli, de Cabes, de Touzer, de
Nefta et de Cafsa, ceux de Biskera, du Zab et des lieux voisins, aspirèrent à
l’indépendance quand l’autorité de l’empire eut cessé, depuis plusieurs
dizaines d’années, de se faire sentir chez eux. Leurs chefs s’emparèrent alors
du commandement des villes, et se chargèrent de l’autorité administrative et de
la perception des impôts, au détriment du gouvernement central. Ces
usurpateurs montraient toutefois à la dynastie un semblant d’obéissance, une
apparence de soumission ; ils lui prodiguaient de belles promesses, des
témoignages de respect et des assurances de dévouement, mais ils étaient bien
loin d’être sincères. Leurs descendants ont hérité du pouvoir et le conservent
jusqu’à présent ; ceux qui commandent maintenant dans ces pays laissent
même percer la fierté et l’esprit de domination qui se font remarquer dans les
princes *269 descendus de puissants
souverains, et, malgré le peu de temps qu’ils sont sortis des rangs du peuple,
ils se posent en sultans[198].
La même chose arriva quand l’empire sanhadjien (celui des Zîrides) tira vers sa
fin ; les chefs des villes du Djerîd méconnurent l’autorité du gouvernement
et gardèrent leur indépendance jusqu’à ce qu’Abd el-Moumen Ibn Ali, cheïkh et
roi des Almohades, les détrônât tous, les déportât en Maghreb et effaçât toutes
les traces de leur domination. Nous raconterons cela dans l’histoire de ce
souverain [199].
Un mouvement semblable eut lieu à Ceuta quand la dynastie d’Abd el-Moumen fut
sur le point de succomber. Ces usurpateurs appartiennent ordinairement aux
grandes et puissantes familles qui fournissent à la ville le chef et les
autres membres du conseil municipal ; mais on voit quelquefois un individu
de la classe la plus infinie s’emparer du pouvoir ; ce qui a lieu quand le
destin lui fournit l’occasion de se former un parti dans la populace. Il
renverse alors p.316 l’autorité des
chefs et des grands, parce qu’ils n’ont plus personne pour les soutenir. Dieu dirige tout à son gré. (Coran,
sour. XII, vers. 21.)
Dans chaque ville, le dialecte des habitants appartient à la langue du
peuple ou de la race [200]
qui a conquis cette ville ou qui l’a fondée [201].
Voilà pourquoi [202]
les idiomes de toutes les villes musulmanes de l’Orient étaient arabes, ainsi
que le sont ceux des villes de l’Occident, même de nos jours. Il est vrai que
la faculté de parler la langue usitée parmi les Arabes descendus de Moder (et
qui fut l’arabe le plus pur) s’est perdue, et que les inflexions grammaticales
de cette langue ont éprouvé de graves altérations. Cela (c’est‑à‑dire l’emploi
de dialectes arabes dans les villes) eut pour cause l’ascendant acquis par
l’empire musulman en subjuguant les autres peuples. Or la religion et la loi
(musulmanes) peuvent être regardées comme une forme *270 qui a pour matière
l’existence (de la nation) et de l’empire même [203].
Mais la forme est antérieure à la matière, et (celle dont nous parlons, c’est‑à‑dire)
la religion provient de la loi divine. Cette loi est écrite dans le langage des
Arabes, parce que notre Prophète était lui-même Arabe [204].
Cela eut pour conséquence inévitable l’abandon des autres langues parlées par
les habitants des royaumes conquis par les musulmans. Voyez Omar ; il
défendit de se servir de (ce qu’il appelait les) jargons étrangers.
« C’est du khibb », disait‑il, c’est‑à‑dire de
l’artifice et de la tromperie. Donc l’islamisme repoussa les idiomes étrangers,
et, comme la langue arabe était celle du peuple qui avait établi l’empire
musulman, on abandonna l’usage de tous ces idiomes dans les pays conquis, car
chaque peuple imite l’exemple et suit la religion de son souverain. Cela eut
pour résultat qu’une p.317 des marques de
l’islamisme et de la domination des Arabes fut l’emploi de leur langue.
Dans les villes et les royaumes (conquis), les peuples renoncèrent à
leurs dialectes et à leurs idiomes pour adopter la langue arabe, de sorte que,
dans chaque ville et dans chaque cité, il s’établit un dialecte arabe et que
les autres idiomes y étaient comme des intrus et des étrangers. La langue arabe
se corrompit ensuite par un mélange de ces idiomes ; elle subit des
altérations dans une partie de ses règles et dans ses inflexions grammaticales,
mais elle se maintint toujours, et conserva toutes les indications de son
origine. Dans les villes musulmanes on désigne cette langue par l’appellation
de haderite [205].
Ajoutons que, de nos jours, la majeure partie des habitants de ces villes
descendent d’Arabes qui, étant supérieurs en nombre aux peuples de race non
arabe qui y habitaient, en avaient fait la conquête, avaient hérité des maisons
et des terres des vaincus et s’y étaient laissé corrompre par le luxe. Or les
langues se transmettent comme des héritages, et celle dont se servent les
descendants des conquérants correspond toujours à l’idiome de leurs ancêtres,
bien qu’elle se soit graduellement corrompue par suite de leur communication
avec des étrangers. On a nommé ce dialecte haderite,
parce qu’il est employé par les habitants des hadera (c’est‑à‑dire des demeures fixes) et des villes, et aussi
pour le *271 distinguer de celui des Arabes
bédouins, dialecte qui a beaucoup mieux conservé la pureté de la langue
arabe [206].
