My Music, My PLAYLIST : https://www.youtube.com/watch?v=HQiYe_w78uA&list=PLRpA8pFcR6-gc-
TROISIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
Qui traite des climats soumis à une température moyenne ; de ceux qui
s’écartent des limites où cette température domine, et de l’influence exercée
par l’atmosphère sur le teint des hommes et sur leur état en général.
Caractère
particulier de chaque climat. — Les habitants des pays du Nord et des pays du
Sud. — Les Esclavons. — Les Nègres. — Les Zendj. — Sur la couleur noire de la
race nègre.
QUATRIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
Qui traite de l’influence exercée par l’air sur le caractère des hommes.
Les
Nègres. — Les habitants des pays maritimes. — Opinion de Masoudi touchant le
caractère léger et étourdi des Nègres.
CINQUIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
Qui traite des influences diverses que l’abondance et la disette exercent sur
la société humaine, et des impressions qu’elles laissent sur le physique et le
moral de l’homme.
Les
habitants des pays chauds et stériles sont mieux constitués physiquement et
moralement que ceux des autres contrées. — Explication de ce fait. — Indication
des effets produits par une nourriture trop abondante. — On peut s’habituer à
vivre d’une faible quantité d’aliments. — La faim. — L’abstinence complète de
toute nourriture. — Anecdotes à ce sujet. — Influence de la chair des animaux
sur le corps et sur l’esprit de ceux qui en font leur principale nourriture.
SIXIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par l’exercice de
pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du monde
invisible. Ce chapitre commence par des observations sur la nature de la
révélation et des songes.
Il y a
certains hommes auxquels Dieu communique des révélations. — Comment on les
reconnaît. — Parole du Prophète au sujet de la révélation. — Signes qui caractérisent
les personnages inspirés. — Les miracles. — Comment ils se produisent. —
L’annonce préalable (tahaddi) du miracle. — Nature des prodiges
opérés par un homme qui est favorisé de Dieu sans être prophète. — Le Coran est
le miracle le plus grand. — De la divination. — Une ordonnance parfaite règne
entre tous les êtres du monde sensible. — L’âme et la faculté perceptive. — Les
âmes qui sont capables de s’exalter jusqu’à la perception des choses du
monde invisible. — Il y en a de diverses classes. — La révélation. —
Comment elle arrive. — Les effets qu’elle produit sur celui qui la reçoit. — La
divination. — Les diverses catégories de devins. — Opinion de certains
philosophes relativement à la faculté divinatoire. — Les songes et leurs divers
genres. — Elles font une partie du prophétisme. — Comment l’âme se dégage du
voile des sens au moyen du sommeil. — Charme employé pour se procurer des
songes. — Les sachants. — Les
aruspices. — Les augures. — Comment l’âme acquiert la disposition de recueillir
des perceptions dans le monde invisible. — Les divers genres de divination. —
Les devins. — Les augures. — Les insensés. — Les sachants. — Des paroles qui échappent à l’homme qui est sur le
point de s’endormir ou de mourir. — Des exercices magiques. — Des djoguis.
— Des soufis. — Des inspirés (mohaddeth). — Anecdotes d’Omar et d’Abou Bekr. —
Les idiots. — Les astrologues. — Les géomanciens et leur manière d’opérer. —
Le calcul nommé Hiçab en-nîm. — La zaïrdja d’Es‑Sibti. — Problèmes d’arithmétique assez curieux.
TROISIÈME
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
Qui traite des climats soumis à une température
moyenne ;
de ceux qui s’écartent des limites où cette température
domine,
et de l’influence exercée par l’atmosphère sur le teint des
hommes
et sur leur état en général.
p.168 Nous venons d’exposer que la
portion habitable de la terre commence au milieu de l’espace que la mer a
laissé à découvert et qui s’étend vers le nord ; les contrées du midi
éprouvent trop de chaleur, celles du nord, trop de froid, pour être habitables.
Comme ces deux extrémités de la terre diffèrent complètement sous le rapport du
chaud et du froid, les caractères qui les distinguent doivent se modifier
graduellement jusqu’au milieu du monde habité, où ils atteignent leur terme
moyen. Le quatrième climat est donc le plus tempéré ; *149 le troisième et le cinquième, qui y confinent,
jouissent à peu près d’une température moyenne. Dans le sixième et le second
climat, qui avoisinent ceux‑ci, la température s’éloigne considérablement du
terme moyen ; puis, dans le premier et le septième, elle s’en écarte bien
davantage. Voilà pourquoi dans les sciences, les arts, les bâtiments, les
vêtements, les vivres, les fruits, les animaux et tout ce qui se produit dans
les trois climats du milieu, il n’y a rien d’exagéré. On retrouve ce juste
milieu dans les corps des hommes qui habitent ces régions, dans leur teint,
dans leurs dispositions naturelles et dans tout ce qui les concerne. Ils
observent la même modération dans leurs habitations, leurs vêtements, leurs
aliments et leurs métiers. Ils construisent de hautes maisons en pierre et les
ornent avec art ; ils rivalisent entre eux dans la fabrication d’instruments
et d’ustensiles, et, par cette lutte, ils arrivent à la perfection. Chez eux
on trouve les divers métaux, tels que l’or, l’argent, le fer, le cuivre, le
plomb et l’étain. Dans leurs relations commerciales, ils font usage des deux
métaux précieux. Dans toute leur conduite, ils évitent les extrêmes. Tels sont
les habitants du Maghreb, de la Syrie, des deux Iracs, du Sind, de la Chine. Il
en est, de même des habitants de l’Espagne et des peuples voisins, tels que les
Francs, p.169 les Galiciens et les gens qui
vivent à côté ou au milieu d’eux, dans les régions tempérées. De tous ces pays,
l’Irac et la Syrie jouissent, par leur position centrale, du climat le plus
heureux. Dans les climats situés en dehors de la zone tempérée, tels que le
premier, le second, le sixième et le septième, l’état des habitants s’écarte
beaucoup du juste milieu ; leurs maisons sont construites en roseaux ou
en terre ; leurs aliments se composent de dorra [1]
ou d’herbes ; *150 leurs vêtements
sont formés de feuilles d’arbres, dont ils s’entourent le corps, ou bien de
peaux ; mais, pour la plupart, ils vont absolument nus. Les fruits de
leurs contrées, ainsi que leurs assaisonnements, sont d’une nature étrange et
extraordinaire. Ils ne font aucun usage des deux métaux précieux comme moyens
d’échange, mais ils y emploient le cuivre ou le fer, ou les peaux, auxquels ils
assignent une valeur monétaire. En outre, leurs mœurs se rapprochent beaucoup
de celles des animaux brutes : on raconte que la plupart des noirs qui
occupent le premier climat demeurent dans des cavernes et des forêts
marécageuses, se nourrissant d’herbes, vivant dans un sauvage isolement et se
dévorant les uns les autres. Il en est de même des Esclavons. Cette barbarie de
mœurs tient à ce que ces peuples, vivant dans des pays très éloignés de la
région tempérée, deviennent, par constitution et par caractère, semblables à
des bêtes féroces ; et, plus leurs habitudes se rapprochent de celles des
animaux, plus ils perdent les qualités distinctives de l’humanité. Il en est de
même sous le rapport des principes religieux : ils ignorent ce que c’est
que la mission d’un prophète et n’obéissent à aucune loi, à l’exception,
toutefois, d’un bien petit nombre d’entre eux, qui demeurent dans le voisinage
des pays tempérés. Tels sont les Abyssins qui habitent non loin du Yémen. Ils
professaient la religion chrétienne avant la naissance de l’islamisme, et ils
l’ont conservée jusqu’à nos jours ; tels sont aussi les habitants de
Melli, de Gogo et de Tekrour : ils occupent un pays voisin du Maghreb, et
suivent aujourd’hui l’islamisme, qu’ils ont embrassé, dit‑on, dans le p.170 septième siècle de l’hégire ; tels
sont encore les peuples chrétiens qui habitent dans les contrées du nord et qui
appartiennent à la race des Esclavons, à celle des Francs, ou à celle des
Turcs. Quant aux autres nations qui occupent ces climats reculés, tant ceux du
nord que ceux du midi, elles ne connaissent aucune religion, ne possèdent *151 aucune instruction, et, dans tout ce qui
les concerne, elles ressemblent plus à des bêtes qu’à des hommes. Et Dieu crée ce que vous ne savez pas. (Coran, sour. XVI, vers. 8.)
On ne saurait opposer à ce que je viens de dire que le Yémen, le
Hadramaout, les Ahcaf, les contrées du Hidjaz, le Yemama et la partie de la
péninsule arabique qui les avoisine, se trouvent situés dans le premier et le
second climat. La presqu’île des Arabes est environnée de trois côtés par la
mer, ainsi que nous l’avons dit, de sorte que l’humidité de cet élément a
influé sur celle de l’air et amoindri la sécheresse extrême qui est produite
par la chaleur. L’humidité de la mer a donc établi dans ce pays une espèce de
température moyenne.
Quelques généalogistes n’ayant aucune connaissance de l’histoire
naturelle ont prétendu que les Nègres, race descendue de Ham (Cham), fils de
Noé, reçurent pour caractère distinctif la noirceur de la peau, par suite de la
malédiction dont leur ancêtre fut frappé par son père, et qui aurait eu pour
résultat l’altération du teint de Cham et l’asservissement de sa postérité.
Mais la malédiction de Noé contre son fils Cham se trouve rapportée dans le
Pentateuque, et il n’y est fait aucune mention de la couleur noire. Noé déclare
uniquement que les descendants de Cham seront esclaves des enfants de ses
frères. L’opinion de ceux qui ont donné à Cham ce teint noir montre le peu
d’attention qu’ils faisaient à la nature du chaud et du froid, et à l’influence
que ces qualités exercent sur l’atmosphère et sur les animaux qui naissent
dans ce milieu. Si cette couleur est générale pour les habitants du premier et
du second climat, cela tient à la combinaison de l’air avec la chaleur
excessive qui règne au Midi. En effet, le soleil passe au zénith, dans cette
région, deux fois chaque année, p.171 et à des
intervalles assez courts ; il garde même la position verticale dans
presque toutes les saisons, d’où résultent une lumière très vive et une chaleur
qui ne discontinue pas. Cet excès de chaleur a donné un teint noir à la peau
des peuples qui habitent de ce côté.
Dans les deux climats septentrionaux, le septième et le sixième, *152 qui correspondent au premier et au second,
les habitants ont tous le teint blanc, parce que l’air s’est mélangé avec le
froid extrême qui règne du côté du nord. Dans cette région, le soleil reste
presque toujours auprès de l’horizon visuel ; jamais il ne s’élève
jusqu’au zénith ; il ne s’en approche même pas. Cela fait que, dans toutes
les saisons, la chaleur est très faible et le froid très intense, d’où résulte
que le teint des habitants est blanc et tire même sur le blafard. Le froid excessif
y produit encore d’autres effets : les yeux deviennent bleus, la peau
montre des taches de rousseur et les cheveux deviennent roux.
Les trois climats intermédiaires, je veux dire le troisième, le quatrième
et le cinquième, jouissent à un haut degré de cette température moyenne qui
est formée par le juste mélange du froid et du chaud. Le quatrième est le plus
favorisé sous ce rapport, attendu qu’il occupe la position intermédiaire, ainsi
que nous l’avons dit ; aussi voit‑on, dans les mœurs des habitants et dans
la constitution de leur corps cet équilibre parfait qui résulte du caractère de
leur atmosphère. Le cinquième et le troisième climat, qui sont contigus au quatrième,
se rangent immédiatement après celui-ci sous le rapport de ces avantages ;
s’ils n’ont pas, comme le quatrième climat, une position parfaitement
centrale ; si l’un incline vers le sud, où règne la chaleur, et l’autre vers
le nord, où domine le froid, ces écarts ne sont pas portés à un extrême.
Quant aux quatre climats qui restent, ils s’éloignent beaucoup du
juste milieu, ainsi que le physique et le moral de leurs habitants. Le premier
climat et le second offrent, pour caractères, la chaleur et la couleur
noire ; le sixième et le septième, le froid et la couleur blanche. On a
donné les noms d’Abyssin, de Zendj et
de Soudan (noirs) aux peuples du
midi, qui habitent le premier et le second p.172
climat, et l’on a employé ces dénominations indifféremment pour désigner
tout peuple dont le teint est altéré par un mélange de noir. Il est cependant
certain que le nom d’Abyssin doit s’appliquer spécialement au peuple
qui demeure vis‑à‑vis la Mecque et le Yémen, et que celui de Zendj appartient exclusivement à ceux
qui habitent en face de la mer Indienne. Ils n’ont pas reçu ces noms parce
qu’ils auraient *153 tiré leur
origine d’un homme de couleur noire, que ce fût Cham ou tout autre ; car
nous voyons que des nègres, habitants du midi, s’étant établis dans le
quatrième climat, qui jouit d’une température moyenne, et dans le septième, où
tout tend à la couleur blanche, laissent une postérité qui, dans la suite des
temps, acquiert un teint blanc. D’un autre côté, lorsque des hommes du nord ou
du quatrième climat vont habiter le midi, la peau de leurs descendants devient
noire. Cela prouve que la couleur du teint dépend du tempérament de l’air. Ibn
Sîna (Avicenne), dans son traité de médecine écrit en vers (et connu sous le
nom d’Ardjouza), s’exprime ainsi :
En sorte que leur peau s’est revêtue de
noir.
En sorte que leur peau est devenue lisse.
Les peuples du nord n’ont pas reçu des noms qui aient rapport à la
teinte de leur peau ; car le blanc, qui était la couleur des hommes dont
le langage a fourni ces dénominations, ne constituait pas un caractère assez
remarquable pour attirer l’attention quand il s’agissait de créer des noms
propres. On regardait le blanc comme parfaitement convenable et l’on y était
habitué. Nous remarquons que les peuples du nord sont désignés par une grande
variété de noms : tels sont les Turcs, les Esclavons, les Togharghar [4],
les Khazar, les p.173 Alains, une
foule de nations franques, les Yadjoudj (Gog), les Madjoudj (Magog), qui
forment tous des peuples distincts et très nombreux.
Quant aux habitants des climats du centre, on trouve chez eux un
caractère de mesure et de convenance qui se montre dans leur physique et leur
moral, dans leur conduite et dans toutes les circonstances qui se rattachent
naturellement à leur civilisation [5],
c’est‑à‑dire les moyens de vivre, les habitations, les arts, les sciences, les
hauts commandements et l’empire. Ce sont eux qui ont reçu des prophètes ; *154 c’est chez eux que se trouvent la
royauté [6],
des dynasties, des lois, des sciences, des villes, des capitales, des édifices,
des plantations, des beaux‑arts et tout ce qui dépend d’un état d’existence
bien réglé. Les peuples qui ont habité ces climats, et dont nous connaissons
l’histoire, sont les Arabes, les Romains, les Perses, les Israélites, les
Grecs, la population du Sind et celle de la Chine.
Les généalogistes, ayant observé que chacune de ces races se distinguait
par son aspect et par d’autres signes particuliers, ont supposé qu’elles
devaient ces traits caractéristiques à leur origine. Aussi ont-ils regardé
comme les descendants de Cham tous les habitants du sud qui ont la peau
noire ; et, ne sachant comment expliquer la couleur de ces peuples, ils
se sont attachés à propager une tradition qui ne supporte pas l’examen. Ils ont
déclaré aussi que la totalité ou la plupart des habitants du nord descendent de
Yafeth (Japhet), et ils ont reconnu pour les descendants de Sem presque tous
les peuples bien organisés, c’est‑à‑dire ceux qui habitent les climats du
milieu, qui cultivent les sciences et les arts et qui ont une religion, des
lois, un gouvernement régulier et un souverain. Cette opinion est conforme à
la vérité dans ce qui regarde les origines des races, mais elle ne doit pas
être admise sans restriction ; c’est le simple énoncé d’un fait, mais elle
ne prouve pas que les peuples du midi aient reçu le nom de Noirs ou d’Abyssins
parce qu’ils descendaient de Cham le noir. Ces écrivains ont été induits en
erreur par une fausse idée ; ils p.174 ont cru
que chaque peuple doit à son origine les caractères qui le distinguent. Mais
cela n’est pas toujours exact : car, bien que certains peuples et
certaines races se distinguent assez par leur origine, comme les Arabes, les
Israélites et les Perses, il y en a d’autres, tels que les Zendj, les Abyssins,
les Esclavons et les Nègres que l’on reconnaît aux traits de leur figure et aux
contrées qu’ils habitent. D’autres peuples se distinguent, non seulement par
leur origine, mais par certains usages et par des signes
caractéristiques : tels sont les Arabes. La distinction peut encore se
faire en examinant l’état de chaque peuple, *155
son caractère et les qualités qui lui sont propres. C’est donc une faute
que d’énoncer, d’une manière générale, que le peuple de tel endroit, soit au
nord, soit au midi, descend de tel ou tel personnage, parce que l’on aura
remarqué chez ce peuple les traits, la couleur, la tournure d’esprit ou les
signes particuliers qui se retrouvaient dans cet individu. On tombe dans des
erreurs de ce genre parce qu’on n’a pas fait attention à la nature des êtres et
des pays ; car tous ces caractères changent dans la suite des générations
et ne sauraient demeurer invariables. Telle
est la règle suivie par Dieu à l’égard de [7] ses créatures ; et tu ne trouveras
aucun moyen de changer la règle de Dieu. (Coran, sour. XXXIII, vers. 62.)
Qui traite de l’influence
exercée par l’air sur le caractère des hommes.
Nous avons tous remarqué que le caractère des Nègres se compose, en
général, de légèreté, de pétulance et d’une vive gaieté : aussi les voit‑on
se livrer à la danse chaque fois qu’ils en trouvent la moindre occasion ;
de sorte que, partout, ils ont une réputation de folie. La véritable cause de
ce phénomène est celle‑ci : selon un principe qui est bien établi dans les
traités de philosophie, la joie et la gaieté résultent naturellement de la
dilatation et de l’expansion des p.175 esprits
animaux, tandis que la tristesse dérive de la cause contraire, c’est‑à‑dire de
la contraction et de la condensation de ces esprits. On a constaté que la
chaleur dilate l’air et la vapeur, les raréfie et en augmente le volume ;
c’est pourquoi l’homme ivre éprouve une sensation inexprimable de joie et de
plaisir. La cause en est que la vapeur de l’esprit qui réside dans le cœur se
pénètre de cette chaleur innée que la force du vin excite naturellement dans
l’esprit : alors cet esprit se dilate et produit une sensation qui a le
caractère de la joie. Il en est de même de ceux qui prennent le plaisir d’un
bain : lorsqu’ils en respirent la vapeur, et que la chaleur de cette *156 atmosphère pénètre jusqu’à leurs esprits
et les échauffe, il en résulte pour eux un sentiment de plaisir, qui souvent se
manifeste par des chants joyeux.
Comme les Nègres habitent un climat chaud, que la chaleur prédomine
sur leur tempérament, et que, d’après le principe de leur être, la chaleur de
leurs esprits doit être en rapport direct avec celle de leurs corps et de leur
climat, il en résulte que ces esprits, comparés à ceux des peuples du quatrième
climat, sont extrêmement échauffés, se dilatent bien plus aisément, éprouvent
un sentiment plus rapide de joie et de plaisir, et un degré d’expansion plus
considérable : ce qui a pour résultat l’étourderie.
Le caractère des peuples qui habitent les pays maritimes se rapproche
un peu de celui-ci. Comme l’air qu’ils respirent est très échauffé par
l’influence de la lumière et des rayons solaires que réfléchit la surface de
la mer, la part qu’ils ont dans les sentiments de joie et de légèreté d’esprit
qui résultent de la chaleur est plus forte que celle qu’on obtient dans les
hauts plateaux et sur les montagnes froides. Nous retrouvons quelques‑uns de
ces traits chez les peuples qui habitent le Djerîd [8],
contrée du troisième climat : (ils sont portés à la gaieté) par suite
de la chaleur intense de cette p.176 région
et de son atmosphère. Cette chaleur s’y est fortement développée parce que
leur pays est très reculé vers le sud, loin des hauts plateaux et des terres
labourables. Chez les habitants de l’Égypte, contrée qui est à peu près dans la
même latitude que le Djerîd, on peut remarquer avec quelle facilité ils
s’abandonnent à la joie, à la légèreté d’esprit et à l’imprévoyance. C’en est
au point qu’ils ne font aucune provision de vivres ni pour un an, ni pour un
mois, et qu’ils achètent au marché tout ce qu’ils mangent. La ville de Fez, dans
le Maghreb, offre un exemple tout contraire aux précédents : étant
entourée de plateaux très froids, on y voit les habitants marcher, la tête
baissée, comme des gens accablés de tristesse, *157
et l’on peut remarquer jusqu’à quel point extrême ils portent la prévoyance.
Cela va si loin qu’un individu entre eux mettra en réserve une provision de blé
suffisante pour plusieurs années et, plutôt que de l’entamer, il ira, chaque
matin, au marché pour acheter sa nourriture journalière. Si l’on continue ces
observations, en les dirigeant vers les autres climats et les autres pays, on
trouvera partout que les qualités de l’air exercent une grande influence sur
celles de l’homme. Dieu est le créateur
et l’Être qui sait tout. (Coran, sourate
XXXVI, verset 81.)
Masoudi avait entrepris de rechercher la cause qui produit, chez les
Nègres, cette légèreté d’esprit, cette étourderie et ce penchant extrême à la
gaieté ; mais, pour toute solution, il ne rapporte qu’une parole de Galien
et de Yacoub Ibn Ishac El-Kindi [9],
d’après laquelle ce caractère tient à une faiblesse du cerveau, d’où
proviendrait une p.177 faiblesse
d’intelligence. Cette explication est sans valeur et ne prouve rien. Dieu dirige celui qu’il veut. (Coran, sour. II, vers. 136.)
Qui traite des influences diverses que l’abondance et la
disette exercent sur la société humaine, et des impressions qu’elles laissent
sur le physique et le
moral de l’homme.
Les climats tempérés ne sont pas également fertiles, et leurs habitants
ne vivent pas tous dans l’aisance. Ils renferment quelques populations qui ont
une abondance de céréales, d’assaisonnements, de blé et de fruits, et ils la
doivent à la force de la végétation, à la bonne qualité du sol et au grand
progrès fait par la civilisation ; mais, *158
dans d’autres endroits, les habitants ne trouvent qu’un terrain brûlé
par la chaleur, où il ne pousse ni grain, ni herbe. Ces peuples, soumis à une
vie de privations, sont les tribus du Hidjaz et du Yémen [10],
et les tribus sanhadjiennes qui se voilent la figure, et qui occupent le désert
du Maghreb et les régions sablonneuses qui séparent la contrée des Berbers de
celle des noirs. Chez les peuples voilés, les grains et les assaisonnements
manquent tout à fait ; leur seul aliment, c’est le lait et la chair de
leurs troupeaux. Il en est de même des Arabes qui parcourent les régions du
désert. Sans doute ils peuvent tirer des Tells
(les hauts plateaux du Maghreb les grains et les assaisonnements dont ils
peuvent avoir besoin, mais ils n’en trouvent pas toujours l’occasion, à cause
de la surveillance des troupes préposées à la garde des frontières [11] ;
ils ne sont pas même assez riches pour y faire de grands achats ; aussi,
peuvent‑ils à peine se procurer le strict nécessaire, bien loin d’obtenir de
quoi vivre dans l’abondance. Presque toujours on les voit se borner à l’usage
du lait, nourriture qui, pour eux, remplace parfaitement le blé. Eh p.178 bien ! ces mêmes hommes, ces habitants
du désert, chez lesquels manquent entièrement les grains et les
assaisonnements, surpassent, en qualités physiques et morales, les habitants du
Tell, qui vivent dans une grande aisance ; leur teint est plus frais,
leurs corps sont plus sains et mieux proportionnés ; ils montrent une plus
grande égalité de caractère et une intelligence plus vive quand il s’agit de
bien saisir et d’apprendre ce qu’on leur enseigne. C’est ce que l’expérience démontre
à l’égard de chacun de ces peuples ; aussi voyons‑nous une grande
différence, sous ce rapport, entre les Arabes (nomades) et les Berbers, entre
les tribus voilées et les habitants du Tell. Celui qui voudra examiner ce fait
en reconnaîtra l’exactitude.
Voici, ce me semble, la cause de ce phénomène : l’excès de nourriture
et les principes humides renfermés dans les aliments excitent, dans les corps,
des sécrétions superflues et pernicieuses qui produisent un embonpoint
excessif et une abondance d’humeurs *159 peccantes
et corrompues. Cela amène une altération du teint et enlève aux formes du corps
toute leur beauté en les surchargeant de chair. Ces principes humides
obscurcissent l’esprit et l’intelligence par l’effet des vapeurs pernicieuses
qu’elles envoient au cerveau ; de là résultent l’engourdissement de
l’esprit, la nonchalance et un grave écart de l’état normal. La justesse de ces
observations se reconnaît à l’examen des animaux qui habitent les déserts et
les terrains stériles. Comparez les gazelles, les antilopes, les autruches, les
girafes, les ânes sauvages et les bœufs sauvages avec les animaux des mêmes espèces
qui habitent le Tell, les plaines fertiles et les gras pâturages. Quelle
différence énorme existe entre eux pour ce qui concerne le poli de la peau,
l’éclat du pelage, les formes du corps, la juste proportion des membres et la
vivacité de l’intelligence ! La gazelle est sœur de la chèvre ; la
girafe est sœur du chameau ; l’âne et le bœuf sauvages sont identiques
avec l’âne et le bœuf domestiques. Voyez cependant la différence qui existe
entre ces animaux ! La cause en est que la fertilité du Tell a suscité
dans les corps des animaux domestiques des sécrétions superflues et nuisibles,
des humeurs p.179 corrompues, dont
l’influence se fait sentir en eux, tandis que la faim contribue à produire,
chez les animaux du désert, la beauté du corps et des formes.
On reconnaîtra que les mêmes effets ont lieu chez l’homme. Les
habitants des régions où l’on vit dans l’aisance et qui abondent en céréales,
en troupeaux, en assaisonnements et en fruits, ont, en général, la réputation
d’avoir l’esprit lourd et le corps grossièrement formé. Comparez les Berbers,
qui ont du blé et des assaisonnements en abondance, avec les peuples de la même
race qui, comme les Masmouda, les habitants du Sous et les Ghomara,
mènent une vie de privations et se contentent, pour toute nourriture,
d’orge ou de dorra. Sous le rapport de l’intelligence et du corps, ceux‑ci sont
bien supérieurs aux premiers. Il en est de même des peuples du Maghreb, *160 chez qui, en général, se trouve une
abondance de blé et d’assaisonnements : comparez‑les avec les habitants
de l’Espagne (musulmane), qui manquent absolument de beurre, et dont la
principale nourriture est le dorra [12].
Vous trouverez chez ceux‑ci une vivacité d’esprit, une légèreté de corps, une
aptitude à s’instruire, que l’on chercherait vainement chez les Maghrébins. Le
même rapport existe, dans presque tout le Maghreb, entre les habitants de la
campagne et ceux des villes. Les citadins ont à leur disposition autant d’assaisonnements
que les campagnards ; comme eux, ils vivent dans l’abondance, mais ils
font subir à leurs aliments des apprêts, une cuisson et un adoucissement par le
mélange d’autres ingrédients qui en font disparaître les qualités grossières et
en atténuent la consistance. Ils se nourrissent ordinairement de la chair de
mouton et de poules ; ils ne recherchent pas le beurre, à cause de son
goût fade. Cela fait que leurs mets renferment peu de parties humides, et, par
suite, n’apportent au corps qu’une très petite quantité d’humeurs superflues et
nuisibles ; aussi les corps des habitants des villes sont‑ils plus
délicats que ceux des habitants de la campagne, dont la vie est plus dure. Il
en est de p.180 même chez les peuples du désert,
qui sont habitués à supporter la faim : leurs corps n’offrent aucune trace
d’humeurs, ni épaisses, ni ténues. Dans les pays où l’abondance domine, la
religion et l’esprit de dévotion en éprouvent l’influence. Parmi les gens de la
campagne et de la ville, ceux qui mènent une vie frugale, et qui sont habitués à
supporter la faim et à renoncer aux plaisirs, sont plus religieux, plus
disposés à s’adonner à une vie dévote que les hommes opulents et abandonnés au
luxe. Les cités et les grandes villes renferment peu d’hommes religieux,
attendu que, dans ces lieux, règnent généralement une insensibilité de cœur et
un esprit d’indifférence qui proviennent de l’usage trop abondant de la
viande, des assaisonnements et *161 de la
farine ; aussi les hommes dévots et austères se rencontrent surtout parmi
les habitants de la campagne, accoutumés à la vie frugale [13].
Dans une même ville, on reconnaît que l’influence de la nourriture sur
les hommes varie selon les fluctuations du luxe et de l’aisance ; ainsi
voyons‑nous, non seulement dans la population des villes, mais dans celle des
campagnes, que les hommes habitués à vivre dans l’abondance et à se plonger
dans les plaisirs sont les premiers à succomber lorsque quelques années de
sécheresse ont amené chez eux la famine et la mort. C’est ce qu’on observe
parmi les Berbers du Maghreb, les habitants de la ville de Fez et ceux du
Caire, à ce qu’on m’a dit. Il n’en est pas ainsi des Arabes qui habitent les
déserts et les solitudes, ni de la population des pays de palmiers, qui se nourrit,
presque exclusivement, de dattes ; ni des habitants actuels de l’Ifrîkiya,
qui vivent presque entièrement d’orge et d’huile ; ni des Espagnols
(musulmans), dont les principaux aliments sont le dorra et l’huile. La
sécheresse et la famine ne font pas autant de mal à ceux‑ci qu’aux gens qui
vivent dans le luxe ; la mortalité causée par la faim n’y est pas aussi
considérable ; que dis‑je, il ne s’en présente pas un seul cas. Voici, ce
me semble, la cause de cette différence : chez les hommes qui vivent dans
l’abondance et qui sont accoutumés à l’usage des assaisonnements, et surtout
du beurre, les intestins contractent une humidité p.181
supérieure à leur humidité primitive et naturelle, et qui finit par devenir
excessive. Or lorsque ces hommes se trouvent, contre leur habitude, réduits à
vivre d’une petite quantité d’aliments, à se passer d’assaisonnements et à user
d’une nourriture grossière, à laquelle ils ne sont pas accoutumés, les
intestins ne tardent pas à se dessécher et à se contracter. Mais cet organe est
extrêmement faible et compte parmi ceux dont la lésion cause la mort ;
aussi les maladies s’y déclarent promptement et amènent une mort rapide. Ceux
qui meurent *162 de la famine périssent,
moins par suite de la faim actuelle, que par l’effet de cette abondance de
nourriture à laquelle ils étaient primitivement habitués. Quant à ceux qui sont
accoutumés à vivre de laitage et à se passer de beurre et d’assaisonnements,
leur humidité naturelle reste dans son état ordinaire, sans aucun
accroissement. De tous les aliments qui sont naturels à l’homme, c’est
assurément le plus sain ; aussi ces gens n’éprouvent dans les intestins,
ni la sécheresse, ni l’altération qui résultent d’un changement de régime, et
ils échappent presque tous à la mortalité qu’une nourriture trop abondante et
l’excès d’assaisonnements provoquent chez les autres hommes.
Tous
ces cas peuvent se réduire à un seul principe : c’est par suite de
l’habitude que l’on s’accoutume à certains aliments ou que l’on acquiert la
faculté de s’en passer. Celui qui prend souvent une nourriture qui convient à
sa constitution s’y habitue, et s’il devait y renoncer (subitement) ou la
remplacer (immédiatement) par une autre, il tomberait malade. (Pour produire
cet effet) il n’est pas nécessaire que le nouvel aliment soit dépourvu de qualités
nutritives ou qu’il appartienne à la classe des poisons, des sucs âcres de
certaines plantes, de ces matières dont le caractère est tout à fait anomal.
Mais tout ce qui peut nourrir le corps et lui convenir devient, par l’usage, un
aliment habituel ; ainsi, quand un homme entreprend de remplacer par le
lait et les légumes sa nourriture ordinaire, qui consistait en blé et en
grains, et qu’il s’est habitué à ce changement, ces substances deviennent pour
lui un p.182 aliment suffisant, et l’on peut
être assuré qu’il se passera très bien de celles dont il a cessé de faire
usage. Il en est de même de celui qui s’est accoutumé à supporter la faim et à
se priver d’aliments, ainsi que le font, dit‑on, certains dévots, qui
s’imposent des mortifications. Nous avons entendu, à ce sujet, des histoires
étonnantes, auxquelles on n’ajouterait aucune foi, si l’on ne savait pas
qu’elles sont d’une vérité incontestable.
C’est l’habitude qui produit ces faits ; car, lorsqu’un individu
s’est accoutumé à une chose quelconque, elle devient pour lui une chose
essentielle, une seconde nature, attendu que la nature de l’homme [14]
est susceptible de modifications très diverses. Qu’elle s’habitue par degrés,
et par principe de dévotion, à supporter la faim, cette abstinence deviendra
pour elle une pratique ordinaire et tout à fait naturelle.
Les médecins se trompent en prétendant que c’est la faim qui fait *163 mourir : cela n’arrive jamais, à moins
qu’on ne prive l’homme brusquement de toute espèce d’aliment ; alors les
intestins se ferment tout à fait, et l’on éprouve une maladie qui peut conduire
à la mort. Mais lorsque la chose se fait graduellement, et par esprit
religieux, en diminuant peu à peu la quantité de nourriture, ainsi que font les
soufis, la mort n’est pas à craindre. La même progression est encore
absolument nécessaire lorsque l’on veut renoncer à cette pratique de
dévotion ; car, si l’on reprenait subitement sa première manière de se
nourrir, on risquerait sa vie. Il faut revenir au point de départ, en suivant
une gradation régulière, ainsi que cela s’était fait en le quittant. Nous avons
vu des hommes qui supportaient une abstinence complète pendant quarante jours
consécutifs, et même davantage.
Sous le règne du sultan Abou ’l-Hacen [15],
et en présence de nos professeurs, on amena devant ce prince deux femmes, dont
l’une p.183 était native d’Algésiras, et
l’autre de Ronda. Depuis deux [16]
ans, elles avaient renoncé [17]
à toute nourriture, et, le bruit s’en étant répandu, on voulut les mettre à
l’épreuve. Le fait fut complètement vérifié, et elles continuèrent à jeûner
ainsi jusqu’à leur mort. Parmi nos anciens condisciples, nous en avons vu
plusieurs qui se contentaient, pour toute nourriture, de lait de chèvre ;
à une certaine heure de chaque jour, ou à l’heure de déjeuner, ils tétaient le
pis de l’animal. Pendant quinze ans, ils suivirent ce régime. Bien d’autres ont
imité leur exemple ; c’est un fait qu’on ne saurait révoquer en doute.
Il faut savoir que la faim est de toute manière plus favorable au
corps qu’une surabondance d’aliments, pourvu qu’on puisse s’habituer à
l’abstinence et se contenter de très peu de nourriture. Ainsi que nous l’avons
dit, la faim exerce, sur l’esprit et le corps, une influence salutaire ;
elle sert à éclaircir l’un et à entretenir la santé de l’autre. On peut en
juger par l’effet que les aliments produisent *164
sur le corps. Nous avons vu que, si des hommes adoptent pour nourriture
la chair de gros animaux, leurs descendants prennent les qualités de ces
animaux. La chose est évidente si l’on compare les habitants des villes à ceux
de la campagne. Les hommes qui se nourrissent de la chair et du lait de chameau
éprouvent, dans leur caractère, l’influence de ces aliments et acquièrent la
patience, la modération, la force nécessaire pour porter des fardeaux ;
qualités qui sont le partage de ces animaux ; leurs intestins se
façonnent à l’instar de ceux des chameaux, et prennent de la santé et de la
force. On ne remarque en eux ni faiblesse, ni langueur, et les aliments qui
nuisent aux autres hommes ne produisent sur eux aucun mauvais effet. Ils
boivent, pour se relâcher le ventre, les sucs des plantes laiteuses et âcres,
telles que la coloquinte avant sa maturité, le diryas (Thapsia
asclepium), et l’euphorbe, sans les déguiser, et sans que leurs intestins
en reçoivent le moindre mal. Et cependant, si les habitants des villes, gens
qui, par suite de leur habitude de se nourrir p.184
délicatement, ont les intestins sensibles et tendres, prenaient de
pareils breuvages, la qualité toxique de ces drogues les ferait mourir sur‑le-champ.
Il est une autre preuve qui atteste l’influence des aliments sur le
corps. Suivant ce que rapportent les agriculteurs, et que l’expérience a
confirmé, si l’on nourrit des poules en leur donnant des grains cuits avec [18]
des excréments de chameau, et que l’on fasse couver les œufs, on aura des
petits qui atteindront une grosseur extraordinaire. On peut même se dispenser
de donner aux poules des grains cuits de cette manière ; il suffit de
mêler ces excréments avec les œufs que l’on fait couver, et il en naîtra des
petits qui deviendront d’une grosseur énorme. On pourrait citer un grand
nombre de faits de ce genre.
Quand nous voyons les influences exercées par les aliments sur les
corps, nous devons être convaincus que la faim doit en produire d’autres, car,
entre deux contraires, il y a rapport constant d’influence *165 ou de non‑influence. L’abstinence a pour
effet de débarrasser le corps des superfluités nuisibles et des humeurs qui
affectent également le corps et l’esprit ; la nourriture influe sur
l’existence même du corps. Dieu embrasse tout par son savoir.
Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par
l’exercice de pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du
monde invisible. Ce chapitre commence par des observations
sur la nature de la révélation et des songes.
Le Très‑Haut a choisi, dans l’espèce humaine, certains individus
auxquels il a concédé le privilège de converser directement avec lui. Les ayant
créés pour le connaître, et les ayant placés comme intermédiaires entre lui et
ses serviteurs, il les a chargés d’apprendre aux hommes leurs véritables
intérêts, de les diriger avec zèle, de les préserver du feu de l’enfer en leur
montrant la voie du salut. Aux connaissances qu’il leur communique et aux
merveilles qu’il énonce par leur bouche, il ajoute la faculté de prédire ce qui
doit arriver et p.185 d’indiquer les
événements qui sont cachés aux autres mortels. Dieu seul peut faire connaître
ces choses ; il emploie alors le ministère de quelques hommes d’élite,
qui, eux‑mêmes, ne les savent que par son enseignement. Le Prophète a
dit : « Quant à moi, je ne sais que ce que Dieu m’a enseigné. »
Leurs prédictions ont la vérité pour caractère distinctif et essentiel [19],
ainsi que le lecteur pourra le reconnaître lorsque nous lui exposerons la
nature réelle du prophétisme.
Un signe caractéristique distingue les individus de cette
classe : au moment de recevoir la révélation divine, ils se trouvent
complètement étrangers à tout ce qui les entoure, et ils poussent des gémissements
sourds. On dirait, à les voir, qu’ils sont tombés dans un état de syncope ou
d’évanouissement ; et toutefois il n’en est rien ; mais, en réalité,
ils sont absorbés dans le royaume spirituel qu’ils viennent de rencontrer. Cela
leur arrive par l’effet d’une puissance perceptive qui leur est propre et qui
diffère totalement de celle des *166 autres
hommes. Bientôt après, cette puissance redescend jusqu’à la perception de
choses compréhensibles aux mortels : tantôt c’est le bourdonnement de
paroles dont elle parvient à saisir le sens ; tantôt c’est la figure d’une
personne qui apporte un message de la part de Dieu. L’extase se passe, mais l’esprit
retient le souvenir de ce qui lui a été révélé.
On interrogea [20]
le Prophète sur la nature de la révélation divine, et il répondit :
« Tantôt elle me vient comme le tintement d’une cloche, ce qui est très
fatigant pour moi ; et, lorsqu’elle me quitte, j’ai retenu ce qu’on m’a
dit. Tantôt l’ange prend la forme humaine pour me parler, et je retiens ce
qu’il dit. » Dans cet état, il éprouvait des souffrances inexprimables et
laissait échapper des gémissements sourds. On lit dans les recueils des
traditions : « Il (le Prophète) traitait comme une maladie une
certaine espèce de douleur qu’il ressentait à la suite des révélations
divines [21]. »
Aïcha (la femme de p.186 Mohammed)
disait : « Une fois, la révélation lui arriva dans un jour
excessivement froid et, lorsqu’elle eut cessé, son front fut baigné de
sueur. » Le Très‑Haut a dit (Coran, sour. LXXIII, vers. 5) : Nous allons t’adresser une parole
accablante [22].
Ce fut à cause de l’état dans lequel se trouvaient les prophètes,
quand ils recevaient des révélations divines, que les polythéistes les taxaient
de folie, et disaient, « Celui-là a eu une vision » ; ou
bien : « Il a auprès de lui un démon familier ». Mais ces
mécréants furent trompés par les circonstances extérieures qui accompagnent
l’état d’extase, et celui que Dieu veut
égarer ne trouve point de guide. (Coran,
sour. XIII, vers. 33.)
On reconnaît encore ces personnages favorisés à la conduite vertueuse
qu’ils avaient tenue avant d’avoir reçu des révélations, à leur vive
intelligence et au soin qu’ils avaient mis à ne pas commettre des actes
blâmables, et à éviter toute espèce de souillure : c’est là ce qu’on
désigne par le terme eïsma [23]. On dirait que tout prophète tient de son
caractère inné une profonde aversion pour les choses blâmables,
et une exacte attention à les éviter. On peut même affirmer que ces choses
répugnent à la nature des prophètes.
On lit dans le Sahîh [24]
que, lors de la reconstruction de la Caaba, Mohammed, étant encore très jeune,
s’y trouva avec son oncle, El-Abbas, et plaça la pierre noire dans son manteau
(afin de la transporter à l’endroit qu’elle devait occuper) [25].
S’étant ainsi découvert le corps, il tomba en défaillance et ne revint à lui
qu’après s’être enveloppé dans le manteau. Invité à un festin de noce où les
divertissements ne manquaient pas, il tomba dans un sommeil profond et ne *167 s’éveilla qu’au lever du soleil ; de
sorte qu’il ne prit aucune part à la fête. Il évita cette tentation, grâce à la
disposition naturelle qu’il tenait p.187 de Dieu.
Dans la suite, il en vint au point de s’abstenir des mets qui pouvaient être
désagréables aux autres : jamais il ne touchait aux oignons ni à l’ail,
et, quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi, il répondait :
« J’ai souvent à m’entretenir avec d’autres personnes que celles à qui
vous avez l’habitude de parler [26]. »
Voyez les renseignements qu’il donna à sa femme Khadîdja, au moment où il
recevait, d’une manière inattendue, sa première révélation. Voulant savoir au
juste ce qui se passait, elle lui dit : « Place‑moi entre toi et ton
manteau. » Aussitôt qu’il l’eut fait, le porteur de la révélation
s’éloigna. « Ah, dit‑elle, ce n’est pas là un démon, mais un
ange ! » paroles qui donnaient à entendre que les anges n’approchent
pas des femmes. Elle lui dit encore : « Quand l’ange vient te
visiter, quel est le vêtement que tu aimes à lui voir porter ? — Il
répondit : « L’habit blanc ou l’habit vert. » « C’est donc
réellement un ange ! — s’écria‑t‑elle. Par ces mots, elle rappelait l’idée
que le vert et le blanc sont les couleurs spéciales à tout ce qui est bon et
aux anges, tandis que le noir ne convient qu’à ce qui est mauvais et aux
démons. Nous pourrions citer encore beaucoup de traits semblables.
Un autre signe qui caractérise les personnages inspirés, c’est leur
zèle à recommander aux hommes la prière, l’aumône, la pureté des mœurs et les
autres œuvres de la religion et de la piété. Khadîdja, ayant vu le Prophète
agir de cette manière, demeura convaincue qu’il était réellement véridique. Il
en était de même d’Abou Bekr ; jamais ils n’eurent la pensée, ni lui ni elle, de recourir à d’autres preuves
que celles qu’on pouvait tirer de la conduite du Prophète et de son caractère.
Nous lisons dans le Sahîh qu’Héraclius,
ayant reçu la lettre par laquelle le Prophète l’invitait à embrasser
l’islamisme, fit venir Abou Sofyan et tous les autres Coreïchides qui se
trouvaient dans sa ville, afin de les interroger au sujet de Mohammed. Il leur p.188 demanda, entre autres choses, ce que [27]
ce réformateur leur ordonnait de faire. Abou Sofyan répondit : « Il
nous prescrit la prière, l’aumône, la libéralité et la pureté des mœurs. »
A la fin de l’interrogatoire, Héraclius
*168 prononça ces paroles : « Si cela est vrai, Mohammed est
réellement un prophète, et il étendra sa domination sur tout ce qui est
maintenant placé sous mes pieds. » La pureté de mœurs (eïfaf), à
laquelle Héraclius faisait allusion, est le synonyme du mot eïsma (soin d’éviter le péché). Vous
voyez que ce prince trouvait que la conduite vertueuse de Mohammed, et le zèle
qu’il montra à propager la religion et la piété, suffisaient pour démontrer la
réalité de sa mission ; pour y croire il ne demandait pas des miracles.
Cela prouve que la vertu et le zèle pour la religion sont des signes auxquels
on reconnaît les hommes ayant le don de la prophétie.
La haute considération dont ces personnages jouissaient chez leurs
compatriotes est encore une marque qui sert à les distinguer. On lit dans le Sahîh : « Dieu n’a jamais
envoyé aux hommes un prophète qui n’eût pas un bon appui dans son peuple, » ou
« qui n’eût pas pour lui une multitude de son peuple. » Cette dernière leçon est fournie par le
Hakem [28],
dans une correction faite au texte du Sahîh
d’El‑Bokhari et de celui de Moslem. Le
Sahîh nous apprend que, dans l’interrogatoire d’Abou Sofyan par Héraclius,
ce prince lui demanda : « Quel cas fait‑on de Mohammed chez
vous ? — Il jouit d’une haute considération, » répondit Abou Sofyan. —
« Ah ! s’écria Héraclius, les prophètes reçoivent leur mission
lorsqu’ils sont entourés de l’estime de leurs compatriotes », c’est‑à‑dire,
lorsqu’ils ont un parti assez fort pour les protéger contre la violence des
infidèles, et pour les soutenir jusqu’à ce qu’ils aient rempli leur mission et
accompli la volonté de Dieu en achevant le triomphe de la religion et du parti
qui la professe.
p.189 Un autre signe consiste dans des
manifestations surnaturelles qui viennent confirmer la véracité de ces
envoyés ; ce sont des actions au‑dessus du pouvoir de l’homme et justement
nommées pour cette raison modjiza (choses
qui défient la puissance de l’homme). Elles n’appartiennent pas à la catégorie
des choses que Dieu a mises au pouvoir de l’homme ; au contraire, elles
s’opèrent dans un domaine qui est en dehors de sa puissance.
Il existe une divergence d’opinion au sujet de la manière dont les
miracles ont lieu, et de la nature de la preuve qu’ils fournissent en faveur de
la véracité des prophètes. Les théologiens dogmatiques [29],
s’appuyant sur la doctrine qu’il n’y a qu’un seul agent libre [30],
enseignent qu’ils s’opèrent par la puissance de Dieu, et que le p.190 prophète n’y est pour rien. Selon les
Motazélites [31],
les actions des hommes sont des effets de leur volonté, mais les miracles
restent en dehors *169 de la catégorie
des actes humains. Les deux partis [32]
s’accordent à reconnaître que le prophète ne fait qu’annoncer (tahaddi) le miracle et l’amener, avec la permission de Dieu.
Voici en quoi consiste le
tahaddi [33] : le prophète déclare qu’un miracle aura
lieu pour démontrer la vérité de sa doctrine ; le miracle s’opère et
remplace parfaitement une déclaration verbale, par laquelle Dieu donnerait
l’assurance que son envoyé est véridique. Pour constater la vérité, une preuve
de cette nature est décisive. Il résulte de ces observations qu’un miracle
probant consiste en un événement surnaturel joint à une annonce préalable (tahaddi). Donc l’annonce fait partie du miracle, ou bien, pour adopter
l’expression [34]
des théologiens dogmatiques, elle en est la qualité spécifique et unique,
parce qu’elle en est réellement la partie essentielle [35].
C’est l’annonce préalable (tahaddi) qui distingue un miracle d’un
prodige [36]
opéré par un favori de Dieu, ou par un magicien. Ces deux dernières
manifestations n’ont pas pour but nécessaire de démontrer la véracité d’un
individu ; p.191 et si
le tahaddi s’y trouve, cela ne provient que d’un simple hasard. Si l’homme
qui a opéré un prodige l’a annoncé d’avance, ce prodige [37]
servira tout au plus à constater la sainteté de l’individu, mais il ne prouvera
pas qu’il soit prophète. Le maître, Abou
Ishac [38]
et d’autres docteurs qui ont examiné cette question n’admettent pas que, dans
un prodige, il puisse y avoir un fait surnaturel. Par cette restriction ils
veulent empêcher qu’un prodige accompagné d’une annonce préalable (tahaddi) ne conduise à confondre la qualité de ouéli, ou favori de
Dieu, avec celle de prophète.
D’après ce que nous avons exposé, le lecteur comprendra la différence
qui existe entre ces deux classes de manifestations, et reconnaîtra que
l’annonce préalable d’un prodige opéré par un favori de Dieu n’a pas le même
résultat que l’annonce d’un miracle opéré par un prophète. Donc l’opinion du maître, telle qu’on nous l’a transmise,
ne saurait être authentique [39].
Peut‑être ce docteur a‑t‑il seulement voulu nier que les choses surnaturelles
opérées par les favoris de Dieu soient de la même nature que celles qui émanent
des prophètes, en se fondant sur le principe qu’à chacune de ces deux classes
d’hommes est attribuée une catégorie spéciale de faits surnaturels.
Quant aux Motazélites, ils nient la possibilité d’un prodige opéré par
un ouéli ; car, disent‑ils, les faits extraordinaires (surnaturels) n’appartiennent pas à la catégorie
des actes de l’homme, vu que tous p.192 ses
actes sont ordinaires (habituels) ; donc l’extraordinaire ne peut pas
avoir lieu de sa part.
Il est absurde de croire que quelque chose de ce genre puisse s’opérer
par un imposteur dans le but de tromper le monde. Selon les Acharites [40],
l’essentiel d’un miracle c’est de servir à confirmer la véracité d’un prophète,
et à diriger les hommes. Si un miracle arrivait qui n’aurait pas ce caractère,
la preuve qu’il devait fournir serait incertaine, et la bonne direction serait
faussée. Quant à moi, je dirais, en ce cas, que la confirmation de la véracité
du prophète *170 serait mensongère, que
toutes les vérités reconnues seraient des faussetés et que les attributs de
l’âme seraient renversés. Mais on ne saurait admettre la possibilité d’un fait
qui conduirait infailliblement à un résultat absurde. Les Motazélites disent
que la preuve fournie par un tel miracle serait illusoire, que cette
manifestation, au lieu de servir de direction, ne servirait qu’à jeter les
hommes dans un égarement déplorable, et qu’une pareille démonstration ne serait
pas de Dieu.
Les philosophes [41]
enseignent que les faits surnaturels se produisent par l’acte du prophète,
quand même ils seraient en dehors du domaine de la puissance (divine). Ils
fondent cette opinion sur le principe de l’obligation essentielle (par
laquelle Dieu est tenu à observer ses propres lois). Les événements, disent‑ils,
procèdent les uns des autres. conformément à des conditions invariables et par
une suite de causes secondaires qui se rattachent finalement à l’être
nécessaire par son essence, agissant par son essence et non pas par sa
volonté [42].
Ils enseignent que l’âme douée de la faculté prophétique a des qualités qui
lui sont spéciales ; c’est ainsi que la production des p.193 événements surnaturels a lieu par le
pouvoir du prophète lui-même, et que les éléments lui obéissent pour servir à
la formation des êtres. Le prophète, selon eux, a été formé avec la faculté de
pouvoir agir sur les diverses catégories d’êtres, toutes les fois qu’il se
tourne vers eux et qu’il veut les combiner. Il tient cette faculté de Dieu. Le
prophète, disent‑ils, peut faire arriver un événement surnaturel, sans qu’il
l’ait annoncé préalablement (tahaddi), et alors même cette manifestation est
un témoignage qui constate la véracité de ses paroles, en ce qu’elle démontre
qu’il avait le pouvoir d’agir sur les diverses classes de choses
existantes ; faculté qui, selon eux, est le caractère distinctif de l’âme
douée du pouvoir prophétique. Ils n’admettent pourtant pas que le miracle, en
ce cas, ait autant de valeur pour constater la véracité (d’un prophète) qu’un
miracle annoncé d’avance, car celui-ci est équivalent à) une déclaration
expresse de Dieu ; donc la preuve fournie par un tel miracle n’est
pas décisive, cette opinion contredit celle des théologiens dogmatiques. Ils
enseignent aussi que l’annonce préalable ne fait pas partie du miracle, et
qu’elle ne peut pas servir à le distinguer d’un effet de magie ou d’un prodige
opéré par un ouéli. Pour distinguer un miracle d’un acte de magie,
disent‑ils, on se rappellera que Dieu a formé les prophètes pour faire de
bonnes actions et pour éviter les mauvaises ; donc les faits surnaturels
produits par un prophète ne peuvent pas amener [43]
le mal. Avec le magicien, c’est le contraire ; tout ce qu’il fait est
nuisible ou tend à nuire. Pour distinguer un miracle d’un prodige opéré par un ouéli, ils enseignent que les actes
surnaturels *171 d’un prophète ont un
caractère tout particulier, comme, par exemple, de monter au ciel, de passer à
travers les corps solides, de rendre la vie aux morts, de s’entretenir avec les
anges, de voler dans les airs. Le ouéli, ou favori de Dieu, opère aussi
des choses extraordinaires, mais d’un caractère inférieur ; il peut faire
beaucoup de peu, prédire certains événements, et cætera ; actes qui
restent au‑dessous de ce que la puissance d’un prophète peut effectuer. Le
prophète a le p.194 pouvoir
d’opérer les mêmes prodiges que les favoris de Dieu, mais ceux-ci ne sauraient
faire des miracles comme les prophètes. C’est là un principe que les Soufis ont
consigné dans les traités consacrés à leur doctrine et qu’ils ont appris dans
leurs états d’extase [44].