Quand les peuples de race étrangère, tels que les Deïlem, et ensuite les
Seldjoukides, se furent rendus maîtres de l’Orient, et que d’autres peuples non
arabes, les Zenata et les Berbers, s’emparèrent du pouvoir en Occident, tous
les royaumes de l’islamisme se trouvèrent sous la domination des étrangers.
Cela corrompit tellement la langue arabe qu’elle aurait disparu tout à fait si
les musulmans n’avaient pas travaillé à sa conservation par le zèle qu’ils
mirent à garder soigneusement, dans leur mémoire, le texte du Coran et celui
des traditions relatives au Prophète. Ils eurent ce soin parce que la religion
a pour bases ces deux livres [207]. Cela contribua à maintenir le
caractère arabe de la langue hadera, parlée
dans les villes, et à lui donner la prépondérance. Mais, lorsque les Tartars et
les Mongols, peuples qui ne professaient pas l’islamisme, se furent emparés de
l’Orient, la langue arabe s’y gâta tout à fait, parce que la cause de sa
prépondérance n’existait plus. Elle disparut entièrement des provinces
musulmanes de l’Irac, du Khoraçan, du Fars, de l’Inde, du Sind, de la
Transoxiane, des pays du Nord et de l’Asie Mineure. Les deux formes qu’elle
assume, la poésie et la prose, ne s’y emploient plus, excepté dans quelques
rares occasions ; l’enseignement de cette langue y est devenu un art basé
sur des règles scolaires, et formant une des branches des sciences propres aux
Arabes. Celui-là seul que Dieu aura favorisé en lui facilitant les moyens de
s’instruire possède la connaissance de cette langue. Le dialecte arabe haderite
s’est conservé jusqu’à un certain degré en Égypte, en Syrie, en Espagne et dans
le Maghreb, parce que le maintien de la religion l’exigeait ; mais, dans
les provinces de l’Irac et dans les pays d’au-delà, il n’en reste pas la
moindre trace. C’en est au point que les livres scientifiques ne s’y écrivent
qu’en persan, et que c’est au moyen de cette langue qu’on enseigne l’arabe dans
les cours publics. [Que Dieu répande ses bénédictions sur notre seigneur
Mohammed [208],
sur sa famille et sur ses compagnons ; qu’il
*272 verse ses faveurs sur eux en abondance et pour toujours, jusqu’au
jour de la rétribution ! Louange à Dieu, le maître de toutes les créatures !
Fin de la quatrième section du premier livre ; suit la cinquième section,
traitant des moyens qu’on emploie pour se procurer la subsistance.]
[1]
Abou Bekr Ahmed El‑Khatîb, natif de Baghdad, composa un dictionnaire
biographique des hommes marquants de cette ville et mourut l’an 463 (1071 de J. C.). Sa vie se trouve dans le
Biographical dictionary
d’Ibn Khallikan, vol. I, p. 75.
[2]
Lisez ﻥﻜﻴ ﻡﻠ ﻥﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[3]
Pour ﺭﻋﺬﻨﻳ , lisez ّﺭﻋﺬﺒﻴ .
[4]
Voyez la première partie, p. 320, note 5.
[5]
Après ﺔﻜﻮﺷ , insérez ﺔﻜﻮﺸﻠﺍ ﻥﻻ .
[6]
Pour ﻥﺪﻣﻟﺍ ﻰﻔ , lisez ﻥﺪﻣﻟﺍ ﻥﺍ ﻰﻔ .
[7]
Ce chapitre et le suivant ont été publiés
par M. de Sacy, dans son Abdallatif, p. 562 et suiv. Il en a donné la
traduction dans le même ouvrage, p. 518 et suiv. J’ai adopté cette traduction,
en y faisant quelques modifications.
[8]
Pour ﺎﻣﻨﺍ , lisez ﺪﻘﻮ .
[9]
Voyez la première partie, p. 359.
[10]
Nos dictionnaires assignent au mot ﻢﺍﺪﻨﻫ , la signification de symétrie, mais il est employé par notre
auteur pour désigner une machine quelconque. Dans son Histoire des Berbers, texte arabe, page ۲۷۲, avant‑dernière ligne,
il se sert du terme ﻁﻔﻨﻠﺍ ﻢﺍﺪﻨﻫ « machine à naphte » pour désigner
une pièce de canon. On sait que les Arabes employèrent pendant quelque temps le
mot ﻁﻔﻨ pour désigner la poudre à canon.
[11]
Le texte imprimé porte ﻞﺍﺟﻨﻣ , mais la vraie leçon me paraît être ﻞﺍﺧﻴﻣ (mikhal),
une altération du mot μηχανή.
[12]
Pour la description du portique de Chosroès (Eïouan Kisra), dont les
ruines se voient encore à Medaïn, on peut consulter le Voyage en Perse de Morier.
[13]
La Moallaca « suspendue », ou, selon la prononciation actuelle, la
Malga, est un village bâti sur les
voûtes qui recouvrent les anciennes citernes de Carthage.
[14]
Pour ﺪﻬﺸﻴ ﺎﻣﺒ , lisez ﺪﻬﺸﻴ ﺎﻣ .
[15]
Telles étaient les fortifications d’El‑Mehdiya et les grands bassins dont le
géographe El‑Bekri fait mention, et qui se voient encore dans le voisinage de
Cairouan.
[16]
Ce minaret est encore debout. Il est situé à environ sept lieues au N. E. d’El-Mecîla.
[17]
Cette ville est située sur la rive gauche du Bou Regreb, vis‑à‑vis de Salé. Ses
anciennes fortifications sont encore debout.