Après avoir reproduit ces opinions, nous dirons au lecteur :
Sachez bien que le miracle le plus grand, le plus éclatant, le plus péremptoire,
c’est le noble Coran, que notre prophète a reçu du ciel. En effet, la plupart
des manifestations surnaturelles n’arrivent pas simultanément avec les
révélations dont les prophètes reçoivent communication ; pour qu’elles
témoignent de la vérité d’une révélation, il est évident qu’elles ne doivent se
présenter qu’après ; or le Coran est, non seulement une révélation, ainsi
que le Prophète l’a allégué, mais aussi un miracle tout à fait extraordinaire.
Ce livre porte en lui-même la preuve de son inspiration et n’a aucun besoin
d’une preuve extrinsèque telle que les miracles venant à l’appui d’une révélation
divine. Il est lui-même la preuve la plus claire, étant à la fois la preuve et
la chose prouvée. Telle est l’idée que le Prophète a exprimée dans ces
termes : « Chaque prophète a reçu des signes manifestes qui
inspirent [45]
la conviction aux hommes ; mais ce que j’ai reçu, moi, c’est une
révélation. Aussi j’espère qu’au jour de la résurrection j’aurai une suite plus nombreuse
qu’aucun autre prophète. » Par ces mots il donnait à entendre qu’un miracle
aussi évident, aussi convaincant que le Coran, livre qui, par sa nature, est
la révélation même, devait porter la conviction dans beaucoup d’esprits, en
sorte que le nombre des croyants et des fidèles deviendrait très grand ;
voilà ce qu’il a voulu désigner par le mot suite
ou peuple. Du reste, le Très‑Haut en sait plus que
nous.
*172 [Ces [46]
observations démontrent que, de tous les livres divins, le Coran est le seul
dont le texte, paroles et phrases, ait été p.195
communiqué à un prophète par la voie de l’audition. Il en est autrement
à l’égard du Pentateuque, de l’Évangile et des autres livres divins : les
prophètes les reçurent par la voie de la révélation et sous la forme d’idées.
Revenus ensuite de leur état d’extase et rentrés dans l’état normal de
l’humanité, ils revêtirent ces idées de leurs propres paroles. Aussi le style
de leurs écrits n’offre‑t‑il rien de miraculeux. C’est au Coran seul
qu’appartient ce caractère. De même que les autres prophètes reçurent leurs
livres sous la forme d’idées, le nôtre reçut sous la même forme un grand nombre
de communications qui se trouvent dans les recueils de traditions. Que le
texte du Coran lui soit venu par la voie de l’audition, cela est prouvé par
cette parole qu’il rapporte dans les mots mêmes de son Seigneur :
« N’agite pas ta langue avec trop d’empressement (afin de répéter les
paroles divines) ; c’est à nous de les rassembler et de les lire. » (Coran,
sour. LXXV, vers. 16, 17.) Ces versets lui furent communiqués à cause de son
empressement à répéter les passages du Coran qu’il venait d’entendre et de sa
crainte de les oublier ; il s’efforçait de fixer et de garder (hafedh) dans sa mémoire
les communications divines qu’il recevait par la voie de l’audition, mais Dieu
lui épargna cette peine en lui adressant ces paroles : « C’est nous
qui avons fait descendre le mémorial (le Coran) et c’est nous qui en serons
les gardiens. » (Coran, sour. XV, vers. 9.) Cela indique
parfaitement la nature de la garde (ou
conservation) dont le Coran jouit d’une manière spéciale ; elle diffère
tout à fait de l’action de garder dans la
mémoire, bien que cela ne soit pas l’opinion généralement reçue. Dans le
Coran, un grand nombre de versets témoignent que ce livre fut communiqué au
Prophète sous la forme d’une lecture (coran) faite à haute voix, et dont chaque
sourate était un miracle (de style) qui surpassait le pouvoir des hommes. Parmi
les miracles les plus grands qui distinguent notre prophète, on doit compter
le Coran et la facilité avec laquelle il rallia tous les Arabes à sa cause. On
aurait vainement dépensé tous les trésors du monde afin de mettre d’accord les
diverses tribus arabes ; Dieu seul pouvait le faire et il l’accomplit. Que
le lecteur p.196 fasse attention à ces
remarques, il reconnaîtra, dans ce que nous
*173 venons d’indiquer, une preuve évidente de la supériorité de notre
prophète sur tous les autres et de la prééminence du rang qu’il occupe parmi
eux.]
Maintenant nous allons exposer la véritable nature du prophétisme, en
nous conformant aux indications fournies par les docteurs les plus exacts [47].
Nous expliquerons ensuite la nature de la divination et des songes, puis nous
traiterons de ce qui concerne les arraf (les sachants) [48],
et d’autres matières qui appartiennent au domaine du monde invisible. En
commençant ce discours, nous prions Dieu de nous diriger ainsi que nos
lecteurs.
Si nous contemplons ce monde et les créatures qu’il renferme, nous y
reconnaîtrons une ordonnance parfaite, un système régulier, une liaison de
causes et d’effets, la connexion qui existe entre les diverses catégories
d’êtres et la transformation de certains êtres en d’autres : c’est une
suite de merveilles qui n’a pas de fin et dont on ne saurait indiquer les
limites.
Nous commencerons par le monde sensible et matériel, et nous parlerons
d’abord du monde visible, celui des éléments. Les éléments s’élèvent
graduellement de l’état de terre à celui d’eau, puis, à celui d’air, puis à
celui de feu, se rattachant ainsi les uns aux autres. Chacun d’eux a une
disposition à se transformer en l’élément qui lui est immédiatement supérieur
ou inférieur, et quelquefois ce changement a effectivement lieu. L’élément
supérieur est plus délié que celui qui se trouve immédiatement au‑dessous de
lui ; le plus léger a pour limite le monde des sphères. L’union des
sphères entre elles forme une gradation dont la beauté nous échappe ; mais
les mouvements que l’on y remarque ont conduit les hommes à p.197 découvrir l’étendue et la position de
chaque sphère, et à reconnaître qu’au delà il existe des êtres (littéral.
« des essences ») qui exercent sur les sphères ces influences dont on
s’aperçoit. Regardons ensuite le monde sublunaire [49]
: nous verrons qu’il renferme, dans une gradation admirable, les minéraux
d’abord, ensuite les plantes, puis les animaux. La catégorie des minéraux
touche, par une de ses extrémités, au commencement de la catégorie des
plantes, où se trouvent les mauvaises herbes et les végétaux qui ne portent pas
semence. *174 L’extrémité de la catégorie des
plantes qui renferme le dattier et la vigne est en contact avec la catégorie
des animaux où se tiennent les limaçons et les coquillages, êtres qui ne
possèdent qu’un seul sens, celui du toucher. En parlant des diverses catégories
d’êtres, le mot contact [50] s’emploie pour indiquer que la limite
extrême de chaque classe est très disposée à se confondre avec la limite
extrême de la classe voisine. Le monde animal est très étendu et se compose
d’un grand nombre d’espèces. Dans la gradation des créatures, il a pour dernier
terme [51]
l’homme, être doué de réflexion et de prévoyance. Occupant cette position,
l’homme se trouve placé au‑dessus de la catégorie des singes, animaux qui
réunissent l’adresse à l’intelligence, mais qui, dans le fait, ne s’élèvent ni
à la prévoyance ni à la réflexion. Ces facultés ne se rencontrent qu’au
commencement de la catégorie suivante, qui est celle de l’homme. Ce que nous
sommes capables d’apercevoir s’arrête à cette limite.
Dans les diverses [52]
catégories d’êtres nous remarquons une variété d’effets (produits par des
influences extérieures). Le monde sensible subit l’influence du mouvement des
sphères et celle des éléments. Le monde sublunaire est influencé par le
mouvement de la croissance et de la maturation. Tous ces phénomènes indiquent
l’existence d’un agent [53]
dont la nature diffère de celle des corps et qui est, par p.198 conséquent, un agent spirituel. Cet agent
est en contact avec tous les êtres de ce monde, parce qu’ils forment des
catégories dont les unes sont en contact avec les autres. On rappelle l’âme
perceptive, source du mouvement [54].
Au‑dessus d’elle doit nécessairement se trouver un être avec lequel elle est en
contact et qui lui communique les facultés de la perception et du mouvement.
Cet être supérieur a pour qualités essentielles la perception pure,
l’intelligence sans mélange. C’est là le monde des anges. De là résulte
nécessairement qu’il y a dans l’âme [55]
(de l’homme) une prédisposition à se dépouiller de la nature humaine pour se
revêtir de la nature angélique, afin de se trouver réellement dans la catégorie
des anges, Cela arrive quelquefois, pendant l’espace d’un clin d’œil, mais
l’âme doit d’abord avoir donné une perfection réelle à son essence spirituelle.
Nous reviendrons sur ce *175 sujet. L’âme
est en contact avec les catégories qui avoisinent la sienne, ainsi que cela
arrive aux êtres disposés par classes. Pour elle, cet état de contact a deux
côtés, l’un supérieur, l’autre inférieur. Par celui-ci elle touche au corps,
par l’entremise duquel elle acquiert les perceptions recueillies par les sens,
et qui la dispose à détenir une intelligence en acte. Par le côté supérieur
elle touche à la catégorie des anges et obtient ainsi les connaissances
fournies par la science (divine) et celles du monde invisible. En effet, la
connaissance des événements existe dans les intelligences angéliques [56]
en dehors du temps. Tout cela s’accorde avec l’idée que nous avons déjà
exprimée au sujet de l’ordre régulier qui règne dans l’univers, ordre qui s’est
établi par le contact mutuel des êtres au moyen de leurs natures et de leurs
facultés.
L’âme humaine, celle dont nous venons de parler, est invisible, mais
ses influences se montrent d’une manière évidente dans le corps. On peut dire
que le corps et ses parties, combinées ou isolées, sont des instruments à
l’usage de l’âme et de ses facultés. Comme parties p.199
agissantes on peut indiquer la main, qui sert à saisir ; les pieds,
qui servent à marcher ; la langue, qui sert à parler, et le corps, qui
sert à opérer le mouvement général par des efforts alternatifs. De même que les
facultés de l’âme perceptive sont disposées dans un ordre régulier et s’élèvent
jusqu’à la faculté supérieure, c’est‑à‑dire jusqu’à l’âme réfléchissante,
nominée aussi l’âme parlante [57],
de même les facultés du sens extérieur, dont les instruments sont la vue,
l’audition, et cætera, s’élèvent
jusqu’au niveau du (sens) intérieur.
La sensibilité [58],
première faculté (de l’intérieur) aperçoit les impressions ressenties par la
vue, l’ouïe, le tact, et cætera. Ces
perceptions lui arrivent simultanément, sans produire la moindre confusion, ce
qui la distingue complètement des sens externes [59].
Elle transmet ces impressions à l’imagination, puissance qui reproduit dans
l’âme, et *176 avec exactitude, les formes des
objets aperçus par les sens, formes dépouillées de la matière extrinsèque.
L’instrument qui sert aux opérations de ces deux puissances (ou facultés) est
le ventricule du cerveau, qui occupe le devant de la tête ; la partie
antérieure appartient à la sensation, et la partie postérieure à
l’imagination [60].
L’imagination s’élève ensuite jusqu’au niveau de la faculté qui sert à former
des opinions [61]
et au niveau de la faculté retentive (la mémoire). La faculté d’opinion sert à
saisir les notions attachées aux individualités, comme, par exemple, l’hostilité de Zeid, la franchise d’Amr, la
tendresse du père, la voracité du loup. La mémoire sert à contenir toutes
les p.200 perceptions qui lui arrivent par
l’imagination ou d’autre part ; elle est, pour ainsi dire, un magasin qui
les conserve jusqu’au moment où l’on a besoin de les retrouver. L’instrument au
moyen duquel ces deux facultés opèrent est le ventricule postérieur du
cerveau ; la partie du devant sert à la première [62],
et la partie qui est en arrière sert à la seconde. Toutes ces facultés
s’élèvent ensuite jusqu’au niveau de la faculté réflective, qui a pour
instrument le ventricule central du cerveau. De cette faculté proviennent le
mouvement de la méditation et la tendance de l’âme à devenir intellect pur.
Cela tient l’âme dans une agitation continuelle, état qu’elle recherche
d’ailleurs par inclination, afin d’échapper à la force qui la retient (dans le
monde sensible) et à la disposition qui la lie à la nature humaine. Elle aspire
à devenir une intelligence pure afin de s’assimiler à la Compagnie sublime
spirituelle [63]
et de se placer dans le rang inférieur des êtres spirituels par la faculté
d’acquérir des perceptions sans l’entremise des instruments corporels. C’est
là que tendent tous ses mouvements, tous ses désirs. Une fois dépouillée de la
nature humaine qui l’enveloppait, elle passe, au moyen de sa spiritualité, dans
la sphère supérieure, celle des anges. Elle y arrive, non pas à cause de ses
droits acquis, mais parce que Dieu, en la créant, lui avait donné une tendance
naturelle à y parvenir.
Si l’on envisage les âmes humaines sous ce point de vue, on reconnaît
qu’elles peuvent se partager en trois classes. La première est, *177 par sa nature, trop faible pour atteindre à
la perception spirituelle ; elle p.201 se
contente de s’agiter jusqu à ce qu’elle en arrive à la limite inférieure,
aux perceptions qui se trouvent dans le domaine des sens et de l’imagination.
Elle peut même combiner, d’après un système de règles assez restreint et dans
un arrangement particulier [64],
les notions réelles (propositions) qu’elle tire de l’opinion [65]
et de la mémoire. Par cette opération, elle acquiert des concepts et des
notions affirmées [66],
seules connaissances que la réflexion peut fournir, tant que cette faculté
reste dans les limites du corps. Toutes ces connaissances appartiennent à la
puissance imaginative et restent dans des bornes très étroites. En effet, l’âme
(chez les gens de cette classe) peut s’élever de son point de départ jusqu’au
commencement de la catégorie supérieure, mais elle n’a pas la force de
franchir cette limite. Si, avec cela, ses efforts sont mal dirigés, elle
n’accomplit rien qui vaille. Voilà le terme auquel la perception humaine peut
généralement atteindre, tant qu’elle subit l’influence du corps ; c’est
là que les savants s’arrêtent, sans pouvoir aller plus loin.
Les âmes de la seconde classe se laissent porter par le mouvement
réfléchissant et par une disposition naturelle vers l’intellect spirituel et
vers les perceptions qu’on peut acquérir sans avoir besoin de l’instrumentalité
du corps. Pour ces âmes, le champ de la perception s’étend bien au delà du
commencement (du monde spirituel), point où s’arrête la puissance perceptive
des âmes appartenant à la classe précédente. Parvenues dans cette région, elles
parcourent le champ de la contemplation intérieure, où tout est une extase,
dont le commencement et la fin sont simultanés. C’est jusque‑là que s’étend p.202 la puissance perceptive des favoris de Dieu
(ouéli), de ces gens à qui Dieu a donné la science infuse [67]
et les connaissances divines. Les personnes prédestinées au bonheur éternel
jouissent de cette perception tant qu’elles restent dans les limbes [68].
Les âmes de la troisième classe sont créées avec la faculté de pouvoir
se dégager tout à fait de la nature humaine, de sa corporéité et de sa
spiritualité, afin de s’élever jusqu’à la nature angélique de la sphère
supérieure, où elles deviennent effectivement anges, mais seulement pendant un
clin d’œil. En ce moment, elles aperçoivent la Compagnie sublime (les anges)
dans la sphère qui les renferme, et elles entendent, pendant ce court instant,
les paroles de l’âme (universelle) [69] *178 et la voix de la divinité. Telles sont les
âmes des prophètes, auxquels Dieu a départi la faculté de se délivrer de la
nature humaine pendant un instant de temps. C’est dans cet état qu’ils
reçoivent la révélation, Dieu les ayant créés avec un naturel qui les y
prédispose. Afin qu’ils puissent se dégager des obstacles et des empêchements
dont le corps les entoure, tant qu’ils restent dans la condition humaine, Dieu
a établi dans leur nature une pureté de mœurs, un sentiment de droiture qui les
porte vers la spiritualité ; il a implanté dans leur caractère un esprit
de piété qui les retient toujours dans cette voie et les conduit au but de
leurs désirs. Par ce genre d’affranchissement (qui délivre l’âme des influences
du corps), ces hommes se dirigent à volonté vers le monde spirituel, faveur
qu’ils doivent, non pas à leurs mérites acquis ni à des moyens artificiels,
mais au caractère inné qu’ils tiennent de leur créateur. En se p.203 dépouillant des langes de l’humanité, ils
vont trouver la Compagnie sublime et en recevoir des communications. Chargés de
ce dépôt, ils retournent vers le domaine de la nature humaine, et le rapportent,
comme une révélation venue d’en haut, au milieu des influences mondaines, afin
de le communiquer aux hommes [70].
La révélation arrive, tantôt comme le bourdonnement d’un discours confus ;
le prophète en saisit les idées et, à peine a‑t‑il cessé d’entendre le
bourdonnement, qu’il a su par cœur et compris le message ; tantôt l’ange
qui lui communique la révélation paraît sous la forme d’un homme afin de lui
parler ; et ce qu’il dit, le prophète le retient par cœur. La
communication faite par l’ange, le retour du prophète dans le domaine de
l’humanité et son acte de comprendre ce qui lui a été révélé, tout cela se
passe dans un seul instant de temps, instant plus court qu’un clin d’œil. En
effet ces événements arrivent en dehors du temps et simultanément ; aussi
les révélations paraissent se faire très vite, et voilà pourquoi on les a
désignées par le mot de ouahi, qui, en langue arabe, signifie se
hâter.
Faisons observer que la première manière de communiquer un message
divin, celle qui consiste en un bourdonnement, n’est employée qu’envers les
personnes qui tiennent le rang de prophète
*179 sans avoir à remplir les fonctions d’apôtre. C’est là un principe
que l’on regarde comme bien établi. La seconde manière, celle où un ange se
présente sous la forme d’un homme qui parle, convient au grade de ceux qui sont
en même temps prophètes et apôtres ; elle est donc plus parfaite que la
première. L’idée que nous exprimons ici se retrouve dans le récit par lequel
notre prophète donna des explications à El-Hareth Ibn Hicham. Celui-ci ayant
demandé comment la révélation lui arrivait, Mohammed répondit :
« Elle me vient tantôt comme le bourdonnement d’une cloche, ce qui me
fatigue beaucoup, et, lorsqu’elle me quitte, j’ai retenu ce qu’on m’a dit.
Tantôt l’ange prend la figure d’un homme pour me parler, et je retiens ce qu’il
p.204 dit. » La première manière
lui paraissait très fatigante, parce que, dans ce contact avec le monde
spirituel, c’était pour la première fois que la puissance, chez lui, passa à
l’acte. Donc il éprouva un certain degré d’oppression, et, pour cette raison,
lorsqu’il fut rentré dans le domaine de l’humanité, il ne reçut plus les
communications divines excepté par la voie de l’audition. De l’autre manière,
il aurait éprouvé de trop grandes souffrances. Quand on a reçu des révélations
plusieurs fois, on supporte plus facilement le contact du monde
spirituel ; rentré ensuite dans le domaine de la nature humaine, on se
rappelle toutes ces communications, et surtout la portion la plus claire, c’est‑à‑dire
les choses qu’on a vues.
Dans l’explication donnée par le Prophète, on a remarqué une grande
finesse d’expression : il emploie d’abord [71]
le verbe retenir [72]
en lui donnant la forme du prétérit ; puis il le répète sous la forme du
présent. Voulant figurer au moyen de la parole les deux manières par lesquelles
les révélations lui arrivaient, il en assimile la première à un bourdonnement,
ce qui est bien différent d’un discours, comme chacun le sait ; puis il
ajoute que l’acte de comprendre la révélation et de la confier à sa mémoire se
faisait après que ce bruit avait cessé. Pour indiquer que la cessation était
arrivée, il emploie le prétérit du verbe, et avec raison, vu que cette forme
convient à ce qui est passé et fini. En décrivant la seconde manière, il nous
représente l’ange sous la forme d’un homme qui parle, et il nous dit qu’à
mesure qu’il entend ce discours il l’apprend par cœur. Ici l’emploi du présent
convient *180 parfaitement bien, parce que
cette forme du verbe indique que l’action peut continuer.
De quelque façon qu’un prophète reçoive une révélation, il éprouve un
sentiment d’oppression et de souffrance, fait que Dieu lui-même a indiqué par
ces mots du Coran (sourate LXXIII, verset 5) : « Nous allons
t’adresser une parole accablante. » Aïcha rapporte qu’une fatigue extrême
était une des souffrances que Mohammed éprouvait en p.205 recevant une révélation. Elle a dit aussi :
« Une révélation descendit sur lui un jour qu’il faisait très froid, et,
lorsqu’elle eut cessé, son front fut baigné de sueur. » C’est à la même
cause qu’il faut attribuer ce que nous savons de l’absence d’esprit qu’on
remarquait en lui et des gémissements qu’il poussait pendant qu’il était dans
cet état. Pour expliquer ces phénomènes, il faut se rappeler le principe que
nous venons d’établir, savoir, que la révélation se fait de la manière
suivante : l’âme du prophète se détache de la nature humaine pour s’élever
jusqu’au domaine angélique, où elle entend la parole de l’âme
(universelle) ; or un sentiment de douleur doit avoir lieu toutes les fois
qu’une essence quitte son état essentiel et s’en dépouille, afin de pouvoir
sortir de sa sphère et s’élever jusqu’à une autre. Voilà ce que signifie
l’étouffement dont parlait Mohammed en décrivant la première époque de la
révélation. « Il m’étouffa, disait‑il, au point que je fus excédé de
douleur ; puis, il me lâcha en disant : Lis. » Je
répondis : « Je ne sais pas lire. » Et ceci eut lieu encore deux
fois, ainsi que nous le savons par la tradition. En subissant une oppression à
plusieurs reprises, on s’y habitue graduellement, de sorte que la douleur
paraît légère, en comparaison de celle qu’on éprouvait d’abord. Voilà pourquoi
les passages du Coran, sourates et versets, qui furent révélés au Prophète
pendant qu’il était à la Mecque sont plus courts que ceux qu’il reçut ensuite à
Médine.
Voyez, par exemple, ce qu’on raconte au sujet de la manière dont la
sourate de la Renonciation (la IXe) fut révélée, pendant l’expédition de
Tebouk [73].
Il la reçut, en totalité ou en grande partie, pendant qu’il voyageait, monté
sur sa chamelle, après avoir quitté la Mecque. Auparavant, il n’avait eu
communication que de certaines sourates courtes, comprises maintenant dans le Mofassel [74]
et qui lui venaient, un morceau d’abord, et la suite plus tard. Le verset de p.206 *181 la Religion [75],
dont la longueur est assez considérable, fut le dernier qu’il reçut à Médine.
Avant cette époque, il avait reçu à la Mecque les versets [76]
(très courts) qui composent les sourates intitulées : le Miséricordieux (LVe),
les Éparpillantes (LIe), l’Enveloppé
(LXXIVe), la
Matinée (XCIIIe), le Sang coagulé (XCVIe), etc.
Dans ce fait, on trouve un moyen de distinguer les sourates et versets révélés
à la Mecque de ceux qui furent révélés à Médine. C’est Dieu qui dirige vers la
vérité. Voilà le sommaire de ce qui concerne le prophétisme.
Passons à la divination. Cette faculté appartient aussi à l’âme humaine.
En effet, tout ce que nous venons d’exposer fait comprendre que l’âme humaine
est portée, par une disposition naturelle, à se dégager de l’humanité, afin de
pouvoir se transporter dans un état supérieur, celui de la spiritualité. C’est
ainsi que les hommes de la classe des prophètes ont une disposition innée qui
leur permet de jeter un regard momentané sur le monde spirituel. Nous avons dit
que cela ne leur arrive pas à cause des mérites qu’ils auraient pu acquérir, et
qu’ils ne le doivent ni aux perceptions des sens, ni aux efforts de l’imagination, ni aux actes matériels, soit paroles,
soit mouvements, ni à aucun autre moyen. C’est uniquement l’opération de l’âme,
qui, par suite d’une disposition innée, se dépouille de la nature humaine pour
se revêtir de celle des anges, et cela pendant un instant plus court qu’un clin
d’œil. Puisqu’il en est ainsi, et que cette disposition appartient réellement à
l’humanité, on doit admettre, en faisant une distinction rationnelle, qu’il
existe dans le monde une autre classe d’hommes dont le rang, comparé avec celui
des prophètes, est comme l’imperfection mise en regard de son opposé, la
perfection. En effet, ne pas employer des moyens pour atteindre la perception
(du monde spirituel) est tout à fait l’opposé de l’emploi de moyens pour y
parvenir. Entre ces deux cas il y a une grande différence. Donc, par la
distinction des êtres en catégories, nous apprenons que ce monde renferme une
classe d’hommes p.207 tellement
organisés par la nature [77],
que leur puissance intellectuelle se laisse agiter par la faculté de la pensée
et par un effet de la volonté, toutes les fois que cette puissance est excitée
par le désir de pénétrer dans le monde spirituel. Mais, comme elle est par sa
nature trop faible pour y parvenir, et que cette faiblesse est un obstacle à
son *182 progrès, elle s’attache, par une
impulsion naturelle, aux moyens secondaires, dont les uns appartiennent au
domaine des sens et les autres à celui de l’imagination. Parmi ces moyens nous
remarquons les corps diaphanes, les os d’animaux, les discours cadencés [78],
les augures fournis par les oiseaux ou par les quadrupèdes. Ici, la faculté
sensitive ou celle de l’imagination s’emploie avec persistance [79],
afin de dégager l’âme de la nature humaine. Pour atteindre ce but, l’âme prend
pour guides, soit les sens, soit l’imagination. La puissance qui, chez cette
classe d’hommes, mène au premier degré de la perception qu’ils cherchent à
obtenir, s’appelle divination. Or,
chez ces hommes, l’âme est placée, par sa nature, dans un degré d’infériorité
qui ne lui permet pas d’atteindre la perfection ; elle comprend moins
facilement les universaux que les particuliers ; aussi s’attache‑t‑elle [80]
à ceux‑ci plutôt qu’aux premiers. Pour cette raison, la puissance imaginative
existe chez elle dans toute sa force [81].