[18]
L’enceinte de la Mansoura est située à environ deux kilomètres O. de Tlemcen.
Elle servait à renfermer la ville que le sultan mérinide Youçof Ibn Yacoub y
avait fait construire l’an 1299, et où il se tenait pendant que son armée
bloquait la ville de Tlemcen. (Voyez l’Histoire
des Berbers, t. III, p. 375, 378.) Le sultan mérinide Abou ’l-Hacen
prit Tlemcen d’assaut l’an 1337. D’après l’indication
fournie par notre auteur, nous
devons croire que ce prince bâtit le grand minaret qui forme encore un des
monuments les plus remarquables de la Mansoura.
[19]
Voy. 1e partie, page 359.
[20]
L’édition de Boulac porte ﻞﻮﺪﻟﺍ ﺮﺎﺜﺍ ﻥﺍ, ce qui est effectivement la bonne
leçon. (Voyez le texte arabe de la première partie, page ۳۱۷ , au titre du chapitre.)
[21]
Littéral. « à un seul empire ».
[22]
Pour l’histoire de la digue de Mareb, on peut consulter le premier volume de l’Essai,
etc. de M. Caussin de Perceval.
[23]
Voici le passage d’El‑Bekri : « Les habitants racontent que leur
territoire s’était distingué par la salubrité de son air, jusqu’à ce qu’on y
eût découvert un talisman sous lequel on croyait trouver un trésor. On fit des
fouilles à cet endroit, et l’on retira de l’excavation une terre poudreuse. Ce
fut alors, disent‑ils, que la peste éclata chez nous pour la première
fois ». (Description de 1’Afrique
septentrionale, page 46 du tirage à part. [css : cf. Gallica, Description…, page 43]) On voit qu’Ibn Khaldoun
a cité ce passage de mémoire, en y ajoutant un trait tiré des Mille et une Nuits, et qu’il a censuré El‑Bekri injustement. En effet,
celui-ci ne rapporte l’histoire que comme un on dit.
[24]
Après ﻒﺸﻛﻳ , insérez ﻙﻠ .
[25]
Le mot ﻚﻠﺫ est de trop.
[26]
La Ville‑Neuve (El‑Beled el‑Djedîd) est bâtie sur la
rivière de Fez, à la distance d’environ quinze cents mètres de l’ancienne
ville, du côté du sud‑ouest. Elle fut fondée, l’an 1276 de notre ère, par le
sultan mérinide Abou Youçof Yacoub. (Voyez Histoire des Berbers, t. IV,
p. 84.)
[27]
Ce passage ne se trouve pas dans l’édition de Boulac ni dans les manuscrits C
et D.
[28]
Ce fut en l’an 781 (1379 de J. C.) que le sultan hafside, Abou ’l-Abbas
II, fils de l’émir Abou Abd Allah, et petit‑fils du sultan Abou Yahya Abou
Bekr, assiégea la ville de Cabès. « Il commença ses opérations, dit Ibn
Khaldoun dans son Histoire des Berbers,
t. III, p. 113, par dévaster les environs de la ville et occuper les positions
qui devaient en faciliter l’attaque. Les forêts de dattiers furent abattues
par son ordre, de sorte qu’un vaste territoire, que recouvrait un bois épais,
fut mis entièrement à nu. Il en résulta que l’air y circula librement, et
qu’une localité rendue malsaine par l’ombrage épais des arbres et par la
décomposition des matières végétales fut parfaitement assainie. Ainsi un acte
de sévérité devint une bénédiction de Dieu, de même que certaines maladies
rétablissent la santé du corps ».
[29]
L’édition de Boulac porte ﻥﺎﺑ .
[30]
Les Arabes ne fondèrent aucune ville dans le Hidjaz après la promulgation de
l’islamisme.
[31]
Après ﺔﻌﻗﻮﺗﻣﻠﺍ , insérez ﺎﻬﻳﻔ .
[32]
Pour ﻢﻬﺒ , lisez ﻢﻬﻟ .
[33]
Coran, sour. II, vers. 121. Le mot ﻢﻳﻅﻌﻠﺍ ne se trouve ni dans les
manuscrits C, D, ni dans l’édition de Boulac.
[34]
Le lecteur trouvera ci-après, p. 257, la description du Hîdjr.
[35]
Pour ﺭﻴﺗﻛ , lisez ﺭﻴﺛﻜ .
[36]
El‑Beit el‑Mamour « la maison fréquentée »,
fut construite dans le ciel avant la création d’Adam ; les anges accomplissaient
la cérémonie des tournées sacrées autour de cet édifice, ainsi que le font
maintenant les hommes autour de la Caaba ou temple de la Mecque. Quand Adam se
mit à construire la Caaba, Dieu fit descendre le Beït el‑Mâmour pour lui servir
de modèle, et, l’ouvrage terminé, il le fit remonter au ciel. Telle est la
tradition musulmane.
[37]
Coran, sour. II, vers. 121. Il faut insérer le mot ﻞﻳﻋﺎﻣﺴﺍﻭ dans le texte arabe
après le mot ﺕﻳﺑﻠﺍ . Les manuscrits des Prolégomènes et le texte du Coran exigent cette correction.
[38]
Au lieu de cette phrase, les manuscrits C, D et l’édition de Boulac
portent : « Dieu lui révéla l’ordre de laisser dans le désert son
fils Ismaël et Agar, mère de celui-ci. Il les déposa, en conséquence, sur
l’emplacement de la maison (sainte) et les quitta. Alors Dieu, dans sa bonté,
fit en sorte, etc ». L’édition de Paris donne en note le texte de ce
passage.