C’est l’instrument qui agit sur les (idées) particulières et les transperce de
part en part, soit pendant le sommeil, soit pendant la veille. Si (les
particuliers) se trouvent prêts et présents (dans l’âme), l’imagination en
reproduit les formes et sert de miroir dans lequel (l’âme) ne cesse de
regarder.
Le devin ne peut pas atteindre d’une manière complète à la perception
des choses intellectuelles, car la révélation qu’il reçoit vient des démons.
Pour arriver au plus haut degré d’inspiration dont il est p.208 capable, il doit avoir recours à l’emploi
de certaines phrases qui se distinguent par une cadence et un parallélisme
particuliers. Il essaye ce moyen afin de soustraire son âme aux influences des
sens et de lui donner assez de forces pour se mettre dans un contact imparfait
(avec le monde spirituel). Cette agitation (d’esprit), jointe à l’emploi des
moyens extrinsèques dont nous avons parlé, excite dans son cœur (des idées) que
cet organe exprime par le ministère de la langue. Les paroles qu’il prononce
alors sont tantôt vraies, tantôt fausses. En effet, le devin, voulant suppléer
à l’imperfection de son naturel, se sert de moyens tout à fait étrangers à sa
faculté perceptive et qui ne s’accordent en aucune façon avec elle. Donc la
vérité et l’erreur se présentent à lui en même temps ; aussi ne doit‑on
mettre aucune confiance en ses paroles. Quelquefois même il a recours à des suppositions
et à des conjectures dans l’espoir de rencontrer la vérité et *183 de tromper ceux qui l’interrogent.
C’est aux gens qui (pour s’exciter l’esprit) emploient des sedjâ [82]
qu’appartient spécialement le titre de devin,
car ils occupent le rang le plus élevé parmi les hommes de cette classe. Le
Prophète a dit, au sujet d’un chant de ce genre, « Voilà un sedjâ de devin » ; indiquant
ainsi, par la détermination du génitif, que l’emploi des sedjâ est particulier aux devins. Lorsqu’il interrogea Ibn
Saiyad [83]
afin de connaître la nature de l’inspiration qui venait à cet homme, il lui
dit : « Comment cela vous arrive‑t‑il ? » L’autre
répondit : « Il me vient un être véridique et un être menteur. »
— Alors, lui répliqua le Prophète, ce que vous recevez est bien
embrouillé ! » Par ces paroles il donnait à entendre que le
prophétisme avait la vérité pour caractère distinctif et que la fausseté ne
pouvait y entrer en aucune manière. En effet, le prophétisme consiste dans le
contact de l’esprit [84]
du prophète avec la Compagnie sublime, sans avoir eu un guide p.209 pour le conduire et sans avoir employé
aucun moyen extrinsèque. Or, puisque celui qui exerce la divination est obligé,
par son incapacité naturelle, à employer des moyens extrinsèques fournis par
l’imagination, et que ces moyens influent sur [85]
sa faculté perceptive et se mêlent [86]
même aux perceptions qu’il veut atteindre, il reçoit de ce côté‑là des
impressions tout à fait fausses. On ne saurait donc prendre cela pour du
prophétisme.
Nous avons dit que le degré le plus élevé de la divination s’atteint
par l’emploi de phrases cadencées, le plus actif de tous les moyens que la vue
et l’ouïe puissent fournir, moyen dont la simplicité indique la grande facilité
avec laquelle l’esprit peut se mettre en contact avec le monde spirituel, y
recueillir des perceptions et sortir, en quelque degré, de son impuissance
(naturelle).
On a prétendu que la faculté de la divination n’existe plus depuis la
mission du Prophète, ayant été interrompue, un peu auparavant, par l’effet des
étoiles filantes que les anges lancèrent contre les démons pour les empêcher
d’apprendre ce qui se passait dans le ciel [87],
ainsi qu’il en est fait mention dans le Coran (sourate XV, verset 18). Or (disent‑ils),
puisque les nouvelles du ciel ne peuvent arriver à la connaissance des devins
que par l’entremise des démons, la faculté de la divination a cessé depuis
cette époque. Ce raisonnement n’est *184 pas
concluant : les devins tiennent leurs connaissances, non seulement des
démons, mais d’eux‑mêmes, ainsi que nous l’avons dit. Nous ajouterons que ce
verset du Coran indique seulement qu’on empêcha les démons d’apprendre une
seule d’entre les nouvelles célestes, savoir, ce qui concernait la mission du
Prophète ; quant au reste, rien n’empêchait ces esprits de le recueillir.
D’ailleurs la faculté divinatoire, bien qu’elle ait été suspendue peu de temps
avant la mission, a pu reprendre ensuite la même activité qu’auparavant. Cela
est d’autant plus probable que tous les moyens d’acquérir des perceptions (du
monde spirituel) perdent leur force pendant la durée de p.210 chaque mission prophétique ; ils s’effacent alors de
même que les étoiles et les flambeaux perdent leur lumière en présence du
soleil. En effet le prophétisme est le grand luminaire devant lequel les autres
luminaires se cachent ou disparaissent.
Quelques philosophes ont enseigné, relativement à la faculté divinatoire,
qu’elle existait réellement avant la mission du Prophète et qu’elle cessa lors
de cet événement. Selon eux, le même fait s’était reproduit chaque fois qu’un
prophète avait paru dans le monde. La manifestation du prophétisme, disent‑ils,
doit être nécessairement précédée d’une position des astres [88]
qui amène cet événement. Chaque fois que la position est parfaite, la faculté
prophétique dont elle annonce la prochaine manifestation doit être parfaite.
Si, dans la position (des astres), il y a de l’imperfection, le même défaut
doit se retrouver dans la nature de la faculté qui résulte de cette position.
D’après ce que nous avons dit on reconnaît qu’il s’agit ici des devins. Or,
ajoutent‑ils, avant qu’une position parfaite ait lieu, une position imparfaite
doit se représenter, et cela a pour résultat l’apparition d’un ou de plusieurs
devins. La position parfaite amène un prophète qui est parfait. Si les
positions qui indiquent les faits de cette nature cessent d’avoir lieu, aucun
de ces résultats n’arrivera plus. Cela est basé sur le principe qu’une position
imparfaite (des astres) exerce une influence imparfaite ; mais c’est là
une théorie qui n’est pas généralement admise. Il est possible que la position
(parfaite des astres) n’exerce son influence que dans des cas
exceptionnels [89],
et que leur *185 position imparfaite
n’amène aucun résultat, n’exerce pas [90]
même une influence imparfaite, malgré ce que disent ces philosophes.
(J’ajoute, pour ma part, que) tous les devins contemporains d’un
prophète savaient bien que sa parole était la vérité ; ils comprenaient
la portée démonstrative de ses miracles, car ils participaient, p.211 dans un certain degré, à la nature
prophétique, de même que tous les hommes participent (à la faculté d’obtenir
des révélations) par la voie des songes. Mais, sous ce rapport, les perceptions
intellectuelles sont plus vives chez les devins. Quand ceux‑ci n’avouaient pas
que le prophète était véridique et qu’ils se laissaient entraîner [91]
à le démentir, ils ne faisaient qu’obéir aux suggestions de l’amour‑propre, qui
les portait à croire que cette faculté aurait dû leur appartenir. Ils tombaient
ainsi dans l’obstination, comme le fit Omaïya Ibn Abi ’s‑Salt, qui
espérait devenir prophète. Il en fut de même d’Ibn Saiyad, de Moceïlema [92],
et d’autres. Mais, lorsque le triomphe de la vraie foi eut mis un terme à ces
vains souhaits, les devins se rallièrent franchement à la religion. C’est ce
qui arriva à Toleïha ’l-Acedi [93]
et à Careb Ibn el‑Asoued [94].
La sincérité de leur conversion est attestée par la bravoure dont ils firent
preuve lors des premières conquêtes de l’islamisme.
Passons à la vision spirituelle [95].
C’est [96]
l’acte par lequel l’âme raisonnable aperçoit, dans son essence spirituelle, et
pour un seul instant de temps, les formes des événements. L’âme, étant
spirituelle par sa nature, doit contenir ces formes en acte, ainsi que cela a
lieu pour toutes les essences spirituelles. Pour atteindre la spiritualité,
l’âme doit se dépouiller de la matière et se dégager des perceptions
recueillies par le corps. Cela lui arrive pendant un court instant et par le
moyen du sommeil, ainsi que nous l’expliquerons plus loin. Ayant alors
recueilli les notions qu’elle recherchait relativement aux événements futurs,
l’âme rapporte ces connaissances dans p.212 le
domaine de la perception. Si ces notions sont faibles et peu claires, elle
tâche de les renforcer [97]
et de les retrouver en leur donnant une image et une ressemblance dans
l’imagination. Pour comprendre le sens de ces images on est obligé d’avoir
recours à l’interprétation. Quelquefois ces notions sont tellement vives que l’âme
n’a pas besoin de les figurer dans l’imagination. En ce cas, l’emploi de
l’interprétation *186 n’est pas
nécessaire, de telles perceptions n’ayant pas été affectées par l’imagination
ni altérées par une reproduction figurée. L’âme jouit de ce coup d’œil
passager, parce qu’elle est une essence spirituelle en acte qui se
perfectionne par l’influence et par les perceptions du corps. Cela continue
jusqu’à ce que son essence devienne intellect pur et que son existence acquière
la perfection en acte. Devenue alors une essence spirituelle, elle peut avoir
des perceptions sans l’instrumentalité du corps ; mais le rang qu’elle
obtient parmi les êtres spirituels est au‑dessous de celui des anges, habitants
de la sphère sublime, qui ne doivent la perfection de leur essence ni à des
perceptions corporelles, ni à autre chose. La disposition dont nous venons de
parler se trouve dans l’âme tant que celle‑ci est (renfermée) dans le
corps ; elle est de deux espèces, dont l’une est particulière aux favoris
de Dieu, et dont l’autre, plus générale, appartient à l’universalité des
hommes. C’est à celle‑ci que se rattache la vision spirituelle (littéral.
« les songes »).
Passons au genre de songes qui est particulier aux prophètes. Ces
personnages ont une disposition qui leur permet de se dépouiller de la nature
humaine afin d’atteindre à la pure nature angélique, qui est la plus
exaltée [98]
des natures spirituelles. (Cette disposition) se manifeste très souvent chez
eux pendant qu’ils sont encore dans l’état (d’extase qui provient) de la
révélation, et en rentrant [99]
dans le domaine des sensations corporelles. (Le prophète) recueille alors des
perceptions qui ressemblent, d’une manière frappante, à celles que p.213 l’on éprouve pendant le sommeil. Mais
l’état de sommeil est bien inférieur à celui dont nous parlons.
Ce fut à cause de cette ressemblance que le législateur (Mohammed)
disait : « Le songe est une des quarante‑six parties du
prophétisme » ; ou, selon une autre leçon, « quarante‑trois »,
ou, selon une autre, « soixante et dix ». Aucun de ces nombres n’est
employé dans cette tradition pour désigner une quantité déterminée ; ils
indiquent seulement que les degrés du prophétisme sont très nombreux. A
l’appui de cette opinion, on peut rappeler que, chez les Arabes du désert, le
terme soixante et dix a, parmi ses
acceptions, celle de beaucoup. Quelques‑uns
de ceux qui adoptent la leçon de quarante‑six
l’expliquent en disant que, dans les six premiers mois de la mission (de
Mohammed), c’est‑à‑dire pendant la moitié d’une année, la révélation *187 ne lui arrivait qu’en songe, et que la
durée entière de sa mission prophétique, tant à la Mecque qu’à Médine, était
de vingt‑trois ans ; or, la moitié d’une année fait la quarante‑sixième
partie de vingt‑trois ans. Cette explication est tirée de trop loin pour
mériter un examen ; elle est vraie en ce qui concerne notre
Prophète ; mais comment a-t‑on pu savoir que la mission des autres
prophètes a eu cette même durée ? Puis elle indique bien le rapport qui
existe entre les deux périodes de temps : celle de la vision spirituelle
dont le Prophète avait joui et celle de son prophétisme ; mais elle ne
nous fait pas connaître la valeur relative de la vision spirituelle et du
prophétisme.
Si le lecteur a bien compris la portée des observations que nous lui
avons présentées, il saura que cette fraction (numérique) indique le rapport
qui existe entre la disposition primitive et commune à tous les hommes, et la
disposition moins fréquente qui est spéciale à la classe des prophètes et qu’ils
tiennent de leur nature. La disposition la plus faible est commune, disons‑nous,
à tous les hommes, mais elle rencontre un grand nombre d’obstacles qui
l’empêchent d’agir. Ce qui l’entrave le plus ce sont les sens extérieurs ;
aussi le Créateur a‑t‑il donné à l’homme une faculté naturelle, le sommeil, au
moyen de laquelle le voile des sens est écarté. Alors l’âme peut p.214 atteindre aux connaissances qu’elle désire
recueillir dans le monde de la vérité ; de temps en temps elle peut y
jeter un coup d’œil rapide et trouver ce qu’elle cherche. Voilà pourquoi le
législateur a rangé [100]
les songes parmi les pronostics. « En fait de prophétisme, disait‑il, rien
n’était resté excepté les pronostics. » On lui demanda ce qu’il entendait
par ce dernier mot, et il répondit : « C’est la vision sainte ;
l’homme saint la voit, ou bien, elle se fait voir à lui. »
Je vais maintenant expliquer comment le voile des sens est écarté par
le moyen du sommeil. L’âme raisonnable ne peut comprendre ni agir que par
l’intermédiaire de l’esprit vital [101]
du corps, vapeur légère *188 qui a pour
siège le ventricule gauche du cœur. C’est ce que nous lisons dans les traités
d’anatomie composés par Galien et autres médecins. Cette vapeur, étant renvoyée
avec le sang dans les veines et les artères, produit la sensation, le mouvement
et les autres fonctions du corps. Sa partie la plus déliée s’élève jusqu’au
cerveau, dont elle tempère la nature froide et dont elle anime les facultés
intérieures, de sorte qu’elles puissent exercer toute leur action. L’âme
raisonnable ne saurait percevoir ni agir sans l’aide de cet esprit vital,
auquel, du reste, elle est intimement attachée. Cette liaison étroite est un
résultat du principe qui a réglé la formation des êtres, savoir :
« le délié ne fait pas impression sur l’épais. » Or, puisque cet
esprit vital est la plus déliée des matières qui entrent dans la composition du
corps, elle est sujette aux impressions de l’essence qui diffère d’elle par
l’absence de corporéité ; ce qui veut dire que l’âme raisonnable opère sur
le corps par l’intermédiaire de cet esprit. Nous avons déjà fait observer que,
dans l’âme, la perception se fait de deux manières : par les moyens
externes, c’est‑à-dire les cinq sens, et par les moyens internes, qui sont les
facultés du cerveau. Ces deux genres de perceptions préoccupent l’âme et
l’empêchent d’apercevoir les essences spirituelles qui se trouvent dans p.215 la sphère supérieure ; elle a
cependant reçu de la nature la disposition nécessaire pour y parvenir. Les
sens externes, étant de leur nature corporels, sont susceptibles de faiblesse
et de relâchement, conséquences de la fatigue et de la lassitude ; si on
les tient en action trop longtemps, ils finissent par offusquer l’esprit. Dieu
a donc créé dans les sens le besoin de repos, afin que leur opération
perceptive puisse recommencer avec toute son activité. Cela se fait par un mouvement
de l’esprit vital, qui se détourne des [102]
sens extérieurs pour rentrer dans le sens interne. Le refroidissement du corps
pendant la nuit contribue à ce changement ; la chaleur naturelle quitte
alors l’extérieur du corps pour se porter dans les profondeurs de l’intérieur,
*189 et la chose à laquelle elle sert
de véhicule, c’est‑à‑dire, l’esprit vital, s’y transporte aussi. Voilà
pourquoi le sommeil, chez les hommes, a [103]
presque toujours lieu pendant la nuit. L’esprit, s’étant dégagé des sens
extérieurs, rentre auprès des facultés internes ; l’âme, débarrassée des
préoccupations et des obstacles que lui suscitent les sens, revient aux images conservées
dans la mémoire, les combine, les décompose, et leur donne (d’autres) formes
offertes par l’imagination. Ce sont presque toujours des formes habituelles,
vu que (l’âme) ne s’était détachée de ses perceptions accoutumées que depuis
peu de temps. Elle fait descendre ces formes (ou idées) jusqu’au sens interne,
faculté qui rassemble les perceptions recueillies par les cinq sens, et qui
reçoit ce nouveau dépôt comme s’il lui était arrivé par la voie des sens.
Quelquefois l’âme se tourne, pendant un seul instant, vers son essence
spirituelle, et cela malgré la résistance que lui opposent les facultés
internes. Elle parvient alors, par son organisation naturelle, à saisir des
perceptions au moyen de sa spiritualité. Ayant recueilli quelques‑unes des
formes (idées) qui s’étaient attachées à p.216
son essence, elle les transmet à l’imagination, qui les reproduit telles
qu’elles sont, ou qui les imite (au moyen d’emblèmes) façonnés dans les moules
qu’elle a l’habitude d’employer. Les formes produites par l’imitation ne
sauraient être comprises sans le secours de l’interprétation. (D’un autre
côté) l’acte de l’âme qui s’occupe à combiner et à décomposer les formes
conservées dans la mémoire, avant d’avoir recueilli des perceptions par un coup
d’œil rapide (jeté sur son essence spirituelle), cet acte produit ce que l’on
désigne par les mots songes confus [104].
Nous lisons dans le Sahîh que
le Prophète a dit : « Il y a trois espèces de
visions : l’une vient de Dieu, l’autre vient de l’ange, et la troisième de
Satan. » Cette classification s’accorde avec les observations que nous
venons de présenter. La vision claire est de Dieu ; *190 celle dont l’imagination imite la forme et qui a besoin
d’interprétation vient de l’ange ; les songes confus sont l’œuvre de
Satan, puisqu’ils sont tout à fait faux et que Satan est la source de la
fausseté. Ces observations suffiront à faire connaître la véritable nature de
la vision spirituelle.
La faculté qui produit et amène des visions pendant le sommeil, étant
une des qualités particulières à l’âme humaine, existe dans tous les hommes,
sans exception ; il n’y en a pas un seul qui n’ait souvent vu en songe des
choses dont il a pu reconnaître la vérité après son réveil. On acquiert ainsi,
d’une manière certaine et positive, la conviction que l’âme peut atteindre au
monde invisible pendant que l’homme dort. Or, puisque cela arrive dans l’état
de sommeil, rien n’empêche que la même chose n’ait lieu dans d’autres
états ; car, bien que la faculté perceptive soit unique, ses qualités
s’appliquent à tous les états (de l’âme). C’est
Dieu qui dirige vers la vérité !
Il est rare que les hommes entrent dans cet état par suite de leur
volonté et par la puissance innée dont ils sont doués. Cela n’a lieu que pour
l’âme qui, se trouvant à portée d’apercevoir une chose, en obtient pendant le
sommeil une vue instantanée, sans l’avoir p.217
recherchée. Dans le Kitab el-Ghaïa [105] et d’autres livres composés par des gens
qui s’adonnaient aux exercices spirituels [106],
on trouve certains noms qui, étant prononcés par un homme au moment de
s’endormir, amènent une vision par laquelle il apprend ce qu’il désirait
savoir. Les adeptes appellent ce charme halouma [107].
Maslema [108]
indique un de ces charmes dans le Kitab
el‑Ghaïa et le nomme le halouma de la
nature parfaite. Lorsqu’on est sur le point de s’endormir, après avoir
terminé ses réflexions secrètes et donné à son esprit une direction
convenable, on prononce ces paroles barbares : Temaghis bâdan yeswaad ouaghdas noufena ghadis ; puis on énonce ce qu’on désire savoir. Le sommeil étant survenu, le
voile disparaît *191 et laisse
apercevoir ce secret. On raconte qu’un homme employa ce moyen après avoir
macéré son corps par un jeûne de plusieurs p.218
jours [109],
et qu’une personne lui apparut et lui dit : « Je suis ta nature
parfaite. » Ayant interrogé ce fantôme, il obtint les renseignements qu’il
cherchait. Moi-même, j’ai employé ces mots, et un spectacle étonnant me fit
connaître certaines choses que je désirais savoir et qui m’intéressaient
personnellement. Mais tout cela ne prouve pas qu’on puisse avoir une vision à
volonté ; ces charmes ne font que disposer l’âme à la vision spirituelle.
Si la disposition est bien prononcée, on peut atteindre la connaissance qu’on
cherche ; mais on a beau travailler à fortifier cette disposition, jamais
on ne pourra être assuré d’obtenir le résultat pour lequel on s’est donné cette
peine. Le pouvoir de se disposer à recevoir une chose est tout autre que le
pouvoir d’obtenir cette chose. Que le lecteur sache cela ; qu’il tâche
de le bien comprendre, ainsi que les (autres principes) semblables qu’il
rencontrera. Dieu est l’être sage qui
sait tout !
Dans l’espèce humaine se trouvent des personnes qui annoncent les
événements futurs. Cette faculté, qu’elles tiennent de leur nature
particulière, sert à les distinguer des autres hommes. Pour arriver à
l’exercice de leur talent, elles n’ont besoin d’employer ni des secours
artificiels, ni l’influence des astres, ni aucun autre moyen. Nous avons
reconnu que leur puissance perceptive dépend entièrement d’une certaine
aptitude qui leur est innée : Il en est de même à l’égard des sachants [110]
et de ceux qui regardent dans les corps réfléchissants (litt. diaphanes), tels
que les miroirs et les cuvettes remplies d’eau. On peut ranger aussi dans cette
catégorie les aruspices, gens qui
inspectent les cœurs, les foies et les os des animaux ; les augures, qui observent les signes
fournis par les oiseaux et les bêtes sauvages ; les jeteurs, gens qui, pour deviner, jettent par terre
des cailloux, des grains de blé ou des noyaux. Il est incontestable que
ces facultés existent parmi les hommes ; personne ne saurait le nier.
Ajoutons à *192 cette liste les possédés,
gens dont la bouche prononce des paroles qu’un être du monde invisible y a
mises et qui servent de p.219 renseignements.
Nous pouvons mentionner encore les personnes qui, étant sur le point de
s’endormir ou de mourir, parlent des choses appartenant au monde
invisible ; citons aussi les soufis, hommes qui se livrent aux exercices
spirituels. On sait qu’ils obtiennent, comme une marque de la faveur divine, la
faculté de recueillir des perceptions dans le monde invisible.
Maintenant nous allons traiter des diverses manières dont on obtient
ces perceptions ; nous commencerons par la divination, puis nous
discuterons successivement toutes les autres. Mais, avant d’aborder ce sujet,
nous aurons à présenter quelques observations qui montreront comment l’âme,
dans chaque classe des personnes dont nous venons de faire mention, acquiert la
disposition qui lui permet de recueillir des perceptions dans le monde
invisible.
L’âme, avons‑nous dit, est une essence spirituelle qui existe en
puissance, ce qui la distingue du reste des êtres spirituels. Elle passe de la
puissance à l’acte par l’opération du corps et des diverses circonstances dont
il peut être affecté : c’est là un fait que tout le monde peut
reconnaître. Or ce qui existe en puissance se compose de matière et de forme.
La forme qui rend complète l’existence de l’âme consiste en perceptivité et en
intellect. L’âme existe d’abord en puissance, avec une disposition qui lui
facilite la perception et qui lui permet de recevoir les formes tant
universelles que particulières. Ensuite sa croissance et son existence en acte
se perfectionnent par la coopération du corps, qui l’accoutume à recevoir les
perceptions obtenues par les sens. L’âme ne discontinue pas d’apercevoir et
d’acquérir des notions générales, et, comme les formes [111]
qu’elle recueille s’intellectualisent les unes après les autres, elle acquiert
elle‑même une forme [112]
en acte qui se compose de perception et d’intellect. Pendant que son essence
se perfectionne ainsi, elle reste comme une matière à laquelle la perception
fournit successivement diverses formes. Voilà pourquoi les enfants du premier
âge sont incapables d’exercer p.220 *193 la
faculté perceptive, qui leur est cependant innée ; ils ne peuvent s’en
servir ni dans l’état de sommeil, ni dans le moment où une révélation pourrait
leur arriver, ni dans aucune autre circonstance. En effet [113],
la forme de l’âme, ni son essence réelle, qui se compose de perception et
d’intellect, ne sont pas complètes à cet âge : elle ne peut pas [114]
s’approprier des universaux. Plus tard, lorsque son essence est devenue
parfaite en acte, l’âme, tant qu’elle reste dans le corps, a deux manières
d’apercevoir : l’une, se faisant par l’instrumentalité du corps, qui lui
transmet des perceptions corporelles ; l’autre, au moyen de sa propre
essence. L’âme se trouve exclue de ce (dernier genre de perception) tant
qu’elle reste engagée dans le corps et préoccupée par les distractions que les
sens lui offrent. Ceux‑ci attirent l’âme sans cesse vers le monde extérieur,
parce qu’elle est prédisposée, par sa nature, à s’occuper des perceptions
corporelles. Quelquefois cependant elle se détourne de l’extérieur afin de se
plonger dans l’intérieur, et alors le voile du corps est enlevé pendant un seul
instant de temps. Cela arrive, soit au moyen d’une faculté commune à tous les
hommes, telle, par exemple, que le sommeil, ou bien d’une faculté spéciale à
certains individus, telle que le talent de la divination et celui de
pronostiquer par le jet de cailloux, ou bien encore par l’habitude des
exercices spirituels, pareils à ceux qui procurent aux soufis des révélations.
Dégagée alors des influences extrinsèques, l’âme se tourne vers les essences
qui sont au‑dessus d’elle et qui font partie de la Compagnie sublime ; car
sa sphère est réellement en contact avec la leur, ainsi que nous l’avons déjà
indiqué. Ces essences sont spirituelles, étant de la perception pure, et des
intelligences en acte. Dans elles se trouvent les formes des êtres avec leur
véritable p.221 nature, ainsi que nous l’avons
dit. Quelques‑unes de ces formes [115]
s’y montrent d’une matière assez claire pour que l’âme puisse en prendre
connaissance. Elle les transmet alors à l’imagination, afin que cette faculté
les façonne [116]
dans les moules qu’elle a l’habitude d’employer. Les reprenant ensuite
dépouillées de tout mélange extrinsèque, ou bien renfermées dans leurs moules,
l’âme les rapporte dans le domaine des sens, puis elle les fait connaître.
Voilà en quoi consiste la disposition qui porte l’âme à recueillir des
perceptions dans le monde invisible.
Reprenons le sujet qui nous occupait, c’est‑à‑dire les divers genres *194 de divination.