[39]
Notre auteur a réuni dans son Histoire antéislamite toutes les notions que les
musulmans possèdent au sujet d’Abraham, d’Ismaël et d’Agar.
[40]
Doum est le nom arabe du palmier à éventail, ou palmier nain, le chamærops humilis des botanistes.
[41]
Voyez, sur cette légende, l’Essai sur l’histoire des Arabes de M.
Caussin de Perceval, t. I, p. 172.
[42]
Selon Cotb ed‑dîn en‑Nehrewali, dans son Histoire
de la Mecque (p. 41
du texte arabe publié par M. Wüstenfeld), la maison sainte, reconstruite
par les Djorhémides, fut détruite, et les Amalécites de la Mecque la rebâtirent
de nouveau. Il cite, pour ses autorités, Masoudi, El‑Azraki et une tradition
qui remonte à Ali Ibn Abi Taleb.
[43]
Les mots ﻥﻣ ﺽﺮﻻﺍ , ne se trouvent ni dans les mss. C et D, ni dans l’édition de
Boulac.
[44]
Cette phrase offre encore un exemple de la construction assez singulière que
j’ai déjà signalée dans la première partie, p. 286, note 2.
[45]
Il faut lire ﻥﺍﺐﺗ , Tibban,
à la place de ﺮﺎﻳﻗ , Kiar,
et ﺐﺮﻜ , Kéreb, à la
place de ﺐﻮﻜ , Koub. (Voyez l’Essai sur l’histoire des
Arabes de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 90.) Au reste, ce passage ne se
trouve ni dans les manuscrits C, D, ni dans l’édition de Boulac.
[46]
Littéral. « et y plaça une clef ».
[47]
Pour ﻥﻴﺫﻠﺍ , lisez ﻥﻴﺫﻠﻠﺍ .
[48]
Voyez l’Essai, etc. t. I, p. 260.
[49]
Je crois que tout ce qui précède, à partir des mots « Ses fils, secondés
par leurs oncles maternels » (Voyez
p. 255, 1. 10) est une interpolation.
[50]
Voyez la Chrestomathie arabe de M. de
Sacy, t. II, p. 471 et suiv.
[51]
L’auteur a cité ce vers d’une manière très inexacte, et a même fait dire au
poète une absurdité. Si l’on scande le premier hémistiche, on s’apercevra qu’un
mot de deux syllabes manque après le mot ﺐﻫﺍﺭ . L’édition de Boulac offre une
leçon bien préférable, pourvu qu’on y remplace ﺖﻌﻠﺧ par ﺖﻔﻠﺨ , ainsi que cela
se lit dans les manuscrits. Voici le vers, tel que cette édition le
donne :
La correction faite, ce
vers signifie : J’en jure par les deux robes du moine d’Ed-Dour et par la
(maison) que bâtirent Cosaï et El‑Modad, fils de Djorhem.
Pour el-Modad, on peut
consulter l’Essai, etc. t. I,
p. 200.
[52]
L’auteur aurait dû nous dire ici que Mohammed assista à la reconstruction de
cet édifice et y posa lui-même la pierre noire.
[53]
Le point vers lequel tous les musulmans doivent se tourner en faisant la
prière.
[54]
Pour ﺏﻳﺑﺣ , lisez ﺏْﻳَﺑُﺧ . Abou Khobeïb
était le surnom d’Ibn ez‑Zobeïr.
[55]
C’est-à-dire, il boucha l’ancienne porte et en perça une nouvelle, directement
au-dessus.
[56]
Ce soubassement est désigné par le mot persan chadrouàn. Il entourait la Caaba de trois côtés, celui du sud‑ouest,
celui du sud-est et celui du nord‑est. Il avait seize doigts de hauteur et une
coudée de largeur. (Voyez l’Histoire de la Mecque d’El-Azraki, page
۲۱۸ , de l’édition du texte arabe publié par M. Wüstenfeld. Dans la seconde
ligne de cette page, il faut remplacer le mot ﺔﻌﺒﺴ , par ﺔﻌﺴﺘ ; cette
correction est pleinement justifiée par l’indication qui se trouve dans la
douzième ligne de la même page.)
[57]
Ce nom est proprement celui de la maison sainte.
[58]
Voy. la 1e partie, p. 30, note 3.
[59]
Voy. ci-devant, p. 183, note 1.
[60]
Ibrahîm en‑Nakhaï, un des disciples des Compagnons de Mohammed, mourut l’an 95
(713‑714 de J. C.)
[61]
Voy la 1e partie, p. 15, note 7.
[62]
Les docteurs musulmans attachent beaucoup d’importance à cette question
orthographique, parce que, dans le quatre‑vingt‑dixième verset de la troisième
sourate du Coran, la ville de la Mecque est désignée par le mot Bekka.
[63]
Soixante et dix mille onces font cinquante huit quintaux et trente‑trois
livres. Le même poids d’or estimé à six dinars (ou 60 francs) l’once ferait
quatre cent vingt mille dinars. Donc les chiffres donnés par notre auteur ne
sont pas exacts.
[64]
Voyez les Chroniques de la Mecque, texte
arabe, t. I, p. ۱۷,۱۷۱, de l’édition de M. Wüstenfeld. El‑Azraki écrivit son
histoire dans la première moitié du IIIe siècle de l’hégire.
[65]
Voy. ci-devant, p. 164, note 1.
[66]
Avant ﺖﺴﻟﺠ , insérez ﻝﺎﻗ .
[67]
Cheïba Ibn Othman, Coreïchite de la famille des Abd ed‑Dar, prêta le serment de
fidélité à Mohammed peu de temps après la prise de la Mecque.
[68]
Voy. ci-devant, p. 159, note I.
[69] Voy. ibid. note 4.
[70]
Ali Zeïn el‑Abedîn était le quatrième des douze imams. Son descendant, El-Aftas,
prit part à la révolte d’Ibn Tabataba, qui, en l’an 199 de l’hégire, souleva
la ville de Koufa contre le khalife abbacide El‑Mamoun. Il fut envoyé à Médine,
en qualité de gouverneur, par Abou Seraya es-Serri Ibn Mansour, qui commandait
les troupes d’Ibn Tabataba, et il profita de la faiblesse du parti abbacide
dans la Mecque pour s’emparer de cette ville. Il en fut expulsé bientôt après.
(Chroniques de la Mecque, t.
II, p. ۱۸۷ et suiv.)
[71]
Ce mot signifie la pierre. C’est une
énorme masse de calcaire brut qui se trouve encore au milieu de la mosquée.
Selon une tradition, ce fut sur elle que Jacob appuya sa tête lorsqu’il eut la
vision de l’échelle mystérieuse. Il est probable que ce fut sur cette pierre
que David posa l’arche.
[72]
L’auteur paraît avoir oublié que Jacob est la même personne qu’Israël.
[73]
Ou, selon la leçon fournie par les manuscrits C, D et l’édition de
Boulac : « et l’on fit pour elle les clôtures » ﻃﻳﺍﻮﺣﻠﺍ ﺎﻬﻠ ﺍﻭﺬﺨﺗﺍﻮ
.
[75]
Les manuscrits C et D portent ﻰﻟﻮ à la place de ﻚﻟﻣ .
[76]
L’auteur emploie ici le mot mesdjid « mosquée, lieu où l’on se
prosterne ».
[77]
Pour ﺓﺪﻤﻋ , lisez ﻩﺪﻤﻋ .
[78]
L’édition de Boulac et les manuscrits C, D portent ﻪﺑ , à la place de
ﻪﻳﻔ . Cette leçon n’influe pas sur le sens de la phrase.
[79]
La description du temple de Salomon, telle que nous la lisons dans le troisième
livre des Rois et dans le second livre des Paralipomènes, ne renferme aucune
mention d’un pavillon de verre.
[80]
Littéral. « le dos ». Dans la traduction de la Bible dont notre
auteur s’était servi, le traducteur aura probablement employé par euphémisme le
mot ﺭﻬﻅ « dos », à la place du mot ﺭﺑﺪ « derrière », qui
est cependant l’équivalent du terme hébreu debîr, qu’on a rendu, dans
nos traductions, par le mot « oracle ». C’était le sanctuaire du
tabernacle, le saint des saints.
[81]
Pour ﻮﺒﻘﻤ , lisez ﺍﻮﺒﻘﻤ .
[82]
Ce passage manque dans les manuscrits C, D et dans l’édition de Boulac.
[83]
Variantes : ﺔﻴﺘﻮﻨﻬﻜﻠﺍ , C, D ;
ﺔﻨﻬﻜﻠﺍ , Boulac.
[84]
Le prophète appelé Ozeïr, ﺭﻳﺯﻋ , par les Arabes, est le même qu’Esdras,
l’Eïzra, ﺍﺭْﺯﻋِ , des
traductions arabes de la Bible.
[85]
Pour ﻥﻣ , lisez ّﻰﺒﻨ , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[86]
Les musulmans identifient le Cyrus de la Bible avec Behmen Ardeschîr Dirâz
Dest, Artaxerce Longue‑Main, fils d’Isfendiar. (Voyez l’Historia Anteislamica d’Abou ’l-Féda,
publiée par M. Fleischer, p. 53, 77, et Hamzæ
Ispahanensis Annales, texte arabe, p. ۳۸.)
[87]
Littéral. « ce prince devait sa naissance aux enfants d’Israël, qui
étaient du nombre des captifs de Nabuchodonosor ». Les musulmans croient
que sa mère était Juive. (Voy. la Bibl. orient. de d’Herbelot, à l’article Bahaman.)
[88]
L’auteur de ce paragraphe, quel qu’il soit, s’est très mal expliqué ; mais
il avait évidemment l’intention de rappeler au lecteur ce qu’il avait déjà
énoncé, savoir : que les colonnes de la colonnade supérieure reposaient
sur les arches de la colonnade inférieure. Il est en cela tout à fait d’accord
avec la Mischnah. (Voy. Péah, ch. III, § 6.)
[89]
Ce passage ne se trouve ni dans les manuscrits C, D, ni dans l’édition de Boulac.
Je le regarde comme une interpolation de copiste.
[90]
L’édition de Boulac offre la bonne leçon ﺔﻨﻼﻴﻫ ; les manuscrits C et D
portent ﺔﻴﻼﻫ , Helaïa, comme l’édition de Paris.
[91]
Comama signifie les balayures. Tel est le terme employé encore par les musulmans
pour désigner cette église ; leur religion les empêchait de donner à cet
édifice le nom de Kenîçat el‑Kîama (église
de la résurrection).
[92]
Les manuscrits C et D portent ﻩﻭﻠﻌﻔ ﺎﻤﺍﺭﺑﻗ ﻰﻔ . Cette leçon me paraît
préférable à celle de l’édition de Paris.
[93]
C’est‑à‑dire, à la distance de deux heures de marche, au sud de Jérusalem.