Ceux qui regardent dans les corps diaphanes, tels que les miroirs, les
cuvettes remplies d’eau et les liquides ; ceux qui inspectent les cœurs,
les foies et les os des animaux ; ceux qui prédisent par le jet de
cailloux ou de noyaux, tous ces gens‑là appartiennent à la catégorie des
devins ; mais, à cause de l’imperfection radicale de leur nature, ils y
occupent un grade inférieur. Pour écarter le voile des sens, le vrai devin
n’emploie pas de grands efforts ; quant aux autres, ils tâchent d’arriver
au but en essayant de concentrer en un seul sens toutes leurs perceptions.
Comme la vue est le sens le plus noble, ils lui donnent la préférence ;
fixant leurs regards sur un objet à superficie unie, ils le considèrent avec
attention jusqu’à ce qu’ils y aperçoivent la chose qu’ils veulent annoncer.
Quelques personnes croient que l’image aperçue de cette manière se dessine sur
la surface du miroir ; mais ils se trompent. Le devin regarde fixement
cette surface jusqu’à ce qu’elle disparaisse et qu’un rideau, semblable à un
brouillard, s’interpose entre lui et le miroir. Sur ce rideau se dessinent les
formes qu’il désire apercevoir, et cela lui permet de donner des indications,
soit affirmatives, soit négatives, sur ce qu’on désire savoir. Il raconte alors
les perceptions telles qu’il les reçoit. Les devins, pendant qu’ils sont dans
cet état, n’aperçoivent pas ce qui se voit p.222
réellement (dans le miroir) ; c’est un autre mode de perception qui
naît chez eux et qui s’opère, non pas au moyen de la vue, mais de l’âme. Il est
vrai que, pour eux, les perceptions de l’âme ressemblent à celles des
sens [117]
au point de les tromper ; fait qui, du reste, est bien connu. La même
chose arrive à ceux qui examinent les cœurs et les foies d’animaux [ [118]
ou qui regardent dans l’eau, dans les cuvettes ou dans d’autres objets du même
genre.] Nous avons vu quelques‑uns de ces individus entraver l’opération des
sens par l’emploi de simples fumigations ;
*195 puis se servir d’incantations afin de donner à l’âme la disposition
requise ; ensuite ils racontent ce qu’ils ont aperçu. Ces formes, disent‑ils,
se montrent dans l’air et représentent des personnages ; elles leur
apprennent, au moyen d’emblèmes et de signes, les choses qu’ils cherchent à
savoir. Les individus de cette classe se détachent moins de l’influence des
sens que ceux de la classe précédente. L’univers est plein de merveilles.
On appelle zedjr (augure)
les prédictions que font certains hommes qui, après avoir vu un oiseau ou un
quadrupède passer à leur gauche ou à leur droite, méditent là‑dessus et
annoncent ensuite des événements futurs. Cette faculté existe dans l’âme et
porte à faire des réflexions et des conjectures au sujet des indications
fournies par la vue ou par l’ouïe. Comme son influence tient à l’imagination et
qu’elle est très forte, ainsi que nous l’avons déjà fait observer, l’augure excite
(l’imagination) et la pousse à l’investigation, en employant le secours de ce
qu’il a vu ou entendu ; il arrive ainsi à un certain résultat [119],
ainsi que cela a lieu par l’action de la puissance imaginative pendant le
sommeil et l’assoupissement des sens. Dans cet état, (l’imagination) rassemble
les perceptions obtenues par la vue dans l’état de veille, et les unit à celles
qu’elle a reçues de l’intelligence ; de là résulte la vision spirituelle.
Chez les insensés, l’âme raisonnable est à peine dans la dépendance du
corps ; ce qui résulte, en général, de l’imperfection de leur p.223 tempérament et de la faiblesse de leurs
esprits animaux. Distraite par cette imperfection et par la maladie dont elle
souffre, l’âme ne se laisse pas submerger dans les sens ni s’y absorber.
Quelquefois un autre esprit, de nature satanique, force l’âme à se remettre en
rapport avec le corps, et elle, trop faible pour lui résister, montre des
indices de folie. Quand cela lui arrive, soit que l’imperfection de son
tempérament opère sur l’infirmité du corps, soit que les esprits sataniques
l’obsèdent pendant qu’elle est dans la dépendance du corps, *196 elle se dérobe tout à fait à l’influence des
sens et jette un coup d’œil momentané sur son propre microcosme. Ayant alors
reçu l’empreinte de quelques formes, elle les livre à l’opération plastique de
l’imagination. Pendant qu’elle reste dans cet état, l’imagination parle au
moyen de la langue de l’insensé, sans que celui-ci ait la volonté d’articuler
une parole. Les perceptions recueillies par les hommes de toutes ces classes
offrent un mélange de vérité et d’illusion ; quand même ils se
déroberaient à l’influence des sens, ils ne pourraient pas se mettre tout à
fait en contact avec le monde spirituel, à moins d’employer le secours des
formes extrinsèques, procédé nécessaire, ainsi que nous l’avons déjà
établi ; aussi leurs perceptions apportent avec elles un mélange de
fausseté.
Les sachants cherchent à obtenir des
perceptions spirituelles sans avoir le moyen de mettre leur âme en contact avec
le monde invisible. Soumettant à la faculté réfléchissante la chose qu’ils
cherchent à connaître, ils ont recours à des suppositions et à des conjectures,
en partant de l’opinion qu’ils ont atteint à un commencement de contact [120]
et de perception (spirituelle). Ils prétendent obtenir ainsi la connaissance du
monde invisible, mais ils n’en apprennent absolument rien.
Voilà l’indication sommaire des faits qui se rattachent à ce sujet.
El-Masoudi en a parlé dans son Moroudj ed‑Deheb ;
mais, en traitant ces matières, il est bien loin d’avoir rencontré
juste. On voit, à la p.224 manière dont il
s’exprime, qu’étant peu versé dans ce genre de connaissances il rapporte
indifféremment ce qu’il en a entendu dire aux gens capables et aux ignorants.
Ces diverses manières d’obtenir des perceptions du monde spirituel
ont toujours existé pour l’espèce humaine. Les anciens Arabes avaient recours aux
devins toutes les fois qu’ils voulaient connaître les événements futurs ;
quand ils avaient des contestations, ils s’adressaient à un devin, et celui-ci
leur faisait connaître le bon droit à la suite des perceptions qu’il
recueillait dans le monde invisible. Les ouvrages consacrés aux belles‑lettres
nous offrent plusieurs faits de ce genre. Dans les temps de l’ignorance (avant
la mission de Mohammed), deux individus s’étaient illustrés par leurs talents
comme devins : l’un se nommait Chicc et l’autre Satîh ;
le premier appartenait à la tribu d’Anmar Ibn Nizar, et le second à celle de
Mazen Ibn Ghassan. Le corps de Satîh pouvait se plier comme on plie un drap, *197 car il ne renfermait aucun os, à l’exception
du crâne [121].
Parmi les histoires que l’on raconte à leur sujet, on remarque surtout celle
de la manière dont ils expliquèrent le songe de Rebîah Ibn Nasr [122],
à qui ils annoncèrent que le Yémen, après avoir été conquis par les Abyssins,
passerait sous la domination du peuple arabe descendu de Moder. Ils prédirent
aussi l’apparition de Mohammed chez les Coreïch en qualité de prophète.
Indiquons encore le songe du Moubedan [123],
qui fut expliqué par Satîh. Kisra (Cosroës) avait chargé Abd el‑Masîh d’aller
raconter sa vision à Satîh, et celui-ci annonça la venue du Prophète et la
chute de l’empire persan.
Les anciens Arabes avaient aussi parmi eux un grand nombre de sachants (arraf) ; ils en ont même fait
mention dans leurs vers. Un de leurs poètes a dit :p.225
Je disais au sachant du
Yémama : Guéris‑moi ; si tu le fais, tu es un véritable médecin.
Un autre s’exprime en ces termes :
J’avais proposé au sachant du
Yémama et à celui du Nedjd la tâche de ma guérison.
Ils me répondirent : Que Dieu te guérisse !
Par Dieu ! nous n’avons aucun pouvoir sur ce qui est renfermé entre tes
côtes.
Le sachant du Yémama se
nommait Rebah Ibn Adjla, et celui du
Nedjd, El‑Ablac el‑Acedi.
On peut ranger dans la classe des perceptions spirituelles certaines
paroles qui échappent à l’homme au moment de s’endormir et qui ont rapport aux
choses qu’il désirait connaître. Par ces paroles il apprend, d’une manière
satisfaisante, le secret qu’il cherchait. Ce phénomène n’a lieu qu’au moment où
l’on quitte l’état de veille pour entrer dans celui du sommeil, alors que la
volonté a cessé d’agir sur la faculté de la parole. En ce moment, l’homme parle
comme par une impulsion innée et, tout au plus, parvient‑il à entendre et à
comprendre ce qu’il vient de prononcer. Des paroles semblables échappent
quelquefois aux hommes lorsqu’on leur tranche la tête, ou qu’on leur coupe le
corps en deux. Nous avons entendu *198 raconter que certains tyrans faisaient
tirer de leurs prisons et mettre à mort les gens qu’ils y tenaient enfermés,
voulant savoir, par les dernières paroles de leurs victimes, quelle serait leur
propre destinée. Les réponses qu’ils obtinrent les remplirent d’épouvante. Maslema
raconte un procédé de ce genre dans son ouvrage le Ghaïa [124].
On place, dit‑il, un homme dans une jarre remplie d’huile de sésame ; on
l’y tient quarante jours, et, pendant ce temps, on le nourrit de figues et de
noix. Au bout de ce temps, toute la chair du corps a disparu et rien ne reste
intact, excepté les veines et les sutures du crâne. On le retire alors de
l’huile, et, pendant qu’il se dessèche par l’action de l’air, il répond à
toutes les questions qu’on lui adresse, et il indique les résultats que doivent
avoir les affaires, soit p.226 particulières,
soit générales. C’est là une des opérations exécrables que se permettent les
magiciens [125],
et nous ne l’avons citée que pour montrer combien le microcosme humain est
plein de merveilles.
Il y a des hommes qui se livrent aux exercices spirituels dans l’espoir
d’atteindre à la perception du monde invisible, et qui tâchent de se procurer
une mort factice en s’efforçant d’anéantir toutes les facultés du corps, et de
faire ensuite disparaître de l’âme les traces des souillures que ces facultés y
avaient laissées. Mais cela ne peut s’effectuer que par la concentration de la
pensée et par des jeûnes prolongés. On sait, d’une manière positive, qu’au
moment de la mort les sensations du corps disparaissent ainsi que le voile
qu’elles tendaient devant l’âme. Celle‑ci prend alors connaissance de sa
propre essence et du monde dont elle fait réellement partie [126].
Ces hommes croient que, par des mérites acquis, ils peuvent arriver, pendant
qu’ils sont en vie, à un résultat semblable à celui qui a lieu après la mort,
c’est‑à‑dire à mettre leur âme en état de connaître les choses du monde
invisible.
On peut ranger dans cette classe les hommes qui se livrent à des
exercices magiques afin d’obtenir la faculté de voir les choses cachées et de
faire planer leur âme dans les divers mondes des êtres [127].
Ces gens‑là se trouvent ordinairement dans les climats les plus rapprochés du
nord et du midi. On les rencontre surtout dans
*199 l’Inde, où ils portent le nom de djoguis. Ils ont beaucoup
de livres qui traitent de la manière dont ces exercices doivent se faire. On
raconte au sujet des djoguis des histoires surprenantes.
Les exercices des soufis sont purement religieux et se font sans aucune
des mauvaises intentions que nous venons d’indiquer. Ils ont pour but de porter
l’âme au recueillement et d’en tourner toutes les pensées vers Dieu, afin
qu’elle puisse goûter les saveurs de la p.227
connaissance (divine) et de l’identification avec la divinité. Outre le
recueillement et le jeûne, ils emploient, dans leurs exercices, la méditation,
afin de donner à leur esprit la direction convenable. En effet, l’âme,
développée par la méditation, se rapproche de la connaissance de Dieu ;
l’âme étrangère à la méditation est d’une nature satanique. Ce n’est pas à la
suite d’un dessein préconçu, mais par un cas fortuit que les soufis parviennent
à la connaissance du monde invisible et obtiennent la faculté d’y laisser
vaguer leur âme. Ceux qui recherchent ces faveurs avec préméditation donnent à
leur âme une direction qui n’est pas celle de Dieu. Chercher avec intention la
faculté de vaguer dans le monde invisible et de le contempler est une faute
énorme, un véritable acte de polythéisme. A ce sujet un mystique a dit :
« Celui qui recherche la connaissance à cause de la connaissance se
déclare pour celle‑ci [128]. »
Les vrais soufis désirent uniquement se diriger vers l’Être adorable, et tout ce
qu’ils peuvent éprouver, pendant qu’ils se trouvent dans cet état, arrive
fortuitement et sans aucune préméditation de leur part. Ils tâchent, en
général, d’éviter ces (marques de la faveur divine) et ils en détournent leur
attention ; car ils recherchent Dieu pour lui-même, et sans aucun autre
motif. On sait cependant que ces (faveurs) leur arrivent. Les soufis donnent
les noms de feraça (physiognomie) et
de kechf (dévoilement) aux
connaissances du monde invisible et aux discours (célestes) qui viennent
frapper leur esprit ; ils appellent kérama (faveur) la faculté de
vaguer (par le monde spirituel). Dans tout cela il n’y a rien de répréhensible,
bien que le maître Abou Ishac el‑Isféraïni [129]
y ait trouvé *200 à redire, ainsi que Abou
Mohamed Ibn Abi Zeïd [130]
le Malékite, et d’autres docteurs ; ils voulaient empêcher que certaines
marques de p.228 la faveur divine fussent
confondues avec des miracles [131].
Il est cependant facile d’éviter toute méprise, si l’on applique le principe
admis par les théologiens dogmatiques, d’après lequel tout miracle est
accompagné d’une annonce préalable (tahaddi), tandis que les autres signes (de la
divine faveur) ne le sont pas.
On lit dans le Sahîh que le
Prophète dit à ses compagnons : « Il y a parmi vous des inspirés [132]
et Omar est de ce nombre. » On sait que les compagnons eurent souvent
l’occasion de reconnaître la vérité de cette parole. Citons, comme exemple,
l’exclamation d’Omar : « O Sarïa ! à la colline ! »
Lors des premières conquêtes de l’islamisme, Sarïa, fils de Zoneïm, commandait,
en Irac, un corps de troupes musulmanes. Dans une bataille qui s’engagea entre
lui et les infidèles, il songeait à ordonner la retraite, et auprès de sa
position était une colline où il pouvait se réfugier. Omar, qui était alors à
Médine et qui prêchait en ce moment dans la mosquée, vit, par intuition [133],
ce qui se passait et s’écria : « O Sarïa ! à la colline [134]
! » Sarïa entendit cet ordre dans le lieu même où il se trouvait, et il
aperçut auprès de lui une personne ayant la figure d’Oman. L’anecdote est, du
reste, bien connue [135].
On raconte du khalife Abou Bekr un trait semblable. (Étant sur son lit de mort)
il adressa des conseils à sa fille Aïcha, au sujet de quelques charges de
dattes dont il voulait lui faire cadeau et qui se trouvaient dans son jardin.
Il lui recommanda ensuite de faire la cueillette [136]
de ces fruits sans retard, pour les empêcher de devenir la propriété des
héritiers. Dans le cours de l’entretien, il fit cette remarque :
« Les héritiers, ce sont ton frère et tes deux sœurs. — Comment
cela ? lui dit Aïcha ; j’ai là ma sœur Asma ; mais qui est
l’autre ? » Il lui répondit : « L’enfant qui est dans le
sein de (ma femme) Bint Kharedja est une fille ; je vois cela d’ici [137]. »
En effet, c’était une fille. Cette anecdote se trouve dans le Mowatta [138], au chapitre intitulé Des donations illégales [139].
Les compagnons, les hommes saints qui vinrent après eux, et les
personnes qui les ont pris pour modèles, se sont distingués par plusieurs
traits de ce genre. Les soufis, il est vrai, disent que cette *201 faculté (intuitive) se présente très
rarement pendant la durée d’une mission prophétique, puisque les aspirants de
leur ordre ne peuvent pas se conserver dans leur état (d’exaltation) tant
qu’ils se trouvent auprès (du tombeau) du Prophète. Ils vont jusqu’à dire que
l’aspirant, aussitôt arrivé à Médine, la ville du Prophète, perd le degré de
spiritualisme qu’il avait atteint et ne le retrouve qu’après être sorti de là. Puisse le Très‑Haut nous diriger par sa
grâce et nous conduire jusqu’à la vérité !
A côté des aspirants au grade de soufi on peut ranger les idiots, gens
dont l’esprit est troublé et qui ressemblent plutôt à des possédés qu’à des
êtres raisonnables. Malgré leur infirmité, ils arrivent quelquefois aux mêmes stations (d’extase) que les ouélis (ou favoris de Dieu),
et aux mêmes états (d’exaltation
spirituelle) que les hommes les plus saints [140].
Cela est évident pour tout individu capable de les comprendre ; c’est‑à‑dire,
pour quiconque a goûté (des jouissances spirituelles) ; et cependant aucun
devoir (religieux) ne leur est imposé. Lorsqu’ils parlent du monde invisible,
ils racontent quelquefois des p.230 choses
surprenantes, parce qu’aucune considération ne les retient. Aussi peuvent‑ils
donner carrière à leur langue et fournir des renseignements merveilleux.
Quelques légistes ont refusé d’admettre que les idiots puissent
atteindre à aucun état (extatique),
parce qu’à leur égard, disent‑ils, le devoir a cessé d’être une obligation, et
la faveur de Dieu ne peut s’acquérir que par la pratique de la dévotion. Cette
opinion est certainement erronée, puisque la faculté dont il s’agit est une de ces grâces que Dieu accorde à
qui il veut (Coran, sour. V, vers. 59), et, pour obtenir sa faveur, l’emploi de
la dévotion ou de tout autre moyen n’est pas nécessaire. En effet, l’âme
humaine est impérissable, et Dieu peut donner à tout homme des marques
spéciales de sa bonté. Chez les idiots l’âme intelligente n’a pas cessé
d’exister ; elle n’a pas subi d’altération fâcheuse comme cela est arrivé
aux insensés ; rien ne leur manque excepté la raison [141],
seule faculté par laquelle l’homme est soumis aux obligations du devoir. La
raison, qualité distinctive de l’âme, se compose de connaissances dont l’homme
ne saurait se passer et qui le mettent en état d’avoir des vues justes,
d’apprendre les moyens d’assurer son existence et de se faire une position
convenable dans le monde. Nous sommes donc porté à croire que l’homme capable
de penser à ses moyens d’existence n’a aucun prétexte pour se soustraire aux
obligations de la religion, s’il veut obtenir un bon accueil dans l’autre vie.
La personne à qui cette qualité manque n’est pas, pour cela, dépourvue d’âme ni
privée de *202 la conscience de son
individualité ; pour elle, l’individualité existe, mais elle ne possède
pas la raison, faculté qui impose des devoirs et qui consiste en la
connaissance des moyens qu’il faut employer pour subsister. Ce que nous venons
d’exposer n’offre rien d’absurde, car Dieu, lorsqu’il choisit un de ses
serviteurs afin de lui communiquer la connaissance (la félicité parfaite), ne
tient aucun compte de la manière dont cet homme a rempli ses devoirs.
p.231 Ayant établi ce principe, je dois
avertir le lecteur qu’on est exposé à confondre les idiots avec les insensés,
gens dont l’âme raisonnable s’est gâtée et qui sont devenus semblables à des
animaux brutes. Il y a cependant quelques signes à l’aide desquels on peut les
distinguer. D’abord, on trouve chez les idiots un penchant invariable vers la
méditation et la dévotion, bien qu’ils ne s’y livrent pas de la manière
prescrite par la loi ; ce qui provient, avons‑nous dit, de la circonstance
que, pour eux, il n’y point d’obligations. Chez les insensés, au contraire,
nous ne trouvons aucun indice de ce penchant. En second lieu, les idiots sont
fous par leur constitution naturelle et depuis l’époque de leur naissance,
tandis que chez les insensés la folie est survenue plus tard et à la suite
d’accidents naturels qui ont affecté le corps. Quand cela leur arrive, une
altération fâcheuse se produit dans leur âme raisonnable et ils agissent sans
but et sans suite. En troisième lieu, les idiots fréquentent les hommes et leur
sont tantôt utiles, tantôt nuisibles ; ils n’en attendent pas la permission,
parce qu’aucun devoir ne leur est imposé ; les insensés, au contraire,
n’aiment pas la société des hommes. Le sujet que nous venons de traiter
conduit à un autre dont nous allons parler. Dieu
est celui qui dirige vers la vérité.
Quelques personnes prétendent qu’il existe ici-bas des moyens à l’aide
desquels l’âme peut obtenir des perceptions du monde spirituel, bien qu’elle
ne soit pas détachée de l’influence des sens. Tels sont les astrologues. Ils
déclarent que les étoiles fournissent des indications ; que, par leurs
diverses positions dans la sphère céleste, elles amènent nécessairement
certains résultats ; qu’elles exercent une influence sur les éléments, et
que, par leurs aspects réciproques, elles combinent leurs natures dans un
mélange qui réagit sur l’atmosphère. Ces gens‑là ne peuvent rien savoir du
monde invisible ; ils ne font que des conjectures et des suppositions
basées sur l’idée que les *203 astres exercent
des influences. Ils enseignent qu’à force de tâtonnements l’observateur peut
reconnaître dans l’atmosphère un mélange de ces influences, et indiquer comment
il se distribue à toutes les p.232 individualités
qui existent dans le monde. Telle est la doctrine de Ptolémée. Plus tard, nous
aurons l’occasion d’exposer la vanité de cette science ; elle est, tout au
plus, un ramas de conjectures et de suppositions, aussi ne se rattache‑t‑elle,
en aucune manière, au genre de connaissances dont nous venons de parler.
Nous pouvons ranger dans la même catégorie certains hommes du bas
peuple qui, pour découvrir les choses cachées et connaître l’avenir, ont
inventé un art qu’ils nomment aligner sur
le sable (géomancie), voulant indiquer ainsi la matière sur laquelle ils
font leurs opérations. Voici en quoi consiste la géomancie : des points,
posés sur quatre rangs, forment des figures qui diffèrent les unes des autres
selon que les points dans chaque rang sont les uns doubles et les autres
simples, ou bien tous doubles ou tous simples. On a donc seize figures :
l’une dont tous les points sont simples ; une autre dont tous sont doubles.
Un point simple placé (au lieu d’un double) dans chacun des quatre rangs
fournit quatre figures de plus. Le point simple employé deux fois dans chaque
combinaison donne six figures. Employé trois fois, il donne naissance à quatre
figures. On a ainsi seize figures, dont chacune a reçu un nom particulier [142],
et on les partage en deux classes, celle de bonheur et celle de malheur, ainsi
que les astrologues ont fait pour les astres. On prétend que chaque figure a
une mansion qui lui correspond dans le monde naturel, aussi devons‑nous
supposer que ces mansions sont les douze signes du zodiaque et les quatre
points cardinaux. Outre sa mansion, chaque figure a une signification, bonne
ou mauvaise [143] ;
elle désigne aussi, d’une manière spéciale, une certaine partie du monde des
éléments. D’après ces principes, on a établi un art, calqué sur celui de
l’astrologie judiciaire, mais qui en diffère sous un certain point de vue. Dans
l’astrologie, p.233 tout jugement,
selon Ptolémée, s’appuie sur des indications fournies par la nature, tandis
que, dans la géomancie, les indications n’existent que par convention [144].
*204 [En effet,
Ptolémée s’est borné à traiter de nativités et de mariages, qu’il regarde comme
provenant des influences exercées sur le monde des éléments par les astres et
par les positions des sphères. Les astrologues venus après lui s’occupèrent à
découvrir les pensées (secrètes du destin) [145]
à l’égard des choses sur lesquelles on les interrogeait ; ils désignèrent
la mansion de la sphère à laquelle on devait rapporter chaque question, et ils
indiquèrent les jugements que l’on pouvait tirer de chaque mansion [146].
Chez eux, les mansions étaient les mêmes que chez Ptolémée. Or les pensées
(secrètes dont il s’agit) n’appartiennent pas au monde des éléments, mais à
l’âme (de l’univers aussi ; aussi les influences stellaires, les
positions des sphères n’en fournissent aucune indication. Si encore les
questions dont il s’agit rentraient dans le domaine de l’astrologie, de sorte
qu’on pût tâcher de les résoudre par des indications stellaires et par des
positions de la sphère (cela suffirait à justifier les prétentions des
astrologues) ; mais elles sont tout à fait en dehors de la classe des
matières que l’astrologie devait naturellement traiter.
Les gens qui s’occupaient de la géomancie vinrent plus tard. Se
détournant (de l’observation) des étoiles et des positions (des sphères p.234 planétaires) pour ne pas se donner la peine
de prendre la hauteur des astres [147]
au moyen d’instruments astronomiques, et de calculer les positions moyennes
(des corps célestes), ils inventèrent des figures de géomancie et leur
assignèrent seize mansions, celles de la sphère et les quatre points cardinaux.
Ils les rangèrent par classes, l’une heureuse, l’autre malheureuse, la troisième
mélangée de bien et de mal, ainsi que cela s’était fait pour les planètes. De
tous les aspects, ils ne gardèrent que le sextil, et lui attribuèrent les
diverses indications que les astrologues, dans la résolution des problèmes,
attribuent aux astres. Mais [148],
ainsi que nous l’avons dit, aucune indication réelle ne peut s’obtenir des
étoiles, ni de (ce genre de) [149]
géomancie. Dans les grandes villes on trouve beaucoup de fainéants qui
pratiquent la géomancie pour gagner leur vie ; ils ont même rédigé sur ce
sujet plusieurs traités renfermant les principes fondamentaux de leur art.
Parmi ces écrivains nous remarquons Ez‑Zenati [150].
Quelques géomanciens ont cru obtenir, par l’emploi de leur art, la perception
de ce qui se passe dans le monde invisible. Ils essayent de préoccuper les sens
en regardant avec attention les figures qu’ils ont tracées, et d’obtenir ainsi
cette disposition (à la perception spirituelle) qui, chez d’autres personnes,
est une faculté innée. Plus tard nous reviendrons là‑dessus. Parmi les gens du
métier, ceux‑ci occupent le rang le plus respectable.
Tous les géomanciens prétendent que leur art tient, par ses racines,
aux manifestations du prophétisme qui eurent lieu dans les temps p.235 anciens. Quelques‑uns en attribuent [151]
l’invention à Idrîs (Énoch) ou à Daniel, ainsi que cela a eu lieu pour tous les
arts. D’autres assurent que la géomancie a été autorisée par la loi divine, et,
pour prouver leur assertion, ils citent cette parole du Prophète : Fuit
propheta [152]
qui delineabat, et ille cujus lineatio congruit, ita est [153].