[94]
Saladin passa en Syrie plusieurs années auparavant. Il s’empara de Jérusalem
le 24 du mois de redjeb 583 (30 septenbre 1187 de J. C.).
[95]
Il est, en effet, à peu près de treize siècles.
[96]
Pour ﻞﻴﻼﻬﻣﻠﺍ , lisez ﻞﻴﻼﻬﻣ .
[97]
Littéral. « la parole ».
[98]
Le traditionniste Rafè Ibn Khodeïdj, natif de Médine et un des Ansars, mourut
l’an 74 (693‑694 de J. C.).
[99]
Le cadi Abd el‑Ouehhab Ibn Ali, généralement connu sous le nom d’Ibn
Taouc, mourut l’an 422 de
l’hégire (1031 de J. C.).
[100]
Pour ﺭﺎﺑﺤﻻﺍ , lisez ﺭﺎﺑﺧﻻﺍ .
[101]
Pour ﻥﺎﻜ ﻥﺍﻮ , lisez ﻥﺎﻜﻮ .
[102]
Pour ﻚﻠﺬﻜ , lisez ﻚﻠﺬﻠ .
[103]
L’empire romain et l’empire byzantin.
[104]
Voy. ci-dessus p. 250.
[105]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻪﻨﺍ à la place de ﻪﻨﺎﺒ .
[106]
Littéral. « d’une construction bédouine ».
[107]
L’édition de Boulac, le manuscrit C et le manuscrit D portent ﺀﺎﻣﻳﺴ ,
leçon que je préfère.
[108]
Pour ﺎﻣﻨﺍﻮ , lisez ﺎﻣﻨﺍ , avec les
manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[109]
Le texte porte nous avons montré. On voit par là que l’auteur a écrit ce
passage après avoir composé le chapitre auquel il renvoie le lecteur, et qui se
trouve ci-après, p. 319.
[110]
Littéral. « sont les valeurs des travaux ». Dans ce chapitre et
ailleurs, le mot ﻞﺎﻤﻋﺍ (travaux) sert à désigner les produits d’un travail
quelconque.
[111]
Littéral. « qui sont appelés (à l’existence) par leur valeur ».
[112]
La particule ﺎﻣ est explétive.
[114]
Ce paragraphe n’existe pas dans l’édition de Boulac ni dans les manuscrits C
et D.
[115]
L’équivalent du mot orge manque dans les manuscrits C et D et dans
l’édition de Boulac. A la place de ﺎﻣﻫﺎﻨﻌﻣ , on y lit ﺎﻫﺎﻨﻌﻣ , leçon
qu’il faut accueillir si l’on supprime le mot ﺮﻳﻌﺷﻠﺍ .
[116]
L’auteur dit, dans son style vague et incorrect : « autres arts et
édifices ».
[117]
Pour ﺭﻔﻮﺗﻔ , lisez ﺭﻔﻮﺗﻴﻔ .
[118]
Littéral. « ils seraient donnés sans prix et sans retour ».
[119]
Pour ﻢﺤﺫﺯﺗﻓ , lisez ﻢﺤﺩﺯﺗﻓ .
[120]
Pour ﻼﻏﺍ , lisez ﻰﻟﻏﺍ .
[121]
Pour ﻥﻴﺪﻫﺎﺠﻤﻠﺍﻮ , lisez ﻥﻴﺪﻫﺎﺠﻤﻠﺍ .
[122]
Pour ﺭﺎﺼﻣﻠﺍ , lisezﺭﺼﻣﻠﺍ .
[123]
Pour ﺭﺑﺗﻌﺘﻮ , lisez ﺭﺑﺗﻌﻴﻮ .
[124]
Pour ﻪﻴﻨﻜﺎﺴ , lisez ﻪﻨﻜﺎﺴ .
[125]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺭﺎﻂﻗﻻﺍ ﻥﻣ , à la place de
ﺭﺎﻂﻗﻻﺍ ﻰﻔ . La première leçon est celle
que j’ai préférée.
[126]
Je lis ﺪﻴﺯﺗﻴﻔ , avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[127]
C’est-à-dire, les contrées de l’Europe.
[128]
Les mots ﻃﻳﺤﻴ ﻥﺍ ﻥﻣ ﺭﺛﻜﺍ manquent dans C, D et l’édition de Boulac. Il faut
probablement lire :
ﻪﺑ ﻃﺎﺤﻴ
ﻥﺍ ﻥﻣ ﺭﺛﻜﺍ .
[129]
Pour ﺍﻭﻨﻐﺗﺴﻴ ﻻﻮ , il faut lire ﺍﻭﻨﻐﺗﺴ ﻻﻮ
.
[130]
Pour ﻝﻮﺍ , lisez ﻻﻮﺍ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[131]
A la place de ﻥﺎﻔ , lisez ﻥﺍﻭ . Cette leçon est fournie par l’édition et les
manuscrits déjà indiqués.
[132]
Les mots ﺖﺎﻘﻭﻻﺍ ﺏﻠﺎﻏ ﻰﻔ doivent se placer avant ﻪﺗﺎﺠﺎﺣﻠ .
[133]
Djouher, le commandant des troupes fatemides qui firent la conquête de
l’Égypte, porta le titre de kateb « secrétaire ».
[134]
Le terme Maghreb est employé ici par
l’auteur pour désigner l’Algérie occidentale et le Maroc.
[135]
Province située au sud de l’empire actuel du Maroc.
[136]
Littéral. « Sur la réunion des immeubles et des fermes dans la
ville ».
[137]
Pour ﺎﻬﻨﻼﻐﺗﺴﻣ , lisez ﺎﻬﺘﻼﻐﺗﺴﻣ .