Cette tradition n’indique, en aucune façon, que l’art de tirer des lignes sur
le sable (la géomancie) soit autorisé par la loi, bien que plusieurs de ces
gens prétendent le contraire. Elle signifie qu’un certain prophète traçait des
lignes, et qu’en les traçant il recevait des révélations. Il n’est pas
impossible que, parmi les prophètes, quelques‑uns aient eu cette habitude.
[En effet, ils [154]
ne se ressemblaient pas tous en ce qui regarde la manière dont ils reçoivent la
révélation divine. Dieu lui-même a dit (dans le Coran, sourate 2, verset
254) : Ceux‑là sont des prophètes ; nous avons avantagé les uns
plus que les autres. Aux uns les révélations arrivaient et l’ange leur
parlait tout d’abord sans qu’ils eussent essayé d’y prédisposer leur âme [155].
Les autres cherchaient des révélations lorsqu’ils s’occupaient des affaires
d’autrui ; invités par leurs compatriotes à leur donner des
éclaircissements sur un point obscur, sur un devoir d’obligation ou sur
d’autres questions de cette nature, ils tournaient leur esprit vers le
Seigneur, afin d’obtenir de lui la solution de la difficulté. En distinguant
ainsi deux espèces (de prophètes), nous avons laissé apercevoir qu’il en
existait une autre [156].
En effet, si des révélations arrivent à une personne qui ne s’était nullement p.336 disposée à les recevoir, et nous avons déjà
signalé cette classe de prophètes, elles peuvent arriver également à des gens
qui s’y étaient préparés. Il se trouvait, dit‑on, parmi les Israélites un
prophète qui, *206 pour se préparer
à recevoir les révélations célestes, écoutait de la musique exécutée par des
voix très belles et très douces. Bien que l’authenticité de cette tradition ne
soit pas suffisamment constatée, elle n’en a pas moins un certain air de vérité.
Au reste, le Tout-Puissant accorde à ses prophètes et à ses envoyés les
distinctions qu’il lui plaît [157].]
On nous a raconté qu’un soufi, parvenu à un haut degré de sainteté,
suivait le même plan. Pour se soustraire à l’influence des sens, il écoutait
des musiciens qui chantaient, et, par ce moyen, il dégageait son âme des
entraves corporelles et la mettait en état de recevoir des communications
divines. La station qu’il occupait dans le spiritualisme était au‑dessous de
celle des prophètes ; mais rien ne nous empêche de reconnaître que c’était
une station fort respectable.
[Après avoir soumis ces observations au lecteur, nous lui rappellerons
ce que nous avons dit au sujet de la géomancie. Les hommes qui pratiquent cet
art tracent des lignes sur le sable, et ils tiennent leurs regards fixés sur
ces traits, afin de préoccuper les sens et de découvrir les secrets du monde
invisible. Il leur survient alors une faculté réelle au moyen de laquelle ils
aperçoivent les mystères qui se comprennent par le sens intérieur. Mais, pour y
parvenir, ils doivent s’arracher complètement à l’influence des sens, éviter
les perceptions qui sont spéciales à la nature humaine, et viser à celles du
monde spirituel. Nous avons déjà expliqué la différence qui existe entre ces
deux genres d’impressions. L’opération dont nous venons de parler s’emploie
aussi dans la divination, où elle consiste à fixer ses p.237 regards sur des os, des liquides ou des miroirs. Elle
diffère tout à fait de celle qui est pratiquée par certains devins et
géomanciens, qui mettent en œuvre des moyens artificiels et tâchent de
connaître le monde invisible en faisant des suppositions et des conjectures. Ne
s’étant pas détachés de l’influence des perceptions corporelles, ils parcourent
au hasard le champ des hypothèses. Quelques prophètes, voulant disposer leur
esprit à entendre la parole de l’ange, ont eu peut-être l’habitude de tracer
des caractères pendant leur état d’excitation prophétique ; d’autres
individus qui n’appartenaient pas à la classe des prophètes ont voulu les
imiter, dans l’espoir d’atteindre à la perception spirituelle et de sortir du
domaine des sens. Les perceptions que ceux‑ci peuvent acquérir ne sont que
spirituelles, tandis que celles dont jouissent les prophètes leur sont apportées
par un ange comme une révélation de Dieu. Quant aux divers degrés de
perceptivité auxquels les géomanciens peuvent s’élever, par des tentatives
fondées sur des hypothèses et des conjectures, à Dieu ne plaise qu’un prophète *207 y ait passé ! Un prophète n’essaye
jamais de pénétrer dans le monde invisible ; jamais il n’en parle avec
l’intention de satisfaire (la curiosité de) qui que ce soit. Dans la tradition
déjà mentionnée [158],
] les mots et ille cujus lineatio
congruit, ita est, signifient qu’en fait de lignes ou d’écriture, celle‑ci
est la bonne, parce qu’elle a pour appui les révélations communiquées à un
prophète qui avait l’habitude de les recevoir pendant qu’il traçait des lignes.
[Ou bien [159],
ces mots peuvent indiquer que ce prophète avait atteint une haute supériorité
en se servant [160]
de lignes tracées sur le sable ; mais, alors même, il n’y aurait aucun
rapport entre son art et celui des géomanciens [161].
L’opération qu’il pratiquait a dû s’accorder avec l’état de son âme, laquelle
était déjà disposée à recevoir des révélations ; aussi les recevait‑il par
suite de cette disposition.] Si, pour obtenir (des perceptions du monde p.238 spirituel), on se bornait uniquement à
tracer des lignes, sans être appuyé par le concours d’une révélation, on
arriverait à un résultat sans valeur. Tel est, selon nous, le sens de la
tradition. [Elle ne renferme rien qui puisse donner à entendre que la
géomancie fût d’institution divine, ou que la pratique de cet art dans le but
de connaître le monde spirituel, ainsi que cela a lieu dans les grandes
villes, soit autorisée par la loi de Dieu. Les géomanciens qui inclinent vers
l’opinion contraire s’appuient sur le principe que les actions d’un prophète,
étant réglées par la loi, doivent servir d’exemple aux autres hommes. Selon
eux, la géomancie est autorisée par la loi en conséquence de la maxime que les
règles prescrites à nos prédécesseurs sont obligatoires pour nous. Cette
conclusion n’est pas juste ; les règles prescrites par Dieu ne regardent
que ses apôtres, chargés eux‑mêmes de régler la conduite des peuples.
D’ailleurs, rien dans la tradition n’autorise une pareille conclusion ;
cette parole de Mohammed indique seulement que certains prophètes s’étaient
trouvés dans un certain état ; or il est permis de supposer que cet état
ne leur était pas prescrit par la loi. Donc l’exemple de ces prophètes ne peut
servir de règle ni générale, ni spéciale ; aucun peuple n’est tenu à le
suivre, pas même le leur. Du reste, la tradition dont il s’agit indique que cet
état était particulier à certains prophètes, donc il ne pouvait pas se transmettre
à tous les autres hommes. Ici se termine l’examen de la question qui nous
occupait. Dieu, par son inspiration, conduit vers la vérité.]
Les géomanciens qui ont la prétention de découvrir les secrets du
monde invisible prennent du papier, ou du sable, ou bien de *208 la farine, et tracent dessus quatre rangs
de points, (marqués au hasard et sans compter). Cette opération répétée quatre
fois donne seize rangs de points. Ensuite ils suppriment les points deux par
deux, et mettent à part le point simple ou le point double qui reste à la fin
de chaque rang [162].
Ils obtiennent ainsi quatre figures, qu’ils mettent une p.239 à côté de l’autre sur une même ligne. De celles‑ci ils
tirent encore quatre figures (nouvelles), en confrontant les points de chaque
rang avec ceux qui lui correspondent dans les figures voisines et en tenant
compte des points simples et doubles [163].
Ils peuvent alors mettre en ligne huit figures. Chaque couple de figures fournit
une autre figure, qui se place au‑dessous d’elles ; on l’obtient en
confrontant les points simples de chaque ligne de ces figures avec les points
correspondants qui se trouvent dans les autres. De là proviennent quatre
nouvelles figures, qui se placent au‑dessous des précédentes. Ces quatre
figures en produisent encore deux, que l’on place de la même manière. De
celles‑ci on en obtient une quinzième, qui, étant mise en rapport avec la
première de toutes, fournit une autre figure, qui complète le nombre de seize.
Alors [164]
on examine ce qu’on vient de tracer, on tient compte de chaque figure selon
qu’elle présage bonheur ou malheur, et l’on prononce des jugements d’après
l’essence de la figure, son aspect, son influence, son tempérament, l’objet
qu’elle indique parmi les diverses espèces d’êtres, etc. Ces jugements se
forment d’une manière assez étrange.
La pratique de la géomancie s’est répandue dans tout le monde civilisé ;
elle forme le sujet de plusieurs livres, et a procuré une grande réputation à
divers personnages des temps anciens et modernes. Il est cependant facile de
voir combien cette manière de juger est arbitraire et fantastique. Le lecteur
doit toujours avoir en vue cette vérité, qu’aucun moyen artificiel ne saurait
procurer la connaissance des mystères appartenant au monde invisible. Personne
ne peut les découvrir excepté quelques hommes privilégiés, qui, par une
disposition *209 innée, ont la faculté de
se transporter hors du monde sensible et d’entrer dans le monde spirituel.
p.240 Le mode d’opération suivi par ces
géomanciens leur a fait donner, par les astrologues, le nom de zohériens (serviteurs de la planète
Vénus), parce qu’il y a une grande analogie entre leurs procédés et la manière
de reconnaître les indications par lesquelles, dit‑on, cette planète guide vers
la connaissance des choses cachées celui qui prend les nativités pour base de
ses opérations. Les gens qui cultivent la géomancie ou tout autre art de la
même nature, ceux qui inspectent des points, des os ou quelque autre objet,
afin d’enlever l’âme à l’influence des sens extérieurs, et lui faire jeter un
coup d’œil rapide [165]
sur le monde des êtres spirituels, ces hommes peuvent se ranger dans la classe
de ceux qui prétendent découvrir les choses cachées en jetant des cailloux, en
examinant les cœurs des animaux et en fixant leurs regards sur des miroirs.
Quoi qu’il en soit, les gens qui se servent de pareils procédés avec
l’intention de connaître les secrets du monde invisible ne font et ne disent
rien qui vaille.
La disposition innée qui permet à certaines personnes d’apercevoir
les choses du monde invisible se fait reconnaître de cette manière :
lorsqu’elles tournent leur esprit vers la découverte des événements futurs, on
remarque qu’au moment de sortir de leur état ordinaire, elles éprouvent, pour
ainsi dire, une contraction et une relaxation (des nerfs), et qu’elles
commencent alors à se dégager de l’influence des sens. Ces symptômes varient
de force, selon que la faculté est plus ou moins développée dans l’individu. Les
personnes chez qui cette agitation ne se montre pas sont incapables d’avoir
même la moindre perception du monde spirituel, et, si elles pratiquent leur
art, c’est pour donner plus de crédit à leurs mensonges.
Il y a une classe d’hommes qui, par l’emploi d’un système de règles,
cherchent à découvrir ce qui est caché : ce système n’a aucune analogie
avec le premier dont nous avons parlé, et qui se rapporte aux perceptions
spirituelles de l’âme ; il ne ressemble pas non plus à l’art de former des
conjectures en étudiant les influences que Ptolémée prétend appartenir aux
astres ; on ne peut pas même p.241 l’assimiler
au système de conjectures et d’hypothèses qui plaît tant aux *210 sachants.
C’est tout simplement un recueil de tromperies dont ils se servent pour
capter les esprits faibles ; aussi n’en aurais‑je point parlé si je
n’avais pas voulu indiquer ce que les auteurs ont dit à ce sujet, et satisfaire
la curiosité des personnages haut placés.
Parmi ces systèmes, on trouve une espèce de calcul (hiçab) auquel on donne le nom de hiçab
en‑nîm [166].
Il en est question vers la fin du Kitab
es‑Sîaça (Traité de politique), ouvrage attribué à Aristote [167].
On emploie ce calcul quand deux rois vont se faire la guerre, et que l’on
désire savoir lequel sera vainqueur. Voici comment se fait l’opération :
on additionne les valeurs numériques des lettres dont se compose le nom de
chaque roi ; ce sont des valeurs de convention attribuées aux lettres de
l’alphabet ; elles vont depuis l’unité jusqu’au mille et se classent par
unités, dizaines, centaines et milliers. L’addition faite, on retranche neuf
de chaque somme autant de fois qu’il faut afin d’avoir deux restes moindres que
neuf. On compare ces restes ensemble ; si l’un est plus fort que l’autre,
et que tous les deux soient des nombres pairs ou des nombres impairs, le roi
dont le nom a fourni le reste le plus faible obtiendra la victoire : Si
l’un des restes est un nombre pair et l’autre un nombre impair, le roi dont le
nom a fourni le reste le plus fort sera le vainqueur. Si les deux restes sont
égaux, et qu’ils soient des nombres pairs, le roi qui est attaqué remportera
la victoire ; si les restes sont égaux et impairs, le roi qui attaque
triomphera. On trouve, dans le même livre, deux vers qui se rapportent à cette
opération, et qui sont bien connus ; les voici :
Dans les pairs et dans les
impairs, c’est le moindre nombre qui l’emporte [168] ; si l’un est pair et l’autre impair, c’est
le plus grand qui sera vainqueur.p.242
Celui qui est attaqué aura la victoire, si
les deux nombres égaux sont pairs [169] ; s’ils sont impairs,
celui qui attaque triomphera.
Plus tard, les amateurs de cet art inventèrent un système qui s’emploie
encore, et qui fait connaître ce qui reste (de la somme) des *211 (nombres représentés par les) lettres,
après que l’on a retranché de cette somme le plus grand multiple de neuf [170].
Ils réunissent en un seul mot les lettres qui indiquent les unités des quatre
premiers ordres [171] ;
d’abord l’élif (ﺍ), qui a la valeur d’unité simple ; puis le ya
(ﻯ), qui est l’unité du second ordre, c’est‑à‑dire dix ; puis le caf
(ﻕ), qui, étant l’unité des centaines, équivaut à cent ; puis le chîn (ﺵ), qui est l’équivalent de mille
et l’unité de cet ordre. Aucune lettre, à elle seule, ne désigne un nombre
supérieur à mille, vu que le chîn, chez
les Maghrébins, est la dernière lettre de l’alphabet [172].
Ayant placé ces quatre lettres selon le rang qu’elles occupent dans la
numération, on obtient un mot quadrilitère, qui s’écrit ainsi ﺵﻘﻴﺍ , aïcach [173].
Ensuite on traite de la même manière les deuxièmes des trois premiers ordres,
sans se préoccuper de la deuxième de l’ordre des milliers, vu que mille a pour
représentant la dernière lettre de l’alphabet [174].
Les trois lettres qui indiquent les deuxièmes de chaque ordre sont le
bé (ﺐ), deuxième simple ; le
kaf (ﻙ), deuxième du second ordre et
l’équivalent de vingt ; et le ré (ﺭ), deuxième de l’ordre p.243 centenaire, et représentatif de deux cents.
Ces lettres, disposées selon leur rang, forment le mot trilitère ﺭﮐﺒ , béker. Par le même procédé on compose,
avec les lettres qui représentent les troisièmes de chaque classe numérique, le
mot ﺲﻠﺠ , djélès [175], et l’on continue l’opération jusqu’à
ce qu’on ait épuisé l’alphabet. On obtient ainsi neuf mots (ou groupes de
lettres) qui contiennent les dix unités de chaque ordre ; ce sont :
1° ﺵﻘﻴﺍ , aïcach ; 2° ﺭﮐﺒ , béker ; 3° ﺲﻠﺠ , djélès ; 4° ﺕﻣﺩ , démet ; 5° ﺚﻨﻫ ,
héneth ; 6° ﺦﺻﻭ , ouasakh [176] ;
7° ﺫﻋﺯ , zaâdh [177] ;
8° ﻅﻔﺣ , h’afadh’ [178] ;
9° ﻎﺿﻁ , t’ad’ogh. Ces mots sont
rangés en ordre numérique et chacun d’eux est précédé d’un numéro indiquant cet
ordre : le mot ﺵﻘﻴﺍ porte le numéro 1 ; le mot ﺭﮐﺒ , le numéro
2 ; le mot ﺲﻠﺠ , le numéro 3, et ainsi
*212 de suite jusqu’au mot ﻎﺿﻁ , qui porte le numéro 9 [179].
Maintenant, pour diviser par neuf [180]
la somme des valeurs numériques attribuées aux lettres qui composent un nom
propre, on cherche chaque lettre dans la série des groupes, et on la remplace
par le numéro d’ordre attaché au groupe dont elle fait partie. On fait alors
l’addition des numéros par lesquels on vient de remplacer les lettres du
nom ; si la somme de ces numéros dépasse neuf, pris une ou plusieurs fois,
on retient ce qui reste ; sinon, on la conserve telle qu’elle est. Ayant
opéré de la même manière sur l’autre nom, on compare les deux résultats, ainsi
que nous l’avons indiqué. Le secret de cette méthode se reconnaît facilement :
c’est que le reste que l’on obtient pour tous les nœuds [181] p.244 d’entre les nombres, après en avoir
retranché le plus grand multiple de neuf, est toujours une (des huit premières
unités). L’auteur du système n’a donc fait que grouper ensemble les nœuds de
même espèce, afin de pouvoir représenter chaque groupe par une des unités. A
cet égard, il n’y a pas de différence entre 2, 20 et 200 : tous ces nœuds
peuvent se désigner par 2. Pareillement 3, 30, 300, 3000, se désignent par 3.
Les nombres placés suivant l’ordre naturel (devant chacun des neuf mots ou
groupes de lettres) ne servent qu’à représenter ces nœuds. Les lettres de
chaque groupe indiquent [182]
les espèces de nœuds en fait d’unités, de dizaines, de centaines et de
milliers. Le numéro assigné à chacun de ces groupes tient lieu de chacune des
lettres faisant partie de ce groupe, peu importe que cette lettre désigne une
unité, un dizaine, une centaine ou un millier [183].
On prend donc le chiffre dont un groupe est accompagné à la place de chacune
des lettres qui composent ce groupe ; on fait ensuite l’addition de ces
nombres, et l’on procède ainsi que nous l’avons dit plus haut. Tel est le
système qui, depuis les temps [184]
anciens, a été généralement employé ; mais quelques‑uns de mes maîtres
sont d’avis que, dans le vrai système, les mots dont nous avons parlé doivent
être remplacés par d’autres qui suivent le même ordre. L’opération se fait de *213 même par la soustraction de neuf. Voici ces
mots : 1° ﺐﺮﺍ , areb ; 2°
ﻚﻗﺳﻳ [185],
ïescak ; 3° ﻁﻟﺯﺟ , djezlot’ ; 4° ﺺﻭﺩﻣ, medous’ ; 5° ﻒﻫ, hef ; 6° ﻥﺫﺣﺘ, tah’den ; 7°
ﺶﻏ , ghach ; 8° ﻊﺧ
, khâ [186] ; 9° ﻆﺿﺛ , thad’odh [187]. p.245 Ces neuf mots sont
numérotés suivant l’ordre naturel des nombres. Les uns sont trilitères ;
les autres, bilitères ou quadrilitères. On voit qu’aucun principe général n’a
réglé leur formation ; je les donne tels que je les ai reçus de mes
maîtres. « Nous les tenons, disaient‑ils, d’Abou ’l‑Abbas Ibn el‑Benna [188],
le plus grand maître que l’Occident ait jamais produit en astrologie, en magie
naturelle et dans la science qui a pour objet les vertus occultes des lettres
de l’alphabet. » Ils déclaraient que, d’après l’avis de cet homme, quand
on faisait le genre de calcul nommé hiçab
en‑nîm, on était plus sûr d’atteindre la vérité en se servant de ces
groupes pour opérer le retranchement du plus grand multiple d’un nombre, qu’en
employant ceux qui appartiennent au système aïcach.
Dieu sait si cela est exact.
Tous ces moyens de découvrir les secrets du monde invisible ne
s’appuyent sur aucune base et ne sont soutenus par aucune démonstration. Selon
les critiques les plus exacts, le livre où il est question du calcul nommé hiçab en‑nîm ne peut pas être
d’Aristote, parce qu’il renferme des opinions qui n’ont aucune apparence de
probabilité. Le lecteur intelligent pourra s’en convaincre s’il veut prendre la
peine de feuilleter le volume [189].
On prétend posséder encore un système artificiel au moyen duquel on
peut obtenir la connaissance des choses qui appartiennent au monde invisible.
C’est la zaïrdja‑t‑el‑aalem (tableau
circulaire de l’univers), dont on attribue l’invention à Abou ’l‑Abbas es‑Sibti [190],
natif de Ceuta, l’un des soufis les plus distingués du Maghreb. Vers la fin du
Ve siècle, Es‑Sibti se trouvait dans la ville de
Maroc pendant que Yacoub el‑Mansour, souverain des Almohades, occupait le
trône. La construction de la zaïrdja (tableau
circulaire) est d’un artifice surprenant. Bien des personnes haut placées
aiment à la consulter afin p.246 d’obtenir
du monde invisible des connaissances qui pourraient leur être utiles. Ils
essayent d’en employer les procédés énigmatiques, et d’en deviner les mystères
dans l’espoir d’atteindre le but qu’ils se proposent. La figure sur laquelle
ils opèrent a la forme d’un grand cercle
*214 qui renferme d’autres cercles concentriques, dont les uns se rapportent
aux sphères célestes, et les autres aux éléments, aux choses sublunaires, aux
êtres spirituels, aux événements de tout genre et aux connaissances diverses.
Les divisions de chaque cercle sont les mêmes que celles de la sphère qu’il
représente ; les signes du zodiaque, l’indication des quatre éléments,
etc. s’y trouvent. Les lignes qui forment chaque division s’étendent jusqu’au
centre du cercle et portent le nom de rayons [191].
Sur chaque rayon on voit inscrite une série de lettres ayant chacune une valeur
numérique et dont quelques‑unes appartiennent à l’écriture d’enregistrement,
c’est‑à‑dire aux sigles dont les employés de la comptabilité et d’autres
administrations maghrébines se servent encore pour désigner les nombres [192].
On y remarque aussi des chiffres appartenant au caractère nommé ghobar [193]. Dans l’intérieur de la zaïrdja,
entre les cercles concentriques, on remarque les noms des sciences et les lieux
des diverses espèces d’êtres [194].
Sur le dos du tableau des cercles, on voit une figure renfermant un grand
nombre de cases, séparées les unes des autres par des lignes verticales et horizontales.
Ce tableau offre, dans la direction de sa hauteur, cinquante‑cinq cases, et,
dans celle de sa largeur, cent trente et une cases. Les cases qui occupent le
bord du tableau sont, les unes vides, les autres remplies [195] ;
de celles‑ci les unes renferment des nombres, les autres des lettres. La règle
qui a présidé à la distribution de ces caractères dans les cases nous est
inconnue, ainsi que le principe p.247 d’après
lequel certaines cases doivent être remplies et les autres rester vides. Autour
de la zaïrdja se trouvent plusieurs vers appartenant au mètre nommé taouîl,
et dont la rime se forme par la syllabe la. Ce poème indique la manière
d’opérer sur le tableau lorsqu’on veut obtenir une réponse à la question dont
on s’occupe ; mais, par l’absence de clarté et le manque de précision, il
demeure une véritable énigme [196].
Sur un des bords du tableau se voit un vers composé par Malet Ibn Woheïb [197],
l’un des plus habiles devins du pays de l’Occident. Il florissait sous la
dynastie lemtounienne (almoravide) et appartenait
*215 au corps des uléma de Séville. Voici le vers [198].
On se sert toujours de ce vers lorsqu’on emploie la zaïrdja de
cette espèce ou de toute autre dans le but d’obtenir une réponse à une
question. Pour avoir la réponse, on met la question par écrit, mais on a soin
d’en décomposer les mots en lettres isolées. Ensuite on cherche (dans les
tables astronomiques) le signe du zodiaque et le degré de ce signe qui s’élève
sur l’horizon (c’est‑à‑dire l’ascendant) au moment de l’opération. Consultant
alors la zaïrdja, on cherche le rayon qui forme la limite initiale du
signe qui est l’ascendant ; on suit ce rayon jusqu’au centre du cercle, et
de là jusqu’à la p.248 circonférence,
vis‑à‑vis de l’endroit où le signe ascendant se trouve indiqué, et l’on copie
toutes les lettres qui sont inscrites sur ce rayon, depuis le commencement
jusqu’à la fin ; on prend aussi les chiffres numériques tracés entre ces
lettres, et on les transforme en lettres d’après le procédé nommé hiçab el‑djomel [199].
Quelquefois on doit convertir en dizaines les unités obtenues de cette manière,
changer les dizaines en centaines, et vice
versa, mais toujours en se conformant aux règles qu’on a dressées pour
l’emploi de la zaïrdja. Le résultat
se place à côté des lettres dont la question se compose. Alors on examine le
rayon qui marque la limite du troisième signe du zodiaque, à compter de celui
qui est l’ascendant ; on relève toutes les lettres et chiffres inscrits
sur ce rayon, depuis son extrémité jusqu’au centre du cercle, point où l’on
s’arrête, sans passer jusqu’à la circonférence. Les chiffres ainsi trouvés se
remplacent par des lettres, selon le procédé déjà indiqué, et ces lettres
doivent se placer à côté des autres. Ensuite on prend pour clef de toute
l’opération le vers composé par Malek Ibn Woheïb, et, l’ayant décomposé en
lettres isolées, on les met à part. Ensuite on multiplie le nombre du degré de
l’ascendant par un nombre qui s’appelle l’ass [200]
du signe. Pour obtenir cet ass, on compte en arrière, depuis la fin de
la série des signes ; procédé qui *216 est
l’opposé de celui dont on se sert dans les calculs ordinaires, en prenant pour
point de départ le commencement de la série. Le produit ainsi obtenu se
multiplie avec un facteur nommé le grand ass et le dour [201]
fondamental. On applique ces résultats aux cases du tableau, p.249 en se conformant aux principes qui règlent
la marche de l’opération, et après avoir employé un certain nombre de dour.
De cette manière on tire (du tableau) plusieurs lettres dont une partie doit
être supprimée, et dont le reste se place vis‑à‑vis de celles qui composent le
vers d’Ibn Woheïb. On range aussi quelques‑unes de ces lettres parmi celles qui
avaient formé les mots de la question et auxquelles on en a déjà ajouté
d’autres. On élimine de cette série de lettres celles dont les places sont
indiquées par certains nombres appelés dour ; (voici
comment :) on passe sur autant de lettres qu’il y a d’unités dans le dour,
et, arrivé à la dernière unité du dour, on prend la lettre qui y
correspond et on la met à part ; puis on continue l’opération jusqu’à la
fin de la série de lettres [202].