[138]
Pour ﻪﻌﻣ , lisez ﻪﻟ .
[139]
Pour ﻡﻬﺎﺒﺮﻤ , je lis ﻪﺑ ﻢﻫﺎﺑﺮﻤ , avec les manuscrits C et D et l’édition de
Boulac./
[140]
L’auteur ajoute ici : « et quand ils seront capables de faire du
gain, ils travailleront pour eux‑mêmes ».
[141]
L’adjectif ﻰﺸﺎﻌﻤﻠﺍ « ce qui regarde la subsistance ». Ajouté au mot
ﻞﻗﻌﻠﺍ « intelligence », il est intraduisible, à moins de donner
une autre tournure à la phrase. C’est ce que j’ai fait ici.
[142]
Je lis ﻰﻠﺎﻌﻠﺍ , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[143]
C’est‑à‑dire, les grands fonctionnaires de l’État, tant civils que militaires.
[144]
Je lis ﻪﻨﻮﻟﺼﺣﻴ avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[145]
Littéral. « à lui imposer le joug de ».
[146]
Littéral. « paître ».
[147]
Pour ﻢﻜﺣﻠﺍ , lisez ﻢﺎﻜﺣﻠﺍ .
[148]
Pour ﺭﺪﻗﻳﻮ , lisez ﺭﺪﻗﺒﻮ , et remplacez
ﺪﻳﺯﺘﺑ par ﺪﻳﺯﺘﻴ .
[149]
Pour ﺪﻳﺯﺗﻮ , lisez ﺪﻳﺯﺗﺗﻮ . Les corrections indiquées dans
cette note et dans les deux notes précédentes sont justifiées par les mss. C et
D et par l’édition de Boulac.
[150]
Je lis ﺐﻠﻐﺘ avec l’édition de Boulac.
[151]
Voyez la 1e partie, p. 45.
[152]
Pour ﻢﺎﺸﻠﺍ ﻰﻔ , lisez ﻢﺎﺸﻠﺎﺑ .
[153]
Pour ﻪﻌﺑﺎﺗﺗﻠﺍ , lisez ﻪﻌﺑﺎﺑﺗﻠﺍ .
[154]
Je ne m’arrête pas à relever l’exagération de ce chiffre.
[155]
Je préfère, comme plus conforme à la grammaire, la leçon ﺔﻣﻳﻅﻋ ﻥﻳﺗﻠﻭﺪﻠﺍ
ﺎﺗﻠﻜﻮ , qui nous est offerte par l’édition de Boulac.
[156]
Littéral. « plongés dans ».
[157]
Pour ﻯﺭﻔﻅﻣﻠﺍ ? lisez ﻯﺭﻌﻂﻣﻠﺍ . (Voyez l’Hist. des Berbers,
t. I de la traduction, p. 216, 237, 360.)
[158]
Les Beni Hilal, Arabes nomades, envahirent la Mauritanie vers le milieu du Ve siècle de
l’hégire. Ils se trouvèrent alors avec la tribu des Beni Soleïm, dans la haute
Égypte, entre le Nil et la mer Rouge. Le khalife fatemide el-Azîz les
y avait relégués pour les punir des ravages qu’ils avaient commis dans le
Hidjaz, lors de la grande insurrection des Carmats. Quand El-Moïzz Ibn Badîs,
vice‑roi de l’Ifrîkiya, secoua le joug des Fatemides, le gouvernement égyptien
se vengea de lui en autorisant ces tribus à passer le Nil et à porter la
dévastation dans toutes les provinces de l’Afrique septentrionale. C’est d’eux
que descendent tous les Arabes de ce pays qui vivent sous la tente. Les Arabes
des villes descendent presque tous d’émigrés chassés des provinces
méridionales de l’Espagne.
[159]
El‑Calâ, la capitale des États gouvernés par les Zirides Hammadites, était située
à une journée N. E. d’El‑Mecîla. (Voy. l’Histoire des Berbers, t.
II, p. 43.)
[160]
Siège du gouvernement des Aghlebides.
[161]
Capitale de l’empire des Fatemides.
[162]
Pour ﺔﻳﻘﻴﺭﻓﺍ ﻰﻔ , lisez ﺔﻳﻘﻴﺭﻓﺎﺑ .
[163]
Séville fut prise par Ferdinand III, roi de Castille, l’an 1236 de J. C.
[164]
Pour ﺎﻔﺧﻟﺩ , lisez ﻼﺨﻠﺍ .
[165]
Pour ﺔّﻳﺎﻏ , lisez ﺔﻳﺎﻏ .
[166]
Ou bien, la royauté et son emporium, si nous lisons ﻪﻘﻭﺴ , avec le
manuscrit C et l’édition de Boulac.
[167]
Littéral. « de teintures ».
[168]
Pour ﻢﻇﻌﻴ , lisez ﻢﻆﻌﺗ .
[169]
Littéral. « teinture ».
[170]
Les mots ﻮ ﻢﺎﺣﺭﻻﺍ sont de trop ; ils ne se trouvent ni dans les mss. C et
D, ni dans l’édition de Boulac. D’ailleurs ils sont inutiles, parce que le mot
ﻢﺭﺎﺣﻤﻠﺍ , qui les accompagne, a la même signification.
[171]
Pour ﻰﺿﺗﻗﻴ , lisez ﻰﺿﺗﻗﺗ .
[172]
Littéral. « de la force ».
[173]
Le mots ﻪﺒﺎﺣﻣﺍ est de trop ; il ne se lit pas dans les manuscrits C et D,
ni dans l’édition de Boulac.