On répète cette opération en employant plusieurs autres dour destinés à
cet usage. Les lettres isolées que l’on obtient ainsi se rangent ensemble et
produisent un certain nombre de mots formant un vers, dont la rime et la
mesure sont les mêmes que celles du vers qui a servi de clef, et qui a pour
auteur Malek Ibn Woheïb. Nous traiterons de toutes ces opérations dans la
section des sciences, au chapitre qui indique comment on doit se servir de
cette zaïrdja [203].
Nous avons vu beaucoup de personnes haut placées montrer un grand
engouement pour la pratique de cet art, et s’y appliquer dans l’espoir de
connaître les secrets du monde invisible. Ils croyaient que l’à‑propos des
réponses aux questions suffisait pour indiquer que les événements seraient
conformes aux réponses. Cette opinion est mal fondée ; le lecteur a déjà
compris qu’on ne saurait connaître les secrets du monde invisible par l’emploi
des moyens artificiels. Il est p.250 vrai
qu’entre les demandes et les réponses il y a un certain rapport, en ce que les
réponses sont intelligibles et conformes (aux questions) ainsi que cela doit
l’être dans la conversation. Il est vrai aussi que la réponse s’obtient de la
manière suivante : on fait un triage dans la collection des lettres
fournies par les mots de la question et par les
*217 rayons du tableau ; on applique les produits de certains
facteurs aux cases du tableau, d’on l’on tire ensuite quelques lettres ;
on met à part certaines lettres en faisant plusieurs triages au moyen des dour,
et l’on place tout cela vis‑à‑vis des lettres qui forment le vers (de Malek
Ibn Woheïb).
Un homme intelligent qui aura examiné les rapports qui existent entre
les diverses parties de cette opération parviendra à en découvrir tout le
secret ; car les rapports mutuels des choses fournissent à l’esprit le
moyen d’obtenir la connaissance de l’inconnu, et lui servent aussi de voie pour y
atteindre. La faculté d’apercevoir les rapports des choses se trouve
surtout [204]
chez les personnes habituées aux exercices spirituels, dont la pratique
augmente la puissance raisonnante, et ajoute une nouvelle force à la faculté
de la réflexion. C’est là un effet dont nous avons déjà donné l’explication
plus d’une fois. L’idée que nous rappelons ici a eu pour résultat que presque
tout le monde attribue l’invention des
zaïrdja à des hommes qui s’étaient épuré l’âme au moyen d’exercices
spirituels ; ainsi la zaïrdja dont je viens de parler est attribuée
à Es‑Sibti (qui était soufi). J’en ai vu encore une autre, imaginée, dit‑on,
par Sehel Ibn Abd Allah, et j’avoue que c’est un ouvrage étonnant, produit bien
remarquable d’une grande application d’esprit [205].
Pour expliquer comment la zaïrdja
d’Es‑Sibti fournit une réponse en forme de vers, je suis porté à croire que
l’emploi du vers d’Ibn Woheïb, comme type, influe sur la réponse et lui
communique la même mesure et la même rime [206].
A l’appui de mon p.251 opinion, je
dirai qu’ayant vu opérer (sur des zaïrdja)
sans prendre ce vers pour type, j’ai reconnu que la réponse n’était pas
versifiée. Nous parlerons encore de ce fait en son lieu et place [207].
Bien des gens refusent d’admettre que cette opération soit sérieuse *218 et qu’elle puisse fournir une réponse à ce
qu’on demande. Ils nient qu’elle soit réelle et la regardent comme une
suggestion de la fantaisie et de l’imagination. S’il faut les en croire,
l’homme qui opère sur la zaïrdja
prend les lettres d’un vers qu’il a fait comme il l’entend, et les insère parmi
les lettres dont la question se compose et celles qui appartiennent aux
rayons ; il opère au hasard et sans règle ; il produit, à la fin, le
vers (qu’il a fabriqué) et fait accroire qu’il l’a obtenu en suivant un
procédé régulier. Une opération conduite de cette manière ne serait qu’un mauvais
jeu de l’imagination ; celui qui voudrait s’y livrer serait bien
certainement incapable de saisir les rapports qui existent entre les êtres et
les connaissances, et de voir combien les opérations de la perception diffèrent
de celles de l’intelligence. Du reste chaque observateur est porté à nier tout
ce qu’il n’aperçoit pas. Pour répondre à ceux qui traitent de jongleries les
opérations faites sur la zaïrdja, il
nous suffira de dire que nous avons vu pratiquer ces opérations selon les
règles de l’art, et que, d’après notre opinion bien arrêtée, elles se font
toujours de la même manière et suivant un véritable système de règles [208].
Celui dont l’esprit est capable d’un certain degré de pénétration et
d’attention n’aura pas le moindre doute à ce sujet, s’il veut assister à une de
ces opérations.
L’arithmétique, science dont les résultats sont de la dernière évidence,
offre beaucoup de problèmes [209],
que l’intelligence ne saurait comprendre tout d’abord, parce qu’ils renferment
des rapports que l’on ne saisit pas facilement et qui se dérobent à
l’observation. Que doit‑il en être à l’égard d’un art comme celui de la zaïrdja,
dont la nature est si extraordinaire, et qui se rattache à son sujet par des
rapports si obscurs ? Nous citerons ici un problème assez difficile, afin
de faire comprendre la force de notre observation. On prend plusieurs dirhems (monnaies d’argent) et, à côté
de chaque pièce, on place trois folous [210].
Avec la somme des folous on achète un oiseau et avec celle des dirhems on en
achète plusieurs autres au même taux que le premier. *219 Combien a‑t‑on acheté d’oiseaux ? La réponse
est : neuf. En effet nous savons qu’il y a vingt‑quatre folous dans un dirhem ; donc trois
folous sont le huitième d’un dirhem. Or, puisque chaque unité se compose de
huit huitièmes, nous pouvons supposer qu’en faisant cet achat nous avons réuni
le huitième de chaque dirhem aux huitièmes des autres dirhems, et que chacune
de ces sommes fait le prix d’un oiseau. On a donc acheté avec les dirhems seuls
huit oiseaux ; nombre qui est celui des huitièmes qui composent
l’unité ; ajoutons‑y l’oiseau acheté d’abord avec la somme des folous, et nous aurons, en tout, neuf
oiseaux, puisqu’avec les dirhems nous avons acheté au même taux qu’avec les
folous [211].
On voit, par cet exemple, comment la réponse est renfermée implicitement
dans la question, et s’obtient de la connaissance des rapports cachés qui
existent entre les quantités dont le problème donne l’indication. Lorsqu’une
question de cette nature se présente pour la première fois, on s’imagine
qu’elle appartient à une catégorie dont la solution ne peut s’obtenir que du
monde invisible. Mais, au moyen des rapports mutuels des choses, on parvient à
tirer l’inconnu de certaines données. Cela est surtout vrai en ce qui regarde
les faits présentés par le monde sensible et par les sciences ; quant aux p.253 événements futurs, ce sont des secrets dont
il est impossible d’obtenir une connaissance certaine, tant que nous en
ignorons les causes et que nous n’en avons pas des notions certaines. D’après
ce que nous venons d’exposer, on comprendra comment le procédé qui, au moyen
de la zaïrdja, tire une réponse des mots dont se compose la question,
sa réduit à faire paraître, sous une autre forme, certaines combinaisons de
lettres dont l’ordre était d’abord celui des lettres qui formaient la
question. Pour celui qui entrevoit les rapports qui existent entre les lettres
de la question et celles de la réponse, tout ce qu’il y a de mystérieux devient
clair. Les hommes capables de reconnaître ces rapports et d’employer les
règles dont nous avons parlé peuvent obtenir assez facilement la solution
qu’ils cherchent. Chaque réponse de la zaïrdja, envisagée sous un autre
point de vue, offre, par la position et la combinaison de ses mots, un des
caractères dont toute réponse est susceptible, c’est‑à‑dire une négation ou une
affirmation. *220 Sous le premier point de
vue, la réponse a un autre caractère ; ses indications rentrent dans la
classe des prédictions et de leur accord avec les événements [212] ;
mais on ne parviendra jamais à la connaissance (des événements futurs) si l’on
emploie des procédés du genre de celui dont nous venons de parler. Bien plus,
il est défendu à l’homme de s’en servir dans ce but. Dieu communique la science
à qui il veut ; Dieu sait, et vous
ne savez pas. (Coran, sour. II, vers. 213.)
[1]
Le dorra (holcus sorghum) est une espèce de mil.
[2]
Pour ﺍﺪﺎﺴﺣﻻﺍ , lisez ﺍﺪﺎﺴﺠﻻﺍ .
[3]
Pour ﺖﺳﺗﻜﺍ , lisez ﺖﺑﺳﺗﻜﺍ .
[4]
En caractères arabes, ﺭﻏﺭﻐﻁﻟﺍ. Ailleurs ce nom est écrit ﺯﻏﺯﻐﺗﻟﺍ, El-Toghazghaz. Les manuscrits varient beaucoup dans
la transcription de ce nom, et jusqu’à présent on n’est pas parvenu à le
rétablir. Il servait à désigner un peuple turc qui occupait les pays situés
entre le Khoraçan et la Chine.
[5]
Pour ﺪﺎﻤﺗﻋﻼﻠ , lisez ﺭﺎﻤﺗﻋﻼﻠ .
[6]
Pour ﻝﻟﻣﻟﺍ , lisez ﻚﻟﻣﻟﺍ .
[7]
Dans le texte arabe on a répété, par mégarde, les sept derniers mots de cette
phrase.
[8]
Province dans le sud de la régence de Tunis. Elle porte aussi le nom de Belad el‑Djerîd (pays des tiges de
dattiers). De ce dernier nom, les voyageurs et les géographes européens ont
tiré leur Biledulgerid.
[9]
Abou Youçof Yacoub Ibn Ishac, surnommé El‑Kindi
parce qu’il appartenait à la tribu arabe de Kinda, florissait sous les
règnes d’El‑Mamoun et d’El‑Motacem ; il vivait encore à la fin du règne
d’El‑Motewekkel, en l’année 247 (861 de J. C.). On trouvera dans la Bibl. ar.‑hisp.
de Casiri, t. I, p. 352 et suiv. la liste de ses nombreux ouvrages. Les sujets
qu’il traita étaient la philosophie, la logique, l’arithmétique, l’astronomie,
l’astrologie, la géométrie, la médecine, la politique et l’optique. M. de
Sacy lui a consacré une longue note dans son Abdallatif, p. 487 et suiv. M. Fluegel vient de publier,
aux frais de la Société asiatique allemande, une notice sur El‑Kindi et ses
écrits.
[10]
Le Yémen est cependant un pays fertile.
[11]
Les tribus du désert qui, à l’approche de l’été, cherchent à entrer dans le
pays des hauts plateaux pour y faire paître leurs troupeaux, ou pour acheter
une provision de blé, sont obligées de payer un impôt au gouvernement.
[12]
Ibn et‑Aouwam, dans son grand ouvrag sur l’agriculture espagnole, traite assez
longuement de la culture des diverses espèces de dorra.
[13]
Pour ﻥﻳﻔﺷﺗﻣﻟﺎﺒ , lisez ﻥﻳﻔﺷﻗﺗﻣﻟﺎﺒ .
[14]
Littéral. « l’âme ». Le même mot est encore employé dans cette phrase
avec la signification d’individu.
[15]
Le règne du sultan merinide Abou ’l-Hacen se trouve raconté au long
dans l’Histoire des Berbers, t. IV de
la traduction.
[16]
En arabe, ﻦﻳﺘﻨﺴ . Quelques manuscrits portent ﻦﻴﻨﺴ « plusieurs années ».
[17]
Pour ﺎﺗﺑﺴﺤ , lisez ﺎﺗﺳﺑﺣ .
[18]
Le texte porte ﻰﻔ (dans).
[19]
Pour ﺔﻴﺭﻮﺭﺿﻮ , lisez ﻪﺘﻴﺭﻮﺭﺿﻮ .
[20]
Pour ﺪﻗ , lisez ﺪﻗﻮ .
[21]
Quand une révélation descendait sur lui (du ciel), il éprouvait une
céphalalgie, et (pour en diminuer l’intensité) il appliquait sur sa tête un
cataplasme de hinna (lawsonia inermis). Tradition relative au
Prophète et rapportée par Soyouti dans sa Grande Collection ;
manuscrit de la Bibliothèque impériale, supplément arabe.
[22]
Littéral. « lourde ». Si l’on regardait au sens du texte plutôt qu’à
la lettre, on rendrait le mot ﻼﻳﻗﺛ par « grave, sérieux ».
[23]
Eïsma signifie « soin de se
contenir, d’éviter le péché ».
[24]
Voy. ci-devant, p. 18, note.
[25]
Voy. l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 341.
[26]
« Il ne mangeait ni ail, ni poireaux, ni oignons, parce que les anges
venaient le visiter et qu’il s’entretenait avec Gabriel, ne voulant pas que les
anges en fussent incommodés. » Tradition rapportée par Soyonti dans sa Grande
Collection. Ce Docteur ajoute que Gabriel détestait l’odeur de ces plantes
potagères.
[27]
Pour ﻢَﺒِ , lisez َﻢﺒِ .
[28]
L’imam Abou Abd Allah Mohammed, natif de Nîsapour et surnommé El‑Hakem, était un docteur du rite
chafeïte. Il composa, sur les traditions, le
Mostadrek (examen critique des deux Sahîhs) et l’Iklîl (la couronne). Il mourut l’an 405 (1014-1015 de J. C.).
[29]
En arabe El‑Motekallemîn, terme qui
s’emploie pour désigner les scolastiques de l’islamisme. Ils appartenaient
ordinairement à l’école d’El‑Achâri et professaient la prédestination absolue,
tout en reconnaissant aux hommes le libre arbitre (ikhtîar). Ils enseignaient aussi l’existence
des attributs de Dieu, distincts de son essence, et reconnaissaient l’éternité
du Coran, quant au sens (mâna) de ce livre, mais non pas quant aux
termes qui en expriment le sens (eïbarat). (Voy. le Mewakif d’El‑Idji, p. ۲۴ de l’édition de la cinquième et de la
sixième section de cet ouvrage, publiée à Leipzig par M. Soerensen, en 1848.)
[30]
Selon les théologiens dogmatiques, les actions de l’homme sont ikhtîariya (c’est‑à‑dire elles dépendent
de son libre arbitre), mais s’opèrent par la puissance de Dieu ; celle
de l’homme n’ayant aucune influence dans leur exécution. (Mewakif, page ۱۰ە .) Quant aux miracles, ce sont des actions de l’agent qui a le libre arbitre (El fâïl
el‑mokhtar) ; il les
manifeste par l’entremise (à la lettre, par la main) du prophète dont il veut
démontrer la véracité, et pour se conformer au désir de ce prophète. (Mewakif, p. ۱۷۹ .) — Quant aux
actions de l’homme, ces docteurs enseignent que Dieu a pour habitude de faire exister dans l’homme une puissance et un
libre arbitre ; puis, s’il n’y a pas d’empêchement insurmontable, comme le
serait une impossibilité physique ou morale), il produit dans l’homme l’acte
déjà prédestiné, en l’associant à cette puissance et à ce libre arbitre qui se
trouvent dans l’homme. De cette manière, les actions des hommes sont créées par
Dieu et leur sont imputables (meksoub). (Mewakif, p.۱۰ە .) — L’expression Dieu a
pour habitude (ou à la lettre, il fait courir l’habitude) est
employée par les docteurs orthodoxes afin de faire entendre que la volonté de
Dieu est libre et qu’elle n’est régie par aucune loi. Si l’on admettait que
Dieu agit toujours d’après des lois invariables, on serait obligé de convenir
que sa volonté est bornée et qu’il n’a pas le libre arbitre. Dieu est donc l’agent
libre.
[31]
Les Motazélites niaient l’existence d’attributs divins distincts de l’essence
de Dieu ; ils regardaient le Coran comme créé, et enseignaient que l’homme
possède le libre arbitre et qu’il est l’auteur de ses propres actions.
[32]
L’édition de Boulac porte ﻥﻳﻣﻠﮐﺗﻣﻟﺍ ﺭﻳﺎﺳ ( les autres théologiens dogmatiques).
[33]
M. de Sacy, dans son Anthologie grammaticale, fournit trois passages
dans lesquels ce mot signifie défi ou
sommation de faire une chose surnaturelle. D’après la manière dont ce
terme est employé dans les ouvrages théologiques, nous devons admettre qu’il a
non seulement cette signification, mais aussi celle de l’annonce préalable
d’un miracle, jointe à un défi par
lequel le prophète sommerait les infidèles d’opérer un miracle semblable.
[34]
Le mot ﺓﺮﺎﺑﻋ est employé ici adverbialement ; il est à l’accusatif, comme
équivalent de ﺓﺮﺎﺑﻋ ﻰﻔ .
[35]
Littéral. « car elle en est la réalité de l’essentiel (ﻰﺗﺍﺬﻟﺍ
ﻰﻨﻌﻣ) ».
[36]
Les docteurs musulmans désignent par le mot kerama (ﺔﻣﺍﺭﮐ marque de
faveur) les choses surnaturelles faites par un ouéli (homme saint,
favori de Dieu). Pour désigner celles qui sont faites par un prophète, ils
emploient le terme modjiza (ﺓﺯﺠﻌﻣ , qui surpasse le pouvoir de l’homme).
Dans cette traduction, le mot kerama est toujours rendu par prodige
et le mot modjiza, par miracle.
[37]
Le pronom affixe, étant au féminin, doit se rapporter à ﺔﻤﺍﺭﻜ .
[38]
Abou Ishac Ibrahîm el‑Isferaïni, célèbre docteur du rite chafeïte et auteur
d’un grand ouvrage sur la théologie dogmatique, était natif d’Isferaïn, ville
du Khoraçan. Il mourut à Neïsabour, l’an 418 de l’hégire (1027 de J. C). Dans
les ouvrages scolastiques, on le désigne par le titre honorable d’ostad,
c’est‑à‑dire le maître.
[39]
Ibn Khaldoun raisonne mal ici ; mais sa conclusion est juste. Il aurait dû
s’exprimer ainsi : « Un prodige accompagné d’un tahaddi ne se distingue d’un miracle que par son
résultat moral. Or, avant de connaître ce résultat, on pourrait le prendre pour
un miracle, parce qu’il en a tous les caractères. Le maître, dit‑on, a tranché le nœud de la difficulté en soutenant
qu’aucun prodige ne renferme un fait surnaturel ; mais cette doctrine est
absurde, parce que le prodige consiste essentiellement en un fait
surnaturel : sans ce fait, il n’y a point de prodige. Aussi est‑il impossible
de croire que le maître ait jamais
avancé une pareille assertion. »
[40]
Abou ’l-Hacen Ali el‑Achari, fondateur d’une école théologique et d’un
rite qui porte son nom, mourut vers l’an 330 (941 de J. C.).
[41]
Il s’agit des musulmans versés dans la philosophie des Grecs.
[42]
Selon ces philosophes, la volonté de Dieu n’est pas libre, parce qu’il est
obligé à l’observance de ses propres lois et ne saurait s’en écarter, quand
même il le voudrait. Aussi ne peut‑il pas déroger aux lois de la nature en
opérant un miracle. Ils se distinguaient des Acharites en admettant le
principe de la causalité.
[43]
Lisez ّﻢﻟُﻳ .
[44]
Le mot ﺩﺟﺍﻭﻣ est le pluriel de ﺩﺟﻭ .
(Voyez Notices et Extraits, t.
XII, p. 366, 377.)
[45]
Littéral. « dont les pareils inspirent. »
[46]
Le paragraphe qui suit ne se retrouve que dans un seul de nos manuscrits. Pour
le distinguer nous l’avons placé entre des parenthèses.
[47]
Le terme employé par notre auteur est ﻥﻳﻘﻘﺣﻣ (les vérificateurs). Une autre
classe de docteurs se désignait par le terme ﻥﻳﻘﻘﺩﻣ (les subtiliseurs). Les
premiers résolvaient des questions par des preuves démonstratives ; les
seconds appuyaient leurs preuves sur de nouvelles preuves. (Voyez Dictionary
of the technical terms of the musulman
sciences, by Sprenger.)
[48]
C’est‑à‑dire les devins, les sorciers.
[49]
Le texte porte ﻥﻳﻭﮐﺗﻟﺍ ﻢﻟﺎﻋ , c’est‑à-dire, le monde où les êtres créés ont été
formés avec de la matière préexistante.
[50] En arabe, ittisal.
[53]
Littéral. « un être qui influe ».
[54]
ﺔﻜﺭﺪﻤﻠﺍ ﺲﻔﻨﻠﺍ (Voy. ci-après, p. 200, note 2).
[55]
Pour ﺲﻔﻨﻠﺍ , lisez ﺲﻔﻨﻠﻠ .
[56]
A la place de ﻢﻬﺘﺍﻮﺫ (leurs essences), je lis ﻢﻬﺘﻼﻗﻌﺗ avec l’édition de Boulac et un des manuscrits
de Paris.
[57]
ﺔﻘﻁﺎﻨﻠﺍ ﺲﻔﻨﻠﺍ . C’est le λογική ψύχη des philosophes grecs. Nous rendrons ce
terme par âme raisonnable.
[58]
A la lettre, le sens qui participe
aux perceptions des sens extérieurs ; c’est l’αίσθησις κοινή
d’Aristote, le sens commun ou
général qui réunit les sensations reçues par les sens extérieurs.
[59]
Littéral. « du sens externe ».
[61]
Le terme ﺔﻴﻣﻫﻭ désigne la faculté au moyen de laquelle on saisit les qualités
des objets et l’on se forme des opinions ﻢﻫﻭ . L’opinion, c’est l’acquiescement
de l’esprit à une proposition qui n’a pas été démontrée, acquiescement
accompagné ordinairement de doute. C’est au moyen de la faculté d’opinion que
les bêtes forment des jugements. (Voy. Mélanges de philosophie juive
et arabe de M. Munk, p. 363.)
[62]
Lisez, avec tous les manuscrits et l’édition de Boulac, ﻰﻠﻭﻼﻠ , à la place de
ﻯﺭﺧﻼﻠ .
[63]
Les philosophes arabes les plus avancés enseignaient qu’un seul être est le
produit immédiat de Dieu et en rapport direct avec lui. Cet être, c’est la
première intelligence, le premier moteur des étoiles fixes. Le ciel, être
incorruptible, simple, tout en acte et mû par une âme, est la plus noble des
êtres animés. Il renferme plusieurs orbes dont chacun a son intelligence. Les
intelligences des sphères sont des anges hiérarchiquement subordonnés. (Voy. Averroès et l’Averroïsme de M. Renan,
2e édition, p. 116 et suiv.) C’est cette réunion d’intelligences
qu’Ibn Khaldoun veut désigner ici par l’expression la Compagnie sublime (el‑Mela ’l-aala).
[64]
Il s’agit ici du syllogisme.
[65]
Pour ﺔﻴﻤﻫﻮﻟﺍ , lisez ﺔﻴﻤﻫﻮﻟﺍﻭ .
[66]
En arabe ﺔﻳﻘﻳ ﺩﺻﺗﻠﺍﻭ ﺔﻳﺭﻭﺻﺗﻟﺍ ﻢﻭﻠﻌﻠﺍ . Selon les logiciens, toutes nos connaissances
peuvent se ranger en deux classes, dont l’une se compose de simples appréhensions
ou concepts, et l’autre, d’affirmations ou jugements. Le concept, c’est, par
exemple, Dieu, l’homme, éternel ; l’affirmation,
c’est Dieu est éternel, l’homme
n’est pas éternel. Le concept, disent‑ils, c’est l’existence de l’image
d’une chose dans l’entendement, et l’affirmation, c’est un concept joint à un
jugement. » ﻢﮐﺣ ﻪﻌﻣ ﺭﻭﺻﺘ
ﻕﻳﺩﺻﺗﻠﺍﻭ ﻝﻗﻌﻟﺍ ﻰﻔ ءﻰﺸﻟﺍ ﺓﺭﻭﺻ
ﻝﻮﺻﺣ ﺭﻭﺻﺗﻟﺍ. Les concepts, ce sont les simples idées, et les affirmations, les
propositions.
[67]
L’adjectif ﻰﻨﺩﻟ est formé de l’adverbe ﻦﺩﻟ , de l’expression ﻪﻠﻠﺍ ﻦﺩﻟ ﻥﻣ
« d’auprès de Dieu ». Dans le langage des mystiques, il désigne les
grâces qui viennent de Dieu, ses faveurs spontanées. (Voy. Notices et extraits, t. XII, p. 203.)
[68]
Le mot berzekh signifie ce qui sépare
deux choses, comme le temps qui s’écoule entre la mort et la résurrection,
comme le tombeau qui est situé entre ce monde et l’autre. Il désigne aussi une
région dans l’espace, car les musulmans disent d’un mort qu’il est entré dans
le berzekh. Il signifie, de plus,
une barrière. On lit dans le Coran (sour. LV, vers. 20) : « Il a
séparé les deux mers qui allaient se toucher ; entre elles est une
barrière (berzekh). »
[69]
Voy. ci-devant, p. 198, note 1.
[70]
Variantes ﻻﺯﻨﻤ pour ﻻﺯﻨﺘﻣ , et ﻊﻣﺴﺒ pour ﻉﺎﻣﺴﺒ . Ces leçons ne changent rien à la
signification de la phrase.
[71]
Pour ﻞﻮﻻﺍ , lisez ﻰﻟﻮﻻﺍ .
[72]
Pour ﻰﺤﻮﻟﺍ , lisez ﻰﻋﻮﻟﺍ .
[73]
Voy. l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p. 282.
[74]
Le Mofassel, partie du Coran qui commence avec la quarante‑neuvième
sourate et finit avec la dernière.
[75]
Le cinquième verset de la cinquième sourate.
[76]
Pour ﺙﺎﻴﺍ , lisez ﺖﺎﻴﺍ .
[77]
L’édition de Boulac porte ﺍﺭﻮﻃﻔﻣ , leçon qui paraît préférable à celle des
manuscrits et de l’édition de Paris.
[78]
Carmina, incantations.
[79]
Pour ﻡﺪﺗﺳﻴ , lisez ﻡﺪﺗﺳﻴﻔ .
[80]
Pour ﺔﻬﺒﺷﺗﻣ , lisez ﺔﺜﺒﺸﺗﻣ .
[81]
L’édition de Paris et les trois manuscrits portent ﻥﻭﮐﺘ ﺎﻣ . Dans l’édition de
Boulac, le ﺎﻣ est supprimé. Au reste, on trouvera plus loin des passages où Ibn
Khaldoun a employé cette particule d’une manière pléonastique.
[82]
Phrases cadencées, incantations, carmina.
[83]
Ibn Saiyad, célèbre devin, surnommé par les musulmans Ed‑Deddjal (l’Antechrist), finit par embrasser l’islamisme et
mourut vers l’an 63 de l’hégire. On a rapporté quelques traditions sur son
autorité.
[84]
Littéral. « de l’essence ».
[85]
Littéral. « entrent dans ».
[86]
Il faut lire ﺖﺴﺒﺗﻟﺍﻭ pour ﺐﺒﺴﺗﻟﺍﻭ avec l’édition de Boulac.