[174]
Littéral. « et de la teinture qu’ils ont prise du mal et
d’improbité ».
[175]
Les mots entre crochets ne se trouvent pas dans l’édition de Boulac ni dans les
manuscrits C et D.
[176]
Les mots ﺎﻬﺒﻳﻃﻮ ﺐﺮﺎﺸﻣﻠﺍﻮ manquent dans
les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[177]
Le texte porte ﺏﺎﺴﻨﻻﺍ ﻂﻼﺗﺨﺍ « confusion de généalogies ». C’est un
terme du droit musulman.
[178]
Pour ﻩﺪﺷﺮ , lisez ﺓﺪﺷﺮ .
[179]
Malek déclara que ce péché devait nécessairement entraîner la peine établie
(ﺪﺤ) par la loi, c’est‑à‑dire, la lapidation. Abou Hanîfa prescrivit un
châtiment corporel, ﺮﻳﺯﻌﺗ , et la lapidation au cas de récidive.
L’opinion de Chaféi, que notre auteur a oublié, s’accorde avec celle de Malek.
[181]
Littéral. « est l’âge d’arrêt dans la vie d’un peuple ».
[182]
Pour ﻙﻭﻠﻣﻠﻠ , lisez ﻙﻠﻣﻠﻠ .
[183]
Pour ﺎﻨﺒ ﺭﻗﺗﺴﺍ , lisezﺎﻨﻴﺭﻗﺗﺴﺍ .
[184]
Après ﻝﻮﻻﺍ , insérez ﻥﺍ .
[185]
Littéral. « et qui sont la matière ».
[186]
Pour ﺎﻣﻬﻴﺩﺣﺍ , lisez ﺎﻣﻬﺍﺩﺣﺍ .
[187]
Pour ﺔﻠﻮﺪﻠﺍ ﻰﻔ , lisez ﺔﻠﻮﺪﻠﻠ .
[188]
Pour ﻰﻓ , lisez ﻥﻣ .
[189]
Les manuscrits C et D portent ﺩﺑ ﻻ ﻥﺍ ﻪﻠ ; nous lisons, dans l’édition de
Boulac, ﻥﺍ ﻥﻣ ﺩﺑ ﻻ . La leçon la plus conforme aux règles de la grammaire
serait ﻥﺍ ﻥﻣ ﻪﻠ ﺩﺑ ﻻ , mais notre auteur n’y regardait pas de si
près.
[190]
Je lis ﻥﺍﻮﺪﻌﻠﺍ , avec l’édition de Boulac, la leçon ﻥﻮﺎﻌﺗﻠﺍ amenant
un contresens. (Voy. la première partie, page 380, où l’auteur explique
l’origine de la royauté.)
[191]
Littéral. « royale », c’est‑à‑dire, institué par le souverain.
[192]
Pour ﻰﻋﺩﺘﺴﺘ , lisez ﻰﻋﺩﺘﺴﻴ .
[193]
Pour ﻰﻔ ﻪﻴﻔ , lisez ﻰﻔ ﻪﺒ .
[194]
Heriça est un terme générique qui signifie tout mets fait
de blé et de viande hachée ou pilée. (Voy. l’Abdallatif, de M. de Sacy,
p. 307.)
[195]
Pour ﺀﻼﺠﻠ , lisez ﺀﻼﺧﻠ .
[196]
Pour ﺐﻴﺭﻐﺘﻠﺍ , lisez ﺐﻴﺭﻐﺘﻠﺍ ﻮﺍ .
[197]
Pour ﻝﻴﻮﻤﺗﻠﺍﻮ , lisez ﻝﻴﻮﻤﺗﻠﺎﺑ . Ce mot est le nom d’action d’un verbe fictif
ﻝّﻮﻤ , qui a pour racine le nom ﻰﻟﻮﻣ , dérivé de ﻰﻟﻮ .
[198]
On voit que ceci fut écrit avant l’an 777 de l’hégire, époque à laquelle le
sultan Abou ’l-Abbas, ayant entrepris de rendre à l’empire hafside ses
anciennes limites, commença à faire rentrer ces villes dans l’obéissance.
(Voy. Histoire des Berbers, t. III, p. 92.)
[199]
Voy. Histoire des Berbers, t. II,
p. 32 et suiv. et p. 193.
[200]
Pour ﻞﻳﺠﻠﺍﻮ , lisez ﻞﻳﺠﻠﺍ ﻮﺍ .
[201]
Pour ﻥﻳﻃﺘﺧﻣﻠﺍﻭ , lisez ﻥﻳﻃﺘﺧﻣﻠﺍ ﻭﺍ .
[202]
Pour ﻚﻟﺫﻛﻮ , lisez ﻚﻟﺫﻠﻮ .
[203]
Les éditions imprimées et les manuscrits portent tous ﺎﻬﺎﻜ . L’auteur
aurait dû écrire ﺎﻣﻫﺎﻜ .
[204]
Je doute que cette opinion soit bien orthodoxe. Selon les docteurs musulmans,
l’arabe est la langue du paradis céleste, et voilà pourquoi Dieu s’en servit
dans son livre, le Coran.
[205]
Quelques lignes plus loin l’auteur explique la signification de ce mot.
[206]
Littéral. « qui est plus enraciné dans l’arabisme ».
[207]
Je lis ﻥﻳﺬﻠﻠﺍ avec le manuscrit C et l’édition de Boulac.
[208]
Ce passage ne se trouve pas dans les manuscrits C et D, ni dans l’édition de
Boulac.
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