[87]
Pour ﺎﻣﺴﻟﺍ , lisez ﺀﺎﻣﺴﻟﺍ .
[88]
Le terme ﻰﮐﻟﻓ ﻊﺿﻭ , employé par l’auteur, signifie à la lettre position de
la sphère.
[89]
Le manuscrit B porte ﺔﻴﺻﺎﺧﻠﺍ , à la place de ﺔﺻﺎﺧﻠﺍ , et l’édition de Boulac
remplace ﺔﺋﻴﻬﺒ par ﻪﺗﺀﻳﻬﺒ .
[90]
A la place de ﻪﻨﺍ ﻻﺍ , l’édition de Boulac porte ﻪﻨﺍ ﻻ . Cette leçon est
préférable.
[91]
Entre les mots ﻙﻠﺬ et ﻰﻔ , insérez
ﻢﻬﻌﻘﻮﻴﻭ .
[92]
Pour l’histoire de ces deux personnages, qui s’étaient donnés pour des
prophètes, on peut voir l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p.
289 et suiv. 309 et suiv. et les Annales de Taberi, vol. I, p. 149.
[93]
Voyez l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p. 309, 345 et suiv. et
les Annales de Taberi, vol. I, p. 99.
[94]
Careb Ibn el‑Asoued, chef de la tribu de Thakîf, défendit la ville de Taïf
contre Mohammed. Plus tard il embrassa l’islamisme.
[95]
Littéral. « aux songes ».
[96]
Pour ﺎﻬﻗﻴﻗﺣﺘﻔ , lisez ﺎﻬﺘﻗﻳﻗﺤﻔ .
[97]
Pour ﻪﺗﻴﻨﺎﻋ , lisez ﻪﺘﻨﺎﻋ .
[98]
Pour ﻼﻋﺍ , lisez ﻰﻠﻋﺍ .
[99]
Ici l’auteur met le verbe au singulier. Tantôt il emploie ﺝﻭﻋ avec la préposition
ﻰﻟﻋ , et tantôt avec ﻰﻟﺍ , sans que le sens du verbe en soit modifié.
[100]
L’édition de Boulac porte ﺎﻬﻠﻌﺠ ﻚﻟﺬﻟﻮ , leçon préférable à celle des
manuscrits, ﺎﻬﻠﻌﺠ ﺎﻣ ﻚﻟﺬﻟﻮ , et à celle
de l’édition de Paris, ﻞﻌﺠ ﺎﻣ ﻚﻟﺬﻟﻮ . En
tout cas, la particule ﺎﻣ est
pléonastique.
[101]
ﻰﻨﺍﻭﻳﺣ signifie aussi animal.
[102]
Les manuscrits et les éditions imprimées portent ﻦﻣ ; mais il faut,
sans doute, lire ﻥﻋ . (Voyez, du reste, p. 189, ligne 3 du texte arabe).
[103]
La particule ﺎﻣ est de trop. Elle ne se
trouve pas dans l’édition de Boulac. (Voy. ci-devant, p. 207, note 5, et p.
214, note 1).
[104]
Expression coranique ; voy. sour. XII, vers. 44, et sour. XXI, vers. 5.
[105]
Le Ghaïa-t‑el‑hakîm (Scopus sapientis) est un des recueils arabes les plus complets sur la magie, les
sortilèges, la pierre philosophale, etc. Dans le Dictionnaire bibliographique
de Haddji Khalifa, cet ouvrage est attribué à Moslim, ﻢﻟﺳﻣ , el-Madjrîti ;
mais c’est Maslema, ﺔﻣﻠﺴﻣ, qu’il faut lire. (Voy. ci-après, note 4.)
[106]
Le terme rendu ici par exercices spirituels
est rîada, nom d’action d’un
verbe qui signifie dompter par
l’exercice, par la discipline ; dompter ses passions. Selon l’auteur
du Kholaçat es‑Solouk, la rîada consiste à s’appliquer à la
prière et au jeûne ; à se garder, toutes les heures du jour et de la nuit,
contre ce qui entraîne dans le péché et mérite le blâme ; à fermer la
porte au sommeil et à éviter la fréquentation du monde (litt. la société du
peuple) :
(Dictionary
of the technical terms used in the sciences of the
Musulmans ; vol. I, p. ٥٦۴.)
[107]
Ce mot signifie du lait caillé.
[108]
Abou ’l-Cacem Maslema Ibn Mohammed el‑Andeloci el-Madjrîti (natif de
Madrid en Espagne) était astronome, mathématicien, astrologue et devin. Il
composa sur les opérations de la magie et sur les sortilèges un ouvrage
célèbre, dont nous venons de parler dans la note [1 de la page217]. Il laissa aussi un traité sur les nombres,
plusieurs ouvrages sur l’astronomie, dans un desquels il calcule le lieu moyen
de chaque planète pour le premier jour de l’hégire. Il mourut l’an 398 (1007‑1008
de J. C.), ou selon Haddji Khalifa, en 395. On trouvera une notice sur Maslema
et la liste de ses ouvrages dans le Geschichte
der arabischen Aertze de Wüstenfeld, p. 61. Il ne faut pas
confondre ce Maslema avec l’auteur du Retbat
el‑Hakîm (Gradus sapientis). Celui-ci se nommait Abou ’l-Cacem
Maslema Ibn Ahmed el‑Cortobi el‑Madjrîti.
Dans son Retba, qui traite de la
pierre philosophale, il dit avoir commencé la composition de son ouvrage en
l’an 439 (1047 de J. C.). (Ms. de la Bibl. imp. suppt n.° 1078.) [css : en index, le traducteur signale cette note
comme ‘à annuler’ ; cf. III, page 172, note].
[109]
Littéral. « après une rîada de plusieurs nuits dans la
nourriture ».
[110]
Voyez ci-devant, p. 196, note 2, et ci-après, p. 223.
[111]
Pour ﺓﺭﻮﺼﻠﺍ , lisez ﺭﻮﺼﻠﺍ .
[112]
Le mot ﺓﺭﻮﺼ est omis, à tort, dans un
des manuscrits et dans l’édition de Boulac.
[113]
Après le mot ﻚﻠﺬﻮ , il faut insérer ﻥﻻ . L’édition de Boulac et les manuscrits
C et D fournissent la bonne leçon.
[114]
Tous les manuscrits et l’édition de Boulac portent ّﻢﺗﻳ ﻢﻠ ﻝﺑ . L’insertion de
la particule négative est absolument nécessaire. La grammaire exige, en ce cas,
le remplacement de ﻢﺗﻳ par ﻢﻤﺗﻳ , mais notre auteur néglige assez souvent
cette règle. On voit, par exemple, que, dans cette même ligne, il a écrit
ﻢﺗﺗ ﻢﻠ .
[115]
Pour ﺓﺭﻮﺻﻟﺍ ﻚﻠﺗ , il faut lire, avec les manuscrits, ﺭﻮﺻﻟﺍ ﻚﻠﺗ .
[116]
Pour ﻪﻔﺮﺼﺗﻔ , il faut probablement lire ﺎﻬﻔﺮﺼﻴﻔ
.
[117]
Pour ﺲﺣﻟﻟ , lisez ﺲﺣﻟﺍ .
[118]
Cette ligne paraît être une interpolation d’un copiste.
[119]
Je lis ﺎّﻣ ٍﻙﺍﺭْﺪٍﺍ
[120]
Pour ﻞﺎﺻﻨﻻﺍ , lisez ﻞﺎﺻﺗﻻﺍ .
[121]
Selon les traditions les plus authentiques, Satîh avait prédit la mission
divine de Mohammed. C’est probablement pour cette raison qu’Ibn Khaldoun ne nie
pas son existence.
[122]
Voy. l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 96, et le Sîret
er-Rasoul, p. 9 et suiv.
[123]
Voy. les Annales Muslemici d’Abou ’lféda, t. I, p. 7.
[124]
Voy. ci-devant, p. 217.
[125]
Un certain El-Kindi, cité par l’auteur du Fihrest,
dans le chapitre où il traite des Sabéens, attribue à ce peuple une pratique
presque semblable. (Voyez Die Ssabier und
der Ssabismus, par le Dr Chwolsohn, t. II, p. 19.)
[126]
Ou bien, de son microcosme.
[127]
Pour ﻢﻠﺎﻌﻠﺍ , lisez ﻢﻠﺍﻮﻌﻠﺍ .
[128]
Cette expression obscure et énigmatique doit signifier que celui qui recherche
la connaissance de la nature divine à cause des jouissances ou des avantages
mondains que cette connaissance procure s’est déclaré pour le monde et contre
Dieu.
[129]
Voy. ci-devant, p. 191, note 2.
[130]
Abou Mohammed Abd Allah Ibn Abi Zeïd, natif de Cairouan et auteur d’un célèbre
traité sur la jurisprudence malékite, mourut en 390 (1000 de J. C.). M. Vincent
a donné un extrait de ce manuel (Rîçala) dans ses Études sur la loi musulmane. Paris, 1842.
[131]
Voy. ci-devant, p. 191.
[132]
En arabe, ﺚّﺫﺣﻤ , mohaddeth. « Le mohaddeth, dit Mohammed, est celui dont les visions et
les suppositions sont toujours justifiées par l’événement. » (Voyez Harîri de M. de Sacy, page ٦٠١.)
[133]
Il faut peut-être lire ﻊﻗﻮﻔ à la place
de ﻊﻓﺭﻓ .
[134]
Dans le texte arabe, ﻝﺑﺟﻠﺍ ﺔﻳﺭﺎﺳ ﺎﻴ . Il faut lire َﻝﺑﺟﻠﺍ َﻝﺑﺟﻠﺍ ﺔﻳﺭﺎﺳ ﺎﻴ
, malgré les manuscrits. Dans de pareilles expressions, quand il y a une
ellipse du verbe, le complément se répète. (Voyez la Grammaire arabe de M. de Sacy, t. II, p. 460. Voyez aussi Notices et extraits, t. XII, p. 364, où
la même anecdote est rapportée.)
[135]
Voy. Notices et extraits, loco laudato.
[136]
Pour ﺓﺪﺍﺪﺠ , lisez ﻩﺪﺍﺪﺠ .
[137]
Voyez Taberistanensis Annales t. II,
p. 147.
[139] Pour ﻒﻮﺠﻴ , lisez ﺯﻮﺠﻴ .
[140] En arabe siddîkîn. Le compilateur du Dictionary of the technical terms used in the sciences of the
Musulmans, définit ainsi le tasdîc, station
de sainteté dans laquelle se trouvent les soufis de cette classe :
« C’est un degré de sainteté plus élevé que celui de ouéli, mais
inférieur à celui de prophète, auquel il touche immédiatement ; l’homme
qui dépasse ce degré se trouve aussitôt dans celui de prophétisme :
[141]
Dans tout ce paragraphe, l’auteur emploie le terme ﻝﻗﻋ (intelligence) pour désigner
la raison.
[142]
J’aurais pu donner ces figures et leurs noms, mais M. le docteur Perron les a
déjà fait connaître dans sa traduction du Voyage au Darfour ; voy. p. 363 et suiv. note. Les personnes curieuses de ces matières trouveront,
dans les indications fournies par ce savant orientaliste, tout ce qui est
nécessaire pour éclaircir la description donnée par Ihn Khaldoun.
[143]
Pour ﺎﻃﻮﻃﺨ , lisez ﺎﻃﻮﻃﺣ .
[144]
Le texte arabe des deux paragraphes qui suivent
ne se trouve que dans un seul manuscrit, et il renferme évidemment plusieurs
fautes. Il remplace le passage suivant, que nous lisons dans les autres
manuscrits et dans l’édition de Boulac :
c’est‑à‑dire, « mais
cela n’est fondé que sur de simples présomptions et des notions hasardées, dont
aucune ne peut servir d’argument. »
[145]
Je lis ﺭﻳﺎﻣﺿﻟﺍ ﺝﺍﺭﺧﺗﺳﺎﺑ . Le mot ﺭﻳﺎﻣﺿ , pluriel de ﺭﻳﻣﺿ (pensée), paraît être
employé par les astrologues et le devins pour désigner la pensée secrète du destin. Les manuscrits de la Bibliothèque
impériale, supplément arabe, n°1122, 1093, 1118, traitent de l’art de
consulter le sort, ﺭﻳﺎﻣﺿﻟﺍ ﺝﺍﺭﺧﺍ. Ils renferment des tables au moyen desquelles
on obtient une réponse à chaque question relative aux choses qui préoccupent
l’esprit. L’expression ﺭﻴﺎﻤﺿﻠﺍ ﺝﺍﺭﺧﺗﺴﺍ équivaut à ﺏﻴﻐﻟﺍ ﺭﻴﻤﺿ ﻥﻣ ﻞﻴﺎﺴﻣﻠﺍ ﺔﺑﻮﺠﺍ
ﺝﺍﺭﺧﺗﺴﺍ .
[146]
Pour ﺖﻴﺑﻠﺍ ﻚﻟﺫ , je lis ﺕﻮﻴﺒﻟﺍ ﻚﻟﺗ .
[148]
A la place de ﻦﻻ , je lis ﻦﺍ ﻻﺍ .Ce paragraphe ne se trouve que dans un seul
manuscrit, dont le texte offre assez souvent des leçons peu
satisfaisantes ; les unes sont évidemment fautives et les autres très suspectes.
[149]
Ici l’auteur entend parler de cette espèce de géomancie dans laquelle
l’opérateur dresse un thème céleste sur lequel il tire un horoscope. Le lecteur
verra plus loin qu’Ibn Khaldoun ne refuse pas à une autre classe de géomanciens
la faculté de regarder dans le monde spirituel.
[150]
Cet auteur est inconnu à Haddji Khalife, le bibliographe. C’est peut‑être le
même qui composa un traité De modis concubitus
varus, dont les exemplaires ne sont pas rares en Algérie.
[151]
Pour ﺎﻫﻮﺒﺴﻨﻴ , lisez ﺎﻫﻮﺒﺴﻨ .
[152]
Pour ﻰﻨﺒ , lisez ﻰﺑﻨ .
[153]
J’ai mis cette tradition en latin pour la rendre mot à mot. Elle est tellement
vague et obscure qu’à peine peut‑on y entendre quelque chose ; mais elle
doit signifier : il y avait des prophètes qui écrivaient des
prédictions ; celui dont les écrits se trouvent conformes aux événements
est un de ces prophètes. — Le verbe ﻁﺧ signifie également tracer des lignes et écrire. Notre
auteur ne s’est pas préoccupé de l’équivoque.
[154]
Les trois paragraphes qui suivent ne se trouvent que dans un seul manuscrit et
appartiennent à la dernière rédaction.
[155]
Pour ﻚﻟﺬﻠﻮ ﺔﻬﺠﻮﻠﺍﻮ , lisez ﻚﻟﺬﻠ ﺔﻬﺠﻮﻠﺍ .
[156]
C’est‑à‑dire ceux de la première espèce recevaient des révélations sans les
avoir recherchées ; ceux de la seconde classe les recherchaient sans s’y
être prédisposés ; ceux de la troisième se prédisposaient à les recevoir.
Les mots ﺪﺠﻮ ﻥﺍ sont de trop, ou bien il
y a quelque chose d’omis. Nous n’avons pas le moyen de contrôler le texte des
paragraphes mis entre des parenthèses ; ils ne se trouvent que dans un
seul manuscrit, celui que j’ai désigné dans mes notes par la lettre A.
[157]
Le paragraphe qui suit est une note marginale du
manuscrit A. Dans l’édition imprimée de l’arabe, il se trouve inséré dans le
texte.
[158]
Fin du paragraphe fourni par le manuscrit qui a servi de
prototype à cette édition. Je suis porté à admettre l’authenticité de ces
additions.
[159]
Ceci est encore un passage qui ne se trouve que dans ce même manuscrit.
[160]
Pour ﺪﺍﺧﺗﺍ , lisez ﺫﺍﺧﺗﺍ .
[161]
Littéral. « entre lui et elle ».
[162]
On place ensuite ces points sur une même ligne, les uns sous les autres, sans
les changer de rang.
[163]
Voici la règle de cette opération : un point simple étant sur la même
ligne horizontale avec un point simple ou un point double donne un point
simple ; deux points doubles donnent un point double. On emploie aussi une
autre règle qui fournit un résultat différent. Elle porte que deux points
semblables donnent un point double, et deux points dissemblables, un point
simple. Le docteur Perron (voy.
ci-devant, p. 232) n’indique qu’une seule manière d’opérer.
[164]
Pour ﻡﺘ , lisez ﻢﺛ .
[165]
Pour ﻪّﻃﺧﻠ , lisez ﺔﻆﺣﻠ .
[166]
Haddji Khalifa ne fait pas mention de ce genre de calcul. Je ne sais pas quelle
signification il faut donner au mot nîm dans l’expression hiçab en‑nîm.
[167]
La Bibliothèque impériale possède plusieurs manuscrits du Kitab es‑Sîaça, prétendue traduction de la Politique d’Aristote.
Dans un des exemplaires on trouve indiquée, sur la marge d’un feuillet, la
table des mots dont on se sert dans le hiçab
en‑nîm.
[168]
Dans le texte arabe, le sens, la mesure des vers et l’autorité des manuscrits
nous obligent à remplacer
les mots :
[169]
Après les mots ﺝﻮﺯﻠﺍ ﺍﺬﺍ , ajoutez ﻯﻭﺗﺴﻳ , pour les raisons données dans la
note précédente.
[170]
Le retranchement du plus grand multiple d’un nombre s’exprime en arabe par le
mot ﺡﺭﻁ (tarh). Cette opération s’exécute pratiquement au moyen d’une
division et joue un rôle important dans l’arithmétique des Arabes. (Voyez
l’Arithmétique d’Alkalçadi, p. 20. La traduction de ce traité, faite par M.
Woepcke, a été publiée à Rome en 1859.)
[171]
Les nombres du premier ordre sont les neuf premiers ; ceux du second ordre
sont les dizaines ; ceux du troisième, les centaines, etc.
[172]
Voy. Cours de langue arabe de M.
Bresnier, p. 84 et suiv. et Grammaire
arabe de M. de Sacy, 2e édit. tome I, p. 9.
[173]
Voy. Cours de langue arabe, de M.
Bresnier, p. 84 et suiv.
[174]
L’auteur aurait mieux fait de s’exprimer ainsi : « vu qu’il n’y a
pas de lettre pour représenter ni le deuxième terme ni le troisième de la série
des milliers. »
[175]
Ici, et plus bas, le texte imprimé porte ﺵﻠﺠ . C’est une faute.
[176]
Le texte imprimé porte, à tort, ﺦﺿﻮ .
[177]
On lit dans le texte imprimé ﺪﻏﺯ . C’est une faute à corriger.
[178]
Pour ﻂﻓﺤ , lisez ﻅﻔﺤ dans le texte imprimé.
[179]
Dans tous les manuscrits et dans les deux éditions on a négligé d’ajouter à
chaque groupe de lettres son numéro d’ordre. Les croix qui séparent ces
groupes dans l’édition de Paris n’ont aucune signification et doivent être
supprimées.
[180]
Ou bien : « pour retrancher le plus grand multiple de neuf ».
[181]
On verra, quelques lignes plus loin, que, par le mot nœud (ﺪﻗﻋ), Ibn
Khaldoun veut désigner les dix premiers nombres et aussi leurs produits,
quand on les multiplie par les diverses puissances de dix. Cela est tout à fait
conforme à l’indication donnée par El-Maredini. Cet arithméticien dit :
« Les ordres élémentaires des nombres sont au nombre de trois :
unités, dizaines et centaines, dont chacun comprend neuf nœuds. (Voyez le traité de M. Woepcke sur l’Introduction
de l’arithmétique indienne en Occident, p. 67. Ce volume a été imprimé à
Rome en 1859.)
[182]
Pour ﺔﻟﺍﺪﻟﺍ je crois devoir lire ﺔﻠﺍﺪ .
[183]
Prenons, comme exemple, le groupe ﺦﺻﻭ qui en est le sixième. Il a la valeur de
666. Les lettres du septième groupe ont la valeur de 777.
[184]
Tous les manuscrits et les deux éditions imprimées portent ﺭﻣﻻﺍ . L’auteur a
peut-être voulu écrire ﺪﻬﻌﻠﺍ .
[185]
L’édition de Paris porte ﻚﻔﺴﻴ , yesfek. Cette leçon est fausse.
[186]
L’édition de Boulac porte ﻎﺧ ﺵﻋ , à la place de ﻊﺧ ﺵﻋ . Dans le Kitab es‑Sîaça,
attribué à Aristote, manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n°
944, fol. 51 r°, on lit ﻉ ﺥ ﺵ ﻍ , conformément à la leçon de l’édition de
Paris.
[187]
L’édition de Paris porte ﻅﻀﺘ . Cette leçon est mauvaise, le ﺘ se trouvant déjà employé dans le groupe n° 6.
L’édition de Boulac offre la bonne leçon.
[188]
Nous savons, par le dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa,
qu’Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn el‑Benna composa un traité d’algèbre, un
manuel d’arithmétique et des gloses sur le Keschaf, célèbre commentaire
du Coran. Il vivait au commencement du XIIIe siècle. (Voyez le Journal asiatique d’octobre‑novembre 1854, p. 371,
note. [css : F.
WOEPCKE, Recherches sur l'Histoire des sciences mathématiques chez les
Orientaux, d'après des Traités inédits arabes et persans, p. 348-385])
[189]
J’ai déjà fait observer, ci-devant, p. 81, que cet ouvrage n’est pas d’Aristote.
[190]
Il naquit à Ceuta et mourut à Maroc en odeur de sainteté, après avoir distribué
tous ses biens aux pauvres. On a de lui un ouvrage intitulé ﻰﻓ ﻑ ّﻭﺷﺗﻟﺍ ّﻑﻭﺻﺘﻟﺍ ﻞﺎﺠﺭ . Coup d’œil sur les principaux soufis. — (Traduction turque
de la 6e section de Prolégomènes, page ۱٦٦.)
[191]
Littéral. « des cordes ». Nous ne pouvons pas employer ce terme
parce qu’en géométrie la corde est une ligne droite qui coupe la circonférence
en deux points, sans passer par le centre.
[192]
Ces sigles appartiennent au caractère nommé divani.
(Voyez Grammaire arabe de M. de
Sacy, t. I, planche VIII, et p. 91 de la seconde édition.)
[193]
Voy. Grammaire arabe, loc. laud.
[194]
Cela paraît signifier : « et les noms de divers êtres ».
[195]
Dans l’intérieur du tableau aussi plusieurs cases sont vides.
[196]
On trouvera le texte de ce poème dans la troisième partie de l’édition arabe
des Prolégomènes, p.147 et suiv.
[197]
Abou Abd Allah Malek Ibn Woheïb, théologien, soufi, cabaliste et astrologue, se
trouvait à la cour du souverain almoravide Ali Ibn Youçof, quand le mehdi des
Almohades s’y présenta pour soutenir une discussion avec les légistes de la
ville de Maroc. Ceci eut lieu vers l’an 515 (1121-1122 de J. C.). (Voy. Histoire des Berbers, t. II, p. 169.)
L’édition de Paris porte
ﻥﺫﺍ , à la place de ﺍﺫﺍ ; dans la IIIe partie, elle offre la leçon
ﺍﺫﺍ , qui est aussi celle des manuscrits C et D et de l’édition de Boulac.
Dans l’édition de Paris, le mot ﺐﻳﺭﻋ doit être supprimé ; sa présence
nuit à la mesure du vers, et n’a pas un seul manuscrit pour la justifier. Au
reste, ce vers ne sert qu’à aider la mémoire en indiquant certaines lettres qui
doivent s’employer dans cette opération cabalistique, et à montrer l’ordre
dans lequel on doit les prendre.
[199]
Le procédé de calcul nommé hiçab el-djomel
s’emploie quand on veut représenter des chiffres indiens par des lettres
de l’alphabet et vice versa.
[200]
Le mot ass signifie base, fondation. En algèbre, il désigne
l’exposant d’une puissance, mais, dans l’opération sur la zaïrdja, il indique
le nombre de degrés qui se trouve entre la fin du dernier signe du zodiaque et
le degré du signe qui est l’ascendant au moment de l’opération. Cette distance
angulaire se mesure en sens contraire de l’ordre des signes.
[201]
Le mot dour signifie circuit, période. En astronomie, ce
terme s’emploie pour désigner l’espace de temps dans lequel un point quelconque
du ciel fait un révolution complète autour de la terre. Le dour d’une planète, c’est son orbite ou
le temps qui s’écoule depuis qu’elle part d’un point du ciel jusqu’à ce qu’elle
revienne au même point. Dans l’opération sur la zaïrdja, on appelle dour certains
nombres au moyen desquels on se guide en faisant le triage des lettres dont les
mots de la réponse doivent se composer. On vient de me communiquer un
exemplaire d’une traduction turque de la 6e section des Prolégomènes
d’Ibn Khaldoun. Il renferme une copie lithographiée de la zaïrdja de Sibti, tableau que j’avais vainement cherché en Algérie
et à Paris. Je la reproduirai dans la troisième partie de cette traduction.
[202]
Je donne ici le sens du texte arabe, trouvant qu’une traduction littérale
serait inintelligible.
[203]
Voy. t. III, p. 162, du texte arabe.
[204]
L’auteur aurait dû écrire ﺎﻣﻳﺴ ﻻ , mais il a suivi l’usage de son pays.
[205]
La leçon ﺓﺎﻴﺎﻌﻣﻟﺍ nous paraît préférable ; si on l’adopte, il faut
traduire ainsi : « une merveille dont l’explication embarrasserait
l’esprit. »
[206]
Voici la traduction littérale de cette phrase : « cela provient de la
mise (de certaines lettres) en regard avec les lettres du vers, et, pour cette
raison, la (réponse) versifiée en offre la mesure et la rime. »
[207]
Voyez la troisième partie du texte, au chapitre de la zaïrdja.
[208]
Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 1188, se trouvent
plusieurs traités sur l’emploi de la
zaïrdja d’Es‑Sibti. Nous en reparlerons dans la traduction de la troisième
partie.
[209]
Dans le texte arabe, il faut lire, ici et plus bas, ﺖﺎﻴﺎﻌﻣﻟﺍ , c’est‑à‑dire,
des questions qui fatiguent l’esprit et qui paraissent impossibles à
résoudre.
[210]
Monnaie de cuivre. Le mot folous dérive d’obolus ; les
Arabes le regardent comme un pluriel dont le singulier est fels.
[211]
L’auteur aurait pu résoudre ce problème d’une manière beaucoup plus simple, en
disant : si trois divisé par trois donne un, vingt‑quatre divisé par le
même nombre donnera huit ; or huit et un font neuf.
[212]
Je crois avoir saisi l’idée que l’auteur a voulu exprimer par la phrase dont
voici la traduction littérale : « la catégorie de l’accord du
discours avec l’extrinsèque. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.